Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur les nouveaux statuts de la Banque de France et la politique monétaire, Paris le 7 janvier 1994.

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Circonstance : Installation du Conseil de politique monétaire à Paris le 7 janvier 1994

Texte intégral

Monsieur le Vice-Président du Sénat,
Madame le Vice-Président de l'Assemblée Nationale,
Monsieur le Président du Conseil Economique et Social,
Monsieur le Gouverneur,
Madame et Messieurs les Membres du Conseil de politique monétaire et du Conseil général de la Banque de France,
Mesdames,
Messieurs,
En installant le Conseil de la politique monétaire et le Conseil général de la Banque de France, j'ai la conviction d'ouvrir une nouvelle et importante période de l'histoire monétaire de la France. Les nouveaux statuts de la Banque de France lui confèrent la mission de définir et de mettre en oeuvre la politique monétaire dans le but d'assurer la stabilité des prix. Il s'agit là d'une très importante réforme qui prend sa place, toute sa place, dans un ensemble de réformes de structure visant à donner à notre économie plus de liberté donc plus d'efficacité et auquel j'attache un grand prix.
J'ai souhaité que ce nouveau statut d'indépendance puisse être mis en oeuvre rapidement. En effet, j'ai la conviction qu'en conférant à la Banque centrale l'indépendance dans la définition et la mise en oeuvre de la politique monétaire l'on renforce encore l'efficacité de cette politique et la crédibilité de notre monnaie.
A ce tournant dans l'histoire de la Banque de France, réfléchir aux réponses à donner à chacune des trois questions suivantes s'impose :
- Qu'est ce que la Banque de France aujourd'hui ?
- Pourquoi cette loi nouvelle d'indépendance ?
- Et, enfin, comment mettre en oeuvre le mieux possible cette indépendance dans notre démocratie ?
D'abord, qu'est ce que la Banque de France aujourd'hui ?
A la veille de l'entrée en vigueur de son nouveau statut, la Banque de France est une banque centrale de plein exercice, aux responsabilités étendues et bien insérée dans le tissu économique et social de la Nation.
Organisme à l'origine de droit privé, la Banque de France, créée par le Premier Consul afin de répandre l'usage du billet de banque, s'est imposée progressivement comme la banque des banques et, de ce fait, est véritablement devenue au dix neuvième siècle une grande banque centrale.
La fonction qu'elle a dès lors assumée lui a conféré le rôle central au sein du circuit des règlements et du système monétaire et en a fait un élément clé de la confiance du public dans la monnaie. Il lui est revenu d'assurer le refinancement du système bancaire et d'être l'indispensable garant de l'équilibre de ce qu'on appellera plus tard le marché monétaire.
Durant ces mutations, la Banque de France n'a jamais cessé d'être au contact direct des forces productives du pays, notamment des entreprises. C'est une tradition constante de cette maison et, permettez-moi de le dire, une tradition fort opportune.
La Banque de France, créée en 1800, changera de statut avec les réformes successives de 1806, de 1936, de 1945 et de 1973. En 1936, les régents représentants les actionnaires ont été remplacés par des conseillers, pour la plupart nommés par le pouvoir exécutif. En 1945, il fut décidé de transférer à l'Etat le capital de la Banque. Et en 1973, un cadre nouveau modernisé a été donné à l'Institution pour lui permettre de s'adapter aux très importantes évolutions intervenues dans le domaine des techniques financières et du crédit.
A la veille de la mise en oeuvre de la loi de 1993, la Banque de France apparaît ainsi comme Institution monétaire de plein exercice, entièrement impliquée dans toutes les grandes fonctions d'une banque centrale : la stabilité des prix, la sécurité du système bancaire à travers le contrôle prudentiel des établissements de crédit, la surveillance et la sécurité des systèmes de paiement. Ces missions fondamentales, ainsi que l'ensemble de ses autres activités de service public et d'intérêt collectif, la Banque centrale les exerce en veillant à garder un contact étroit avec le tissu économique de la Nation.
D'une manière plus générale, la Banque de France a su accompagner avec efficacité, au cours de toutes ces dernières années, la modernisation de l'économie et du système financier ainsi que celle de la place de Paris.
Pourquoi alors cette loi nouvelle d'indépendance ?
Si le Gouvernement a pris la décision de proposer au Parlement la modification des statuts de la Banque de France lui donnant l'indépendance c'est que, depuis l'adoption des précédents statuts en 1973, l'environnement financier s'est transformé, la conception de la politique monétaire, les objectifs, qu'on lui fixe, aussi bien que les canaux de transmission par lesquels elle s'exerce, ont beaucoup évolué. Dans la situation d'aujourd'hui, l'indépendance de la Banque centrale permet, à mes yeux, d'améliorer encore l'efficacité de la politique de stabilité des prix, de conforter la crédibilité internationale de notre monnaie et de donner par là même à notre économie, et ceci durablement, le meilleur environnement financier possible.
J'ai toujours pensé que la stabilité des prix était une condition nécessaire, sinon toujours suffisante, d'une croissance durable. Cette stabilité suppose notamment la mise en oeuvre d'une politique monétaire efficace orientée clairement et explicitement vers ce but. En pratique, l'expérience internationale a effectivement montré l'intérêt de centrer l'action des autorités monétaires sur cet objectif final de stabilité des prix. Encore faut-il que l'Institut d'émission puisse être assuré de la continuité, de la permanence de son action.
En vérité, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, c'est la crédibilité qui apparaît maintenant comme étant la valeur clé, la condition du succès.
Il y a dix ans encore, les autorités disposaient d'un arsenal réglementaire contraignant avec l'encadrement du crédit des procédures administratives en grand nombre et notamment le contrôle des changes.
Puis-je rappeler que c'est entre 1986 et 1988, lorsque j'avais en charge le Ministère de l'Economie et des Finances, que l'encadrement du crédit et le contrôle des changes ont été démantelés.
Aujourd'hui, partout dans le monde, les barrières réglementaires ont été levées, le décloisonnement des marchés s'est généralisé et ceux qui pensaient pouvoir s'isoler à l'abri de protections administratives illusoires se sont rendus compte que le coût de cet isolement était prohibitif. On l'a vu partout et notamment à l'est de l'Europe.
Dans ce monde nouveau, l'efficacité des instruments de la politique monétaire dépend de la crédibilité de l'Institut d'émission lui-même. Une banque centrale non crédible, peu crédible ou simplement moins crédible à la suite de circonstances diverses et, en particulier, des vicissitudes de la vie politique nationale aura beau s'évertuer à conserver le contrôle de la situation monétaire et à prendre les mesures les plus rigoureuses : ses efforts seront largement fournis en vain. Les agents économiques et les marchés nationaux et internationaux n'en tiendront pas réellement compte, la stabilité interne et externe de la monnaie étant mise en doute systématiquement. Et c'est finalement l'économie toute entière qui souffrira autant de la dureté excessive des potions inutilement administrées que de l'absence de guérison.
En revanche, lorsque la crédibilité de la banque centrale est entière, la stabilité des prix peut être obtenue et maintenue par des mesures de politique monétaire appropriées, précisément mesurées. Et les taux de marché, en particulier les taux de moyen et de long terme, peuvent alors éliminer progressivement ce que l'on appelle dans le jargon des financiers les "primes de risque".
Pourquoi ne le dirai-je point ? Lorsque l'on constate -pour ne donner que cet exemple- que, Japon mis à part, nos taux de marché à cinq ans sont aujourd'hui avec les taux allemands, les plus bas au sein du groupe des "7", il y a lieu de s'en féliciter pour notre économie. Un tel résultat est le fruit non seulement de la politique de crédibilité monétaire que le Gouvernement, a adoptée mais aussi, je le crois, de la réforme de la Banque de France que j'ai proposée dès la formation du Gouvernement et que M. ALPHANDERY a défendue devant le Parlement.
Tous les pays arrivent progressivement aux mêmes conclusions sur l'opportunité de l'indépendance des Banques centrales. Nous en avons eu tout récemment encore de nouvelles illustrations, ici et là, en Europe et hors d'Europe. Et je suis sûr que la nouvelle Banque de France disposant de la plénitude de ses responsabilités monétaires comme le Système de Réserve Fédérale aux Etats-Unis, comme la Bundesbank en Allemagne, notamment, sera elle-même imitée par beaucoup d'autres Instituts d'émission.
C'est bien d'ailleurs parce que l'indépendance de la Banque Centrale est apparue comme étant au total le meilleur mode d'organisation institutionnel que cette conception a été retenue dans le processus d'union monétaire européenne.
Sachez-le, Monsieur le Gouverneur, je veillerai moi-même scrupuleusement à l'indépendance de la Banque de France, dans le respect de la loi. Vous ne devez, Madame et Messieurs, ni solliciter, ni accepter d'instructions ni du Gouvernement, ni permettez-moi de le rappeler ici, de toute autre personne.
Le pays remet entre vos mains une fonction essentielle. Vous êtes de par la loi les gardiens de la monnaie. C'est une très lourde responsabilité qui met l'Institution elle-même et chacune, chacun d'entre vous dans la situation de devoir toujours décider en son âme et conscience.
Je vous demande d'exercer cette responsabilité avec le souci constant de l'intérêt supérieur de notre pays, de sa monnaie et de son économie. Je sais que c'est ce que vous ferez et j'ai, pour ma part, toute confiance dans votre action.
Mais une banque centrale indépendante n'est pas pour autant une banque centrale qui aurait coupé l'ensemble de ses relations avec les autres institutions de notre société démocratique. C'est cette remarque qui inspire ma réponse à la troisième question : comment mettre en oeuvre le mieux possible cette indépendance ?
De ce point de vue, il y a trois mots que me paraissent être des mots-clés : cohérence, transparence, et ouverture d'esprit.
En premier lieu, la cohérence : toutes les banques centrales indépendantes doivent de par la loi -et sans qu'il soit porté le moindre préjudice à leur indépendance monétaire- apporter leur soutien à la politique économique générale du pays. C'est ce que dit la loi française. Je cite : "Elle accomplit -(la Banque centrale)- sa mission dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement". C'est aussi ce que dit la loi allemande et c'est ce que dit le traité de l'Union Européenne s'agissant de la future Banque centrale européenne.
Le Premier ministre et le Ministre de l'Economie peuvent participer aux séances du Conseil de la politique monétaire, sans voix délibérative. C'est une bonne chose car cela permet d'établir une communication directe entre le Gouvernement et l'autorité monétaire. Je n'exclus pas, Monsieur le Gouverneur, de faire à l'occasion usage moi-même de cette faculté comme le fait le Chancelier en Allemagne.
La cohérence est aussi nécessaire en matière de politique de change. Dans ce domaine également, la loi est très claire. J'en rappelle les termes : "Le Gouvernement détermine le régime de change et la parité du franc. Pour le compte de l'Etat et dans le cadre des orientations générales de la politique de change formulées par le Ministre chargé de l'Economie, la Banque de France régularise les rapports entre le franc et les devises étrangères. A cet effet, la Banque de France détient et gère les réserves de change de l'Etat en or et en devises".
Ainsi les responsabilités sont-elles précisément définies. Je note que l'on retrouve, au demeurant, le même concept ou un concept très proche dans les autres grands pays que j'ai déjà mentionnés.
La transparence ensuite :
Toute responsabilité importante en démocratie doit être exercée dans la transparence. La Banque de France n'est pas soustraite à cette loi de la démocratie.
Le Gouvernement et le législateur ont tenu à ce que les dispositions soient précises dans ce domaine.
Les statuts prévoient que le Gouverneur de la Banque de France adresse au Président de la République et au Parlement, au moins une fois par an, un rapport sur les opérations de la Banque de France, la politique monétaire et ses perspectives. Ils prévoient également que les comptes de la Banque de France seront transmis aux Commissions des Finances de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Les statuts prévoient également que le Gouverneur de la Banque de France est entendu, sur leur demande, par les Commissions des Finances des deux assemblées et peut demander à être entendu par elles. Nul doute qu'il y a là une excellente occasion pour le Gouverneur d'expliquer la politique monétaire que votre Conseil aura arrêtée, d'avoir des échanges à son sujet avec les élus du peuple et de nourrir ainsi le dialogue démocratique dans notre pays.
La transparence s'applique aussi à l'entreprise qu'est la Banque de France. Je n'oublie pas que je n'installe pas aujourd'hui seulement le Conseil de la politique monétaire -qui n'existait pas auparavant- mais aussi le nouveau Conseil général de la Banque, c'est-à-dire son conseil d'administration qui comprend, outre les membres du Conseil de la politique monétaire, le représentant élu du personnel et auquel participe le représentant de l'actionnaire. Il appartiendra naturellement au Conseil général de veiller avec soin à ce que l'établissement soit bien géré. C'est ce que lui demande son actionnaire qui est l'Etat. Cette bonne gestion est un élément supplémentaire de crédibilité nationale et internationale.
L'ouverture d'esprit enfin :
Au delà de la loi et de ses dispositions, je souhaite que la Banque reste, conformément à sa propre tradition, à l'écoute de l'économie et du monde des entreprises. Je sais que votre Institution dispose d'importants atouts dans ce domaine : le réseau des succursales, les conseils et comités consultatifs de responsables industriels et commerciaux dont la Banque sait s'entourer, les enquêtes de conjoncture dont les résultats sont toujours suivis par l'opinion avec une grande attention. A ce propos, Monsieur le Gouverneur, je vous signale que je lirai avec d'autant plus d'intérêt les résultats de votre enquête pour le mois de décembre que j'ai noté plusieurs éléments encourageants dans l'enquête que vous aviez publiée pour le mois de novembre.
Je considère, si je regarde en particulier ce qui se passe à l'étranger, que ce dialogue entre votre Institution et l'ensemble des acteurs économiques est très important. Il faut dans ce domaine à la fois écouter avec beaucoup d'attention mais aussi ne jamais manquer d'expliquer. Cela aussi fait partie de la responsabilité d'une Institution comme la vôtre dans notre démocratie. Et je suis sûr que le Gouverneur veillera à ce que cette double fonction soit assumée avec soin.
Vous avez, Monsieur le Gouverneur, Madame et Messieurs les membres du Conseil de la politique monétaire et du Conseil général, trois défis à relever. Celui de la stabilité monétaire à laquelle mon Gouvernement est profondément attaché parce que c'est le moyen le plus sûr de retrouver la croissance durable et la création d'emplois. Celui de la construction européenne avec la création de l'Institut monétaire européen depuis le début de cette année. Celui enfin de la gestion d'une entreprise composée de plus 16 000 femmes et hommes ayant des compétences exceptionnelles et porteurs d'une grande tradition.Je suis convaincu que vous aurez à coeur de conduire votre action pour le plus grand bénéfice de la monnaie et de l'économie de notre pays.