Texte intégral
Madame la députée de la 15e circonscription de Paris, marraine du Festival le mois Kréyol, ancienne ministre des outre-mer, chère George,
Madame la chorégraphe et toute l'équipe de la Compagnie Difé Kako, organisateurs du festival du Mois Kréyol,
Madame la Professeur des universités à Bowdoin College (USA), invitée d'honneur du festival,
Mesdames et messieurs les intervenants scientifiques et artistiques de la table ronde,
Mesdames et messieurs,
« Kontente vwè zot adan Festival du mois Kréyol !» (Très heureuse de vous voir pour le Festival du mois créole !) J'ai coutume de dire que le ministère des outre-mer est une maison ouverte. Et c'est bien naturellement qu'Oudinot ouvre grand ses portes au festival des langues et cultures créoles. J'insisterai d'ailleurs sur le pluriel : DES langues et DES cultures créoles. De la même manière que les outre-mer ne forment pas un tout uniforme, les créoles sont tout sauf une langue et une culture figées. J'en veux pour preuve la richesse de la programmation du festival, et je tiens d'oreset-déjà à saluer le travail conséquent de Mme Chantal LOÏAL et les équipes de la compagnie Difé Kako. Je me sens doublement concernée par ces questions linguistiques et culturelles : aujourd'hui en tant que ministre des outre-mer bien-sûr, mais aussi en tant que secrétaire d'Etat à la Francophonie de 2014 à 2016. Faut-il dire la francophonie ou les francophonies ? Le débat continue entre, d'un côté, une vision monolithique et élitiste, et de l'autre, une vision plus ouverte sur le monde et sur l'évolution des façons de parler le français. Pour ma part, j'affirme que les créoles enrichissent la langue française et sont un vecteur du rayonnement des francophonies. 2 Avant de laisser la parole aux différents spécialistes sur les représentations et usages des langues créoles, je dirais quelques mots sur l'histoire et les enjeux actuels. C'est la question qui nous rassemble : « parler créole aujourd'hui ».
Nous sommes à 3 jours du 28 octobre, journée internationale célébrant la langue créole. Une reconnaissance qui s'est d'abord développée dans les Caraïbes et l'Océan Indien, pour s'étendre ensuite aux pays d'accueil des populations créolophones, comme la France hexagonale, le Royaume Uni, le Canada ou encore les Etats-Unis. On le voit bien, la langue est ce formidable vecteur de diffusion de la culture. Elle passe outre les frontières et appartient à toutes les femmes et les hommes qui veulent bien la découvrir et en apprendre les subtilités. Le créole est un système linguistique né du contact entre des populations européennes, locales et importées. Il est donc avant tout un fantastique outil de métissage culturel : dès l'origine, le créole a marié et transformé des mots du français, de l'anglais, de l'espagnol, des langues d'Afrique ou des Caraïbes. Il est aussi un puissant vecteur d'appartenance. Les descendants des esclaves ont adopté le créole pour affirmer leur identité. Une identité encore une fois plurielle puisqu'il n'existe pas un créole unique, gravé dans le marbre, intouchable. Le créole est par essence un syncrétisme linguistique. Il acquiert toute sa force par ses ajouts et enrichissements multiples. Mais la proposition est vraie pour toutes les langues : je ne ferai pas un exposé sur le sens des mots, je laisse cela aux linguistes qui sont bien plus au fait sur ces questions. Mais pour prendre le seul exemple du français, on voit bien qu'il se construit sans cesse. Tous les ans, des mots nouveaux viennent enrichir nos dictionnaires : des mots créoles, des mots d'anglais Les créoles sont une richesse et une fierté pour la France. Le créole est d'ailleurs la plus importante langue régionale de France puisqu'il est parlé aujourd'hui par environ 2 millions de personnes sur le territoire de la République. Les langues créoles à base française ont plus de 10 millions de locuteurs dans le monde. Quand on sait que les locuteurs francophones seront près d'un milliard à l'horizon 2050, soit quatre fois plus qu'aujourd'hui, on comprend bien que la part des créolophones a vocation à augmenter dans les mêmes proportions. Les langues régionales ont résisté au fil des siècles grâce aux femmes et aux hommes qui les ont entretenues et transmises aux générations futures. Dans mon archipel, à Saint-Pierre-et-Miquelon, nous avons développé une façon de parler le français qui a pris ses racines dans le basque, le breton, le canadien et l'anglais (Savez-vous ce que sont les « Mayous » ?). Il existe différentes formes de créole : celui des Antilles françaises emprunte, entre autre, certaines formes de syntaxe des langues d'Afrique de l'Ouest ; le créole parlé à la Réunion ou à l'île Maurice emprunte pour sa part à d'autres pays de l'Océan Indien. Ce sont des témoins vivants des échanges culturels et régionaux inédits dans les trois océans. 3 Le créole est donc un puissant révélateur d'une identité culturelle. Je reprendrai ici les mots de Jean BERNABE, Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT dans leur Eloge de la créolité paru en 1989 : « Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles. Cela sera pour nous une attitude intérieure, mieux : une vigilance, ou mieux encore une sorte d'enveloppe mentale au mitan de laquelle se bâtira notre monde en pleine conscience du monde. » Une véritable littérature créole a vu le jour dans les années 70 avec Hector POULLET en Guadeloupe, Elie STEPHENSON en Guyane, FRANKETIENNE en Haïti pour ne citer qu'eux. Le créole est, au-delà d'une langue, une culture qui forme un tout cohérent : littérature, dramaturgie, théâtre, danse bien entendu, musique (Gwoka, Biguine, Zouk), ou encore la gastronomie. Le créole s'incarne dans les mots et dans les corps et je sais combien de chemin il nous reste à faire pour qu'il s'incarne dans nos institutions. Vous savez au passage qu'Haïti est l'un des seuls pays au monde où le créole est considéré comme langue officielle. Madame Michaëlle JEAN, mon amie, est la secrétaire générale de la Francophonie depuis 2 ans. Femme d'Etat canadienne, n'oublions pas qu'elle est originaire de Port-au-Prince. Je sais que nous pouvons trouver là une oreille attentive à ce besoin de reconnaissance des langues et des cultures créoles.
Parce que les créoles souffrent encore aujourd'hui d'un manque de reconnaissance. Je sais que ce n'est pas vous, chère Chantal, qui m'affirmerez le contraire. Présenter le créole comme une langue régionale, c'est courir le risque de l'enfermer dans un repli identitaire. Les mots d'Aimé Césaire, prononcés en 1987 à Miami à l'occasion de la première Conférence des peuples noirs de la diaspora, prennent alors tout leur sens : « Je vois bien que certains, hantés par le noble idéal de l'universel, répugnent à ce qui peut apparaitre, sinon comme une prison ou un ghetto, du moins comme une limitation. Pour ma part, je n'ai pas cette conception carcérale de l'identité. » C'est également ma position. Les langues créoles ne doivent pas être enfermées dans un ghetto culturel. En tant que ministre des outre-mer, je porte une ambition sur ce quinquennat : développer, voire imposer quand c'est nécessaire le « réflexe outre-mer » dans notre culture administrative. Il s'agit de prendre en compte les spécificités des territoires ultramarins dans l'élaboration des lois afin de ne laisser aucun citoyen, ni aucun territoire en marge de la République. La proposition est vraie pour les langues et les cultures créoles. Il ne faut pas que ces enjeux soient uniquement traités ici, rue Oudinot. Les cultures créoles ont toute leur place dans la culture française et je sais pouvoir compter sur Françoise NYSSEN, la ministre de la Culture, pour mener ce combat. Je rappelle ici qu'elle est l'ancienne directrice d'Actes Sud, une maison d'édition qui a fait la part belle aux auteurs issus des Antilles ou encore d'Afrique. Les créoles jouent et devront continuer à jouer un rôle primordial dans la coopération régionale. Le développement des outre-mer ne peut se faire que par leur intégration dans leur bassin maritime respectif. Or si la coopération butte parfois sur des questions 4 économiques ou diplomatiques, on s'aperçoit que ce n'est pas le cas pour la culture, et en premier lieu la langue. Dans la Caraïbe, d'Haïti à Sainte-Lucie, ou encore dans les Mascareignes et l'Océan Indien, les créoles sont porteurs de liens et vecteurs d'échanges. Les ultramarins ont forgé avec leurs voisins une histoire et une culture souvent commune. Les langues créoles sont un trait d'union entre les peuples. Il est essentiel de mettre la question linguistique au coeur des dispositifs de coopération régionale pour mener des actions de coopérations entre les territoires ultramarins et les pays voisins. C'est d'ailleurs une des ambitions que je porte pour les Assises des outre-mer : le thème de la culture et donc de la place des créoles devra être discuté avec l'ensemble des acteurs culturels et des citoyens autour de l'Etat et des élus locaux. A titre personnel, je défends la vision d'une culture qui parle à tous, qui ne s'enferme pas dans une communauté ou dans une identité figée.
Mesdames et messieurs, Les langues et les cultures créoles appartiennent pleinement à l'histoire de France. S'il y a un manque de reconnaissance institutionnelle, ce n'est pas une fatalité. Ce mois créole est l'occasion idéale de diffuser dans l'hexagone et à Paris, toute la force et la richesse des langues et cultures créoles. Il s'agit aussi de combattre les stéréotypes d'une vision surannée qui ne connait du créole que l'exotisme et le ti punch. Je suis à vos côtés dans ce combat.
Pour terminer, je me risquerai à ces quelques mots : « Mesi, A an dot Soley ! » (Merci et à bientôt !)
source https://topoutremer.com, le 17 novembre 2017