Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur les objectifs de la politique des paysages et la création prochaine d'un Conseil national du paysage, Paris, le 19 mai 1999.

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Circonstance : Remise du Grand prix du paysage, à Paris, le 19 mai 1999

Texte intégral

Nous sommes réunis aujourd'hui pour la cinquième édition du Grand prix du paysage.
Créé par arrêté du 10 septembre 1990, le Grand prix du paysage est décerné les années paires à " un paysagiste concepteur de nationalité française dont il consacre soit l'ensemble des réalisations, soit une uvre exceptionnelle ou exemplaire, soit sa contribution au développement des idées, des concepts dans le domaine du paysage ".
L'objectif du Grand prix du paysage n'est pas, vous le savez, de céder aux délices des congratulations en circuit fermé, mais bien d'affirmer la place des paysagistes parmi les professionnels de l'aménagement et du cadre de vie.
Ainsi, le Grand prix du paysage a permis de distinguer Jacques SIMON en 1990, Michel CORAJOUD en 1992, Alain PROVOST et Jacques SGARD en 1994, et enfin Bernard LASSUS en 1996. J'ai d'ailleurs vu avec plaisir que la brochure de présentation du Grand prix du paysage 1996 était reproduite in extenso sur un site Internet canadien.
Le jury, réuni le 9 décembre 1998 sous la présidence de Marie-Odile GUTH, Directrice de la nature et des paysages, a désigné Gilles CLÉMENT comme lauréat pour 1998.
Après 10 ans d'existence, le Grand prix du paysage est arrivé à maturité, et il est possible d'en faire évoluer l'organisation. Jusqu'à présent, et par nécessité, le choix des professionnels présentés devant le jury s'effectuait au sein de mon administration, ce qui a parfois semblé, à certains, partial ou opaque.
J'ai donc souhaité plus de transparence dans la désignation des paysagistes qui seront présentés au jury pour le prochain Grand prix du paysage. Je demanderai aux 6 professionnels déjà lauréats du Grand prix du paysage de me proposer la liste des paysagistes qui seront présentés en l'an 2000 au jury, lequel a d'ailleurs indiqué qu'il appréciait que la profession soit de la sorte plus impliquée dans l'organisation du Grand prix du paysage.
Avant de vous dire pourquoi j'ai été particulièrement heureuse du choix du jury, je tiens à replacer le Grand prix du paysage dans la politique que j'entends mener pour les paysages. Cette présentation, en " avant-première ", répond au souhait de Gilles CLÉMENT de ne pas cantonner cette remise du Grand prix du paysage à un échange de panégyriques.
Si j'ai, parmi mes attributions, la responsabilité des actions de protection des paysages et des sites, bien d'autres administrations interviennent sur les paysages dans le cadre de leurs attributions spécifiques : l'architecture et la protection des monuments, l'urbanisme et les infrastructures, l'agriculture ou encore les équipements commerciaux constituent autant d'interventions sur le territoire qui transforment les paysages. Cependant, il est toujours nécessaire qu'il y ait un responsable, même s'il y a plusieurs acteurs.
Dans le domaine des paysages, mon administration, qu'il s'agisse de la Direction de la nature et des paysages ou des Directions régionales de l'environnement, met en uvre aujourd'hui une multiplicité d'outils, de démarches et de programmes. Cinq lois traitent des paysages (loi sur les " sites ", loi " littoral ", loi " montagne ", loi " paysages " et loi de " renforcement de la protection de l'environnement "). D'autre part, les démarches proposées aux collectivités locales (atlas, plans, chartes, contrats, observatoire photographique du paysage) et les différents programmes (typologies, problématiques, monographies, opérations médiatiques ponctuelles) sont nombreux et variés.
Face à une demande sociale de plus en plus forte, il faut reconnaître que l'action de l'administration est trop souvent perçue comme désordonnée.
Il est donc nécessaire d'engager une politique des paysages plus lisible, non pas en ajoutant encore de nouveaux outils, de nouvelles démarches ou de nouveaux programmes, mais en redéfinissant des priorités qui tiennent compte des enjeux contemporains.
Cette politique des paysages entend répondre à trois constats :
1°) Tous les paysages urbains, périurbains, ruraux et naturels, qu'ils soient remarquables ou quotidiens, préoccupent aujourd'hui l'ensemble des Français. L'appréciation négative que nos concitoyens portent sur les entrées de ville, sur l'affichage publicitaire, sur l'évolution des campagnes ou sur les friches industrielles, est un symptôme de la difficulté que nous avons à maîtriser collectivement l'impact visuel de l'aménagement contemporain sur les espaces.
2°) La question des paysages ne doit plus être circonscrite dans le cercle des experts, elle émerge comme sujet politique à part entière parce qu'elle concerne très directement la qualité de la vie : les Français et les Européens n'entendent plus subir leurs paysages, et exigent de participer aux décisions politiques, économiques et techniques qui aboutissent à leur transformation.
3°) La dysharmonie, la standardisation et le manque d'âme de trop de paysages contemporains naissent pour une large part du manque de cohérence et du déficit de projet des collectivités publiques.
La politique des paysages s'organise en trois objectifs principaux, qui permettent de structurer et de rendre plus cohérente l'action du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, et des autres ministères qui interviennent sur les paysages.
1°) Développer la connaissance des paysages
Sujet encore récent, la question des paysages nécessite de poursuivre le développement des connaissances scientifiques et méthodologiques.
1. Développer et valoriser les outils d'analyse, de composition, de projet ;
2. Inscrire le paysage dans la culture générale de nos concitoyens ;
3. Développer une stratégie de communication et de sensibilisation du public comme des acteurs de l'aménagement.
2°) Renforcer et mettre en cohérence les politiques publiques de paysage
Dans la plupart des cas, la transformation des paysages souffre de l'absence de cohérence entre les différents acteurs de l'aménagement. Pour y remédier, le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement s'attachera à :
1 - Poursuivre la mise en uvre de la loi " paysages ". Sept ans est l'âge de raison, pour les lois comme pour les êtres humains.
2 - Renforcer la compétence des services de l'environnement. Sur ce point, deux mesures particulières concernent très directement les paysagistes.
Dans l'organigramme des directions régionales de l'environnement, j'ai décidé de prévoir un poste correspondant à la qualification de " paysagiste DPLG ", dont le recrutement pourrait s'effectuer au sein du corps des architectes et urbanistes de l'Etat. Je sais que cette décision rencontrera quelques résistances - qui d'entre nous n'est circonspect à l'égard du changement ? -, mais j'y suis déterminée.
En outre, et dès cette année, les directions régionales de l'environnement pourront recourir à des paysagistes-conseil des départements mis en place par le ministère de l'Équipement, sur la base d'une journée par mois.
3 - Assurer la coordination interministérielle des politiques de l'Etat ayant des effets sur les paysages ;
4 - Animer le dialogue entre l'Etat et les collectivités locales, pour une meilleure prise en compte des paysages dans les décisions d'aménagement ;
5 - Évaluer les effets des politiques publiques sur les paysages ;
6 - Inscrire la politique des paysages dans une dimension européenne et internationale. L'un des enjeux les plus actuels de cette volonté est l'adoption de la convention européenne du paysage, dont le projet est en accord avec l'approche française.
3°) Soutenir les réponses professionnelles
La réponse à la demande sociale de paysages d'une meilleure qualité ne peut venir de la seule maîtrise d'ouvrage publique. Les professionnels - paysagistes DPLG, ingénieurs paysagistes, entrepreneurs de paysage, horticulteurs, bureaux d'études - doivent eux aussi pouvoir mieux y répondre. À cette fin, je voudrais vous faire part de plusieurs propositions :
1° Donner un cadre aux formations initiales au paysage
L'implication de mon ministère dans le fonctionnement de l'École nationale du paysage de Versailles, où vous enseignez, doit se développer. La tutelle de cette école est exercée par le ministère de l'agriculture et de la pêche, ce qui n'empêche pas que mon ministère ait des liens forts avec elle. Je souhaite qu'ils s'amplifient. Déjà, la sous-direction des sites et paysages entretient des relations contractuelles avec certains de vos étudiants, par le biais d'ateliers pédagogiques régionaux. Une formation plus proche des préoccupations de mon ministère, une meilleure préparation à l'exercice " maîtrise d'ouvrage " et le développement de la recherche intégrée à l'enseignement sont les enjeux de notre participation à la vie de l'École nationale supérieure du paysage, à laquelle mon ministère veut apporter un concours financier significatif.
2° Dialoguer avec les structures professionnelles. C'est dans ce souci que je soutiens les initiatives de la Fédération française du paysage, en particulier le projet d'un office de qualification professionnelle des ateliers et bureaux d'études paysagistes.
3° Promouvoir les compétences et les savoir-faire. C'est dans ce cadre que s'inscrit le Grand prix du paysage.
En outre, un Conseil national du paysage sera institué, pour assurer la cohérence générale du dispositif.
Il aura pour rôle :
· d'abord, de constituer un lieu de débat sur la politique des paysages du ministère ;
· ensuite, d'offrir un lieu de cohérence entre les politiques publiques qui interviennent sur les paysages ;
· et enfin, de dresser annuellement le bilan de l'application de la loi " paysages ".
Ce conseil, que je présiderai, rassemblera :
· les administrations concernées ;
· des professionnels du paysage ;
· les établissements d'enseignement supérieur ;
· des élus ;
· et les principales associations.
La présence des professionnels du paysage dans ce Comité est la manifestation d'une nécessité de convergence entre les politiques publiques et les stratégies de la profession.
Après cette annonce de la remise en cohérence des actions sur les paysages, je reviens à l'objet de cette manifestation.
Gilles CLÉMENT, je suis, je le répète, particulièrement heureuse que le jury du Grand prix du paysage vous ait désigné comme lauréat pour 1998. Les autres paysagistes présentés au jury (Isabelle AURICOSTE, Pierre DAUVERGNE et Alain MARGUERIT) apportent eux aussi d'importantes contributions à l'avancement de la problématique des paysages. Mais ce qui a décidé le jury, c'est qu'à travers vos réalisations, vous proposez à l'humanité une plus juste place dans la nature, celle d'un complice et non pas celle d'un conquérant. De vos voyages, vous n'avez pas seulement rapporté une connaissance intime des plantes et de leurs sociétés, mais aussi la conscience de la richesse que peut offrir le brassage planétaire d'espèces séparées seulement par la dérive des continents.
Vous obtenez en 1969 le diplôme d'ingénieur de l'École Nationale d'Horticulture, puis, en 1984, celui de paysagiste DPLG. Votre activité libérale en France et à l'étranger, centrée initialement sur le jardin privé, s'est ouverte depuis les années 80 à la commande publique.
Maître de conférences à l'École nationale supérieure du paysage de Versailles, jardinier-paysagiste, voyageur, écrivain, vous avez en outre eu à cur de théoriser votre travail. Votre jardin en mouvement, qui ne cesse de s'enrichir de nouvelles expérimentations, propose d'agir avec le vivant autre qu'humain, et non contre lui.
Vos jardins sont autant de paris sur les mécanismes biologiques et l'écologie. Ils replacent l'être humain au sein de la nature. Ce parti pris, qui exprime l'un des enjeux de l'environnement du XXIe siècle, rencontre un indéniable succès, que ce soit dans de grandes commandes publiques comme le Parc André-Citroën à Paris, ou par la médiatisation de jardins privés, dont celui de La Vallée dans la Creuse, premier laboratoire du jardin en mouvement. Le public, en re-quête de nature, se re-connaît et se re-trouve facilement dans ces lieux.
L'expression la plus aboutie de votre attitude à l'égard de la planète est votre projet du Jardin planétaire, exposition prévue à la Grande Halle de La Villette. Elle traite de l'utopie d'un citoyen-jardinier de la terre.
Pour l'inlassable voyageur que vous êtes, il n'y a plus de frontière entre jardin et territoire, pas plus qu'il n'y en a entre les continents, que la dérive des plaques tectoniques a séparés, mais qui restent indissolublement reliés par les migrations des hommes et des végétaux.
Cette attitude à l'égard de notre environnement s'inscrit à juste titre dans la célébration de l'an 2000, c'est pourquoi j'ai décidé d'y associer le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Vous m'avez fait parvenir votre livre " Thomas et le voyageur ", que j'ai lu avec grand plaisir, et je vous remercie de ce plaisir. J'y ai retrouvé l'homme brièvement rencontré lors d'une visite à l'École nationale supérieure du paysage.
Vous êtes bien sûr le " Voyageur ", un homme du regard, ce qui est évident pour un paysagiste, à la recherche de l'assemblage des plantes récoltées tout autour du monde pour composer des jardins vivants.
Mais vous êtes aussi l'homme des sons et du toucher.
J'ai aimé votre description du " crissement agaçant du papier bonbon glacé que font les libellules au-dessus des étangs ", et j'ai apprécié que vous ayez choisi une demoiselle cnagrion pour illustrer la couverture de votre livre. La référence aux insectes est fréquente dans les propos du " Voyageur ", mais qu'il n'oublie pas les oiseaux qui, comme les insectes, tissent des paysages sonores changeants au gré des saisons.
J'ai aimé également votre approche tactile des chaumes foulés aux pieds et de la caresse des herbes qui s'écartent le long du cheminement.
Mais j'ai été étonnée que, dans cette symphonie de sensations touchant le " Voyageur " au cours de ses vagabondages autour du monde, les senteurs comptent peu. À peine en parle-t-il brièvement une ou deux fois à Thomas.
Je sais bien que l'aventure devrait mener à dessiner le jardin planétaire, et que le dessin ne peut tout rendre ?
Votre but n'est-il pas, pourtant, le jardin en mouvement, le jardin vivant, c'est-à-dire un jardin dans lequel sont mis en valeur aussi bien les émotions visuelles que les chants et les senteurs de la vie ?
Alors, croyez-moi, cher Gilles CLÉMENT, ce Grand prix du paysage n'est pas le point final d'une carrière fructueuse. Il doit être le point de départ vers d'autres aventures. Faites-nous des jardins dans lesquels le promeneur soit entraîné à vibrer de tous ses sens. Oubliez un temps l'horticulteur et l'architecte pour traverser l'écran des formes, y développer les sons et y associer les senteurs !
(source http ://www.environnement.gouv.fr, le 20 mai 1999)