Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances, sur la nécessité de repenser la politique commerciale, Paris le 31 janvier 2017.

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Circonstance : 6è Edition des Entretiens du Trésor, "Ouverture commerciale, croissance et inégalités", à Paris le 31 janvier 2017

Texte intégral

Introduction – les défiances vis-à-vis de l'ouverture commerciale
Nous pouvons constater chacun à notre niveau que l'avenir du commerce international est de plus en plus remis en question. Nous faisons face aujourd'hui à un vent de contestation inédit des bénéfices de l'ouverture commerciale. Les opinions publiques se sentent mises à l'écart des gains du libre-échange.
Cette contestation amène en particulier notre partenaire américain à prendre des décisions unilatérales protectionnistes qui pourraient bien déstabiliser l'économie mondiale dans son ensemble.
La France et l'Europe ne pourront pas assister impuissantes à la dislocation de nos institutions économiques. L'Union européenne en tant que 1ère puissance économique mondiale, si elle est unie, a tous les atouts pour affronter ce repli et porter de nouvelles propositions. Nous ne pouvons pas rester sans réaction face aux messages exprimés dans les rues et dans les urnes un peu partout, de part et d'autre de l'Atlantique. L'ouverture commerciale suscite des défiances et des mécontentements, à juste titre puisque les gains de cette ouverture sont bien réels mais trop inégalement répartis.
Le Président de la République a réaffirmé samedi dernier lors de sa visite officielle au Chili, que le protectionnisme serait "la pire des réponses". Il faut donc rechercher activement les outils permettant de rendre cette ouverture commerciale plus inclusive.
De toute évidence, nos outils de politique commerciale doivent affronter de nouveaux défis environnementaux, sociaux, fiscaux, de santé publique, et notre cadre commun d'action semble inadapté pour les traiter, voire apparaît pour partie responsable. Il en va de notre devoir de nous interroger sur les moyens pour faire face à ces défis. Les réponses possibles sont à questionner : un repli protectionniste ? une refonte de nos accords commerciaux ? un renforcement de la coopération internationale sur ces questions ?
Lors du dernier G20, le Président de la République a rappelé la position française et lancé un appel fort en faveur d'"une mondialisation régulée". En effet, l'approfondissement de notre coopération règlementaire devient une urgence pour empêcher les pratiques non coopératives de la part de nos partenaires commerciaux.
Ces changements devront nécessairement passer par un renforcement de nos institutions. L'OMC, avec l'appui de ses membres, est certainement l'instance la plus à même de mener ces chantiers. A nous de la soutenir face à ces nouveaux défis, mais ces avancées ne pourront se faire sans une adhésion pleine et entière de la société civile. Or, nous peinons de plus en plus à emporter sa conviction sur ces questions. Il nous faut donc repenser notre méthode d'action et l'inclure davantage dans ces chantiers et répondre de manière plus concrète et directe aux craintes et aux attentes de nos concitoyens européens.
Quelle causalité entre ouverture commerciale et inégalités ? [Table Ronde 1]
Le lien entre ouverture commerciale et inégalités n'est aujourd'hui plus une évidence. Le consensus qui existait autour du libre-échange comme "jeu à somme positive" depuis le XIXème siècle fait de plus en plus débat. Les économistes ont longtemps sous-estimé les perdants de l'ouverture commerciale.
Des études économiques récentes nous présentent des chiffres significatifs de destructions d'emplois dans les pays développés dues à la concurrence des pays émergents à faible coût. D'autres emplois sont créés mais ce ne sont souvent pas les mêmes, pas aux mêmes endroits.
Le lien entre ouverture commerciale et accroissement des inégalités est également difficile à établir. Des facteurs tels que le progrès technologique entrent en jeu. Les effets du repli protectionniste sur l'emploi et les inégalités sont encore plus inconnus, mais l'histoire nous rappelle qu'un tel repli est la pire des solutions. Les conflits commerciaux appauvrissent les nations et sont souvent le prélude à des conflits d'une autre nature. Il n'en demeure pas moins que les inégalités induites, les transitions et évolutions de nos économies, ont un coût pour nos concitoyens, qu'il faut pouvoir mesurer pour agir.
Revoir la substance de nos accords commerciaux [Table Ronde 2]
Face à ces interrogations, les signatures d'accords commerciaux sont de plus en plus compliquées. Nous en avons fait l'expérience lors des négociations avec nos partenaires outre-Atlantique. L'accord commercial avec le Canada, le CETA, a finalement été signé et sera soumis au Parlement européen le mois prochain. Les multiples interrogations auxquelles nous avons fait face nous poussent à repenser les contours de nos accords commerciaux. Doit-on revenir sur ces accords dits "de nouvelle génération" qui dépassent le simple abaissement des barrières tarifaires ? Ou au contraire doit-on aller plus loin dans la définition de normes contraignantes, en réponse aux critiques émergentes vis-à-vis de ces accords ? Mettre en place des règles du jeu équitables et des outils transparents de règlement des différends semble être aujourd'hui une condition sine qua non à la signature de nouveaux accords commerciaux. En tout état de cause, l'absence de règlementation commune nous fait courir le risque de dumping et de nivellement par le bas de nos normes, notamment en matière environnementale.
L'accroissement des inégalités nous pousse à repenser la substance de nos accords. L'ouverture commerciale, que ce soit sur le court ou le moyen terme génère des gains économiques agrégés inégalement répartis. Ne pourrait-on pas repenser les accords commerciaux de telle manière qu'ils puissent eux-mêmes être porteurs de leurs propres solutions ? Par exemple, l'introduction de clauses fiscales pourrait permettre d'empêcher toute concurrence en la matière et d'accompagner ainsi des politiques redistributives plus ambitieuses.
De toute évidence, on ne peut par ailleurs faire l'économie d'une refonte de nos outils d'accompagnement. Les contestations de la société civile sont aujourd'hui bien trop fortes pour laisser la situation inchangée. Le fond d'ajustement européen à la mondialisation est mal dimensionné. Pour renforcer son efficacité, il faut accroître son enveloppe et surtout améliorer le ciblage des compensations. Cela suppose en parallèle une amélioration de nos outils de diagnostic économique.
La défiance vis-à-vis de l'ouverture commerciale [Table Ronde 3 : Gouvernance Mondiale]
Ces nouveaux enjeux sont autant de questions sur lesquelles s'interrogent nos concitoyens. La crise de confiance vis-à-vis de ces accords est plus que jamais prégnante. Outre les craintes en matière environnementale ou sociale, le manque de transparence des négociations commerciales est âprement critiqué. Cela renforce inévitablement la méfiance et les doutes sur la capacité de ces accords à bénéficier à tous. La poursuite de nos chantiers en matière de politique commerciale devra être accompagnée de plus de pédagogie sur la présentation de ces accords et d'une inclusion plus forte de la société civile lors des négociations. Sans quoi nous courrons à leur rejet en bloc et favorisons l'émergence d'un mouvement de repli protectionniste.
Le bouleversement de l'ordre commercial mondial [Table Ronde 3 : Gouvernance Mondiale]
Ce processus de rejet alimente les craintes et ressentiments des citoyens, et ouvrent la voie aux démagogies nationalistes. Les décisions de la nouvelle administration américaine font courir un grave risque à l'ordre commercial mondial. De manière inattendue, c'est la Chine qui se pose en défenseur du libre-échange sur la scène internationale face au repli américain.
Un nouvel ordre commercial mondial pourrait bien naître de ces événements décisifs. L'OMC est l'instance la plus à même de nous protéger d'une vague protectionniste. Les difficultés rencontrées lors du "cycle de Doha" n'enlèvent en rien la légitimité de cette organisation. La crise que nous vivons, à la manière de ce qu'a vécu le FMI à la suite de la crise financière, peut être le tremplin tant attendu par l'OMC pour une relance en profondeur des négociations commerciales multilatérales.
La place de la France et de l'Europe dans ce nouvel ordre ?
La vision française de l'ouverture commerciale reste claire : oui à sa poursuite, mais dans des conditions qui garantissent une croissance équitablement répartie et durable. L'Union européenne est une chance unique pour la France comme pour tous nos partenaires européens de peser de manière décisive dans ce nouvel ordre. Notre souveraineté européenne est essentielle, et plus encore dans ces périodes de turbulences économiques et politiques. Pour être sûrs de tirer le meilleur de cette crise, nous devons, à travers les institutions européennes, défendre notre vision de cette politique commerciale ouverte et juste.
Les Entretiens du Trésor – Nos objectifs pour cette matinée
Il nous faut aujourd'hui repenser la politique commerciale, comprendre ses effets néfastes, les intégrer et faire des propositions nouvelles et alternatives aux discours alarmistes et court-termistes. C'est toute la raison d'être de ces Entretiens du Trésor aujourd'hui.
Je vous remercie vivement de votre présence et vous souhaite une très bonne matinée de discussions.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 6 février 2017