Déclaration de M. Robert Hue, président du PCF, sur la récession américaine, la situation économique en France, les effets pervers du pacte de stabilité et les réorientations nécessaires de la politique économique en France et en Europe, Paris le 28 novembre 2001.

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Texte intégral

Les autorités américaines viennent de le déclarer publiquement, confirmant ainsi les analyses de nombreux experts : la récession touche les Etats-Unis depuis le mois de mars 2001 et signe la fin d'un cycle d'environ dix ans de croissance continue de l'activité et de la consommation.
Les attentats terroristes du 11 septembre ont accéléré le mouvement : ils n'en sont pas la cause. Nous le savions déjà.
Cela signifie que nous ne sommes pas en présence d'un phénomène conjoncturel, passager, qu'il serait possible de corriger par quelques mesures de circonstances. Il s'agit, et c'est bien plus sérieux, du début d'une phase régressive. Nul ne peut en prévoir la durée ni les conséquences. Alors, il faut -il faut impérativement- définir des réorientations ambitieuses, des politiques nouvelles à mettre en uvre en France et en Europe pour faire face à cette situation nouvelle.
Je viens d'évoquer la France. Et, chacun l'aura noté, je l'ai fait en totale liaison avec l'Europe. J'entends, ici ou là, des propos rassurants sur la santé économique de notre pays, et sur sa capacité à n'être pas affectée par la récession américaine. Comme si la France pouvait, par simple décision administrative, devenir un îlot de stabilité dans un monde frappé d'instabilité... Et ce sont des gens qui nous donnaient, il y a peu, des leçons sur l'imbrication inévitable des économies nationales dans la mondialisation qui tiennent aujourd'hui ce langage fantaisiste ! Vraiment, comme le chante quelqu'un que j'aime bien : "Ce monde n'est pas sérieux !".
Je ne me laisserai pas plus influencer aujourd'hui par des assertions fallacieuses sur la France "en dehors du mouvement du monde" que je ne l'ai été par les affirmations péremptoires sur la France "fatalement" obligée de se conformer aux mouvements de la mondialisation du capital financier !
Voyons les faits. Ils sont têtus. On ne s'en débarrasse pas par des mouvements de menton ou des discours de technocrates. D'abord, les signes ne manquent pas qui montrent que notre pays a commencé à être touché : 45 000 emplois seulement ont été créés au troisième trimestre : c'est trois fois moins que l'an passé. Le chômage remonte ; dans l'industrie, les effectifs sont en recul, et le nombre des offres d'emplois a diminué de 28% depuis le début de l'année. Enfin, la consommation des ménages -et leur confiance dans l'avenir- sont également en recul.
Deuxième aspect : les mesures qui prétendent endiguer ce mouvement ont des effets pervers, jusqu'à l'accentuer. Je pense, tout particulièrement, au rôle de plus en plus néfaste du pacte de stabilité. Il ligote littéralement la dépense publique quand il faudrait au contraire la stimuler, pour répondre aux besoins considérables à satisfaire dans de multiples domaines : par exemple la santé, la sécurité et la tranquillité des citoyens, l'éducation et la formation, l'environnement et la sécurité industrielle, les transports... Quant à la baisse des impôts, elle profite essentiellement aux hauts revenus qui n'en font pas usage pour consommer davantage mais pour alimenter les marchés financiers. Et elle prive la Nation des moyens indispensables pour une politique de services publics efficaces pour la population.
Il me paraît évident qu'une approche radicalement nouvelle des problèmes économiques et sociaux est nécessaire. Et j'enrage -oui, littéralement : j'enrage- que le débat public autour de la campagne présidentielle qui s'ouvre tourne sur tout autre chose... Et pendant ce temps-là, les hommes et les femmes de notre pays s'inquiètent, s'angoissent même, et désespèrent de plus en plus d'une vie politique qui se désintéresse d'eux pour ne tourner qu'autour du possible destin personnel dont rêvent tels ou tels candidats, et qu'ils voudraient nous faire prendre pour le destin de la France ! Je veux vous le dire : tout cela m'apparaît terriblement dérisoire !
En tout cas, pour ma part, je fais des propositions. Pas seulement pour "témoigner" de mes préoccupations, mais pour les soumettre à la réflexion, au débat, à l'action des citoyennes et des citoyens, afin de peser sur le cours de la politique actuelle, dans le sens de leurs attentes, de leurs aspirations.
D'abord, j'estime qu'il faut revaloriser sensiblement et vite les salaires, les retraites et les minima sociaux. Cette proposition n'est pas nouvelle ? Certes. Mais elle revêt une particulière acuité car ce qui est décisif, aujourd'hui, pour échapper à la récession et à ses conséquences sociales, économiques, humaines, c'est d'organiser le soutien ferme et durable à la consommation populaire, pour relancer durablement une vraie croissance, un vrai développement national, favorable à nos concitoyens.
Ensuite, j'estime que la France doit engager résolument son autorité dans l'exigence d'une réorientation de la construction européenne.
La France ne peut plus et ne doit plus supporter les contraintes du pacte de stabilité et la toute puissance de la BCE, qui creusent les difficultés pour tous les pays de l'Union. Comment peut-on supporter les admonestations et les rappels à l'ordre en faveur d'une "rigueur" si douce aux puissants et si dure pour les peuples, alors qu'aucune vision globale, qu'aucun projet commun de grande envergure ne sont envisagés, qui seraient susceptibles de mobiliser les moyens et les compétences de l'Europe pour affronter la situation actuelle, en créant des activités, des emplois, des richesses nouvelles sur notre continent !
J'estime enfin, troisième proposition, que la loi de modernisation sociale et la loi de contrôle des fonds publics accordés aux entreprises doivent entrer immédiatement en application. Elles constituent, l'une et l'autre, des moyens efficaces de contrecarrer l'irresponsabilité des puissances d'argent qui tuent les entreprises pour favoriser leur fuite en avant sur les marchés financiers, où elles espèrent des profits rapides et substantiels... sans se soucier du temps que cela durera, ni des dégâts que cela cause ! Les conséquences en sont en effet connues : des dizaines d'entreprises, des milliers d'emplois sont "cassés", des régions entières dévastées, des milliers de femmes et d'hommes, de familles précipités dans le chômage et la détresse.
Je le dis aujourd'hui, au gouvernement : "Il y en a assez des tergiversations et des faux fuyants". C'est à la fin de l'année, au plus tard, que ces deux lois doivent entrer en vigueur. C'est ici et maintenant, sans ambiguïté, qu'il faut choisir entre les salariés, -leur vie, leur avenir et celui du pays- et les intérêts égoïstes des actionnaires.
Un dernier mot, si vous le permettez : l'annonce de la récession américaine a été beaucoup commentée mardi matin. Et puis aujourd'hui, 24 heures plus tard, il n'en est pratiquement plus question... Et pourtant, c'est l'avenir des Françaises et des Français, la qualité de leur vie quotidienne - et, je l'ai dit, leurs inquiétudes sont nombreuses- qui sont en jeu.
Quant à moi, je veux en parler ; je veux m'efforcer d'agir utilement pour qu'elles et qu'ils soient entendus. C'est tout le sens de ma campagne.
(source http://www.pcf.fr, le 30 novembre 2001)