Texte intégral
R. Elkrief
C'est un jour très pénible pour nous, à RTL, puisque nous avons eu cette nouvelle de la mort de notre confrère P. Billaud. Comment réagissez-vous à cette nouvelle ?
- "Avec beaucoup d'émotion et de tristesse. Je voudrais présenter à sa famille, mes condoléances et celles du Gouvernement. En même temps, on se rend compte, à travers ce drame que, quand on entend les reportages des journalistes, on a l'impression que c'est un peu distancié. Ce sont des femmes et des hommes qui exposent leur vie pour faire leur métier et il faut donc les saluer avec énormément d'émotion et de respect."
Comment appréciez-vous la situation ? On voit une reconquête, très rapide en ce moment, de l'Alliance du Nord ?
- "Sur le plan militaire, il est évident qu'avec les forces qui sont engagées, l'Alliance du Nord progresse et va progresser encore. Après, la prochaine question, c'est ce qui va se passer à Kaboul, parce qu'il faut trouver une solution immédiate, mais surtout une solution politique. C'est à cela qu'on travaille. En même temps, [il faut] arriver à débusquer Ben Laden le plus vite possible. Je pense que sur le plan militaire, les choses avancent."
Vous revenez de Doha et de Chine, où vous étiez quelques jours auparavant - la Chine qui a fait son entrée à l'OMC. Etes-vous optimiste ou est-ce qu'on s'achemine vers un Seattle-bis ?
- "J'étais en Chine pendant plusieurs jours avec des responsables économiques, pour faire avancer nos projets économiques en Chine. Ensuite, j'ai commencé la discussion à Doha, à l'OMC. F. Huwart, le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, continue aujourd'hui. D'abord, une première chose : cette réunion de Doha, précisément, est marquée par l'entrée de la Chine dans l'OMC. Jusqu'à présent, la Chine n'en faisait pas partie, et cela donne donc vraiment sa dimension mondiale à l'OMC - parce que la Chine, c'est 1,3 milliard d'habitants, et l'organisation devient mondiale. Sur le fond maintenant, on souhaite un accord, évidemment. En effet, surtout dans une période où la croissance est un peu déprimée, c'est une bonne chose d'arriver à mieux contrôler les règles du commerce et à développer celui-ci, mais pas un accord à n'importe quel prix. Il y a déjà, d'après les informations que j'ai eues cette nuit, une perspective d'accord sur les médicaments. La France a poussé beaucoup en ce sens, parce qu'il est tout à normal que les pays, en particulier pauvres, puissent disposer de médicaments contre le Sida sans être rançonnés. Mais il reste beaucoup de choses sur la table."
Sur l'agriculture, est-ce que l'Europe, et notamment la France, résistera jusqu'au bout ?
- "J'ai dit clairement aux négociateurs américains qu'il n'est pas question qu'on démantèle la politique agricole européenne qui est accusée de tous les maux, alors que les Américains font à peu près la même chose, et que d'autre part, nous sommes les premiers importateurs du monde. Donc, ce serait quand même paradoxal de dire qu'on est protectionniste alors qu'on importe plus que tous."
Prendra-t-on le risque d'un échec de la conférence ?
- "On cherche un succès, mais on ne va pas obtenir ce succès à n'importe quel prix. Et il y a la question de l'environnement, la question de normes sociales, et plus généralement, comment faire un accord qui à la fois profite à tout le monde pour l'emploi, en particulier aux pays en développement. J'ai quitté Doha avant hier avec le sentiment que tout le monde voulait avancer. Le problème est que c'est une organisation qui marche par consensus. Il y a 142 pays et il faut que les 142 soient d'accord. Vous voyez la difficulté."
Les prévisions de croissance sont assez pessimistes. Le FMI voit 1,6 % de croissance pour 2002, en France, alors que vous étiez entre 2,25 à 2,5. Est-ce que cela va influer sur votre politique économique ?
- "Deux remarques : d'abord, je crois qu'il faut toujours être très prudent sur les chiffres, mais en particulier en ce moment, parce qu'on ne peut pas fixer à une décimale près, exactement, la croissance l'an prochain. Un exemple : la décision prise la semaine dernière, que je salue, de la BCE, de baisser les taux d'intérêt, a un effet positif sur notre croissance."
Dans quelques mois seulement ?
- "Oui, mais en revanche, effet immédiat : la baisse du prix du pétrole qui est beaucoup plus forte que celle qu'on avait anticipée. Et on parlait de l'Afghanistan. Si des succès militaires se confirment, si on arrive à mettre la main sur Ben Laden, évidemment, cela aura un effet important sur l'économie. Donc, je suis très prudent sur les chiffres. Il peut y avoir de bonnes surprises ou de mauvaises surprises. Maintenant, la France n'est pas à l'écart du ralentissement international, nous ne sommes pas sur une île, séparés de tous les autres. Mais ce qui est sûr, c'est que notre croissance, cette année, comme l'an prochain, sera nettement plus forte que nos voisins. Donc, il faut toujours comparer. Quand je prends notre principal voisin et ami, l'Allemagne, nous avons, cette année, une croissance qui sera de plus de 1 % plus forte que lui. Ce sera probablement la même chose l'an prochain. Ce qui veut dire que dans un environnement international qui est le même pour tout le monde, nous arrivons tout de même, même s'il faut encore progresser, à avoir des performances qui sont plus fortes que d'autres, et on travaille en ce sens. Ce n'est pas le fruit du hasard. Les décisions qu'on a prises sur le plan du budget pour encourager l'emploi, encourager l'environnement, encourager la sécurité - A. Duhamel en parlait il y a un instant -, le plan de consolidation de croissance que j'ai proposé avec le doublement de la prime pour l'emploi, l'aide à l'investissement dans des secteurs particuliers, c'est cela qui permet de conforter la croissance."
E. Guigou a accordé quelques crédits aux cliniques, le Président Chirac a parlé d'un deuxième porte-avions. Il faut aussi penser aux dépenses de sécurité dont parlait A. Duhamel...
- "Vous avez raison de penser à tout cela."
On a les moyens de se payer tout cela ?
- "Un Porte-avions, c'est très bien, tout le monde le souhaite. Quand on prend les dépenses séparément, en elles-mêmes, chacune est légitime. Mais enfin, un porte-avions, cela coûte 20 milliards. Donc, il faut mettre la recette en face de la dépense. Et comme dans le même temps, on dit qu'il faut baisser les impôts, qu'il faut limiter les dépenses..."
Et les cliniques ?
- "Cela fait de l'argent aussi."
Vous n'êtes pas content ?
- "Non, ce n'est pas en ces termes que cela se pose. Mais il en est d'un pays comme d'une famille, en la matière comme pour le reste : on ne peut pas dépenser plus que ce qu'on a."
Vous regrettez qu'elle ait accordé ces crédits ?
- "Non, c'est une décision générale. Et tout le monde sait qu'en matière hospitalière, il y a beaucoup de choses à faire. Ce n'est pas à cause de ma fonction - simplement, je suis le responsable des finances -, mais d'une manière générale, je dis à l'ensemble des responsables politiques, droite et gauche, que les dépenses, c'est très bien, mais qu'il faut aussi faire attention à ne pas excéder nos moyens."
Deux questions très brèves et deux réponses très brèves, s'il vous plaît : L. Jospin doit-il très vite commencer sa campagne, comme l'y appellent quelques uns de ses amis ? Et, deuxième question : comment accueillez-vous le retour de D. Strauss-Kahn sur la scène politique ?
- "Pour Dominique, c'est très bien, parce qu'à chaque fois que justice est rendue, c'est une bonne chose. Je pense à ce qu'il a dû endurer pendant un an ou deux. Cela fait beaucoup."
Vous avez eu le même type d'expérience.
- "Si l'on peut dire. Pour L. Jospin, Lionel est Premier ministre, il fait son travail de Premier ministre. S'il décide d'être candidat - ce qui n'est pas un suspens absolument insoutenable ! - le moment venu, il se mettra en piste."
Ne faut-il pas accélérer ?
- "Non, il faut aller à son rythme et surtout travailler sur le fond des arguments. Vous savez que le PS va publier notre bilan. On n'a pas tout réussi, mais il y a eu beaucoup d'avancées. On a la chance, indépendamment même des candidats, d'avoir des équipes de grande qualité, d'avoir un bilan qui n'est pas mauvais et d'avoir un projet fort. C'est à partir de cela qu'il faut avancer."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 22 novembre 2001)