Déclaration de M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre, en réponse à une question sur la position de la France à la suite du l'adoption par Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 2336 sur un cessez-le-feu en Syrie, à l'Assemblée nationale le 10 janvier 2017.

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Circonstance : Question au gouvernement posée par M. Stéphane Saint-André, député (Radical, républicain, démocrate et progressiste - RRDP) du Pas-de-Calais, à l'Assemblée nationale le 10 janvier 2017

Texte intégral

Monsieur le Député, chaque jour, des images nous parviennent de la tragédie humanitaire qui se joue en Syrie, des images des massacres, des tortures, des exactions qui sont le fait d'un régime qui a fait le choix, délibérément, de massacrer son propre peuple. À l'initiative de la France - vous l'avez rappelé dans votre question -, une résolution a été adoptée qui vise à déployer un dispositif humanitaire permettant l'accès à l'aide humanitaire pour les populations, la protection des hôpitaux, la mise en place d'observateurs indépendants : il s'agit de la résolution 2328 du conseil de sécurité des Nations unies.
L'impulsion donnée par notre pays au moment de l'adoption de cette résolution a eu un impact incontestable sur la prise en compte, par la communauté internationale, de la gravité de la situation, et un accord russo-turc de cessez-le-feu - vous l'avez également rappelé - a été trouvé à la fin du mois de décembre. Le conseil de sécurité des Nations unies a adopté une nouvelle résolution qui prend note des efforts russo-turcs et les salue, sans pour autant - il faut également avoir cela à l'esprit - les endosser totalement.
Des négociations intersyriennes doivent se tenir à Astana à la fin du mois, mais le format de cette réunion et son articulation avec le cadre onusien demeurent, à ce stade, très ambigus. Vous m'avez demandé d'être clair sur la position de la France : je veux rappeler que, pour nous, la résolution qui fait référence est la résolution 2254, qui doit permettre, dans le cadre d'une démarche inclusive, de dégager une solution politique durable qui mette fin à la fois aux massacres et au terrorisme qui sévit dans cette zone, avec toutes les conséquences que l'on sait pour l'Europe et pour notre pays.
Je veux toutefois insister sur la fragilité de cette résolution, qui est d'ailleurs reconnue par l'Organisation des Nations unies elle-même. Fragilité, d'abord, parce que le texte de l'accord russo-turc comporte des zones d'ombre : nous ne sommes pas encore certains, en particulier, de l'adhésion réelle de ceux qui ont proposé cette résolution à sa mise en oeuvre. Or, il n'y a pas de résolution qui puisse aboutir à un résultat si les parties à celle-ci ne sont pas elles-mêmes décidées à la mettre en oeuvre.
Fragilité aussi, il faut le dire très clairement, car le cessez-le-feu préconisé par cette résolution a déjà été violé par le régime de Bachar al-Assad, qui mène de façon incessante des bombardements et poursuit son offensive, notamment dans la vallée de la Barada, à proximité de Damas, avec les conséquences que l'on sait.
Fragilité, enfin, parce que la tentation est grande, pour certains acteurs, de ne pas s'inscrire pleinement dans le cadre du processus onusien, qui reste, pour la France, le seul cadre de référence légitime d'un règlement politique durable en Syrie.
Certains peuvent considérer qu'une autre politique est possible, avec d'autres alliés. Je remarque d'ailleurs que ces mêmes alliés, qui nous sont présentés comme pouvant être à l'origine d'une solution, soutiennent publiquement, dans les grands médias français, l'idée d'un changement de notre politique en la matière, et vont même, pour certains d'entre eux, qui ne sont pas les moins coupables, à désigner le candidat de leur choix pour les élections que nous aurons à arbitrer par la souveraineté nationale.
Je crois au contraire qu'en matière de politique étrangère, parce que nous sommes un grand pays, nous devons impérativement faire preuve de constance, de courage, face à ce qu'il nous faut bien appeler une tragédie humanitaire. La constance de nos positions, Monsieur le Député, consiste d'abord à affirmer notre détermination à ne jamais renoncer, comme en ont d'ailleurs témoigné les multiples initiatives prises par notre pays et inlassablement portées devant le conseil de sécurité des Nations unies.
Cela consiste, ensuite, à avoir le mérite du réalisme sur les enjeux du drame syrien car, ce dont il s'agit, je le redis avec force, c'est de créer les conditions d'une Syrie apaisée, à l'intégrité territoriale préservée, respectueuse des droits de l'homme et de la diversité du pays. À défaut, la Syrie restera un lieu de chaos, un sanctuaire pour le terrorisme. Il faut en effet être extrêmement clair sur un point : le régime de Bachar al-Assad nourrit le terrorisme davantage qu'il ne le combat, comme nous l'avons vu, d'ailleurs, à travers les événements récents de Palmyre.
C'est enfin, pour nous, la nécessité de rester fidèle aux valeurs universelles qui correspondent aux discours que les peuples du monde ont toujours attendus de la France et aimés. Ce n'est que bon sens de considérer que l'on ne peut pas fonder l'avenir d'un pays autour d'un homme et d'un régime responsables de plus de 300.000 morts et du déplacement ou de l'exil de plus de la moitié de sa population, un homme qui n'a pas hésité à systématiser la torture, à recourir aux armes chimiques. Sur ce sujet aussi, il nous revient, notamment dans la perspective politique qui se présente au pays, de faire preuve non seulement de la plus grande clarté, mais aussi de la plus grande fermeté.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 janvier 2017