Point de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères et interviews au journal saoudien "Al Ryad", France 2, TV5, aux radios et à l'agence de presse saoudienne le 27 octobre 2001 à Riyad, sur les relations franco-saoudiennes.

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Circonstance : Voyage en Arabie Saoudite de M. Hubert Védrine le 27 octobre 2001

Média : Agence de presse saoudienne - Al Riyad - France 2 - Télévision - TV5

Texte intégral

Point de presse conjoint à Riyad le 27 octobre 2001 :
Mesdames et Messieurs,
Dans le contexte de l'après 11 septembre, la consultation entre la France et l'Arabie saoudite est, à nos yeux, plus importante que jamais. J'ai pu aborder avec les dirigeants saoudiens tous les principaux aspects de ce problème. Nos deux pays sont engagés de façon déterminée dans la lutte contre le terrorisme qui est une lutte dans la durée et qui doit être menée avec persévérance, sur tous les plans. Dans l'immédiat, nous souhaitons que les opérations menées permettent de détruire les réseaux terroristes le plus rapidement possible.
En ce qui concerne l'avenir politique de l'Afghanistan, il faut souhaiter que, rapidement, un processus politique permette de mettre sur pied une autorité de transition conduisant ensuite à un gouvernement qui puisse prendre en main la destinée de l'Afghanistan et dans lequel tous les Afghans se reconnaîtraient. Cela suppose de la part des composantes de l'Afghanistan une attitude constructive comme de la part des pays limitrophes et voisins. A cet égard, le rôle de l'ONU sera essentiel dans les prochains jours.
Enfin sur le Proche-Orient, il faut, en effet, un déblocage de la situation, à la fois parce que les conditions de vie des Palestiniens sont insupportables et parce qu'il faut à tout prix trouver une solution qui assure la sécurité pour les deux peuples, israélien et palestinien. La consultation entre nous est un axe constant de notre politique. Nous la poursuivrons intensément dans les jours prochains. Le prince Saoud m'a longuement parlé de sa visite d'hier au Pakistan. Je lui ai parlé de mes propres contacts. Nous tiendrons le plus grand compte, dans les jours qui viennent, de nos avis et analyses respectifs et ce travail se poursuivra lors de l'Assemblée générale des Nations unies.
Q - Monsieur le ministre, pour apaiser la situation au Moyen-Orient, pour calmer cette violence, est-ce que les pays de l'Union européenne notamment ne peuvent pas mettre un terme à la politique agressive israélienne dirigée contre des civils palestiniens désarmés ?
R - Les pays européens, et la France en particulier, font tout ce qu'ils peuvent pour arrêter l'engrenage qui fait que la situation se dégrade constamment au Proche-Orient. Nous demandons depuis plusieurs jours au gouvernement israélien de retirer l'armée israélienne des zones A. Plus largement, nous demandons qu'une série de décisions soit prise en ce qui concerne la vie dans les territoires palestiniens qui rendent à nouveau la vie possible. Tout cela n'étant que palliatif. Il faut avoir le courage de reprendre la recherche d'une solution politique pour faire naître un Etat palestinien stable qui est la seule façon d'assurer la sécurité pour les Israéliens et pour la Palestine. C'est une position claire que la France défend avec beaucoup de constance et j'espère que tous les responsables finiront par comprendre que c'est la seule voie. Je voudrais dire un mot sur le sujet précédent. Les autorités saoudiennes, les dirigeants, m'ont confirmé la détermination de leur pays à lutter contre le terrorisme de toutes les façons, y compris, naturellement, contre le financement du terrorisme, tout en soulignant que cela concerne aussi beaucoup d'autres pays, que cela doit être un effort global, sous l'égide des Nations unies, ce que j'approuve naturellement et qu'il faut s'attaquer aussi à toutes les situations d'injustice ou de crise qui alimentent le terrorisme même si ce n'est pas sa seule origine. Nos analyses sont convergentes sur ces points.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2001)
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Interview au journal saoudien "Al Ryad" à Riyad le 27 octobre 2001 :
Q - Dans quelles perspectives s'inscrit votre visite en Arabie saoudite ?
R - Dans les graves circonstances actuelles, la France accorde une importance plus grande que jamais à son dialogue politique avec l'Arabie Saoudite dont le rôle est stratégique.
Nous sommes très attentifs à son analyse sur les répercussions régionales de la tragédie du 11 septembre, à sa vision de l'avenir de l'Afghanistan, à ses positions sur l'aggravation de la crise au Proche-Orient, à ses propositions sur la lutte contre le terrorisme.
J'aurai avec les plus hauts responsables saoudiens des échanges approfondis sur tous ces sujets. Je leur redirai la détermination de la France à lutter contre le terrorisme tout en refusant tout amalgame entre islam et terrorisme et réaffirmerai notre attachement à la stabilité de la région du Golfe.
Q - Quel bilan peut on tirer aujourd'hui de l'état des lieux des relations bilatérales franco-saoudiennes durant les dix dernières années ? Vers quelles perspectives pourraient-elles s'orienter ?
R - Un bilan positif.
Les relations franco-saoudiennes sont des relations anciennes et solides. En 1996 nos deux pays ont décidé de faire de leur coopération un vrai partenariat stratégique englobant les divers volets de nos relations. Celles-ci se développent depuis dans ce cadre
L'Arabie est pour la France un partenaire commercial important. Au Moyen-Orient, l'Arabie est au deuxième rang de nos clients et au premier rang de nos fournisseurs. Notre part de marché se maintient autour de 4 à 5 %. Nous souhaitons accroître notre présence par l'intensification des investissements dans les secteurs pétrolier et gazier, et de la défense bien sûr, mais aussi dans les autres, et contribuer ainsi au développement de l'économie saoudienne et à la saoudisation des emplois. Le choix qui a été fait, en juin dernier en faveur de TotalFinaElf pour participer à la valorisation des ressources gazières du Royaume pour le projet de Shuaybah est porteur à nos yeux de beaucoup d'espoirs. Il ouvre la voie à un changement d'échelle de nos relations économiques et traduit aussi la confiance que nous portons à l'Arabie.
Q - Vous soutenez l'idée que la création d'un Etat palestinien viable permettra de sortir de la crise proche orientale. Comment la France pourrait contribuer à la réalisation de cet objectif ?
R - J'ai rappelé, il y a quelques jours, cette évidence : il y aura toujours côte à côte, au Proche-Orient, des Israéliens et des Palestiniens qui n'auront d'autre choix que de coexister, quelles que soient les souffrances qu'ils se seront mutuellement infligées. Les uns et les autres le savent, mais leurs dirigeants n'arrivent pas à en tirer les conséquences, à sauter le pas de la paix. Il n'y a toujours pas d'accord entre eux pour arrêter l'engrenage et recommencer à chercher une vraie solution. Au contraire, la situation s'aggrave encore. Je l'ai dit à M. Sharon : la sécurité véritable ne peut s'obtenir que par une solution politique.
Seule une solution claire et franche, la création d'un Etat palestinien viable, permettra de sortir de ce drame et de commencer à bâtir un nouveau Proche-Orient. La France le préconise depuis 1982, l'Union européenne depuis 1999 et dorénavant aussi les Etats-Unis. Les Israéliens devront se résoudre à l'évacuation de l'essentiel des territoires occupés et donc des colonies, et à la reconnaissance d'une capitale palestinienne à Jérusalem-Est : c'est-à-dire en gros ce qui se dessinait, il y a un an, entre Camp David et Taba. Et les Palestiniens devront prendre des engagements contraignants garantissant aux Israéliens que l'accord leur apportera la sécurité et que ni les mécanismes de retour de réfugiés - plusieurs solutions existent - ni les capacités militaires du futur Etat palestinien ne représenteront pour eux une menace. Il n'y a pas d'autre solution équitable et durable. Mais pour le moment nous essayons d'obtenir en priorité du gouvernement israélien, l'évacuation par l'armée israélienne des villes palestiniennes situées en zone A.
Q - Les Etats arabes ont souvent souhaité que l'Union européenne s'engage de manière plus soutenue dans le processus de paix au Proche-Orient. Est-il possible, à votre avis, pour l'Europe d'aller au-delà de sa contribution actuelle en la matière ?
R - La visibilité et le poids politiques de l'Union européenne et des Européens ne cessent de croître au Proche-Orient.
Tous les protagonistes du conflit reconnaissent aujourd'hui la France, et l'Europe, comme des interlocuteurs légitimes et acceptent de parler franchement avec eux. D'autre part, les positions des Européens sont aujourd'hui très homogènes, leurs idées sont connues et si l'Europe n'a pas les moyens de les imposer, je crois qu'elles préparent les esprits aux inévitables décisions.
Vous avez pu constater que depuis l'été, alors que la situation s'aggravait encore, mes collègues européens et moi-même avons décidé de nous relayer sans relâche au Proche-Orient auprès des parties pour enrayer l'engrenage de la tragédie, relancer un processus de paix. Nous n'avons pas encore obtenu ce résultat ? Nous poursuivrons nos efforts, nous ne baisserons pas les bras.
D'autant que les dernières déclarations du président Bush et de Colin Powell montrent qu'une convergence euro-américaine pourrait s'établir sur le règlement de la question palestinienne. Je souhaite que ce mouvement se confirme et que très vite la communauté internationale puisse commencer à aider tous les peuples et les Etats du Proche-Orient à bâtir la paix.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2001)
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Interview à "FRANCE 2" à Riyad le 27 octobre 2001 :
Q - Monsieur le Ministre, comment situez-vous l'étape saoudienne dans l'ensemble des efforts qui sont fait actuellement par la France et par l'Europe ? Et, deuxièmement, est-ce que les Saoudiens vous ont convaincu de la réalité de leurs efforts pour lutter contre le terrorisme qu'il s'agisse de financement politique ou alors, pour essayer de faciliter la formation d'une coalition en Afghanistan ?
R - Cette étape saoudienne est très importante pour moi, pour les autorités françaises, dans le contexte de l'après 11 septembre, compte tenu du poids et de l'influence de l'Arabie Saoudite dans le monde arabe et dans le monde musulman. Il est donc très important pour nous de savoir où ils en sont et ils m'ont confirmé leur détermination à uvrer contre le terrorisme par tous les moyens, y compris la lutte contre le financement du terrorisme. Ils soulignent que cela ne les concerne pas eux seulement, cela concerne beaucoup de pays dans le monde et ils ont raison. Tout cela doit se faire sous l'égide de l'ONU. C'est aussi notre position. Ils ont aussi une influence qui peut être importante sur le processus politique que nous recherchons en Afghanistan. Après la phase inévitable des actions militaires préalables, il faut arriver à un gouvernement de coalition représentant l'ensemble des Afghans pour préparer l'avenir de ce pays. L'Arabie, par ses contacts, par son influence, par ses liens avec le Pakistan, joue un rôle constructif et, là-aussi, j'ai trouvé que le Prince Abdallah, le Prince Saoud étaient très engagés par rapport à cela. Il est donc très important pour nous de garder un contact très étroit.
Q - Quelle est la carte dont disposent les Saoudiens qui peut manquer à d'autres pays ? Quelle est leur carte essentielle ?
R - L'Arabie a un poids particulier : sa position, sa taille, son poids économique, son influence dans le monde musulman, ses relations avec le Pakistan et, ces dernières années, une relation qui s'est améliorée avec l'Iran à tout point de vue. On ne peut donc pas travailler sérieusement à cette coalition contre le terrorisme ni à cette question politique afghane, ni d'ailleurs sur les questions du Proche-Orient, si l'on est pas dans un rapport étroit avec l'Arabie et c'est ce que fait la diplomatie française. Cela s'inscrit dans un ensemble de contacts. C'est un élément parmi d'autres mais il est déterminant.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2001)
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Interview à "TV5" à Riyad le 27 octobre 2001 :
Q - Pouvez-vous nous dire quelle a été la nature de vos entretiens avec vos différents interlocuteurs saoudiens aujourd'hui et ce qui vous a amené dans ce pays ?
R - Dans le contexte de l'après 11 septembre, il est très important pour la France d'avoir un dialogue politique étroit avec l'Arabie Saoudite, pays qui est dans une position clé par rapport à cette question. Il est important pour nous de savoir leur évaluation des répercussions dans le monde arabe et le monde musulman des événements après le 11 septembre et de l'action militaire qui doit être menée par les Etats-Unis, c'est inévitable. Elle a d'ailleurs été reconnue comme légitime par le Conseil de sécurité. Il faut détruire ces réseaux terroristes et ce système taliban qui lui a permis de se développer. C'est un premier point.
L'analyse de l'Arabie sur les perspectives politiques en Afghanistan a été également extrêmement importante. Vous savez à quel point la France est engagée aussi sur cette question, dans des propositions, - un Plan d'action pour l'Afghanistan -, les relations avec les Nations unies, avec les pays voisins. L'Arabie a ses analyses, a beaucoup d'influence, notamment au Pakistan, qui est un pays clé, a des relations qui se sont améliorées ces dernières années avec l'Iran. A tout point de vue, c'est donc un pays sur lequel il faut aussi s'appuyer pour trouver une solution, une politique, un gouvernement de coalition qui puissent préparer l'avenir de l'Afghanistan.
Enfin il est très important d'entendre, comme je l'ai entendu de la part du Prince Abdallah ou du Prince Saoud, que l'Arabie était absolument déterminée à uvrer dans la lutte contre le terrorisme, par tous les moyens, y compris la lutte contre le financement du terrorisme. Ils soulignent, et ils ont raison, que cela concerne beaucoup d'autres pays dans le monde. Ils demandent que cela se fasse sous l'égide de l'ONU, c'est aussi notre position. Après tout, c'est la France qui, il y a un peu plus d'un an, avait présenté à l'ONU, une convention pour la lutte contre le financement du terrorisme et ils soulignent, et là encore on peut les rejoindre sur ce point, qu'il faut aussi traiter les crises et les situations d'injustice et les drames variés qui servent non pas à inventer le terrorisme mais qui l'attisent et l'entretiennent. Cela nous a amené aussi à parler du Proche-Orient.
Q - Précisément, sur la question du Proche-Orient, quel a été le discours de vos interlocuteurs saoudiens ?
R - Les Saoudiens apprécient les initiatives françaises. Ils savent que la diplomatie française est très engagée dans la recherche de la paix au Proche-Orient. Nous avons récemment encore appelé le gouvernement israélien a retiré l'armée israélienne des zones A palestiniennes et au-delà à prendre un ensemble de mesures qui permettrait aux populations palestiniennes de vivre dans des conditions moins affreuses que maintenant. Mais cela ne suffit pas. Il faut avoir le courage de reprendre à bras le corps la question politique. Il ne faut pas opposer la recherche de la sécurité, qui est une aspiration absolument légitime des Israéliens, et une solution politique. Les deux choses se complètent. Pour nous, seule la création d'un Etat palestinien viable, à côté d'un Etat d'Israël, chacun respectant et garantissant la sécurité de l'autre, nous permettra de trouver un jour une vraie issue à la situation actuelle. Malheureusement, nous n'en sommes pas immédiatement là. Il nous faut travailler sur des mesures d'urgence mais il faut garder cette perspective à l'esprit. Les Saoudiens sont très sensibles à cette question. Ils apprécient le travail qui est fait par la France.
Q - Est-ce que l'un ou l'autre de vos interlocuteurs saoudiens vous a fait part de son inquiétude sur la situation interne si jamais la crise se poursuit ?
R - Non, ils n'ont pas exprimé d'inquiétude. Ils ont un ensemble de vues sur ce qu'il faudrait faire et ils souhaitent naturellement que les opérations militaires qui devaient être inévitablement menées par les Etats-Unis permettent d'atteindre, au plus tôt, les objectifs fixés, c'est-à-dire détruire ces réseaux terroristes, et de penser à la suite. Ils n'ont pas exprimé d'inquiétude particulière.
Q - Sur la situation interne, j'entendais.
R - Ils n'ont pas exprimé d'inquiétude particulière sur la situation interne.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2001)
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Interview aux radios à Riyad le 27 octobre 2001 :
Q - Quel était l'objet de votre visite en Arabie saoudite ?
R - Pour la France, dans ce contexte de l'après 11 septembre, il est très important d'avoir ce dialogue politique et diplomatique avec l'Arabie saoudite compte tenu du rôle que l'Arabie joue dans le monde arabe et dans le monde musulman. Je suis venu pour entendre directement de la part des plus hauts responsables, l'analyse qu'ils font des répercussions de ces événements tragiques sur le monde arabo-musulman, leur vision sur la question afghane. Ils souhaitent naturellement, comme nous tous, que les opérations militaires qui ont dû être engagées par les Américains et qui sont légitimes, comme l'a reconnu le Conseil de sécurité, aboutissent le plus rapidement possible à des résultats, c'est-à-dire la destruction des réseaux terroristes et ils travaillent, comme nous le faisons, comme le font quelques autres pays européens et les pays voisins, à une sortie politique, c'est-à-dire à l'élaboration pour l'Afghanistan d'un gouvernement de coalition dans lequel l'ensemble des Afghans pourrait se reconnaître et préparer l'avenir. On ne va pas le dicter aux Afghans, on ne va pas le leur imposer. Mais, il faut créer les conditions qui leur permettront d'atteindre cet objectif. Les dirigeants saoudiens m'ont également confirmé leur engagement plein et entier dans la lutte contre le terrorisme, y compris la lutte contre le financement du terrorisme, tout en faisant remarquer à juste titre que cela ne concerne pas que les pays de cette région, mais beaucoup d'autres pays y compris des pays occidentaux, et qu'il faut agir sous l'égide de l'ONU, ce qui est également notre position. Il s'agissait donc pour moi d'entretiens très positifs, très utiles. Cela dit, il faut encore que nous continuions tous à travailler, à trouver la bonne solution politique pour l'Afghanistan, qui n'est pas encore trouvée aujourd'hui.
Q - Mais au-delà de cette convergence, plus concrètement, notamment sur le financement, y a-t-il des engagements plus pratiques et plus précis ?
R - Leur engagement est fondé sur le fait que c'est leur intérêt. C'est l'intérêt des pays arabes et musulmans de lutter contre le terrorisme et nous avons tous à l'esprit l'épouvantable tragédie du 11 septembre, et si vous raisonnez sur les dix années écoulées, il y a eu encore plus de victimes du terrorisme dans le monde arabo-musulman que dans les pays occidentaux. C'est donc leur intérêt et, en général, ils ne nous ont pas attendu pour savoir qu'ils devaient lutter contre le terrorisme. Ils ont leur idée sur la façon de le faire, en traitant à la fois certaines des causes, ce qui alimente le terrorisme, puis par des mesures plus directement répressives. Je constate qu'il y a beaucoup de pays dans le monde qui sont déterminés par rapport à cet objectif. J'étais, il y a quelques jours, à Moscou avec le Premier ministre. Nous entendions le président Poutine nous parler exactement en ces termes. C'est ce que les Chinois ont dit au président Bush dans la réunion Asie-Pacifique qui a eu lieu à Shanghai. Il y a donc un mouvement mondial par rapport à cela. Il faut le concrétiser, naturellement. Il n'y a pas que les mesures immédiates. J'ai trouvé les dirigeants saoudiens très déterminés.
Q - Ils ont le sentiment d'être montrés du doigt par la communauté internationale. Est-ce un sentiment dont ils vous ont fait part ? Pensez-vous que ce n'est pas un sentiment qui se base sur une réalité ?
R - Ils ne m'en ont pas spécialement parlé parce qu'ils n'ont pas le sentiment d'être montrés du doigt par la France. Il y a pu avoir dans le passé des ambiguïtés ou des erreurs par rapport à la question afghane ou par rapport à la question des Taleban, mais ce n'est pas uniquement leur fait et ce n'est pas nous qui leur en ferons le reproche. Ce ne sont pas des éléments qui allaient spécialement être traités dans une discussion franco-saoudienne et nous nous sommes concentrés sur ce qui est utile, constructif, efficace dans la lutte contre le terrorisme, sur les questions afghanes, pour préparer la suite, plus le souhait que nous pouvons exprimer en commun de voir la situation au Proche-Orient se débloquer pour qu'à la fois on prenne des mesures d'urgence et que l'on recommence à travailler sur le fond d'une solution politique.
Q - Nous avons remarqué que le Prince Abdallah avait commencé sa discussion avec vous sur l'anthrax ?
R - Oui, le début de la discussion était un échange entre le Prince Abdallah et le Prince Saoud à propos de l'article du Washington Post qui indiquait que, selon les services spécialisés américains, il était confirmé maintenant que la souche a été produite quelque part dans un laboratoire américain mais cela ne donne pas d'indication sur qui l'a utilisée. C'était donc plutôt un échange d'informations parce qu'ils n'avaient pas dû se voir tous les deux depuis que cet article était paru.
Q - Sur le Proche-Orient, il parait qu'il y a une nouvelle orientation comme quoi on va associer l'ensemble des pays actifs et concernés par le Proche-Orient, que ce soit la Russie ou les Etats-Unis et l'Union européenne et les Nations unies dans la solution du problème. Est-ce qu'il y a à votre avis un tournant dans la diplomatie occidentale pour essayer de profiter des conséquences du 11 septembre pour régler la question palestinienne ?
R - La situation au Proche-Orient est tout à fait grave. Je rappelle que la France n'a pas attendu le 11 septembre pour en souligner la gravité et pour redire l'urgence de trouver enfin une solution à cette question israélo-palestinienne. Ce que l'on constate ces derniers temps, c'est qu'il y a une évolution des Européens qui ont des positions de plus en plus proches sur ce point. On a pu noter, ces dernières semaines, quelques déclarations du président Bush ou de Colin Powell montrant une évolution de la position américaine, un rapprochement entre les positions américaine et européenne. Cela permet d'espérer qu'il y ait une sorte d'approche commune. Cela dit, on sait que le gouvernement de M. Sharon n'est pas d'accord avec ces approches ni avec l'Etat palestinien viable qu'il faut créer car c'est la seule solution de fond qui assurerait la sécurité à tous, aux Israéliens et aux Palestiniens, ni même avec les mesures d'urgence. Il faut travailler sur la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui et nous avons, à plusieurs reprises, ces derniers jours, demandé au gouvernement israélien de retirer l'armée israélienne des zones A, des zones palestiniennes. C'est une mesure d'urgence. Cela ne règle pas les problèmes de fond. Mais il faudrait au moins inverser l'engrenage qui ne cesse d'aggraver les choses au Proche-Orient avant de réattaquer les questions de fond.
Il est donc vrai qu'il y a beaucoup de bonne volonté qui se manifeste dans le monde aujourd'hui, ce qui pourrait peut-être un jour constituer une sorte de coalition pour la paix et la sécurité au Proche-Orient. Pour le moment, c'est plutôt le dénominateur commun de tous ceux qui agissent par rapport à cela mais cela ne veut pas dire que nous ayons déjà la solution à portée de main, il faut être persévérant.
Q - Précisément, l'Arabie Saoudite vous semble-t-elle prête à peser sur le Hamas notamment pour qu'il n'y ait pas, de ce côté-là, au moins, les troubles que l'on a constatés ces dernières semaines ?
R - Le Prince Abdallah m'a confirmé et m'a dit que, du point de vue de l'Arabie saoudite, il fallait une solution équitable qui apporte une solution vraie pour les Palestiniens et pour les Israéliens et qu'ils doivent coexister en paix. C'est cela la vraie solution aux yeux de l'Arabie, c'est-à-dire que les autorités saoudiennes ont par ailleurs exprimé leur pleine approbation à l'appel que j'ai lancé il y a quelques jours pour que les Israéliens et les Palestiniens bougent par rapport à leurs positions qui, aujourd'hui, interdisent tout progrès réel. Nous nous sentons donc en convergence par rapport à cela mais, encore une fois, cela ne suffit pas à débloquer la situation au Proche-Orient. Il faut donc persévérer.
Q - Est-ce que la convergence avec les Etats-Unis sur le Proche-Orient, d'après vous, ira jusqu'à trouver une solution au Proche-Orient ?
R - Je constate que, au cours des dernières semaines, Colin Powell, après les horribles attentats du 11 septembre, a dit : "Tout cela est une raison de plus pour régler la question du Proche-Orient." Je constate que le président Bush a parlé, à plusieurs reprises maintenant, de la nécessité d'un Etat palestinien viable. C'est l'expression que nous même avons employée depuis 1998, qui a été reprise par les autres Européens depuis 1999. Je constate que le président Bush a parlé de la résolution 242. Il y a donc un certain nombre d'éléments qui permettent d'espérer que se forme en ce moment même une position euro-américaine. Mais, au bout du compte, c'est une question israélo-palestinienne. Il faut donc qu'il y ait en Israël et du côté palestinien, des hommes d'Etat qui aient la vision, le courage et l'audace de débloquer les choses et de reprendre le chemin de la paix. Personne ne pourra le faire à leur place. Nous pouvons agir, essayer de convaincre, préparer les conditions mais c'est à eux de prendre leur responsabilité historique.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2001)
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Interview à l'Agence de presse saoudienne à Riyad le 27 octobre 2001 :
Q - La campagne anti-terroriste a commencé avec unanimité autour des Etats-Unis. Mais, ces derniers temps, la coalition accuse certaines dissensions. Quelle est la position de la France vis-à-vis de cette coalition et quelle est votre réaction à la demande du général Musharraf de voir mettre un terme à l'opération militaire contre l'Afghanistan avant le mois du ramadan ?
R - Tous les membres des Nations unies, à travers le Conseil de sécurité, dès le lendemain des attentats, ont reconnu que les Etats-Unis étaient placés en situation de légitime défense, au titre de l'article 51 de la Charte des Nations unies, donc de légitime riposte. Tout le monde a accepté l'idée que les Etats-Unis devaient et avaient le droit d'agir militairement pour détruire le système terroriste qui est une menace pour tous. Il y a eu depuis dix ans encore plus de victimes du terrorisme dans le monde arabe ou musulman que dans le monde occidental. Cette action peut être menée. Elle n'est pas une fin en soi mais il faut passer par cette étape. Naturellement, la France comme l'Arabie, comme beaucoup d'autres pays, souhaitent que ces opérations permettent très vite d'atteindre les objectifs, c'est-à-dire de détruire ces réseaux terroristes, de les mettre hors d'état de nuire et par ailleurs de libérer le peuple afghan, - un peuple martyr depuis vingt ans- , des griffes de ce système, pour que l'on puisse commencer à bâtir son avenir avec tous les Afghans, avec l'aide internationale. Donc, oui, nous souhaitons vite arriver à cette phase. Nous sommes très sensibles à l'émotion qui s'exprime dans un certain nombre de pays par rapport à ces actions. Nous déplorons naturellement les erreurs, quand il y en a, dans des opérations de bombardement, dans des actions militaires. Mais comme nous avons à déplorer depuis longtemps toutes les victimes tout aussi innocentes du terrorisme, il faut que ces opérations atteignent vite leur but et que l'on puisse préparer l'avenir de l'Afghanistan et poursuivre par ailleurs la lutte contre le terrorisme sur tous les plans, notamment la lutte contre le financement du terrorisme.
Q - Le mois du ramadan est proche. Quelle est la position de la France et des pays européens plus généralement concernant cette guerre qui pourrait se prolonger pendant le mois du ramadan ?
R - Il me semble que la date n'a pas été choisie par les pays de la coalition, elle a été choisie par les terroristes, par l'action du 11 septembre. Naturellement, je ne peux que redire que je souhaite que toutes ces opérations atteignent rapidement leur but.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2001)