Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la mission du CHEAr, la formation de ses cadres en fonction de l'évolution du format des armées et les restructurations de l'industrie d'armement dans le cadre de la revue des programmes, Paris le 23 juin 1998.

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Circonstance : Clôture de la 34ème session du CHEAr (Centre des Hautes Etudes de l'armement) à Paris le 23 juin 1998

Texte intégral

Permettez-moi tout d'abord de vous remercier chaleureusement d'être venus si nombreux assister à cette séance de clôture de la 34ème session du Centre des hautes études de l'armement (CHEAr). J'y vois pour ma part tout l'intérêt que portent les responsables de ce ministère et bon nombre de responsables économiques aux questions liées à la formation des futurs cadres.
La mission du centre, telle qu'elle lui fut fixée il y a 34 ans, a conservé toute son actualité : " préparer des ingénieurs militaires, des cadres supérieurs des administrations publiques et du secteur privé intéressés aux activités d'armement ainsi que des officiers des armées, à assurer la responsabilité de l'élaboration et de l'exécution des programmes d'armement ".
Cette mission du CHEAr a conservé tout son sens à un moment où se mêlent dans un contexte de rigueur budgétaire, l'instabilité géopolitique pour les pays occidentaux, même si ce n'est pas sur leur sol, des évolutions technologiques considérables et rapides souvent réalisées dans des industries extérieures à la Défense, mais sur des sujets, comme l'information ou la production, touchant directement le domaine militaire.
Disposer de cadres de haut niveau, parfaitement adaptés à leurs responsabilités pour relever les défis posés par la modernisation de notre outil de défense est évidemment pour le Ministère que je dirige un enjeu primordial. Le CHEAr y participe, au même titre que les autres organismes d'enseignements supérieurs de la Défense ou qu'une politique de gestion ambitieuse et sélective des " hauts-potentiels ".
Aujourd'hui en effet, on ne saurait mesurer l'optimisation et l'adaptation d'un corps ou d'une structure au nombre de ses cadres, a fortiori à ses niveaux hiérarchiques ou au nombre de ses bureaux mais bien plutôt aux conditions dans lesquelles s'exercent les talents et les capacités individuelles de chaque membre du groupe. Dans une telle démarche, la délégation doit remplacer la concentration, la responsabilité l'alibi et l'évaluation objective la gestion de pyramide.
Le thème de la 34ème session était donc " la préparation de l'avenir " et vous avez réfléchi à ce sujet, dans ses multiples facettes, au cours de vos travaux de comité à travers 12 sujets d'actualité , et je prendrai connaissance avec intérêt des conclusions de vos travaux. Je voudrais vous confier dans quelques instants les réflexions que m'ont inspirées tant le thème de votre session que vos travaux, notamment ceux qui ont porté sur la prospective et les études amont. Par ailleurs, l'année écoulée a été particulièrement riche en événements pour le Ministère, non seulement pour notre politique d'armement mais plus globalement sur les questions de défense. Je ne dresserai pas un bilan des actions qui se sont déroulées depuis plus d'un an, mais je me contenterai de les replacer dans leur perspective à long terme, tout en essayant de dégager les deux principaux sujets qui devront nous mobiliser dans les mois à venir.
L'évolution du format des armées, liée à la professionnalisation, reste le sujet central pour les années couvrant la loi de programmation militaire encadrant cette réforme. Suspension de l'appel sous les drapeaux, professionnalisation, renouvellement du lien Armée-Nation, dont le ministère de la défense doit être l'un des acteurs, ce sont les lignes de forces de notre action pour conserver un outil performant, répondant aux aspirations du pays en matière de défense.
J'insiste un peu sur cette évolution majeure du format des armées, sujet qui peut sembler à la périphérie des thèmes classiques de réflexion des auditeurs du CHEAr. C'est qu'à mon sens, au delà de son caractère structurant pour l'ensemble du Ministère, elle aura une répercussion directe sur l'équipement de nos unités et sur les choix de leur armement.
A ce titre, les travaux de votre session sur la politique amont et sur l'analyse prospective me paraissent tout à fait utiles pour une meilleure préparation de l'avenir. J'ai noté, entre autres, l'intérêt et la qualité des travaux menés par les auditeurs du 4ème comité, sur les nouvelles menaces, les nouveaux concepts opérationnels et les nouveaux besoins : c'est en effet autour de ces questions que doivent se concentrer les choix optimaux de notre politique d'armement.
Ce n'est plus sur la taille de ses bataillons que l'armée française professionnalisée devra compter pour emporter la décision mais bien sur sa capacité géographique et temporelle à se déployer, à disperser l'adversaire et à concentrer ses impacts.
Outre que cela s'insère dans une transformation profonde de nos modes d'intervention, cette évolution en cours va rétroagir sur la qualité des équipements mais aussi sur la réactivité de nos méthodes d'acquisition. Je ne crois pas qu'on puisse imaginer que des professionnels se contenteront d'attendre l'arrivée de nouvelles technologies dans les armées alors qu'ils les utiliseront pleinement dans le monde civil. A cet égard, la dissémination de la messagerie électronique au sein de nos forces stationnées en ex-Yougoslavie a valeur d'exemple.
En ce qui concerne notre politique d'équipement, je veux rappeler que la revue des programmes a eu pour mérite de consolider la cohérence de nos objectifs politiques, nos équipements et nos ressources. En confirmant les grands principes de notre défense comme l'autonomie stratégique ou la capacité suffisante d'action à distance du territoire national, elle a réaffirmé notre volonté de contribuer à la construction européenne en matière de défense au sein d'un équilibre global, on peut même dire de répartition des rôles. Ce travail permet de poursuivre la modernisation de notre outil de défense.
Les conclusions de cette revue, tirées par le Premier ministre, ne se sont pas limitées à un redressement et à une stabilisation du titre V, à la consolidation des programmes majeurs ou à l'arrêt d'autres programmes. J'y vois plus encore une démarche responsable aboutissant à des économies réelles, évitant de reporter les dépenses au-delà du terme de la loi de programmation sans créer de rupture capacitaire ni aggraver les restructurations. C'est maintenant sur des bases solides de programmation que le ministère doit pouvoir s'atteler à d'autres axes prioritaires dont la politique d'acquisition, la politique industrielle et notamment la modernisation de la DCN.
Au-delà de sa contribution à l'effort de gestion des finances publiques, cet exercice à la fois stratégique et gestionnaire a confirmé la nécessité de poursuivre la transformation de nos pratiques en matière de conduite des investissements. Ces évolutions passent notamment par un développement de la réflexion prospective - à plusieurs reprises pendant la revue de programmes nous en avons senti la nécessité - , une meilleure analyse économique des projets notamment en terme d'analyse coût/efficacité, le recours aux équipements civils, l'étude préliminaire et comparative des solutions sur étagère, et je pourrais poursuivre...
C'est ainsi que pour la revue des programmes nous avons choisi des méthodes très diversifiées : l'optimisation comme pour les programmes de missiles et de sous-marins de la Force Océanique Stratégique, l'achat sur étagère ou un mode d'acquisition exerçant une pression sur les coûts, nous en reparlerons, c'est le choix qui a été fait pour la future torpille lourde et le nouveau transport de chalands de débarquement (NTCD).
Travailler plus vite, augmenter la réactivité du processus d'acquisition, améliorer la lisibilité financière des investissements, voilà quelques uns des choix que je compte mettre en uvre au sein du Ministère.
Pour cela, il ne s'agit pas d'abandonner la culture technique qui a permis dans le passé de concevoir les armements de très haute valeur. Même en généralisant, ce que nous ne ferons pas, d'ailleurs, le principe des solutions "dites sur étagère", la conception de nouveaux systèmes à partir de briques existantes, l'analyse de leurs performances mais aussi de leurs limitations et des risques inhérents à leur emploi nécessiteront de disposer de connaissances techniques et technologiques les plus complètes. L'exemple du GPS est particulièrement démonstratif des nécessités de disposer non pas d'une base de compétences très générales mais de connaissances plus ciblées, maintenues à la pointe des évolutions.
Mais si cette culture doit être maintenue, il est évident que la formation initiale souvent à caractère technique doit être complétée par une véritable culture du management. Disposer d'acheteurs compétents dans la négociation, mettre à disposition de ceux qui en ont besoin les compétences fondamentales dans le domaine des finances ou des marchés publics, disposer de cadres compétents dans la gestion des ressources humaines, j'ajouterais détenir un vivier plus nombreux d'exploitants industriels véritablement motivés par ces missions, tout cela nécessite probablement une réflexion d'ensemble et une réforme de la formation, qu'elle soit initiale ou continue.
Le rayonnement des personnels doit aussi occuper une place de choix dans la politique du personnel. Qu'il s'effectue à destination de l'industrie, des services ou d'autres administrations nationales ou européennes, le rayonnement, outre les avantages qu'il présente pour la gestion des personnels, enrichit sensiblement l'horizon des compétences lorsqu'il s'accompagne d'aller-retour dans l'administration du Ministère.
Il est vrai que les conditions de rayonnement ont été rendues plus difficiles depuis la réforme du code pénal qui a renforcé les règles de déontologie. Ces nouvelles règles n'ont pas pour objectif d'empêcher des fonctionnaires compétents de mener une partie de leur parcours professionnel dans le monde de l'entreprise. Elles visent simplement à interdire tout risque de collusion ou de malentendu. Ces règles n'interdisent pas les évolutions et l'ouverture vers le monde extérieur mais elles en changent les conditions. Sortir plus jeunes, vers des horizons moins familiers, en mettant en avant son parcours initial, voilà typiquement les principes nouveaux de rayonnement vers le monde de l'entreprise. Quel gestionnaire de corps, et quel ingénieur intéressé, pourrait se plaindre d'une telle évolution ?
L'évolution du processus d'acquisition passe aussi par une redéfinition de la maîtrise d'ouvrage. En parallèle de la revue des programmes, deux équipes intégrées, l'une sur le Rafale, l'autre sur le M51, ont très sérieusement progressé dans ce que doit être la conduite de projet au sein du Ministère. Il paraît important de capitaliser cette expérience pour en tirer les enseignements afin de les appliquer à d'autres programmes.
Enfin, je voudrais souligner l'importance de notre industrie de défense et les défis qui l'attendent dans les prochaines années : limitation des budgets militaires, utilisation accrue des technologies les plus modernes, renforcement de la concurrence à l'exportation. Pour toutes ces raisons, le gouvernement a fait de l'accélération des restructurations industrielles une de ses principales priorités.
Ainsi l'opération voulue par le Gouvernement de regroupement du pôle électronique autour de Thomson a été achevée hier. Cette opération, qui a été conduite dans un délai relativement court, était le préalable essentiel à une alliance avec un autre ou plusieurs autres partenaires industriels européens.
Récemment le Gouvernement a réaffirmé l'importance qu'il accorde au Groupe Aérospatiale dont les compétences humaines et technologiques lui permettent de prendre une part essentielle au processus de restructuration du secteur aéronautique et spatial européen. Le rapprochement avec Dassault Aviation annoncé le 14 mai dernier s'inscrit dans cette logique. C'est précisément pour faciliter la mise en uvre de ses partenariats et, d'ailleurs, pour assurer le développement de l'entreprise que le Gouvernement a demandé récemment au Président d'Aérospatiale d'élaborer des propositions en vue de l'ouverture du capital.
L'actualité récente nous a rappelé que l'effort de productivité doit se poursuivre et s'amplifier aussi dans le secteur de l'armement terrestre. GIAT Industries sera certainement conduit dans les prochaines années à poursuivre sa restructuration en profondeur et son effort d'adaptation au marché, dans lequel il a déjà amplement progressé. Je réaffirme ma confiance dans la capacité de cette entreprise et de ses personnels à relever ce nouveau défi et à nouer des partenariats ou des alliances européennes.
Enfin j'insisterai sur le fait que la modernisation du secteur industriel ne se limitera pas aux entreprises privées ou publiques mais qu'elle doit aussi atteindre les activités industrielles conduites au sein de l'organisation de l'Etat.
Lors de la revue des programmes, j'ai demandé au Délégué général pour l'armement et au Chef d'état-major de l'armée de l'air de proposer une nouvelle organisation de la maintenance aéronautique. Je sais que ces travaux se poursuivent et je compte qu'ils aboutissent à la fin de l'année à la mise en place d'une structure conjointe liant les Etats-majors et la Délégation générale pour l'armement en vue d'améliorer nettement le rendement des dépenses au profit d'une amélioration sensible de la disponibilité opérationnelle de nos aéronefs.
Quant à la DCN, je tiens à rappeler la volonté de voir cette entité industrielle évoluer dans le cadre de son statut vers une meilleure organisation et une plus grande productivité. Les efforts entrepris pour faire évoluer cette direction dotée d'un compte de commerce vers un véritable comportement d'entreprise vont se poursuivre et s'amplifier. Constituée d'établissements jusqu'ici très autonomes, la DCN va devenir une entreprise intégrée dans laquelle les établissements seront spécialisés et complémentaires. Nous éviterons ainsi des duplications coûteuses de moyens et de compétences.
L'évolution de la DCN sera l'un des nos chantiers prioritaires dès 1998 et pour les prochaines années. Pour réussir cette transformation, j'ai mis en place une mission, animée par Jean-Louis MOYNOT, dont l'objectif est d'inscrire les actions de réforme que je viens d'évoquer dans une vision d'ensemble, comprise par l'ensemble des personnels et porteuse d'avenir pour la DCN.
A ce sujet, je crois utile de revenir sur l'épisode de la réparation du pétrolier ravitailleur VAR. Le choix d'un chantier civil s'imposait en vertu de l'exigence de gestion efficace des crédits publics. Le conflit qui s'en est suivi a démontré, s'il en était besoin, le déficit d'explication et l'incompréhension des personnels qui sont restés dans une culture autocentrée face à des critères économiques que connaissent la plupart des entreprises, y compris de défense.
Cette affaire doit avant tout permettre à la DCN de repartir de l'avant et d'engager sans délai une réforme en profondeur. Je sais l'importance de ce défi. Je suis également conscient que les cadres de ce ministère n'ont pas nécessairement été formés pour conduire et participer à de telles évolutions industrielles : un élargissement des formations de cadre, une diversification des parcours professionnels, notamment des aller-retours entre l'administration et le monde de l'entreprise constitueront des éléments de réponse.
Quelle que soit la difficulté des défis à relever, on ne peut excuser certaines dérives dans les comportements. Les mises en examen répétées et justifiées de certains personnels de la DCN traduisent des comportements inacceptables. D'autres services du ministère ne sont d'ailleurs pas exempts de tels problèmes. Je ferai en sorte que les manquements reçoivent les suites que prévoit la loi, et que les éventuelles défaillances de contrôle qui les auraient facilités donnent lieu aux réorganisations qui s'imposent.
Je conclurai mon propos en me projetant dans l'avenir. Lors de la revue des programmes, le ministère de la Défense a été traversé par une interrogation lourde de conséquences : fallait-il refaire une loi de programmation ?
Ce n'était pas mon objectif et comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire ici même aux cadres du ministère, à moins d'un bouleversement géopolitique ou économique de tout premier ordre, la loi de programmation ira à son terme et la prochaine sera présentée au parlement à l'horizon 2002, donc nous commencerons à y travailler sérieusement dans deux ans.
A ce titre, j'ai déjà eu l'occasion d'annoncer que je souhaitais que la réflexion, et notamment la réflexion prospective, puisse être entamée suffisamment tôt, c'est à dire aux alentours de fin 99 début 2000. J'espère donc que là où vous serez, vous prendrez activement part à cet effort de réflexion, et les résultats en seront pris en compte.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 19 septembre 2001)