Interview de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, dans "Le Figaro économie" le 26 octobre 2001, sur les négociations de l'OMC dans le domaine culturel, notamment le secteur audiovisuel, sur la diversité culturelle et la position française de défense de l'exception culturelle.

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Média : Le Figaro Economie

Texte intégral

Q - Quels sont les secteurs qui vous paraissent les plus menacés dans le domaine culturel dans le cadre des négociations de l'OMC ?
R - Parler de "menace" est trop fort. Mais il est évident que, depuis l'ouverture de négociations sur les services dans le cadre de l'Uruguay Round, la pression pour la libéralisation se fait sentir dans le secteur audiovisuel (cinéma, télévision...). Pour deux raisons simples. Les enjeux économiques y sont considérables, d'abord pour les Etats-Unis. C'est en même temps un domaine où un grand nombre de pays, et en particulier la France, développent des politiques culturelles spécifiques, fondées sur des soutiens directs à la production et à la distribution, des quotas de diffusion, des critères linguistiques, des accords de coproductions avec des pays voisins ou des pays francophones. De prime abord, ces instruments de notre politique culturelle semblent difficilement conciliables avec les deux règles de base des accords commerciaux de l'OMC : la clause de la nation la plus favorisée et le traitement national. Mais l'architecture de l'accord GATT permet de répondre à cette difficulté, sans cela nous ne l'aurions pas signé.
Q - Les Etats-Unis vont-ils profiter de la situation actuelle pour demander, au nom de la solidarité, de se rallier à leur point de vue dans le domaine culturel ?
R - Il est vrai que, ces derniers temps, les responsables américains ont eu tendance, dans le discours au moins, à enrôler le libre-échangisme sous la bannière de l'antiterrorisme, ce qui est discutable. Mais, sur les questions culturelles, je ne suis absolument pas inquiet : elles ne sont pas au menu de la conférence de Doha, dont l'objectif, je tiens à le rappeler, est de s'entendre sur un programme global de négociations, pas de commencer à négocier. Elles reviendront sur le tapis peut-être plus tard, dans le cadre de la négociation sur les services. Et, dans ce contexte, actuellement, ce ne sont pas les propositions américaines qui nous posent le plus de difficultés, mais paradoxalement celles de la Suisse, qui prétendent concilier les enjeux commerciaux et la préservation de la diversité culturelle par l'élaboration de disciplines ad hoc à l'OMC. Ces disciplines apporteraient, certes, une meilleure sécurité juridique, mais nous ne sommes pas prêts à la payer d'une limitation de nos marges de manuvres pour nos politiques culturelles.
Q - La diversité culturelle est-elle une notion qui commence à rentrer dans les faits ?
R - La préservation et la promotion de la diversité culturelle sont un objectif commun aux pays de l'Union européenne, et celle-ci figure dans le mandat que nous avions donné au commissaire Lamy. C'est une question qui mérite d'être abordée dans toutes les enceintes à vocation culturelle. Nous pouvons aujourd'hui nous réjouir des déclarations sur la diversité culturelle du Conseil de l'Europe, des pays de la Francophonie et des travaux du réseau international sur la politique culturelle lancé par la ministre canadienne Sheila Copps. Mais le plus significatif sera, dans quelques jours je l'espère, l'adoption d'une déclaration universelle sur la diversité culturelle à l'Unesco. Mais tout le mérite ne revient pas aux gouvernements. Ce qui compte aussi, bien entendu, c'est la mobilisation des artistes et des professionnels, on le voit notamment dans un pays comme la Corée.
Q - Comment voyez-vous l'avenir de la stratégie française dans la défense de l'exception culturelle ?
R - En 1994, grâce largement à la ténacité de la France, l'Union européenne a réussi à préserver ses politiques culturelles à l'OMC. C'est ce qu'on a appelé "l'exception culturelle". Nous avons simplement refusé tout engagement de libéralisation dans le secteur audiovisuel et pris les dérogations nécessaires à la clause de la nation la plus favorisée. Cette stratégie s'est révélée efficace et le restera, pourvu que deux conditions soient réunies. En premier lieu, l'Union européenne, qui négocie au nom de la France à l'OMC, doit maintenir une position claire et ferme. Je n'ai pas d'inquiétude et nous disposons d'un mandat très clair depuis le Conseil d'octobre 1999.
Ensuite, il faut que les contours du secteur audiovisuel, tels qu'ils sont définis dans la classification des services utilisée par l'OMC, conservent une signification économique suffisante pour garantir la sécurité juridique dont nous avons besoin. C'est un enjeu important dans le contexte des évolutions technologiques que nous connaissons. Nous y sommes très attentifs..

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 2001)