Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur l'action du gouvernement, à l'Assemblée nationale le 13 avril 1994.

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Circonstance : Débat sur la motion de censure à l'Assemblée nationale, Paris le 13 avril 1994

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Il y a un an, presque jour pour jour, je me présentais devant vous pour vous indiquer ce que seraient les grandes lignes de l'action du nouveau Gouvernement issu des élections.
Après une année, il apparaît plus clairement, encore, que l'ampleur historique de la victoire de la nouvelle majorité était liée à la gravité de la situation que nous héritions alors.
Où en était notre pays ? C'est là la question que l'on doit se poser pour évaluer les mesures que nous avons prises, et les résultats qu'elles commencent à avoir.
Notre pays, tout le monde en convenait alors, se trouvait dans une situation morale difficile, la justice était en crise, les Français doutaient de l'avenir face à une immigration mal contrôlée. L'insécurité progressait rapidement.
Sur le plan international, la position de notre pays était également inconfortable. Rappelons seulement les menaces lourdes qui pesaient sur nos agriculteurs, du fait d'une réforme hâtive de la politique agricole commune sans liaison avec les négociations commerciales internationales. Bref, il y a de cela douze mois, notre pays doutait de lui-même.
Mais la crise la plus sérieuse, la plus grave que connaissait la France, était bien une crise économique et sociale. Arrivés au Gouvernement pour redresser le pays, nous n'avons pas souhaité que l'accent fut mis trop longtemps sur le bilan, afin de sortir les Français du pessimisme qui les envahissait ; ce qui importait, pour la France, c'était d'être remise dans la bonne direction.
Il fallait le faire dans tous les domaines. C'est ainsi qu'il a fallu réformer la Constitution pour mieux garantir l'indépendance de la justice, réformer le code de la nationalité, mettre en place des règles permettant de lutter avec efficacité contre l'insécurité.
La motion de censure d'aujourd'hui, déposée contre le Gouvernement, par ceux là même qui sont responsables de la situation que nous avons héritée, et qui ont dirigé durant douze années notre pays, m'oblige à rappeler certaines vérités. Car enfin, au printemps 1993, jamais notre pays, depuis la seconde guerre mondiale, n'avait connu une situation économique et sociale aussi grave. Le déficit budgétaire prévisible était alors de 340 milliards de francs. A peine un trimestre avant notre arrivée, l'Assemblée nationale, avait adopté la loi de finances pour 1993 avec un objectif de croissance de 2,6 % que tout le monde savait irréaliste et un déficit affiché inférieur de 50 % à la réalité. La France n'était en effet pas en croissance, mais bien en récession. Entre + 2,6 % croissance annoncée par nos prédécesseurs et - 0,75 % résultat de 1993, il y a une certaine différence.
La majorité sortante, défaite par les élections, nous laissait un pays qui reculait.
Les finances sociales étaient également dans une situation de crise très grave. Pour les seuls régimes maladie et vieillesse, les déficits pour 1993 s'élevaient à plus de 50 milliards de francs et le déficit cumulé à plus de 100 milliards de francs. Les prévisions de déficit cumulé pour 1994 dépassaient les 180 milliards. Enfin, la crise économique se traduisait par la faillite d'une idée chère au Gouvernement précédent, celle de l'économie mixte. A elles seules, trois entreprises du secteur public : Air France, Bull et le Crédit Lyonnais ont vu leurs pertes s'élever à 20 milliards de francs en 1993. Si on totalise les résultats des entreprises publiques en 1993, on obtient un déficit global de l'ordre de 30 milliards de francs.
Ces pertes, sanction de la gestion précédente et reflet d'une vision dépassée de l'économie, devront être supportées d'une manière ou d'une autre par les contribuables français. Ce n'est que grâce à la reprise des privatisations que l'Etat pourra apporter, aux entreprises publiques, le soutien dont elles ont besoin et dont elles ont été privées par les gouvernements précédents. La réalité de la gestion des années passées est bien celle-là. Je voudrais qu'on ne l'oublie pas trop vite ! Enfin, et puisque Mesdames et Messieurs de l'opposition vous avez bien voulu en faire le thème du débat d'aujourd'hui, enfin, il y avait le problème du chômage.
Comment décrire en peu de mots et en peu de chiffres, une réalité que trop de Français connaissent ? En mars 1993, les demandeurs d'emplois étaient, en France, au nombre de trois millions. Dans le trimestre précédent la formation du nouveau Gouvernement, ce nombre s'était accru de 60.000. Sur cette lancée, le nombre de chômeurs a encore augmenté de 95.000 au deuxième trimestre. C'était le fruit de la gestion socialiste. Depuis 1981, il s'était accru de près de 1,5 million. C'est aussi cet échec là qui fut sanctionné par les Français, il y a un an. Pourquoi faut-il, Mesdames et Messieurs de l'opposition que vous l'oubliez si vite et que, cédant un peu vite à la facilité et s'imaginant que les Français ont la mémoire courte, certains parmi vous nous annoncent qu'ils auraient trouvé, comme par miracle, le moyen de créer des millions d'emplois. C'est bien tard !
Face à cette situation, le Gouvernement a pris des mesures importantes et s'est fixé des objectifs. Nous avons voulu sauver la protection sociale à la française et, pour cela, nous avons immédiatement pris des mesures difficiles mais que nous jugions indispensables. Les Français l'ont compris et nous savent gré d'avoir, en particulier, sauvé le système de retraites auxquels ils sont légitimement attachés.
Il fallait également sortir de la récession et tout faire pour retrouver la croissance. Ce fut l'objectif du collectif budgétaire et du plan de redressement que nous avons mis en oeuvre. Dans le même temps, et pour éviter à notre pays la spirale des déficits et de l'endettement hérité du précédent Gouvernement, il fallait reprendre la maîtrise des finances publiques. Ce fut la loi quinquennale de maîtrise des déficits et la reprise d'un ambitieux programme de privatisation.
Enfin, le Gouvernement et la majorité ont pris, ensemble, un certain nombre de mesures pour lutter contre le chômage et développer l'emploi.
Le projet de loi relatif au développement de l'emploi et à l'apprentissage vous a été présenté dès le mois de juin 1993. Ce texte prévoit la mise en oeuvre d'un allégement important du coût du travail sur les bas salaires. Le même texte a prévu la mobilisation de tous les moyens juridiques et financiers dont l'Etat disposerait alors, en faveur de l'apprentissage et de la formation en alternance pour les jeunes.
Dans un deuxième temps, la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle a permis d'engager sur le moyen terme la politique de réforme que la majorité appelait de ses voeux. Aménagement des règles du droit du travail, sans toucher aux droits acquis, incitation à l'innovation dans l'organisation et la durée du travail, refonte et simplification du système de formation professionnelle : tels sont les principaux objectifs de la loi quinquennale qui encourage, dans tous les domaines, la préservation et le développement de l'emploi. Le gouvernement entend continuer à appliquer cette loi.
Des décrets d'application sont régulièrement publiés. Bien entendu, rien n'est publié qui n'ait fait l'objet auparavant d'une concertation approfondie avec les partenaires sociaux.
Nous avons tiré la leçon de l'incompréhension qui a accompagné la sortie du décret sur le contrat d'insertion professionnelle. Grâce à la concertation, le Gouvernement a pu mettre en place un système alternatif au C.I.P. en faveur de l'emploi des jeunes. Ce mécanisme consiste à accorder aux entreprises, qui embauchent un jeune pour un emploi durable de dix-huit mois, une prime de 2.000 francs par mois pendant neuf mois pour une embauche avant le 1er octobre, puis de 1.000 francs pour les embauches faites après le 1er octobre. Parallèlement, les partenaires sociaux ont été invités à améliorer les dispositifs de la formation en alternance. Grâce à ce dispositif, environ 300.000 jeunes pourront trouver plus facilement un emploi en 1994.
Déjà les premiers résultats apparaissent, résultats que nul ne peut honnêtement contester. Pour les trois derniers mois, dont les statistiques nous ne soient connues, le chômage a crû de 9.000 personnes, 9.000 personnes c'est trop, mais dois-je rappeler que pour une période comparable l'an passé, au temps de la gestion précédente, le chiffre était de 60.000. Le mouvement de décélération doit être poursuivi mais il n'est pas contestable. Les contrats d'apprentissage de mars 1993 à mars 1994, sont en progression de 76 %. Les contrats de qualification de 36 %. Depuis six mois, les offres d'emplois ont progressé de 59 %. Alors, permettez-moi de vous le dire, je trouve particulièrement mal venus ceux qui critiquent sur ce plan l'action du Gouvernement, alors même qu'ils sont les responsables de cette situation que nous avons trouvée.
Cette amélioration de la situation de l'emploi, dont je rappelle qu'elle est encore trop lente, reflète le retour de la croissance économique.
Ainsi, tout le monde aujourd'hui s'accorde à penser que la croissance sera de l'ordre de 1,5 % cette année et supérieure à 2 % en 1995.
Certains secteurs, pour lesquels le gouvernement a engagé une action de soutien particulière, sont particulièrement significatifs. En matière de logement, le nombre des mises en chantier au premier trimestre 1994 est supérieur de 25 % à ce qu'il était, il y a un an. L'automobile, secteur qui a beaucoup souffert de la récession, voit sa croissance repartir. Les immatriculations ont augmenté de 30 % depuis que le Gouvernement a mis en oeuvre la "prime de 5.000 francs" et la faculté de déblocage anticipée de la participation.
Le Gouvernement va continuer dans la voie qu'il s'est fixée il y a un an, celle d'une réforme profonde de notre société. D'une réforme qui tienne compte des aspirations au changement des Français, mais également de leur inquiétude devant un monde que, souvent, ils ne comprennent plus. Cette méthode, que j'ai voulue attentive au souhait du plus grand nombre, a reçu une bonne illustration au début de cette semaine avec le succès du référendum proposé à l'ensemble des salariés par les dirigeants d'Air France auxquels je rends hommage. Ce succès, c'est celui du dialogue. La nécessité de la réforme a été comprise, celle de la méthode qui m'est chère également. Aujourd'hui, elle est admise et acceptée par l'ensemble des salariés. Air France va pouvoir aller de l'avant, grâce à l'aide considérable que le Gouvernement a décidé de lui apporter.
De la même manière, les Français ont compris l'action du Gouvernement, ils la soutiennent comme ils l'ont montré lors des dernières élections cantonales. Les idées que nous défendons sont toujours largement majoritaires dans le pays. La session qui s'ouvre et qui sera d'abord marquée, j'en suis convaincu, par l'échec de cette motion de censure présentée par les groupes socialistes et communistes, sera consacrée à la poursuite du redressement de notre pays.
De grandes lois seront débattues devant vous. Je pense à la loi de programmation militaire, que la majorité précédente n'était pas parvenue à mettre sur pied malgré l'importance qu'elle revêt à la fois pour la défense de notre pays, mais aussi pour l'industrie c'est-à-dire pour l'emploi.
Je pense à la loi sur la famille et la protection sociale.
Je pense à la loi sur l'aménagement du territoire qui conclura le grand débat qui depuis un an, s'est déroulé dans l'ensemble des régions françaises, et qui sera l'une des plus importantes réformes de société.
Votre Assemblée devra également se pencher sur une réforme de la justice qui a vu les conditions matérielles de son fonctionnement se dégrader régulièrement depuis de longues années, à une loi sur la police qui doit être dotée des moyens lui permettant d'agir plus efficacement. Avec l'ensemble de ces lois ce sont les fonctions régaliennes de l'Etat que le gouvernement entend conforter. C'est la condition de son efficacité.
Notre société a besoin de réformes audacieuses dans bien des domaines.Avec la majorité qui ne lui a jamais fait défaut, et que je remercie de son soutien, le Gouvernement a commencé de les mettre en oeuvre. Il ne se laissera pas arrêter par ceux qui incarnent l'échec des années passées. C'est ce que les Français attendent de nous : redresser la barre, mettre en oeuvre le renouveau, sortir notre pays de l'ornière, le préparer à faire face aux défis qu'il doit affronter. Oeuvre difficile, mais oeuvre exaltante : tous ensemble, majorité et Gouvernement solidaires, nous l'avons commencée, nous la continuerons jusqu'au succès.