Interview de M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, avec France Inter le 25 octobre 2017, sur l'herbicide glyphosate et la santé publique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral


MARC FAUVELLE
Bonjour Stéphane TRAVERT.
STEPHANE TRAVERT
Bonjour.
MARC FAUVELLE
Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation. L'Europe décide aujourd'hui de l'avenir du glyphosate, l'herbicide le plus vendu au monde, que l'OMS considère comme un produit probablement cancérogène pour l'homme. Quelle sera la position de la France ce matin ?
STEPHANE TRAVERT
La France votera non, comme elle s'y était engagée depuis le 20 juillet, et comme elle l'avait fait déjà en 2016. La France votera non parce que nous considérons, le gouvernement considère aujourd'hui que de reconduire pour 10 ans le glyphosate, sans nous permettre de regarder comment nous pouvons trouver des alternatives, n'est pas la bonne solution. Nous ne pouvons pas nous permettre aujourd'hui, devant ce dont vous parlez, l'avis de l'OMS, que ce produit puisse être reconduit pour 10 ans et sans que nous ne fassions rien pendant ces 10 années. On ne peut pas se retrouver dans 10 ans en se disant il ne se sera rien passé et nous n'aurons pas cherché d'alternative possible à ce type de produit. Et donc, aujourd'hui la France votera non, et demain, et parce que le Premier ministre nous l'a demandé, nous allons travailler, en France, à l'élaboration d'un calendrier de sortie progressive du glyphosate.
MARC FAUVELLE
La France votera non à une prolongation de 10 ans, il semble d'ailleurs qu'il n'y ait pas de majorité aujourd'hui en Europe pour cette prolongation, qu'est-ce qui va se passer ce matin à Bruxelles ?
STEPHANE TRAVERT
Alors, qu'est-ce qui se passe. S'il y a une majorité pour le non, eh bien le produit, au 31 décembre 2017, sera interdit, la licence tombera, et il restera 18 mois pour écouler les stocks. Si le vote est majoritaire sur le oui, ce que je ne crois pas, eh bien le glyphosate sera reconduit pour 10 ans. Par contre, s'il n'y a pas de majorité qualifiée, c'est-à-dire 65 % de la population européenne et d'un certain nombre d'Etats membres, eh bien là la Commission pourra de nouveau remettre sur la table une proposition, et vous avez entendu comme moi, hier, que le Parlement européen a fait une proposition, de substitution de date si j'ose dire, et peut-être que la Commission aura envie, là, de remettre sur la table un nouveau vote, une nouvelle décision.
MARC FAUVELLE
Et j'ai envie de dire c'est là que ça se complique Stéphane TRAVERT, la Commission européenne dit 7 ans, Nicolas HULOT dit 3 ans, vous dites 7 ans vous aussi, Matignon dit rien. Comment est-ce qu'on peut tout simplement, aujourd'hui, influencer la politique européenne, quand, même en France, on n'arrive pas, au sein du même gouvernement, à parler d'une seule voix ?
STEPHANE TRAVERT
Si, nous parlons d'une seule voix.
MARC FAUVELLE
3 ans, 5 ans, 7 ans, ce n'est pas une seule voix.
STEPHANE TRAVERT
Nous parlons d'une seule voix. Aujourd'hui il y a des analyses, aujourd'hui moi je m'appuie, comme ministre, sur la science et le droit, moi je ne sais pas quel est le bon délai…
MARC FAUVELLE
J'ai envie de vous dire quelle science et quel droit, parce que des rapports contradictoires sur la question, il y en a quelques-uns !
STEPHANE TRAVERT
Bien évidemment, je le sais, et c'est pour ça que nous avons saisi l'ANSES, nous avons saisi l'INRA, nous demandons à ce que la recherche publique soit complètement mobilisée pour trouver ces alternatives, ça devient nécessaire aujourd'hui. Parce que, si vous voulez, nous sommes dans une situation où, aujourd'hui, il m'est impossible de vous dire en combien de temps, à ce stade, nous pourrions sortir de l'utilisation du glyphosate, et malgré les efforts que font les agriculteurs pour diminuer l'utilisation de ces pesticides. Mais, pour autant, nous avons besoin d'avis scientifiques, l'INRA pourra répondre à la commande, les instituts techniques également, et donc nous allons fonder, je dirais notre choix, sur ce que nous diront les instituts techniques et l'INRA, et à partir de là nous pourrons définir ce calendrier de sortie en tenant de la nécessaire transition à laquelle mes agriculteurs auront besoin pour sortir de l'utilisation ce produit.
MARC FAUVELLE
Stéphane TRAVERT, est-ce que le glyphosate aujourd'hui, oui ou non, est dangereux pour la santé, est-ce qu'il provoque des cancers ?
STEPHANE TRAVERT
Mais, aujourd'hui moi, je ne suis pas un scientifique Monsieur, moi il ne m'appartient pas de vous dire aujourd'hui « oui ce produit est dangereux. »
MARC FAUVELLE
Vous avez encore des doutes sur la question ?
STEPHANE TRAVERT
Mais, il faut toujours douter, et moi, de toute façon, je n'oppose pas…
MARC FAUVELLE
Quand l'Organisation Mondiale de la Santé le classe parmi les cancérogènes probables, vous doutez des conclusions de l'OMS ?
STEPHANE TRAVERT
Mais, je ne doute pas des conclusions de l'OMS, je les prends pour ce qu'elles sont, c'est un avis qu'il convient de prendre pour ce qu'il est, c'est un avis sérieux, bien évidemment, mais ce que nous souhaitons…
MARC FAUVELLE
Mais ce n'est qu'un avis.
STEPHANE TRAVERT
Mais c'est un avis, et ce dont nous avons besoin aujourd'hui c'est de nous appuyer sur un certain nombre de données, qui doivent nous permettre… parce que l'objectif que nous portons tous, il est commun, c'est de sortir de l'utilisation de ce produit, mais comme vous le savez, aujourd'hui ce produit il est utilisé par beaucoup d'agriculteurs. D'ailleurs, les usages de ce produit, commencent à être en mode réduction, puisque pour les particuliers ce sera interdit à partir du 1er janvier 2019, il est déjà interdit aujourd'hui dans l'utilisation dans les collectivités…
MARC FAUVELLE
Dans les jardins publics notamment.
STEPHANE TRAVERT
Les jardins publics, vous avez raison, et aujourd'hui nous devons accompagner les agriculteurs dans cette transition. Et, aujourd'hui, il faut savoir que les agriculteurs, lorsqu'ils utilisent ce produit, ils l'utilisent avec un certificat phytosanitaire, ça veut dire aussi qu'ils ne peuvent pas faire ce qu'ils veulent. Parce qu'on entend aussi beaucoup de choses. Moi je suis ici pour défendre l'agriculteur, mais défendre aussi la santé des agriculteurs, et bien évidemment la santé de nos concitoyens, et les agriculteurs, lorsqu'ils utilisent ce produit, avec ce certificat phytosanitaire, on sait pertinemment quelles sont les doses qu'ils utilisent.
MARC FAUVELLE
Vous pouvez dire aujourd'hui, Stéphane TRAVERT, à tous ceux qui nous écoutent, qu'il n'y a pas de risque pour la santé à vivre, par exemple, à côté d'un champ où l'on met du glyphosate ?
STEPHANE TRAVERT
Mais Monsieur, moi il ne m'appartient pas de vous dire ça parce que je ne suis pas un scientifique, moi je fais de la politique et je gère un très beau ministère, et il m'appartient d'appuyer mes décisions…
MARC FAUVELLE
Mais dans ce dossier vous n'êtes que la voix des agriculteurs, qui disent aujourd'hui « on ne peut pas s'en passer. »
STEPHANE TRAVERT
Il ne m'appartient de prendre des décisions que sur la science et sur le droit. Les agriculteurs vous disent, aujourd'hui, « on ne peut pas s'en passer parce qu'il n'y a pas d'alternative au produit. » Eh bien moi ce que je dis, c'est, parce qu'il y a un caractère de dangerosité qui a été mis en place, qui été mis sur la table, et que je ne conteste pas, bien évidemment, parce que la santé de nos concitoyens elle m'importe énormément, mais regardons comment nous pouvons accompagner les agriculteurs à diminuer l'utilisation de ce produit, jusqu'à ce que nous ayons trouvé et résolu les impasses techniques auxquelles nous faisons face aujourd'hui.
MARC FAUVELLE
Stéphane TRAVERT, il se passe quoi si demain matin on interdit le glyphosate en France, l'agriculture s'effondre vraiment ? Il y a 15 % des agriculteurs qui vivent sans.
STEPHANE TRAVERT
Aujourd'hui, si on l'interdit de façon brutale demain, on remet en cause tout ce qui a mis en place l'agro-écologie. Aujourd'hui on travaille beaucoup sur ce qu'on appelle la couverture des sols, j'étais la semaine dernière dans l'Aube, voir des producteurs qui travaillent sur la couverture des sols, aujourd'hui on arrive à utiliser 1 litre de glyphosate par hectare. Et c'est nécessaire aujourd'hui, quand on fait la couverture des sols, d'utiliser un peu de glyphosate pour, je dirais, finir de tuer les mauvaises herbes, ça évite de retourner les sols, on fait travailler les vers de terre, ça c'est l'agro-écologie qui a été mise en place dans le quinquennat précédent, et nous devons encourager ces pratiques. Et donc nous devons continuer nous aussi…
MARC FAUVELLE
La consommation d'herbicides en France a augmenté de 18 % en 5 ans, c'est ce que disait la semaine dernière l'UFC Que Choisir.
STEPHANE TRAVERT
Mais bien sûr Monsieur, mais regardons aujourd'hui…
MARC FAUVELLE
Donc on n'est pas dans un usage raisonnable, raisonné aujourd'hui, des pesticides.
STEPHANE TRAVERT
Mais essayons, ensemble… moi je suis là pour faire en sorte que nous puissions trouver les moyens, les plus simples, pour faire en sorte que l'on se désengage progressivement de cette utilisation. L'objectif il est commun pour tout le monde, mais aujourd'hui nous savons qu'il y a des agriculteurs, qu'il y a des entreprises, qui utilisent ce type de produit, faisons en sorte que l'on puisse réduire cette utilisation sans mettre en péril, aussi, un certain modèle économique.
MARC FAUVELLE
D'un mot Stéphane TRAVERT, quel est le poids des lobbies dans ce dossier, est-ce qu'ils sont chaque matin devant votre bureau ?
STEPHANE TRAVERT
Non Monsieur, j'ai déjà répondu à cette question, les lobbies ne sont pas devant mon bureau. Lorsque j'étais parlementaire, pendant 5 ans, je ne les ai jamais reçus, parce que ça ne m'intéresse pas, je ne les reçois pas parce que je n'ai pas à le faire, et ici, au ministère, je n'ai pas à le faire non plus. Je ne connais pas les gens qui travaillent…
MARC FAUVELLE
De chez MONSANTO par exemple.
STEPHANE TRAVERT
De chez MONSANTO, je ne les connais pas, je ne les vois pas et je ne les recevrai pas. Moi je suis au ministère de l'Agriculture, je gère aujourd'hui ce beau ministère, je vais essayer de faire en sorte de monter l'agriculture française en gamme, j'essaie de faire en sorte que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur travail, et qu'on soit aussi très précautionneux sur leur santé, et je mets tous les moyens en oeuvre pour parvenir à ce résultat.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 octobre 2017