Entretien de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, avec RFI et France 24 le 8 septembre 2017, sur la construction européenne.

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Média : France 24 - Radio France Internationale

Texte intégral


Q - Bonjour à tous. Merci de nous rejoindre sur RFI et France 24 pour la rentrée d'Ici l'Europe et nous vous proposons aujourd'hui une invitée qui sait tout de la vision européenne d'Emmanuel Macron puisqu'elle n'est autre que sa ministre chargée des affaires européennes, Nathalie Loiseau, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Après une longue carrière de diplomate, vous avez pris la direction de l'ENA, l'École nationale d'administration en 2012. En juin vous entamez une nouvelle vie en entrant au gouvernement, depuis vous êtes de tous les déplacements du chef de l'État, dans les déplacements européens évidemment puisqu'il a promis de se rendre dans tous les pays de l'Union au cours de la première année de son mandat, avec un objectif bien précis, un grand chantier en tête, la refondation de l'Europe.
Alors Nathalie Loiseau, le président français, on l'a vu, a de grands projets pour l'Europe. Quelle est votre feuille de route à vous très concrètement ?
R - Concrètement, le président français est le seul des candidats à l'élection présidentielle à avoir fait campagne en faveur de l'Europe. Il a été élu, cela a été un soulagement considérable partout à travers l'Union européenne, que l'on a senti tout de suite. Non seulement il se déplace partout dans l'Union, et je l'accompagne, mais toute l'Europe vient en France rencontrer ce président français pro-européen. Mais pro-européen, cela ne veut pas dire pro-européen béat, naïf ou considérant que le statu quo doit continuer.
L'Europe a besoin d'évoluer. L'Europe, de toute façon, va évoluer, va passer de 28 à 27, il faut qu'elle aille plus vite, plus fort, qu'elle réponde mieux aux attentes des peuples européens, une attente de protection, que ce soit dans les négociations commerciales internationales - l'Europe c'est la mondialisation régulée, la mondialisation à visage humain - mais aussi en matière de lutte contre le terrorisme, de réponse au défi du changement climatique, au défi migratoire, d'Europe de la défense, cela veut dire une Europe qui bouge considérablement par rapport à ce qu'elle était il y a encore quelques mois.
Q - Alors il a choisi de faire sa rentrée justement en Europe, avec une tournée en Europe de l'Est où il est allé chercher des alliés pour sa première réforme très concrète, celle de la directive sur le travail détaché. Il a obtenu pas mal de soutien, les Tchèques, les Slovaques, les Roumains, les Bulgares et puis il a aussi déclenché une mini-crise avec la Pologne. Alors est-ce que c'est vraiment la meilleure façon de vouloir refonder l'Europe en taclant comme cela des pays qui peuvent être aussi des partenaires ?
R - La Pologne est un partenaire, c'est un grand pays dans l'Union européenne. La Pologne a commencé en disant «on ne bougera pas sur les travailleurs détachés, la directive, telle qu'elle existe depuis 96, nous va parfaitement». Depuis, et après quelques échanges verbaux assez fleuris, la Pologne a bougé en disant finalement «c'est vrai qu'il faut une révision de la directive travailleurs détachés». Et on veut parler d'une compétition loyale, on veut parler surtout d'une amélioration de la protection sociale des travailleurs partout à travers l'Europe. Le projet européen, c'est un projet de convergence.
Q - Mais quand vous dites la Pologne s'est dite récemment prête à un compromis, elle est prête à un compromis qui exclut le secteur des transports qui est un secteur très important, en particulier pour elle, 300.000 routiers. Alors est-ce que cela c'est vraiment un compromis selon votre desiderata et à votre sauce ?
R - Nous n'avons aucune intention de limiter le développement de ce secteur, mais aucune raison non plus de considérer que, dans un secteur particulier, on utiliserait des facilités du régime du travail détaché et qu'on utiliserait en plus des exceptions, qu'on viendrait, par exemple par le biais du cabotage, faire une concurrence déloyale en matière de transport national à des entreprises nationales. C'est là où se pose notre position, c'est vrai que certains pays préfèrent entretenir le flou en disant : voilà mais dès qu'on touche au travail détaché, on touche au secteur du transport. Ce n'est pas exact.
Q - Oui, mais la Pologne n'est pas la seule dans ce cas parce que les Espagnols, les Portugais, les Bulgares, énormément de pays sont concernés par le secteur du transport. Et puis deuxièmement dans la réforme proposée par la France, on insiste beaucoup sur la durée maximale du travail, 12 mois maximum sur une durée de 2 ans, c'est bien cela ?
R - C'est cela.
Q - Alors est-ce que le président Macron a une majorité pour une réforme aussi stricte ?
R - L'avenir le dira parce qu'évidemment on n'est pas encore en train de voter. En revanche, la lutte contre les abus, la lutte contre les fraudes, l'utilisation d'un régime particulier au détriment d'une concurrence loyale, ça c'est ce contre quoi nous voulons lutter. Sur la durée maximum, quand on parle de 12 mois maximum dans une limite de 24 mois, quelle est la réalité aujourd'hui sur le terrain ?
Q - Il n'y a pas de contrôle.
R - Le temps moyen du travail détaché en Europe, c'est 4 mois. Donc, quand on est à un plafond de 12 ans, on n'est pas irréaliste, on n'est pas en train d'empêcher les travailleurs détachés de travailler, on est en train de lutter contre un détournement de procédure. Quand vous restez plus d'un an dans un pays autre que le vôtre, vous n'êtes pas un travailleur détaché, vous êtes un expatrié et à partir de là, ce sont d'autres règles, qui doivent s'appliquer.
Q - Dans une tribune publiée dans la presse française, Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre belge, met en garde l'Élysée, «ne nous trompons pas de combat, dit-il, le problème avec la Pologne, ce n'est pas le travail détaché, c'est l'État de droit». Est-ce que la France soutient suffisamment, et j'insiste sur ce suffisamment, la Commission européenne qui n'a toujours pas de réponse de Varsovie sur cette réforme très controversée de son système judiciaire ?
R - Guy Verhofstadt a doublement raison. D'abord, ce n'est pas forcément un problème, la question des travailleurs détachés. On arrivera, je l'espère et j'y crois, à un compromis. Là, on en arrive à la nature du gouvernement polonais aujourd'hui, à son positionnement à l'intérieur de l'Union européenne et c'est un positionnement qui pose problème, le président de la République l'a dit haut et fort, c'est même le premier chef d'État à être venu en soutien de ce que disait la Commission européenne, c'est très important. Depuis, Angela Merkel a fait la même chose. C'est très important, pourquoi ? Parce que certains à Varsovie pourraient être tentés de dire finalement que les critiques qui sont portées vis-à-vis des réformes en Pologne, ce sont des critiques de bureaucrates européens, anonymes non-élus qui ne rendent pas compte devant leur population, donc cela ne compte pas. Quand vous avez des pays comme la France et comme l'Allemagne qui disent : Attention l'Union européenne, ce n'est pas simplement un marché unique, ce sont des États membres qui sont réunis par des valeurs communes. Et on sait le combat que la Pologne a mené, le peuple polonais est un peuple formidable qui nous a inspiré, qui a inspiré toute l'Europe de l'Est. Son combat a conduit à toutes les révolutions de toutes les couleurs que l'on connaît.
Q - Et aujourd'hui il faut aller menacer de retrait du droit de vote, aller jusque-là ?
R - Aujourd'hui il faut aller vers un débat, il faut qu'en Pologne les vraies questions se posent : qu'est-ce que la Pologne attend de l'Union européenne ? Qu'est-ce qu'elle est prête à y apporter ? Être membre de l'Union européenne, ce sont des droits, ce sont aussi des devoirs et, en tout cas, c'est un socle commun et notamment un socle démocratique de séparation des pouvoirs, il n'y a aucune raison de faire des concessions là-dessus. Les anciens pays du bloc de l'Est ont rejoint l'Union européenne pour retrouver de la liberté, ce n'est pas pour en reperdre après.
Q - Il y a un autre pays qui fait de la résistance avec les règles européennes, c'est la Hongrie, qui cette semaine essuie un double revers, d'abord la Cour de justice de l'Union européenne a rejeté le recours qu'elle avait déposé avec la Slovaquie, parce qu'elle est contre ce plan de répartition obligatoire des réfugiés. Et puis, par ailleurs, elle a demandé de l'aide à Bruxelles pour financer le mur qu'elle a construit sur sa frontière avec la Serbie et Jean-Claude Juncker a opposé une fin de non-recevoir, et il a dit un peu sèchement et vertement que c'est un pays qui recevait déjà pas mal d'aides de l'Union européenne, qu'il fallait jouer le jeu. Quel message la France a-t-elle apporté à la Hongrie et aux autres partenaires du groupe de Visegrad ?
R - D'abord, la diplomatie cela consiste à parler à tout le monde et pas simplement aux gens qui vous ressemblent, sans quoi on ne parlerait pas forcément à beaucoup d'autres États. Le président de la République a déjà rencontré le groupe de Visegrad en juin à Bruxelles, en marge du Conseil européen. C'était un geste fort, c'était une reconnaissance de l'existence et de l'importance de ce groupe, cela a été compris par les quatre membres de Visegrad de cette manière-là.
Ensuite, vous parlez de la question de la gestion des flux migratoires. Pour nous, comme pour la Commission, gérer un afflux massif de demandeurs d'asile, comme cela a été le cas depuis 2015, cela nécessite de la responsabilité et de la solidarité, les deux vont de pair. Les pays qui accueillent, en première ligne, les demandeurs d'asile, la Grèce, l'Italie, ont la responsabilité de traiter de leur demande d'asile, mais l'ensemble des pays de l'Union européenne, quand arrive 1 million de demandeurs d'asile, comme cela a été le cas en 2015, doit faire preuve de solidarité. On ne peut pas prendre et choisir les politiques ou les mesures qui vous sont favorables dans l'Union européenne et s'écarter des autres, c'est un tout.
Q - Alors, le président Emmanuel Macron veut justement se rendre au plus vite dans toutes les capitales européennes, il y en a une qu'on oublie, cette semaine il était en Grèce où il a prononcé un grand discours sur la démocratie. On regarde tout de suite ce reportage.
(...)
Q - Nathalie Loiseau, c'est bien sûr le berceau de la démocratie, la Grèce, mais c'est aussi, dans l'histoire plus récente, l'épicentre de la crise financière qui a failli balayer la zone euro, qui a révélé ses faiblesses, un pays toujours écrasé par 180% de PIB de dette. Est-ce qu'il faut attendre l'élection allemande pour qu'on fasse un peu des cadeaux à la Grèce ?
R - D'abord c'est un pays qui est en train de s'en sortir, et c'est cela qu'Emmanuel Macron voulait dire et voulait saluer en allant en Grèce, saluer les efforts considérables qui ont été accomplis par les autorités et par le peuple grec. Il y a eu une austérité qu'on n'imagine pas en France, et parfois on aurait envie de dire à nos concitoyens, quand on touche à une mesure ou à une autre : «écoutez, regardez ce que d'autres pays dans l'Union européenne ont été capables de faire, on leur doit du respect pour ces mesures et pour leur application». Aujourd'hui la Grèce est en train de sortir de l'ornière, la croissance revient, la Grèce a émis un emprunt sur le marché au début de l'été, cet emprunt a été bien reçu...
Q - Donc, l'allégement de la dette grecque, parce que c'est le voeu du gouvernement, c'est le voeu des Grecs, quand est-ce que ce sera d'actualité ?
R - D'une part, la France a toujours été aux côtés de la Grèce depuis le début de la crise, la France en général, Emmanuel Macron en particulier, avant même d'être président de la République. On croit à la capacité de la Grèce de s'en sortir et c'était le message. Il a une histoire particulière dans le soutien à apporter et la générosité à avoir vis-à-vis d'un pays qui, pour s'en sortir définitivement, doit pouvoir compter sur le fait que le remboursement de sa dette sera lié - et cela a déjà été décidé - à son niveau de croissance, à sa santé économique. On ne peut pas demander à la Grèce de faire plus si elle va moins bien. Aujourd'hui elle va mieux, et donc la question se posera au fur et à mesure. On sera aux côtés de la Grèce, on sera attentif à la capacité d'investir en Grèce, et d'ailleurs des entreprises françaises croient à la Grèce aujourd'hui, beaucoup d'entreprises françaises n'ont pas quitté la Grèce, même aux moments les plus difficiles, et un certain nombre d'autres reviennent. Le président de la République était accompagné par des hommes d'affaires, par des patrons d'entreprises françaises, en Grèce.
Q - Dans toute l'Europe on attend les élections allemandes, Angela Merkel est donnée gagnante des prochaines législatives qui ont lieu le 24 septembre prochain. Le président Macron attend cette échéance pour relancer ce couple franco-allemand qui a toujours été moteur dans l'Union européenne...
R - Non, le couple il est déjà relancé. Dès après l'élection d'Emmanuel Macron, il s'est rendu à Berlin, vous allez me dire que c'est traditionnel, c'est vrai, mais c'était important de le faire ; il y a eu un conseil des ministres franco-allemand le 13 juillet à Paris qui a été extraordinairement substantiel, je le dis avec d'autant plus de joie que j'en suis le secrétaire général en quelque sorte.
Q - Angela Merkel est donnée gagnante pour l'instant malgré... est-ce que, elle, elle a donné des signaux de volonté de relance bien réelle, bien concrète, rapide ?
R - Très clairement. D'abord, disons-nous les choses, c'est vrai que les sondages sont ce qu'ils sont, que le suspense est plutôt mince, en tout état de cause, quel que soit le gagnant de l'élection allemande fin septembre, ce sera un parti pro-européen.
Je vous parlais du conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet. À cette occasion la chancelière, bien que déjà en campagne électorale, a donné des signaux très clairs, que notamment sur l'avenir de la zone euro, elle était favorable à davantage d'investissements, qu'elle était favorable à une meilleure gouvernance de la zone euro
Q - En même temps elle veut stopper les négociations avec la Turquie, elle l'a dit lors d'un débat télévisé, la France semble sur la même ligne, alors on en est où de cette candidature turque, elle va être gelée ?
R - Ce n'est pas exactement cela qu'elle a dit, et elle a répondu à une prise de position de son opposant politique dans le cadre d'un débat de campagne électorale, il faut remettre les choses dans leur contexte.
La réalité aujourd'hui c'est que, sur le terrain, les négociations d'adhésion entre l'Union européenne et la Turquie sont au point mort, rien n'avance, et rien n'avance parce que les autorités turques ne donnent aucun des signaux favorables que l'on attend pour que cela avance. Est-ce que cela veut dire que, pour l'éternité on clôt le débat de l'adhésion de la Turquie à l'Europe ? Sûrement pas. Mais est-ce qu'on est suffisamment réaliste pour se dire que ce n'est pas pour maintenant ? Évidemment.
Q - Un dernier mot d'un autre scrutin prévu cet automne, les Catalans veulent organiser un référendum sur l'indépendance. Il y a de plus en plus de régions européennes qui ont, comme cela, des velléités d'indépendance, est-ce que ce n'est pas un peu compliqué et comment l'Europe doit répondre à ces attentes, alors qu'elle a été fondée sur les États Nations et qu'elle aimerait un peu se refonder ?
R - On a de plus en plus besoin d'unité et la plupart des sujets, voire tous les sujets auxquels nous sommes confrontés, appellent à des réponses continentales. Le drame que vient de vivre, non seulement l'Espagne, mais la Catalogne, avec les attentats terroristes qui l'ont frappée, nous le montre à nouveau. C'est en étant plus uni, mieux coordonné, et en répondant au niveau le plus élevé possible, le moins local possible, que l'on peut être efficace.
Q - Merci Nathalie Loiseau d'avoir été notre invitée aujourd'hui.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2017