Texte intégral
Mes chers amis, je tiens tout d'abord à remercier les présidents de groupe qui ont bien voulu se prêter à l'organisation de cette réunion, réunion qui m'a parue utile lors de la rentrée parlementaire et à mi-course de la vie de ce gouvernement et de cette majorité, puisque nous avons maintenant une année d'existence. Je suggère que notre réunion soit organisée de la façon suivante : je vais vous adresser quelques mots - j'espère que ce ne sera pas trop long - pour faire un peu le point des choses, et puis nous irons dîner et il y aura ensuite trois tables rondes organisées autour des ministres : l'une consacrée aux problèmes de politique étrangère et de défense, l'autre consacrée aux problèmes économiques et sociaux et la troisième table ronde consacrée aux problèmes de l'Etat, de la justice, de la société, de la sécurité. Et chacun, bien entendu, ira comme il l'entend, assister à la table ronde qui l'intéresse le plus - ou à plusieurs d'ailleurs - et il pourra poser aux ministres présents les questions qui l'intéressent également le plus.
Nous voici donc à mi-chemin de la vie du gouvernement et je crois qu'il est utile que nous fassions le point. Lors de notre élection, il y a maintenant onze mois, nous avons en quelque sorte passé un contrat avec les Français. Ce contrat, c'était de sortir notre pays des difficultés graves qu'il connaissait depuis déjà plusieurs années. Je crois qu'il n'est pas utile que je revienne sur la description de la situation que nous avons trouvée - chacun la connaît - même si, peut-être, nous ne l'avons pas faite suffisamment. Je crois qu'on peut dire que l'année 1993, telle qu'elle s'est déroulée, a été pour la France, sur le plan économique en tout cas, une année extrêmement difficile. Mais nous avons cependant accepté de gouverner notre pays dans cette circonstance difficile et je tenais à le rappeler aujourd'hui parce que, lorsqu'on fait le point de la situation de notre pays, il est bon de rappeler celle qu'elle était il y a encore un an.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? Je tenterai de m'exprimer là-dessus dans un esprit de vérité et de sincérité, c'est-à-dire dans un esprit de mesure. De toute façon, je n'ai jamais caché la situation telle qu'elle était et si j'essaye de vous faire partager aujourd'hui le sentiment, qui est d'ailleurs le sentiment le plus largement répandu parmi les Français, c'est-à-dire que les choses commencent à changer quelque peu, je crois que nous avons, les uns et les autres, le droit de le dire. Il est vrai que la majorité et le gouvernement ont commencé leur tâche, comme il est de coutume en pareille circonstance, dans un sentiment et dans une atmosphère d'euphorie. Il est vrai que cette euphorie a été plus longue qu'il n'est d'usage mais il est vrai que l'usage l'a rattrapée et qu'elle est terminée. Parce que nous avons, nous aussi, spécialement depuis trois ou quatre mois, notre lot de difficultés. Qu'avons-nous fait ? Nous avons d'abord tenté de redonner confiance aux Français. Pour donner confiance aux Français, il fallait leur donner le sentiment que leur pays n'était pas irrémédiablement enfoncé dans la crise. Nous avons lutté contre les déficits, nous avons émis un grand emprunt qui a connu un certain succès et nous avons fait adopter des réformes importantes en matière de sécurité, de nationalité, d'immigration.
En second lieu, sur le plan international, nous nous sommes ingéniés à reprendre la main sur de grandes affaires qui n'avaient pas été réglées. Je pense à la réforme de la politique agricole commune ; je pense à la négociation du GATT qui a été menée dans un délai de six mois par un gouvernement et une équipe gouvernementale extrêmement soudée et unie et donc efficace ; je pense à la crise monétaire que nous avons rencontrée au mois d'août dernier ; je pense aussi à l'initiative française de conclure un pacte de stabilité pour l'ensemble de l'Europe pour assurer à notre continent, pour lui donner plutôt la chance de ne pas connaître ce qui se passe actuellement dans l'ex-Yougoslavie et en Bosnie-Herzégovine. Et enfin, à l'initiative de notre ministre des Affaires étrangères, A. JUPPE, nous avons, à Sarajevo, fait en sorte que la Communauté internationale se ressaisisse, il y a maintenant de cela à peu près deux mois. Sur le plan économique, qui était le troisième des grands secteurs de notre effort, je crois pouvoir dire aujourd'hui, sans forfanterie et sans excès, que nous avons désormais inversé la tendance, que la croissance est en train d'être relancée et que, ayant pris la responsabilité d'une France en récession et en recul, nous avons aujourd'hui devant nous un pays qui recommence à avancer. Les résultats sont là pour le dire et maintenant tout le monde le dit : l'activité repart, peut-être même sera-t-elle supérieure aux prévisions qui ont été inscrites dans la loi de Finances pour 1994 que vous avez votée. La progression du chômage se ralentit. Je vous rappelle, comme je le faisais à l'Assemblée nationale la semaine dernière, que dans les trois derniers mois de la gestion précédente, le chômage avait augmenté de 60.000 et que dans les trois derniers mois de la nôtre, il a augmenté de 9.000, ce qui est encore beaucoup trop, mais ce qui est un progrès considérable. Et enfin, les offres d'emploi ont augmenté, d'une année sur l'autre, de plus de 40 %.
Donc, nous sommes au milieu du gué et, je crois pouvoir le dire, la France est repartie dans la bonne direction. Mais il nous faut, dans l'année qui reste devant nous, continuer à préparer l'avenir avec encore plus de volonté et encore plus d'ardeur. Et pour cela, nous vous avons soumis ou nous allons vous soumettre un important programme de travail législatif. Vous en connaissez les principales dispositions. Je les rappelle en les énumérant simplement : il s'agit de la réforme de l'organisation de la Sécurité sociale, en reconnaissant au Parlement un droit de regard sur sa gestion ; il s'agit de faire voter la loi que prépare S. VEIL ; il s'agit de faire voter la loi de programmation militaire qui est essentielle à la défense de notre pays, que prépare et qu'a mise au point F. LEOTARD ; il s'agit d'élaborer - et la réunion va se tenir à Paris au mois de mai - un pacte de stabilité qui garantisse aux pays européens qu'ils vont pouvoir s'organiser dans le respect mutuel ; il s'agit - et c'est P. MEHAIGNERIE qui la prépare - d'une loi quinquennale sur la justice ; et il s'agit d'une loi sur l'aménagement du territoire, que prépare C. PASQUA en même temps qu'il étudie la réforme des dispositions et des moyens pour la police ; enfin, nous vous soumettrons également un projet de loi sur la famille qui étendra notamment le bénéfice de l'allocation parentale au deuxième enfant. Vous le voyez, il s'agit pour nous de poursuivre l'effort de réformes que nous avons commencé ensemble il y a un an et de le poursuivre sans désemparer. En somme, en 1993, nous avons franchi la première étape, celle qui met fin à la crise économique et qui voit le retour de la croissance. C'était la première étape, l'étape indispensable car sans la croissance, rien n'est possible, il n'y a aucune marge de manoeuvre, les recettes fiscales diminuent, les recettes sociales diminuent aussi, on n'a aucun moyen de faire face aux difficultés. C'était la première étape, elle n'est pas acquise, elle n'est que commencée, la croissance est encore insuffisante, tout ça doit être consolidé, mais on peut entretenir l'espoir. Et en 1994, c'est une deuxième étape de réformes et d'actions qui va s'ouvrir devant nous et nous la consacrerons essentiellement à lutter contre ce mal français qui gagne notre pays, que certains appellent la société à deux vitesses, et à dvelopper notre action en faveur de tous ceux que la crise touche le plus : les jeunes, ceux qui habitent les banlieues, les chômeurs, les personnes âgées. Voilà les lignes générales de l'action que je vous propose et que je vous soumets pour cette année 1994. Cela étant dit, bien des questions se posent et bien des interrogations. Et, selon une méthode qui m'est chère, je me poserai ces questions moi-même, si vous me le permettez, ce qui me permettra d'y répondre également moi-même. Mais comme il y aura ensuite trois tables rondes, vous aurez tout le loisir de poser d'autres questions et éventuellement d'apporter d'autres réponses.
D'abord, avons-nous fait assez de réformes ou avons-nous fait trop de réformes ? C'est un débat qui est ouvert dans nos rangs depuis presque un an, en tout cas depuis six mois. Bien entendu, là où je suis, et placé comme je le suis, j'ai tendance à penser que nous avons respecté un bon équilibre entre la nécessité du changement et la nécessité également d'éviter des bouleversements trop profonds. Nous avons fait des réformes économiques et sociales très importantes, tout au long de l'année 1993, et vous les avez votées et j'ai énuméré devant vous les réformes que nous allons faire durant l'année 1994 et qui, pour l'essentiel, concernent les fonctions régaliennes de l'Etat. Mais je reconnais que le débat peut être ouvert. Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui disent que les Français réclament les réformes et ensuite n'en veulent pas lorsqu'on les fait. Ils réclament les bonnes réformes et bien entendu, les bonnes réformes c'est plutôt les réformes agréables. Et quand il s'agit de réformer, mais de façon qui est moins agréable, il faut prendre davantage de précautions. Et c'est pour ne pas l'avoir fait que l'on peut rencontrer parfois des mécomptes, comme cela n'a pas manqué de se produire concernant l'action de ce gouvernement. Je le sais et je préfère le dire moi-même, en quelque sorte par anticipation, et d'ailleurs j'y reviendrai.
Est-ce que notre action a été trop lente ? C'est une autre question qu'on nous a posée ou qu'on s'est posée. Et il est vrai que l'opinion a manifesté une certaine impatience et qu'après nous avoir fait un crédit très large au départ, elle a pu considérer que les réalisations ne venaient pas assez rapidement. Cette impatience est légitime mais il faut aussi se rendre compte que, dans une situation de crise et de recul de la production, l'on ne peut pas tout faire à la fois et l'on ne peut pas, en un an, redresser tout ce qu'il y a lieu de redresser et qui avait été laissé de côté. Cela nous conduit à nous poser une autre question.
Faut-il, cette année, sous prétexte que nous sommes à un an de l'élection présidentielle, ne rien faire ? Faut-il ne rien faire, ou le moins possible, pour éviter tout mouvement, et pour éviter donc toute difficulté ? D'abord, il faudrait être bien sûr que ne rien faire évite les difficultés. Ce n'est pas toujours évident. En second lieu, ce n'est pas pour cela que nos concitoyens nous ont désignés. Ils nous ont désignés pour agir et pour changer des choses et les changer dans la bonne direction. Et je suis persuadé qu'ils nous feraient grief de notre inactivité. C'est pourquoi l'année 1994 doit être, comme l'année 1993, une année de changements profonds et j'en ai énumérés les domaines devant vous : la justice, la police, l'aménagement du territoire, la famille, les comptes sociaux, la loi de programmation militaire. Voilà toute une série de secteurs et de domaines dans lesquels nom devons continuer à agir.
Autre question : les erreurs commises je pense notamment à celles qui ont été commises dans ces derniers mois - étaient-elles évitables ? A posteriori, sûrement oui. Une fois qu'on les a commises, on se dit qu'on aurait pu ne pas les commettre et on voit assez bien comment on aurait pu les éviter.
Mais je tiens à vous dire quelque chose. J'ai entendu que l'on mettait en cause, à l'occasion de telle ou telle de ces difficultés, la responsabilité de tel ou tel des membres du gouvernement, pour l'occasion, qualifiés de fusibles. Alors il faut que ce soit bien clair : tout membre du gouvernement qui, dans le cadre de sa responsabilité et pour les questions importantes dans lesquelles il ne peut agir qu'avec l'accord du Premier ministre, a droit au soutien inconditionnel du Premier ministre lorsqu'il est dans la difficulté. Il n'y a pas des fusibles au gouvernement, il y a un fusible, et c'est le Premier ministre. Et si les choses ne vont pas bien, c'est à lui qu'il faut s'en prendre. De toute façon, c'est moi qui porterai la responsabilité de l'action du gouvernement lorsque le terme viendra. Et je considère que c'est une force pour la majorité d'avoir, face à elle, un gouvernement qui est un gouvernement uni et solidaire, qui se soutient dans la difficulté et qui évite les passages de balles, qui sont parfois fréquents en pareilles circonstances. J'ai en tout cas une satisfaction au cours de ces trois mois écoulés, c'est que ce n'est pas le spectacle que nous avons donné. Et j'en suis fier.
Autre question : la remise en cause de projets que l'on a nourris ou proposés, présentés, atteint-elle l'autorité du gouvernement ? Autrement dit, faut-il persévérer jusqu'à l'acharnement ou faut-il céder le pas lorsque le passage est impossible ? Il n'y a pas de réponse absolue à ce genre de question, ça dépend des sujets, ça dépend des circonstances. Ce que je peux dire, c'est que ma conception, des choses, que j'ai développée bien souvent, c'est que notre pays étant dans une situation psychologique, morale et économique difficile, il faut éviter de l'inquiéter par ce qui peut être ressenti comme contraire aux intérêts de telle ou telle catégorie, et que lorsque les choses ne passent pas d'une façon, il faut essayer de les faire passer d'une autre. C'est ce qui s'est passé dans l'affaire Air France. Certes, nous avons eu la chance d'avoir - mais parce que nous l'avons désigné - à la tête d'Air France un président qui a admirablement mené son affaire. Mais aussi, je me permets de rappeler que le cadre lui avait été fixé par le ministre compétent et que le gouvernement a décidé de consacrer au redressement d'Air France une somme considérable. Moyennant quoi, ayant retiré un projet qui, au mois de novembre, ne passait pas, nous nous retrouvons au début du mois d'avril avec une réforme qui est approuvée par 80 % du personnel. Moi, je considère que ça valait la peine de prendre quelques mois de plus, même si l'on nous a fait le reproche d'avoir reculé. J'en dirai autant du CIP. Là aussi, ne nous faisons les uns aux autres aucun reproche rétrospectif et n'allons pas rechercher ce qui était inscrit à l'origine dans tel projet, qui a voté tel amendement ou tel sous-amendement. De cela aussi, le gouvernement prend la responsabilité. L'intention était bonne, elle était juste, je considère que le procès qui a été fait n'était pas juste, mais peu importe, ça n'a pas été compris. Et nous avons, en l'occurrence, considéré, après des troubles auxquels C. PASQUA a fait face avec sa détermination et sa volonté habituelles, que mieux valait élaborer un autre système. Et j'ai de bonnes raisons de penser que ce système va marcher et qu'il sera efficace.
Sommes-nous suffisamment cohérents et soudés entre nous dans la majorité ou entre la majorité et le gouvernement ? Pour ma part, je le crois et je le pense. Tout peut toujours être mieux, bien entendu, mais tout pourrait aussi être moins bien. Ce que je constate, c'est que le soutien de la majorité ne m'a jamais fait défaut, et que nous aurons à faire la preuve de notre union et de notre cohésion, notamment lors de la prochaine élection européenne puisque les deux mouvements de notre majorité ont décidé de constituer une liste commune - ce qui est une bonne décision -, qu'ils ont désigné la tête de liste, qui est D. BAUDIS, dont tout le monde apprécie le talent et que les présidents des deux mouvements, V. GISCARD D'ESTAING et J. CHIRAC sont en train de constituer ladite liste. Nous aurons donc à faire la preuve de notre cohésion et de notre esprit d'union.
Alors, les choses auront-elles changé en deux ans et auront-elles suffisamment changé ? Ma conviction est que oui et que nous devons être à la fois confiants et volontaires. Je suis persuadé qu'au terme de cette période de deux ans, l'économie sera repartie ; je suis persuadé que la dégradation du chômage aura été arrêtée ; je suis persuadé que l'équilibre des régimes sociaux, pour n'être pas encore acquis, sera amélioré et je suis persuadé que nous aurons fait pour l'Etat, pour son prestige et pour son autorité, en rénovant la justice, la police, la sécurité, que nous aurons fait beaucoup pour restaurer le respect des Français pour l'Etat.Finalement, nous sommes collectivement responsables devant notre pays. Responsables de notre action mais aussi responsables de notre union. Et à cela aussi, les Français sont extraordinairement attentifs, et beaucoup plus qu'on ne le croit. Je crois donc qu'il faut nous garder sérieusement, et je me réjouis que nous l'ayons fait, de répéter certaines erreurs que nous avons pu commettre dans le passé et qui ont chaque fois entraîné, pour nous, l'échec. De toute manière, tous ensemble, nous avons intérêt à ce que la majorité et le gouvernement réussissent car l'on ne peut construire quoi que ce soit sur l'échec de la majorité ni sur l'échec du gouvernement. L'union, donc, est non seulement notre devoir à tous, mais c'est également notre intérêt à tous. Les choses commencent à aller mieux, elles doivent aller mieux encore, je l'espère. Cela dépend aussi de vous qui représentez dans les provinces, dans la France entière, à la fois le gouvernement et la majorité. Vous êtes l'indispensable relais de l'action du gouvernement pour créer l'espoir et pour créer la confiance. Nous devons bâtir une France qui soit à la fois une France plus forte parce que, sans la force rien n'est possible, mais également qui soit une France plus fraternelle car notre pays connaît des coupures comme il a rarement connu dans son histoire et la société est plus fragile qu'elle ne l'a jamais été peut-être dans notre histoire récente. Et c'est sur cette capacité à construire une France qui soit et plus forte et plus juste que nous jugerons nos compatriotes, et aussi sur notre capacité d'union. Permettez-moi de le dire : rien n'est acquis d'avance ni pour toujours et ne faisons pas comme si les Français devaient, automatiquement, nous renouveler leur confiance chaque fois qu'ils en auront l'occasion. Ils le feront les yeux ouverts et après avoir formulé un jugement sur ce que nous faisons, sur ce que nous disons et finalement sur ce que nous sommes. Quant à moi, mes chers amis, je suis confiant. Je suis confiant parce que nous savons ce que nous voulons, vous et nous, que nous sommes unis et parce que nous savons où nous voulons aller et où nous voulons conduire notre pays. L'année 1994 doit être celle où la France va s'affirmer davantage et où les Français vont retrouver l'espoir dans l'avenir. Il appartient donc à nous de leur faire retrouver cet espoir en diffusant un sentiment d'optimisme, un sentiment d'effort, un sentiment de courage et en le faisant partager. Pour cela, mes chers amis, je compte sur vous tous.
Nous voici donc à mi-chemin de la vie du gouvernement et je crois qu'il est utile que nous fassions le point. Lors de notre élection, il y a maintenant onze mois, nous avons en quelque sorte passé un contrat avec les Français. Ce contrat, c'était de sortir notre pays des difficultés graves qu'il connaissait depuis déjà plusieurs années. Je crois qu'il n'est pas utile que je revienne sur la description de la situation que nous avons trouvée - chacun la connaît - même si, peut-être, nous ne l'avons pas faite suffisamment. Je crois qu'on peut dire que l'année 1993, telle qu'elle s'est déroulée, a été pour la France, sur le plan économique en tout cas, une année extrêmement difficile. Mais nous avons cependant accepté de gouverner notre pays dans cette circonstance difficile et je tenais à le rappeler aujourd'hui parce que, lorsqu'on fait le point de la situation de notre pays, il est bon de rappeler celle qu'elle était il y a encore un an.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? Je tenterai de m'exprimer là-dessus dans un esprit de vérité et de sincérité, c'est-à-dire dans un esprit de mesure. De toute façon, je n'ai jamais caché la situation telle qu'elle était et si j'essaye de vous faire partager aujourd'hui le sentiment, qui est d'ailleurs le sentiment le plus largement répandu parmi les Français, c'est-à-dire que les choses commencent à changer quelque peu, je crois que nous avons, les uns et les autres, le droit de le dire. Il est vrai que la majorité et le gouvernement ont commencé leur tâche, comme il est de coutume en pareille circonstance, dans un sentiment et dans une atmosphère d'euphorie. Il est vrai que cette euphorie a été plus longue qu'il n'est d'usage mais il est vrai que l'usage l'a rattrapée et qu'elle est terminée. Parce que nous avons, nous aussi, spécialement depuis trois ou quatre mois, notre lot de difficultés. Qu'avons-nous fait ? Nous avons d'abord tenté de redonner confiance aux Français. Pour donner confiance aux Français, il fallait leur donner le sentiment que leur pays n'était pas irrémédiablement enfoncé dans la crise. Nous avons lutté contre les déficits, nous avons émis un grand emprunt qui a connu un certain succès et nous avons fait adopter des réformes importantes en matière de sécurité, de nationalité, d'immigration.
En second lieu, sur le plan international, nous nous sommes ingéniés à reprendre la main sur de grandes affaires qui n'avaient pas été réglées. Je pense à la réforme de la politique agricole commune ; je pense à la négociation du GATT qui a été menée dans un délai de six mois par un gouvernement et une équipe gouvernementale extrêmement soudée et unie et donc efficace ; je pense à la crise monétaire que nous avons rencontrée au mois d'août dernier ; je pense aussi à l'initiative française de conclure un pacte de stabilité pour l'ensemble de l'Europe pour assurer à notre continent, pour lui donner plutôt la chance de ne pas connaître ce qui se passe actuellement dans l'ex-Yougoslavie et en Bosnie-Herzégovine. Et enfin, à l'initiative de notre ministre des Affaires étrangères, A. JUPPE, nous avons, à Sarajevo, fait en sorte que la Communauté internationale se ressaisisse, il y a maintenant de cela à peu près deux mois. Sur le plan économique, qui était le troisième des grands secteurs de notre effort, je crois pouvoir dire aujourd'hui, sans forfanterie et sans excès, que nous avons désormais inversé la tendance, que la croissance est en train d'être relancée et que, ayant pris la responsabilité d'une France en récession et en recul, nous avons aujourd'hui devant nous un pays qui recommence à avancer. Les résultats sont là pour le dire et maintenant tout le monde le dit : l'activité repart, peut-être même sera-t-elle supérieure aux prévisions qui ont été inscrites dans la loi de Finances pour 1994 que vous avez votée. La progression du chômage se ralentit. Je vous rappelle, comme je le faisais à l'Assemblée nationale la semaine dernière, que dans les trois derniers mois de la gestion précédente, le chômage avait augmenté de 60.000 et que dans les trois derniers mois de la nôtre, il a augmenté de 9.000, ce qui est encore beaucoup trop, mais ce qui est un progrès considérable. Et enfin, les offres d'emploi ont augmenté, d'une année sur l'autre, de plus de 40 %.
Donc, nous sommes au milieu du gué et, je crois pouvoir le dire, la France est repartie dans la bonne direction. Mais il nous faut, dans l'année qui reste devant nous, continuer à préparer l'avenir avec encore plus de volonté et encore plus d'ardeur. Et pour cela, nous vous avons soumis ou nous allons vous soumettre un important programme de travail législatif. Vous en connaissez les principales dispositions. Je les rappelle en les énumérant simplement : il s'agit de la réforme de l'organisation de la Sécurité sociale, en reconnaissant au Parlement un droit de regard sur sa gestion ; il s'agit de faire voter la loi que prépare S. VEIL ; il s'agit de faire voter la loi de programmation militaire qui est essentielle à la défense de notre pays, que prépare et qu'a mise au point F. LEOTARD ; il s'agit d'élaborer - et la réunion va se tenir à Paris au mois de mai - un pacte de stabilité qui garantisse aux pays européens qu'ils vont pouvoir s'organiser dans le respect mutuel ; il s'agit - et c'est P. MEHAIGNERIE qui la prépare - d'une loi quinquennale sur la justice ; et il s'agit d'une loi sur l'aménagement du territoire, que prépare C. PASQUA en même temps qu'il étudie la réforme des dispositions et des moyens pour la police ; enfin, nous vous soumettrons également un projet de loi sur la famille qui étendra notamment le bénéfice de l'allocation parentale au deuxième enfant. Vous le voyez, il s'agit pour nous de poursuivre l'effort de réformes que nous avons commencé ensemble il y a un an et de le poursuivre sans désemparer. En somme, en 1993, nous avons franchi la première étape, celle qui met fin à la crise économique et qui voit le retour de la croissance. C'était la première étape, l'étape indispensable car sans la croissance, rien n'est possible, il n'y a aucune marge de manoeuvre, les recettes fiscales diminuent, les recettes sociales diminuent aussi, on n'a aucun moyen de faire face aux difficultés. C'était la première étape, elle n'est pas acquise, elle n'est que commencée, la croissance est encore insuffisante, tout ça doit être consolidé, mais on peut entretenir l'espoir. Et en 1994, c'est une deuxième étape de réformes et d'actions qui va s'ouvrir devant nous et nous la consacrerons essentiellement à lutter contre ce mal français qui gagne notre pays, que certains appellent la société à deux vitesses, et à dvelopper notre action en faveur de tous ceux que la crise touche le plus : les jeunes, ceux qui habitent les banlieues, les chômeurs, les personnes âgées. Voilà les lignes générales de l'action que je vous propose et que je vous soumets pour cette année 1994. Cela étant dit, bien des questions se posent et bien des interrogations. Et, selon une méthode qui m'est chère, je me poserai ces questions moi-même, si vous me le permettez, ce qui me permettra d'y répondre également moi-même. Mais comme il y aura ensuite trois tables rondes, vous aurez tout le loisir de poser d'autres questions et éventuellement d'apporter d'autres réponses.
D'abord, avons-nous fait assez de réformes ou avons-nous fait trop de réformes ? C'est un débat qui est ouvert dans nos rangs depuis presque un an, en tout cas depuis six mois. Bien entendu, là où je suis, et placé comme je le suis, j'ai tendance à penser que nous avons respecté un bon équilibre entre la nécessité du changement et la nécessité également d'éviter des bouleversements trop profonds. Nous avons fait des réformes économiques et sociales très importantes, tout au long de l'année 1993, et vous les avez votées et j'ai énuméré devant vous les réformes que nous allons faire durant l'année 1994 et qui, pour l'essentiel, concernent les fonctions régaliennes de l'Etat. Mais je reconnais que le débat peut être ouvert. Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui disent que les Français réclament les réformes et ensuite n'en veulent pas lorsqu'on les fait. Ils réclament les bonnes réformes et bien entendu, les bonnes réformes c'est plutôt les réformes agréables. Et quand il s'agit de réformer, mais de façon qui est moins agréable, il faut prendre davantage de précautions. Et c'est pour ne pas l'avoir fait que l'on peut rencontrer parfois des mécomptes, comme cela n'a pas manqué de se produire concernant l'action de ce gouvernement. Je le sais et je préfère le dire moi-même, en quelque sorte par anticipation, et d'ailleurs j'y reviendrai.
Est-ce que notre action a été trop lente ? C'est une autre question qu'on nous a posée ou qu'on s'est posée. Et il est vrai que l'opinion a manifesté une certaine impatience et qu'après nous avoir fait un crédit très large au départ, elle a pu considérer que les réalisations ne venaient pas assez rapidement. Cette impatience est légitime mais il faut aussi se rendre compte que, dans une situation de crise et de recul de la production, l'on ne peut pas tout faire à la fois et l'on ne peut pas, en un an, redresser tout ce qu'il y a lieu de redresser et qui avait été laissé de côté. Cela nous conduit à nous poser une autre question.
Faut-il, cette année, sous prétexte que nous sommes à un an de l'élection présidentielle, ne rien faire ? Faut-il ne rien faire, ou le moins possible, pour éviter tout mouvement, et pour éviter donc toute difficulté ? D'abord, il faudrait être bien sûr que ne rien faire évite les difficultés. Ce n'est pas toujours évident. En second lieu, ce n'est pas pour cela que nos concitoyens nous ont désignés. Ils nous ont désignés pour agir et pour changer des choses et les changer dans la bonne direction. Et je suis persuadé qu'ils nous feraient grief de notre inactivité. C'est pourquoi l'année 1994 doit être, comme l'année 1993, une année de changements profonds et j'en ai énumérés les domaines devant vous : la justice, la police, l'aménagement du territoire, la famille, les comptes sociaux, la loi de programmation militaire. Voilà toute une série de secteurs et de domaines dans lesquels nom devons continuer à agir.
Autre question : les erreurs commises je pense notamment à celles qui ont été commises dans ces derniers mois - étaient-elles évitables ? A posteriori, sûrement oui. Une fois qu'on les a commises, on se dit qu'on aurait pu ne pas les commettre et on voit assez bien comment on aurait pu les éviter.
Mais je tiens à vous dire quelque chose. J'ai entendu que l'on mettait en cause, à l'occasion de telle ou telle de ces difficultés, la responsabilité de tel ou tel des membres du gouvernement, pour l'occasion, qualifiés de fusibles. Alors il faut que ce soit bien clair : tout membre du gouvernement qui, dans le cadre de sa responsabilité et pour les questions importantes dans lesquelles il ne peut agir qu'avec l'accord du Premier ministre, a droit au soutien inconditionnel du Premier ministre lorsqu'il est dans la difficulté. Il n'y a pas des fusibles au gouvernement, il y a un fusible, et c'est le Premier ministre. Et si les choses ne vont pas bien, c'est à lui qu'il faut s'en prendre. De toute façon, c'est moi qui porterai la responsabilité de l'action du gouvernement lorsque le terme viendra. Et je considère que c'est une force pour la majorité d'avoir, face à elle, un gouvernement qui est un gouvernement uni et solidaire, qui se soutient dans la difficulté et qui évite les passages de balles, qui sont parfois fréquents en pareilles circonstances. J'ai en tout cas une satisfaction au cours de ces trois mois écoulés, c'est que ce n'est pas le spectacle que nous avons donné. Et j'en suis fier.
Autre question : la remise en cause de projets que l'on a nourris ou proposés, présentés, atteint-elle l'autorité du gouvernement ? Autrement dit, faut-il persévérer jusqu'à l'acharnement ou faut-il céder le pas lorsque le passage est impossible ? Il n'y a pas de réponse absolue à ce genre de question, ça dépend des sujets, ça dépend des circonstances. Ce que je peux dire, c'est que ma conception, des choses, que j'ai développée bien souvent, c'est que notre pays étant dans une situation psychologique, morale et économique difficile, il faut éviter de l'inquiéter par ce qui peut être ressenti comme contraire aux intérêts de telle ou telle catégorie, et que lorsque les choses ne passent pas d'une façon, il faut essayer de les faire passer d'une autre. C'est ce qui s'est passé dans l'affaire Air France. Certes, nous avons eu la chance d'avoir - mais parce que nous l'avons désigné - à la tête d'Air France un président qui a admirablement mené son affaire. Mais aussi, je me permets de rappeler que le cadre lui avait été fixé par le ministre compétent et que le gouvernement a décidé de consacrer au redressement d'Air France une somme considérable. Moyennant quoi, ayant retiré un projet qui, au mois de novembre, ne passait pas, nous nous retrouvons au début du mois d'avril avec une réforme qui est approuvée par 80 % du personnel. Moi, je considère que ça valait la peine de prendre quelques mois de plus, même si l'on nous a fait le reproche d'avoir reculé. J'en dirai autant du CIP. Là aussi, ne nous faisons les uns aux autres aucun reproche rétrospectif et n'allons pas rechercher ce qui était inscrit à l'origine dans tel projet, qui a voté tel amendement ou tel sous-amendement. De cela aussi, le gouvernement prend la responsabilité. L'intention était bonne, elle était juste, je considère que le procès qui a été fait n'était pas juste, mais peu importe, ça n'a pas été compris. Et nous avons, en l'occurrence, considéré, après des troubles auxquels C. PASQUA a fait face avec sa détermination et sa volonté habituelles, que mieux valait élaborer un autre système. Et j'ai de bonnes raisons de penser que ce système va marcher et qu'il sera efficace.
Sommes-nous suffisamment cohérents et soudés entre nous dans la majorité ou entre la majorité et le gouvernement ? Pour ma part, je le crois et je le pense. Tout peut toujours être mieux, bien entendu, mais tout pourrait aussi être moins bien. Ce que je constate, c'est que le soutien de la majorité ne m'a jamais fait défaut, et que nous aurons à faire la preuve de notre union et de notre cohésion, notamment lors de la prochaine élection européenne puisque les deux mouvements de notre majorité ont décidé de constituer une liste commune - ce qui est une bonne décision -, qu'ils ont désigné la tête de liste, qui est D. BAUDIS, dont tout le monde apprécie le talent et que les présidents des deux mouvements, V. GISCARD D'ESTAING et J. CHIRAC sont en train de constituer ladite liste. Nous aurons donc à faire la preuve de notre cohésion et de notre esprit d'union.
Alors, les choses auront-elles changé en deux ans et auront-elles suffisamment changé ? Ma conviction est que oui et que nous devons être à la fois confiants et volontaires. Je suis persuadé qu'au terme de cette période de deux ans, l'économie sera repartie ; je suis persuadé que la dégradation du chômage aura été arrêtée ; je suis persuadé que l'équilibre des régimes sociaux, pour n'être pas encore acquis, sera amélioré et je suis persuadé que nous aurons fait pour l'Etat, pour son prestige et pour son autorité, en rénovant la justice, la police, la sécurité, que nous aurons fait beaucoup pour restaurer le respect des Français pour l'Etat.Finalement, nous sommes collectivement responsables devant notre pays. Responsables de notre action mais aussi responsables de notre union. Et à cela aussi, les Français sont extraordinairement attentifs, et beaucoup plus qu'on ne le croit. Je crois donc qu'il faut nous garder sérieusement, et je me réjouis que nous l'ayons fait, de répéter certaines erreurs que nous avons pu commettre dans le passé et qui ont chaque fois entraîné, pour nous, l'échec. De toute manière, tous ensemble, nous avons intérêt à ce que la majorité et le gouvernement réussissent car l'on ne peut construire quoi que ce soit sur l'échec de la majorité ni sur l'échec du gouvernement. L'union, donc, est non seulement notre devoir à tous, mais c'est également notre intérêt à tous. Les choses commencent à aller mieux, elles doivent aller mieux encore, je l'espère. Cela dépend aussi de vous qui représentez dans les provinces, dans la France entière, à la fois le gouvernement et la majorité. Vous êtes l'indispensable relais de l'action du gouvernement pour créer l'espoir et pour créer la confiance. Nous devons bâtir une France qui soit à la fois une France plus forte parce que, sans la force rien n'est possible, mais également qui soit une France plus fraternelle car notre pays connaît des coupures comme il a rarement connu dans son histoire et la société est plus fragile qu'elle ne l'a jamais été peut-être dans notre histoire récente. Et c'est sur cette capacité à construire une France qui soit et plus forte et plus juste que nous jugerons nos compatriotes, et aussi sur notre capacité d'union. Permettez-moi de le dire : rien n'est acquis d'avance ni pour toujours et ne faisons pas comme si les Français devaient, automatiquement, nous renouveler leur confiance chaque fois qu'ils en auront l'occasion. Ils le feront les yeux ouverts et après avoir formulé un jugement sur ce que nous faisons, sur ce que nous disons et finalement sur ce que nous sommes. Quant à moi, mes chers amis, je suis confiant. Je suis confiant parce que nous savons ce que nous voulons, vous et nous, que nous sommes unis et parce que nous savons où nous voulons aller et où nous voulons conduire notre pays. L'année 1994 doit être celle où la France va s'affirmer davantage et où les Français vont retrouver l'espoir dans l'avenir. Il appartient donc à nous de leur faire retrouver cet espoir en diffusant un sentiment d'optimisme, un sentiment d'effort, un sentiment de courage et en le faisant partager. Pour cela, mes chers amis, je compte sur vous tous.