Entretien de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, avec la chaîne marocaine "2M", le 12 novembre 2001, sur le "partenariat rénové" franco-marocain, la coopération bilatérale entre la France et le Maroc, la xénophobie, les Marocains en France, la question des visas, l'immigration clandestine, la préoccupation de la France en matière de sécurité, l'aide publique au développement et les négociations de l'OMC.

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Circonstance : Journés de la coopération décentralisée franco-marocaine, à Fès, Maroc, le 12 novembre 2001

Média : Chaîne marocaine 3M

Texte intégral

Q - Madame, Monsieur, bonsoir,
L'importance, le caractère privilégié des relations entre Rabat et Paris ne sont plus à démontrer. Il est simplement à rappeler que la France est le premier partenaire économique et financier du Maroc et le premier investisseur aussi. A ce titre, la coopération bilatérale requiert une attention particulière de la part des deux parties en vue d'un renforcement et d'une redynamisation. On parle aujourd'hui de la nécessité d'un partenariat rénové, plus efficace encore, d'autant que ce partenariat doit tenir compte à la fois des liens avec l'Union européenne et d'une nouvelle configuration de l'économie mondiale. Quels seraient donc les contours de ce partenariat rénové appelé à être redéfini, comment à travers la coopération faire face aux échéances, et comment les relations bilatérales peuvent-elles s'intégrer dans le contexte d'une économie globale ?
Pour nous en parler, ce soir, Monsieur Charles Josselin, ministre français de la Coopération. Monsieur le Ministre, bonsoir et merci beaucoup d'être l'invité de l'émission "Entretien".
Une première question tout d'abord sur ce partenariat rénové. On en parle déjà depuis un moment. Il y a un plus d'une année, les deux ministres français et marocains, lors d'une rencontre, parlaient de nouveau outils de coopération. Pouvez-vous nous définir, aujourd'hui, les contours de ce partenariat rénové ?
R - Bien volontiers. Mais je voudrais souligner combien la coopération du Maroc avec la France "trust" en quelque sorte les prix d'excellence. Vous l'avez rappelé, premier client, premier fournisseur, premier investisseur, premier ami. Je crois que c'est la volonté politique qui est le meilleur gage d'une coopération dynamique entre nos deux pays, basée sur des relations de partenariat, puisque c'est la réciprocité qui est désormais au cur de la relation. J'y veille beaucoup et je suis convaincu que la réunion des collectivités locales françaises et de leurs homologues marocains va certainement mettre en évidence cette question de la réciprocité. Elle me paraît essentielle. Donc oui, la coopération se développe rapidement et elle est entrée dans une phase de modernité, en quelque sorte, et je crois que c'est bien pour nos deux pays.
Q - Qu'est-ce qui va changer concrètement par rapport aux relations, disons au partenariat qui est aujourd'hui appelé à être rénové ? Comment ce partenariat peut-il refléter l'excellence des relations entre les deux pays ?
R - Je voudrais d'abord souligné le choix des thèmes de coopération qui reflètent bien cette mutation dans la relation. Aujourd'hui on parle de nouveaux concepts : environnement, aménagement du territoire, développement économique, développement social. Et la préoccupation exprimée par le gouvernement marocain, notamment dans cette direction de la coopération sociale, nous est particulièrement chère. Qu'il s'agisse de la santé ou de l'éducation de base. Tout ceci constitue donc un ensemble qui doit disposer des instruments à la fois financier et juridique. S'agissant du cadre juridique, je rappelle qu'il y a une convention qui organise cette coopération - elle est déjà ancienne, elle est de 1984. Nous avons entrepris de la rénover. Je pense que d'ici quelques mois, c'est un nouveau cadre juridique qui va être ainsi défini et va d'ailleurs intégrer cette coopération décentralisée dont nous reparlerons tout à l'heure et à laquelle je tiens en tant qu'ancien élu local. Les instruments financiers sont là. Le Maroc fait partie de la zone de solidarité prioritaire que nous avons dessinée pour y concentrer nos outils et nos moyens. Je pense en particulier à un outil financier qui est le Fonds de solidarité prioritaire, qui pour la première fois d'ailleurs, va faire l'objet d'une déconcentration. Un projet va être adopté et sera géré en direct à partir de Rabat, par notre poste diplomatique qui est le service de coopération. C'est dire assez si le Maroc est pour nous aussi un laboratoire, c'est important à rappeler. Et puis, il y a l'Agence française de développement qui comme vous le savez est un outil à la fois financier, de développement, un opérateur qui a actuellement au Maroc son plus gros volume d'affaires.
Q - Justement, vous le disiez l'AFD est un instrument important de développement. Plus d'un milliard de francs français sont alloués et mis à disposition du Maroc par an. Mais, le taux de décaissement reste faible. Ne faut-il pas penser à un autre moyen de coopération ? Est-ce que cette coopération décentralisée va permettre aujourd'hui une meilleure gestion de ces flux ?
R - Les taux de décaissement sont toujours trop lents pour ceux qui profitent des financements, pour ceux aussi qui les mettent en place. Il est arrivé, souvent, que ces programmes de l'Agence française de développement se conduisent aussi en articulation sur des programmes liés au Fonds méditerranéen, le fameux fonds MEDA, qui lui renvoie à d'autres procédures, hélas, souvent elles aussi trop longues. Et l'addition de tout cela explique, à défaut de les justifier, les retards dont vous parliez à l'instant. Au plan européen, j'ai eu l'occasion lorsque je présidais le Conseil des ministres du Développement au moment de la présidence française en novembre 2000, de faire adopter un certain nombre de dispositions qui sont en train d'entrer en vigueur et qui devraient nous permettre de gagner en efficacité, en visibilité aussi en ce qui concerne ces fonds européens.
Q - Monsieur le Ministre, les événements de septembre n'ont pas eus qu'un impact économique. Les conséquences sont humaines aussi et sociales, mettant en avant les communautés musulmanes vivant notamment en Europe. Y a-t-il lieu de s'inquiéter d'une montée de xénophobie et comment éviter justement l'amalgame entre islam et terrorisme ?
R - La xénophobie menace, je dirais, en permanence. Bien avant le 11 septembre. Nous nous préoccupions déjà de cette menace qui, malheureusement au cours des mois passés, peut-être plus dans certains pays proches que chez nous d'ailleurs, s'est exprimée avec beaucoup de violence. Je songe que, quelques jours avant les événements que vous rappeliez, à Durban il y avait la conférence contre le racisme et qui a été l'occasion à la fois de mesurer la tension qui existait déjà entre le nord et le sud, et la polarisation autour de la Palestine, de beaucoup de revendications, de frustrations aussi.
Vous savez que la France a été, je crois, un des pays qui ont permis de préserver le lien entre l'Europe et les pays du sud, les pays africains, en particulier. Je crois que nous avons sauvé Durban. Mais à Durban donc, nous avons rappelé que ce risque de xénophobie existe en continue, qu'il faut que nous ayons des législations qui le prévienne et qui le sanctionne. Et cela me paraît très important.
Je veux dire en tout cas la volonté de la France d'être extrêmement vigilante et de sanctionner, dès qu'elles se manifesteront, les expressions qui pourraient menacer la sécurité des populations qui ont fait le choix de choisir la France comme pays d'accueil.
Q - Est-ce que par exemple les mesures de sécurité draconiennes prises par la France à travers le plan Vigipirate notamment ne risquent pas de créer un climat d'incertitude chez les étrangers ?
R - Ce qu'il faut et nous y veillons, c'est que les forces de police chargées de mettre en place ces mesures de sécurité aient une attitude parfaitement humaine vis-à-vis de toutes celles et de tous ceux qu'ils ont à surveiller. C'est toute la difficulté. Chacun le voit bien, mais il y a une formation spécifique d'ailleurs de nos forces de sécurité pour les mettre en garde contre les comportements qui ne seraient pas convenables.
Q - Monsieur le ministre, comment faire pour que les accords Europe-Maghreb soient autre chose qu'une extension d'un marché communautaire ? Pour ainsi dire, comment écarter la rapacité du commerce ?
R - En parlant de culture. Je veux dire que le commerce c'est important, mais ce n'est pas tout dans la relation entre deux communautés. Et de ce point de vue, tout ce que nous ferons ensemble pour faire dialoguer nos cultures, nos expressions, nos arts, notre histoire, paraît très important. A Durban, les choses ont été bien mises en évidence. Nous n'avons pas encore terminé notre introspection historique pour régler nos problèmes, les problèmes que nous avons chacun pour soi et que nous avons ensemble. Il y a besoin de poursuivre "une psychanalyse historique" par rapport à nos anciennes relations.
Q - Cela nous amène à parler de visa. Le niveau de l'excellence des relations entre Rabat et Paris ne facilite pas pour autant l'octroi des visas pour les Marocains. On attend beaucoup plus de souplesse de la part de la France. Pourquoi est-ce que.
R - Si je vous disais que les Marocains ne sont pas les seuls à souhaiter plus de souplesse..
Q - Oui, mais on a parlé de l'excellence des relations.
R - C'est bien parce qu'il y a une excellence des relations qu'il y a une grande demande d'échanges. Il y a 800 000 Marocains en France. C'est une communauté avec laquelle d'ailleurs, je crois pouvoir le dire, les relations sont également excellentes. Peut-être qu'ici ou là, il y a des petits problèmes. Mais, globalement l'image du Maroc et des Marocains en France est excellente. Je crois qu'il faut le rappeler.
Alors, il y a évidemment des familles et des cousins, des cousines, qui ont envi aussi de faire le voyage. Je veux simplement dire que l'augmentation de l'année 2001 sur l'année 2000 va être probablement supérieure à 25 %. Nous en sommes à 110 000 visas octroyés. On a déjà pratiquement atteint fin septembre le chiffre de l'année 2000. Donc, 2001 va certainement marquer un accroissement sensible. Mais vous savez aussi que nous sommes tenus par des accords européens, les fameux accords de Schengen. C'est donc aussi dans un cadre européen qu'il faut faire progresser cette question des échanges.
Q - La réunion Euromed qui a eu lieu à Bruxelles. Le constat est là, la préoccupation sécuritaire est plus présente que jamais. L'accent a été mis d'ailleurs par les pays européens et les pays de la rive nord de la Méditerranée sur le tout sécuritaire. Comment aujourd'hui ne faut-il pas changer l'approche ? Le Maroc, lui, prône une vision plus globale, plus volontariste, et plus stratégique pour remédier au problème.
R - Je pense qu'il faut se méfier d'un trop sécuritaire qui viendrait affecter nos relations. Je veux surtout insister sur la politique du co-développement que nous essayons de mettre en place. Il s'agit d'organiser l'échange. C'est que quelqu'un est autorisé à venir parce qu'il sait qu'il pourra repartir. Et c'est ce flux d'échange qui me paraît être l'objectif d'une politique de coopération. Ce n'est pas seulement le transfert de population, surtout pas. Ce transfert de population, je le répète, c'est la mise en communication de groupe de personnes, d'individus, d'économies, de cultures. Cela me paraît essentiel.
Q - D'ailleurs, pour freiner l'immigration clandestine n'est-il pas nécessaire aujourd'hui justement de relancer le processus de Barcelone, mais en respectant son essence même qui est le co-développement ? Or, de 1995 à nos jours, très peu de choses ont été réalisées.
R - Ca n'a pas beaucoup bougé. Je pense que la responsabilité, elle aussi, est largement collective parce que ce n'est pas si facile, parce que derrière les bonnes intentions il y a aussi parfois d'autres qui sont moins louables, moins susceptibles de bienveillance. Des trafics, ça existe aussi. Il faut quand même aussi en prendre la mesure. Mais je pense que - on revient à ce que nous disions à l'instant - c'est maintenant qu'il faut que nous choisissions la bonne voie. Je pense que
Q - et d'ailleurs la France a prôné notamment lors de la conférence de Doha, le nouveau round de négociations, l'aide à la croissance des pays en voie de développement.
R - D'une manière générale, aborder la question de l'immigration signifie renforcer la lutte contre les inégalités. Il faudrait que le mouvement ne procède pas simplement du principe des vases communicant entre le trop plein d'ici et le trop vide d'ailleurs. Donc, il y a besoin et là aussi, les événements que vous venez d'évoquer, y compris ceux du 11 septembre, doivent nous inciter à nous engager plus violemment dans cette lutte contre les inégalités du monde. Cela me paraît important.
Et la solution à la question de l'immigration que vous évoquez passe aussi par là.
Q - Est-ce la France, l'Europe ne serait pas plutôt pousser à fermer davantage les frontières plutôt que de les ouvrir ?
R - J'espère que cette crise ne va pas nous amener à affaiblir la part de générosité qu'il y a dans le budget pour aller vers l'autre. La France est un des pays qui font la course en tête en ce qui concerne l'aide publique au développement. Il faut absolument qu'on continue. J'espère aussi que ce n'est pas parce que notre croissance va être affectée, et donc notre produit, notre richesse, que pour autant nous allons affaiblir justement cette part qu'il faut consacrer à l'aide publique et au développement. J'espère aussi que tous les pays vont en être conscients. J'aimerais bien que tous les pays du monde soient prêts à contribuer à la solidarité du monde à la mesure de leur capacité.
Q - Vous parliez de l'aide publique au développement. Est-ce que le Maroc ne verra pas son aide modifier à cause de cette crise ?
R - J'espère que non. Mais je le répète. Je reprends l'expression, je l'emprunte à M. Wolfhenson qui est président de la Banque mondiale, que nous rencontrions à Bruxelles il y a quelques jours et qui disait : "Nous vivons dans un monde sans assurance". Alors que c'est un monde qui présente plus de risques que jamais. Est-ce que le monde est prêt à payer pour son assurance, pour sa sécurité. Et la sécurité du monde passe aussi par sa solidarité. C'est de cela dont il va falloir discuter. Nous allons avoir Monterrey au mois de mars.
Q - D'ailleurs la politique de la Banque mondiale a changé. Aujourd'hui, elle a une approche plus sociale.
R - Elle a mieux pris en compte désormais la dimension sociale du développement, après avoir comme d'autres peut-être, pratiqué la dictature de l'indicateur économique.
Q - Une toute dernière question Monsieur le ministre si vous le permettez. Sur fond de crise et de guerre, un nouveau round de négociations a lieu à l'OMC. On a plus l'impression que cela se passe entre les Etats-Unis et l'Union européenne alors que les pays en voie de développement sont mis à l'écart.
R - Je crois en tout cas que l'Europe, dans ce dossier agricole comme dans quelques autres, s'efforce de trouver le point d'équilibre entre les prétentions souvent contradictoires des uns et des autres. Il en va de même pour l'accès aux médicaments. Grande question, notamment la lutte contre le SIDA qui rencontre à la fois la question du développement et celle de la santé. C'est un dossier très important. Moi-même je me suis employé au cours des jours derniers avec mes collègues européens à essayer de définir une position moyenne entre, par exemple, le Brésil qui voudrait être autorisé, sans aucune autre contrainte, à produire pour lui-même et vendre à qui il veut les médicaments de lutte contre le SIDA et, évidemment, les pays producteurs de ces médicaments qui voudraient protéger bien sûr leur industrie et leurs brevets. Donc, nous essayons de trouver le point d'équilibre, c'est important. A l'heure qu'il est, il est difficile de préjuger du résultat de Doha, mais chacun voit bien que, désormais, les rencontres internationales vont être probablement plus difficiles à négocier et à faire aboutir.
Monsieur le Ministre, merci beaucoup d'avoir répondu à notre invitation et bonsoir
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2001)