Texte intégral
Jean-Claude Junker : « Oui, c'est avec beaucoup de plaisir - sinon du bonheur et de la joie - que j'ai reçu mon ami Emmanuel Macron au siège de la Commission.
Vous devez savoir - ce que vous ne savez pas, mais dorénavant vous le saurez - que j'ai été élu président de la Commission un 15 juillet et la Commission, en tant que collège, a été élu vers la fin octobre. Mais entre ces deux dates qui marqueront l'histoire pour toujours, j'ai reçu M. Macron. Je n'avais pas de bureau donc je l'ai reçu dans mon modeste hôtel et nous avons commencé une relation qui dure,et je l'ai revu à plusieurs reprises depuis.
Aujourd'hui, après l'avoir félicité une fois de plus pour la belle victoire électorale qui est aussi une victoire pour l'Europe, nous avons évoqué un certain nombre de sujets et au centre de ce que fut notre conversation, se situait l'Europe sociale. C'est d'ailleurs la première fois qu'un chef d'État ou de Gouvernement me rend visite et parle d'abord du social. C'est nouveau mais je n'étais pas surpris. Nous avons notamment discuté de toutes les questions qui gravitent autour des modifications que la Commission a proposé d'apporter à la directive détachement. Nous, en tant que Commission, nous pensons qu'il faut, pour un même travail, un même salaire sur un même lieu de travail. C'est la règle générale dont nous ne dévierons pas parce que nous pensons - le Président français et moi-même - qu'il ne devrait pas avoir de place pour le dumping social en Europe, ni d'ailleurs pour le dumping fiscale. Comme disait Pascal, «j'aime les choses qui vont ensemble » et la lutte contre le dumping fiscal et le dumping social doivent être menées en parallèle et avec la même conviction.
Nous avons discuté de l'approfondissement de la zone euro, qui est un véritable souci permanent de la Commission et aussi du Président et donc moi j'ai acquis alors que je le savais déjà, la conviction que le nouveau président français sera je ne dirais pas un complice mais un allié de la Commission pour tout ce qui relève de l'Europe et de son intégration future. Donc, j'ai été très heureux de pouvoir m'adonner à ce plaisir rare, puisque, avec la même insistance que celle que nous avons accordée à l'Europe sociale, nous avons parlé de l'Europe de la défense, où là encore la Commission a fait des propositions et où là encore nous attendons et nous savons qu'elle fera, un véritable engagement de la France qui est en fait, la seule puissance militaire crédible en Europe. »
Emmanuel Macron : « Merci beaucoup Monsieur le Président. Mesdames, messieurs, j'ai été ravi, pour ma part, en effet, d'accomplir cette première visite en tant que Président de la République française auprès du président de la Commission européenne. Vous avez tout rappelé, vous avez tout dit de notre historique mais je l'ai dit en arrivant, le 7 mai dernier, les Françaises et les Français m'ont élu avec un programme qui était résolument européen et qui portait ce choix de l'Europe de manière claire, résolue, dans une campagne qui pour la première fois a été largement structurée par les sujets européens. Et donc c'est aussi, fort de ces attentes et de ce mandat du peuple français, que j'arrive ici et que je souhaitais, en marge de ce mini-sommet de l'OTAN, avoir ce premier échange. Vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, plusieurs sujets occupent notre actualité. Moi je défendrai d'abord la vision d'une Europe qui protège. La France a à conduire des réformes profondes, relatives au travail, à l'assurance chômage et à la formation professionnelle, à l'organisation des retraites, à l'éducation, à la formation continue, Autant de sujets que mon gouvernement a commencé à lancer, à travailler. J'ai moi-même reçu des partenaires sociaux en début de semaine. À côté de cette France qui réforme, qui transforme, qui refonde, on a besoin d'une Europe qui protège, qui protège et qui redonne du sens à ce qu'est justement l'Europe, dans un cours du monde qui n'est plus compris de nos concitoyens. L'Europe qui protège c'est celle qui sur le travail détaché a une approche cohérente, claire, rigoureuse et protectrice des travailleurs et en particulier des plus modestes. C'est une Europe qui met fin au dumping social. C'est une Europe qui travaille sur la convergence fiscale. C'est une Europe de la réciprocité commerciale. C'est une Europe de la politique de défense et qui porte une vraie ambition de défense. C'est une Europe de la réforme du droit d'asile. Autant de sujets que j'ai porté durant ma campagne sur lesquels je me suis engagé, également dans l'échange que j'ai eu la semaine dernière avec la chancelière Merkel et qui participent de votre agenda, et donc de notre agenda. Ensuite je veux que nous puissions aussi, ensemble, travailler sur une plus grande ambition européenne, qu'il s'agisse de l'Union européenne ou en son sein de la zone euro où il est absolument impératif que, là aussi, nous redonnions du long terme, de la vision et les jalons d'une plus grande intégration, d'une plus grande convergence de nos économies, d'une plus grande efficacité et d'une relance de l'investissement. Tous ces sujets ce sont ceux que j'ai portés durant ma campagne. Et donc, c'est maintenant ce que j'entends méthodiquement mettre en oeuvre pour ce qui relève de mes responsabilités à l'intérieur des frontières et pour ce qui relève de nos responsabilités partagées partout en Europe. Donc je vous confirme, Monsieur le Président, vous aurez un allié sur tout ce qui rend plus fort l'Europe, sur tout ce qui la rend plus intelligible pour tous nos concitoyens et tout ce qui nous permet d'être à la fois plus efficace et plus juste. Voilà pour ma part, en tout cas j'étais ravi d'être là. Nous aurons, je termine là-dessus, l'occasion, ensemble, de concert, de rappeler plusieurs sujets qui sont également essentiels pour notre agenda commun lors du G7, où nous seront l'un et l'autre dès ce soir, en particulier les sujets relatifs au changement climatique, à la crise migratoire, à la sécurité et à la défense. Parce que ce sont des sujets sur lesquels la France est fortement engagée et continuera à s'engager, que l'Europe a portée et qu'il est indispensable de défendre au sein du G7. »
Pascal Verdeau : « Oui Pascal Verdeau de la rédaction européenne de France 3. Une question au Président de la République. Vous avez déclaré tout à l'heure, juste avant le déjeuner avec le président des États-Unis, que vous étiez finalement heureux de changer beaucoup de choses ensemble. Est-ce que vous diriez la même chose à l'issue de ce déjeuner, de cette première entrevue ? Comment pourriez vos qualifier l'atmosphère de ce déjeuner ? Quels sont les dossiers qui ont avancés ? Les lignes ont elles bougées ? Et surtout, sur cet enjeu européen central qui est le changement climatique, avez-vous réussi à convaincre finalement Donald Trump que l'accord de Paris pouvait être bon aussi pour le business et pour les entreprises américaines ? Bref, va-t-il rester à bord ? Et puis si vous le permettez une petite question au président de la Commission européenne aussi. Vous avez rencontré le président Trump, est-ce qu'aujourd'hui vous avez évoqué le TTIP ? On disait que ce traité était moribond voire quasiment mort. Est-ce qu'aujourd'hui le TTIP fait son retour ? »
Emmanuel Macron : « Nous avons évoqué tous les dossiers avec le président Trump durant un long moment, un long échange qui a été extrêmement direct et très franc. Je dirai que le coeur de nos échanges fut le pragmatisme. Il y a des sujets sur lesquels nous n'avons pas forcément la même lecture, il y a des choix qui ont été faits. Mais nous avons pu échanger de manière extrêmement directe, avec une volonté affichée de renforcer notre partenariat et notre coopération en matière de lutte contre le terrorisme. Le président Trump a avancé, lors de son voyage en particulier en Arabie Saoudite, pour réduire le financement au terrorisme ce qui est pour nous très important. Nous nous inscrivons dans cette démarche. Je lui ai aussi expliqué quelles étaient aujourd'hui nos approches en termes d'interventions militaire comme de renseignements aussi bien dans la zone sahélo-saharien comme au Moyen-Orient. Et, là-dessus, tout ce qui peut permettre encore de renforcer notre coopération, est à mes yeux très important et va dans le bon sens. Nous avons évoqué, également entre autres, la crise syrienne. Mon souhait est que nous puissions ensemble réussir à associer toutes les parties prenantes de ce conflit pour construire une feuille de route diplomatique inclusive et je crois qu'il partage cette vue. Quant au climat, il appartient au président Trump, d'exprimer sa position, je respecte le fait qu'il a mis sous revue les accords de Paris. Je lui ai rappelé l'importance de ces accords pour nous, l'importance de ces engagements, je le crois vraiment pour la communauté internationale, sur le plan de notre responsabilité politique comme sur le plan d'ailleurs de nos intérêts en termes de créations d'emplois et de développement économique. Donc, mon souhait c'est en tout cas qu'il n'y ait aucune décision précipitée sur ce sujet de la part des Etats-Unis d'Amérique, parce que notre responsabilité collective c'est de tenir le caractère mondiale de ces engagements qui fut une première. Au total, ce fut pour moi un très bon entretien, pragmatique et chaleureux et un entretien nécessaire, parce que les Etats-Unis d'Amérique restent aujourd'hui un partenaire essentiel en matière de sécurité collective, de développement et de lutte contre le terrorisme. Et sur l'ensemble des théâtres d'opération où nous intervenons nous avons besoin de travailler ensemble de manière très étroite. »
Jean-Claude Junker : « J'ai vu le président Trump pendant 1h30, nous avons abordé beaucoup de sujets et l'un des sujets que nous avons abordés - sans être aussi spécifique que vous vouliez que nous l'eussions été. Nous avons beaucoup discuté des questions qui concerne le commerce international, le libre-échange. Nous avons insisté sur la nécessité qu'il y a pour nous d'avoir une concurrence libre mais loyale. Et donc nous sommes convenus de rassembler des Européens et des Américains, de réunir une délégation de la Commission et de l'administration Trump dans les mois et semaines à venir pour rapprocher nos points de vus en matière commerciale, parce que nous avions estimé qu'il y avait trop de divergences et d'analyses et d'actions entre ces deux grands ensembles économiques. »
« Une dernière question, parce qu'il faut faire vite. »
« Le journal Le Soir. Question au président de la République. Vous avez parlé d'Europe sociale, donc apparemment elle constitue une partie importante de vos entretiens. Vous parlez beaucoup du problème de la directive du détachement des travailleurs alors question, cette directive et en train d'être révisée à l'initiative de la Commission mais vous en parlez beaucoup comme si ce n'était pas assez alors qu'est-ce que, concrètement, vous souhaitez ? Souhaitez-vous qu'on aille plus fort, plus vite ? Sur une question qui est, par ailleurs est extrêment « divisive » pour utiliser un terme anglais, hélas, entre l'Europe de l'Est et l'Ouest ? Et, deuxième petite question juste pour revenir sur M. Trump, une question pour vous deux. Une question que tout le monde se pose tant nous que le grand public, tout simplement c'est : par rapport à cette personnalité de M. Trump, qu'on a l'impression de très bien connaître notamment parce qu'il tweet beaucoup et qu'on a l'impression de connaître de façon très intime, vous qui l'avez rencontré, quelle était votre impression du personnage ? Quelle impression gardez-vous de lui ? Merci. »
Emmanuel Macron : « Je salue le travail de la Commission européenne sur le détachement des travailleurs, qui correspond d'ailleurs au discours de l'Union qui a été prononcé en septembre 2016 par le président et qui manifeste un souhait cohérent avec celui que je porte. Donc la commission a fait un premier travail qui me paraît particulièrement important. Je souhaite qu'on puisse aller plus loin sur, en particulier, les modalités du contrôle, et pour mettre en oeuvre jusqu'au bout les principes qu'a rappelé le président tout à l'heure. Quand on occupe un travail dans un pays, pour le même travail, on doit avoir le même salaire avec toutes les conditions qui vont derrière et avec des règles applicables qui évitent l'optimisation. Sinon on a une Europe qui devient incompréhensible pour nos concitoyens et donc qu'on ne peut plus défendre. Je suis favorable à l'Europe, ça ne veut pas dire que je suis eurobéat. Je suis favorable, aussi, à pouvoir l'améliorer, lui donner tout son sens et son efficacité. C'est l'objectif que je poursuivrai sur cette directive. Je le ferai en grand respect, d'abord du travail qui a été effectué par la Commission, nos équipes vont travailler ensemble dans les prochains jours, mais aussi des intérêts, bien compris, de plusieurs États membres, vous l'avez évoqué qui sont plus à l'Est. Et donc, il s'agit de ne mettre personne à l'index, mais de travailler de manière concertée et respectueuse pour obtenir des résultats efficaces. Vous ne trouverez pas chez moi des grandes déclarations de l'incantation pour n'aboutir à aucun résultat. Donc nous nous habituerons à vivre ensemble. Je dirai parfois peu mais pour essayer de faire. En la matière je dois faire. Parce qu'aujourd'hui le fonctionnement du travail détaché en Europe et en particulier en France est quelque chose qui affaiblit l'idée européenne, et quelque chose qui nourrit les extrêmes et, en quelque sorte, la haine de l'autre. C'est d'ailleurs aussi ces dysfonctionnements qui ont, pour parti, nourrit les débats du Brexit. Donc, nous devons nous atteler à ce sujet. Quand nos concitoyens ne comprennent plus le fonctionnement de l'Europe, c'est qu'elle ne va pas droit. Il faut être là-dessus éminemment pragmatique également. Pour M. Trump, il ne m'appartient pas de faire des commentaires psychologiques. J'ai eu face à moi un interlocuteur efficace et pragmatique que j'ai trouvé très ouvert et avec lequel nous avons eu une discussion de travail franche et amicale. »
Jean-Claude Junker : « J'espère qu'il n'a pas encore envoyé un tweet à mon sujet. Merci tout le monde. »