Texte intégral
Madame la Présidente,
Monsieur le Président de la Commission des Finances,
Mesdames les Présidentes,
Messieurs les Rapporteurs,
Merci tout d'abord pour ce débat, qui aura porté aussi bien sur les aspects budgétaires et techniques que sur des questions politiques. Ce sont bien en effet des choix politiques qu'exprime le budget européen que les contributions des États membres et les ressources propres financent. Il ne me sera pas possible de répondre à l'ensemble de vos prises de parole, mais voici les principaux points sur lesquels je voudrais insister.
* Budget européen et contribution française
Je voudrais revenir sur les critiques adressées au budget européen, présenté par certains comme mal orienté dans ses dépenses et comme injuste, puisque la France paierait une contribution trop importante. J'ai évoqué lors de mon intervention liminaire la logique des dépenses, qui est bien réelle mais, qui, par nature reflète un choix politique. Je ne mentionnerai qu'un aspect que vous avez cité M. Naegelen et Mme Le Grip, les dépenses en faveur de la Turquie. Oui, la Turquie bénéficie de fonds importants pour se mettre au niveau de l'Union européenne. Mais je tiens à apporter une précision importante : ces fonds, compte tenu de la situation sur place depuis la tentative de coup d'État de juillet 2016, sont depuis plusieurs mois déjà en train d'être réorientés vers la société civile turque. La Commission doit présenter à la mi-novembre un plan d'action révisé pour 2017 et son plan d'action 2018 et il est vraisemblable que nous discuterons à ce moment là d'une réduction des fonds disponibles pour la Turquie.
Par ailleurs nous devons tenir les engagements pris dans la déclaration conjointe du 18 mars 2016 qui a permis de faire spectaculairement reculer les migrations par la route de la Méditerranée orientale. Parmi ces engagements il y a une facilité UE Turquie [3 milliards d'euros à ce stade] qui permet, Monsieur Joncour, de financer des ONG qui viennent en aide aux réfugiés syriens sur le territoire turc. Vous voyez que maintenir ces fonds est évidemment de notre intérêt bien compris qu'il s'agisse du respect de la parole donnée, de la lutte contre les migrations illégales, du soutien aux Syriens pourchassés par Daech ou le régime ou encore de la lutte contre le terrorisme.
J'ai bien entendu votre inquiétude, Monsieur Leroy, sur la baisse des crédits consacrés aux flux migratoires. Cette baisse n'est cependant pas significative car elle ne prend en compte ni l'aide à la Turquie, ni le FFU, abondé sur le budget européen et complété par les États membres. Sur ce fonds, 1.9 milliards d'euros ont été approuvés pour 47 projets, sur un montant total du FFU de 2.9 milliards d'euros.
Sur le caractère présenté comme déséquilibré de la contribution française, je voudrais dire tout d'abord que le gouvernement est évidemment extrêmement attentif à la gestion de l'argent public et ne fait de chèque en blanc à personne. Mais soyons clairs, déplorer le principe d'un solde net négatif pour la contribution française est désolant, M. Mélenchon. Oui, la France est un contributeur net, comme tous nos grands partenaires d'ailleurs et oui, au fur et à mesure des élargissements les taux de retour des États fondateurs se sont dégradés. Mais ce solde net négatif a un sens, c'est d'abord l'expression de la solidarité européenne avec des pays en rattrapage économique, la solidarité, un principe au coeur du projet, et c'est aussi le prix à payer pour l'existence d'un grand marché unique de 500 millions d'Européens. Ce sont les entreprises des économies les plus fortes, notamment les entreprises françaises, qui sont les premières à en bénéficier. La comparaison du budget de 2018 avec celui de 1982 n'a aucun sens : l'Europe n'avait alors que 10 membres, il n'y avait d'ailleurs pas d'Union européenne mais des Communautés européennes dont les compétences étaient bien moins développées. Les deux budgets ne couvrent donc à l'évidence pas le même périmètre.
Oui, notre contribution au budget de l'UE augmente en 2018 par rapport à 2017, mais comme je vous l'ai indiqué dans mon propos introductif, c'est un mouvement mécanique dû au cycle des projets, notamment pour l'utilisation des fonds structurels où notre taux de retour est traditionnellement faible.
Par ailleurs, le raisonnement par le seul taux de retour ou le seul solde net est bien court : les économies d'échelle sont évidentes.
Au-delà, chacun se souvient de l'expression «I want my money back» que certains reprennent aujourd'hui et que Mme Thatcher martelait du Sommet de Dublin en 1979 au Sommet de Fontainebleau en 1984. On voit où cette logique a mené le Royaume-Uni et Mme May se rend compte aujourd'hui de tous les coûts que va représenter pour son pays la sortie de l'Union européenne. Est-ce vraiment ce que vous souhaitez pour la France ? Et bien pas le gouvernement !
* Brexit
Justement, plusieurs parmi vous, parmi lesquels M. Giraud ou encore Mme Thillaye avez insisté à juste titre sur la perspective de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. La première chose que je dois dire c'est que ce n'est en rien une question pour le budget 2018. Mme Rabault, pour les budgets suivants, cela dépendra de l'issue des négociations en cours entre l'Union européenne et le Royaume-Uni et notamment de la question du règlement financier dont devra s'acquitter Londres au titre des engagements pris en tant que membre de l'Union européenne.
Si le Royaume-Uni s'acquitte bien de l'ensemble de ses engagements pour 2019 et 2020 au titre du cadre financier pluriannuel, comme le demandent les 27 et comme le discours de Mme May à Florence le laisse espérer, l'impact sur le budget européen pour ces deux années sera circonscrit. Cela suppose cependant que nous progressions rapidement sur les trois questions essentielles de la première phase de la négociation du Brexit, qui sont, outre celle du règlement financier, celle de la situation des citoyens européens et de la gestion des frontières.
En revanche, bien entendu en cas de «hard Brexit» si le Royaume-Uni cessait brusquement toute contribution, l'impact budgétaire serait majeur dès 2019 puisque comme vous le savez la contribution nette britannique est en moyenne d'environ 10 milliards d'euros.
Ce scenario serait cependant particulièrement coûteux non seulement pour l'Union mais encore bien plus pour le Royaume-Uni. À Londres comme à Bruxelles, nous devons faire en sorte que la raison prévale.
Au-delà, il ne fait aucun doute que le départ du Royaume-Uni de l'Union aura un impact très important sur le prochain cadre financier pluriannuel puisqu'il s'agira du départ d'un important contributeur net.
* Avenir de l'UE
Je voudrais insister sur l'idée que le départ annoncé du Royaume-Uni est à la fois une contrainte très forte, je l'ai dit, mais aussi une opportunité de repenser le budget européen en fonction de nos priorités politiques. C'est vrai des dépenses, mais aussi des recettes.
Pour les dépenses, nous ne pourrons plus simplement continuer comme avant, sauf à accepter que la situation se détériore dans tous les secteurs. La solution est bien de remettre à plat le budget européen sur la base de véritables priorités politiques et de notre ambition pour l'Europe. Le chantier de la refondation de l'Europe est lancé, le président de la République a redit sa détermination lors du Conseil européen, il est entendu de ses partenaires, nous commençons à en débattre, et nous entrerons rapidement dans le vif du sujet.
S'agissant des recettes, le système de financement du budget européen devrait être plus simple, plus transparent et plus équitable, en particulier en supprimant l'ensemble des rabais et des rabais sur les rabais. Ces dispositifs très critiquables sur le principe, injustes puisque certains contributeurs nets comme la France n'en bénéficient pas, perdent leur raison d'être historique avec le départ du Royaume-Uni. Je vous rejoins bien entendu sur ce point M. Paluszkiewicz, Mme De Sarnez et M. Leroy. La sortie du Royaume-Uni constitue bien une opportunité historique de remettre à plat le système de financement du budget européen. La France a d'ailleurs accueilli favorablement le rapport final du groupe à haut niveau sur les ressources propres, présidé par Mario Monti, et attend avec intérêt l'examen que mènera la Commission sur les pistes des nouvelles ressources propres envisagées, M. Mendes et M. Joncour.
Je voudrais en profiter pour rappeler ici la vision présentée par le président de la République dans l'amphithéâtre de la Sorbonne le 26 septembre : celle le moment venu, d'un budget de la zone euro financé par des taxes nouvelles dans le domaine numérique ou environnemental, ou bien encore, à terme, par l'affectation d'une partie des recettes de l'impôt sur les sociétés une fois harmonisé, M. Leroy. Nous ne sous-estimons pas la sensibilité de ces questions pour certains de nos partenaires, et notamment pour nos amis allemands, mais vous reconnaîtrez avec moi que la construction européenne n'a depuis 1957 pas progressé de façon régulière et continue, mais bien par des crises rendant possibles des avancées successives : qui aurait pu imaginer l'union bancaire avant la crise financière ?
Il ne m'est pas possible aujourd'hui d'entrer davantage dans les détails sur ces questions liées à la refondation de l'Europe et au futur cadre financier pluriannuel. Le discours de la Sorbonne date d'il y a moins d'un mois et a commencé à être débattu au Conseil européen des 19 et 20 octobre. Nous espérons de premières avancées d'ici l'été 2018. Sur le cadre financier, la Commission ne présentera pas de proposition avant le début de l'année 2018 et le Collège doit encore arbitrer des décisions fondamentales, y compris sur la durée, à laquelle vous êtes plusieurs à avoir fait référence M. Leroy, M. Paluszkiewicz, Mme de Sarnez et Mme Thillaye. Je gage cependant que les dépenses d'avenir, je pense au numérique ou à l'intelligence artificielle que vous avez citée Madame Thillaye, y trouveront leur juste place. Naturellement, je suis tout à fait favorable Madame de Sarnez, Madame Le Grip, à ce que nous fassions le point de façon approfondie avec la représentation nationale sur les perspectives de prochain cadre financier pluriannuel.
Enfin avant de conclure je voudrais revenir sur un thème cité par de nombreux orateurs, je pense à M. Giraud, Mme Thillaye, M. Holroyd, celui de l'Europe de la défense. Une Europe de la défense renouvelée est en train de devenir une réalité politique, je l'ai constaté moi-même lors du Conseil européen de juin comme lors de celui qui vient de se tenir les 19 et 20 octobre.
Nous n'en sommes qu'au tout début sur le plan budgétaire et c'est dans le prochain cadre financier que l'effort sera effectué. Mais je mentionnerais deux éléments précis d'ici 2020 :
(1) l'action préparatoire pour la défense et la sécurité. Celle-ci finance des projets de recherche dans le domaine de la défense à hauteur de 90 millions d'euros sur la période 2017-2019 (dont 40 millions d'euros en 2018), qui ne pourraient pas être financés dans le cadre du programme de recherche européen Horizon 2020. Cette action préfigure l'activité recherche du fonds européen de défense que nous souhaitons voir lancé début 2018.
(2) Comme vous le savez le fonds européen de défense aura un volet recherche, mais aussi un volet développement de capacités. La Commission a proposé un nouveau programme pour contribuer au financement de ce type de capacités, le programme de développement de l'industrie de défense, sur lequel nous espérons que nous pourrons bientôt avancer. Il est très important que de premiers projets puissent être financés dès 2019 et je suis heureuse que le Conseil européen des 19 et 20 octobre ait repris cet objectif à son compte.
Je vous remercie Mesdames et Messieurs les Députés pour ce débat et vous Madame la Présidente pour m'avoir donné à nouveau la parole. Je regrette que nous n'ayons pas le temps d'approfondir l'ensemble de ces très nombreux sujets mais je reste, bien entendu, à la disposition de la représentation nationale.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 octobre 2017