Texte intégral
Q - Jean-Baptiste Lemoyne, vous êtes secrétaire d'État au Quai d'Orsay, que se passe-t-il en Allemagne ?
R - L'Allemagne a un système plutôt vertueux, il y a un temps de discussion important au moment de la constitution du gouvernement, pour s'assurer que la feuille de route qui est négociée à ce moment-là sera respectée dans le courant de la mandature. C'est un processus très intéressant à bien des égards. On se trouve aujourd'hui se trouve à un moment où les partis ne sont pas parvenus à un accord sur cette feuille de route. Pour autant les institutions allemandes sont bien faites, le gouvernement reste en fonction. Je peux en attester puisqu'au conseil européen des ministres du commerce, mon homologue M. Machnig, pourtant issu du SPD, siège et défend des positions..
Vous aurez vu que le président fédéral a entamé des consultations, nous allons voir, le FDP revient-il à la table ? Le SPD est-il tenté, ou pas, d'entrer dans la danse ? Si tout cela ne devait pas aboutir, il y aura un nouveau cycle électoral.
Q - Outre-Rhin, sommes-nous face à une énième réplique de la crise des migrants. L'Allemagne paie-t-elle l'addition de ce million de migrants arrivés dans le pays?
R - Je ne sais pas si c'est le seul sujet auquel il faille attribuer la difficulté des discussions. Il y a eu des formations moins représentées qui ont pris du poids, je pense aux Verts et au FDP, il a fallu composer avec tout cela avec des positions qui parfois effectivement étaient très antagonistes et ce sujet-là a pesé naturellement, mais ce n'est pas le seul.
Q- Vous avez dit que les institutions continuent mais néanmoins on sent une Allemagne un peu paralysée. Est-ce un coup d'arrêt pour les projets européens ambitieux du président macron ?
R - Il y a deux choses à distinguer, l'Europe continue à fonctionner et les ministres sont en fonction. Sur un certain nombre de dossiers très importants comme la surveillance des investissements étrangers sur nos territoires, l'Allemagne est présente et elle est au rendez-vous. Le président de la République a des ambitions pour l'Europe, il les a exposées dans son discours de la Sorbonne. Cette ambition commence par celle d'un grand débat démocratique ; l'idée est de tenir tout au long de l'année 2018 des conventions européennes et démocratiques. Quel que soit le scénario dans lequel on se place en Allemagne , le plus long étant celui où des élections seraient organisées début 201, je ne pense pas que cela soit de nature à paralyser notre ambition , on est là dans un ajustement de quelques semaines maximum.
Q - Le président Macron avait laissé entendre qu'en cas de Brexit, les accords du Touquet, négociés par Nicolas Sarkozy, qui lient la France à la Grande-Bretagne, devaient être amendés ou renégociés. On n'en entend plus parler, quelle est la position de la France aujourd'hui sur ces accords du Touquet ?
R - C'est un sujet suivi plus spécifiquement par Gérard Collomb qui s'est rendu la semaine dernière au Royaume-Uni notamment pour évoquer le fonctionnement des accords du Touquet et de la contribution du Royaume Uni à la lutte contre l'immigration irrégulière sur notre littoral et par ailleurs, c'était aussi l'autre objectif de son déplacement, pour regarder leur modèle de police et de sécurité quotidien que nous voulons mettre en place.
Il faut tirer toutes les conséquences du Brexit, le sujet de la gestion des flux doit être ouvert. Pour l'instant, les Britanniques contribuent, y compris financièrement, à mettre en oeuvre un certain nombre d'infrastructures liées à ce contrôle qui a lieu sur notre territoire, mais on ne peut pas faire comme si de rien n'était.
Q - Faut-il négocier Monsieur Lemoyne ?
R - En tout cas, le sujet doit être discuté, je ne peux pas vous en dire plus. Je ne peux pas vous donner les résultats avant que les discussions n'aient abouti. En matière de gestion migratoire, on n'est pas «en arrière de la main.» Il y a un projet de loi lié au droit d'asile en cours de confection qui sera présenté au Premier ministre d'ici à la fin de l'année.
Q - Pourquoi parler des élections européennes maintenant ?
R - Il n'y a pas un sujet évoqué lors de ces entretiens et de ces consultations menées sur les prochaines échéances électorales européennes, mais trois sujets. Il y a des grandes régions dans le cadre desquelles sont élus des députés européens mais qui ne collent plus du tout avec les découpages régionaux issus de la loi NOTRe. En terme d'intelligibilité pour les citoyens, ils n'y retrouvent pas leurs petits. Alors comment fait-on ? Doit-on adapter les régions aux nouvelles frontières régionales depuis la loi NOTRe ? Doit-on aller vers une liste nationale ? C'est un débat qui est sur la table.
Il y a deux autres points évoqués systématiquement dans les entretiens, d'une part, l'idée de mettre en place des listes paneuropéennes : avec le Brexit, il y a des sièges britanniques qui se libèrent. C'est aussi l'idée d'avoir la possibilité d'un vrai débat européen, avec des partis européens comme le PSE, PPe, etc. C'est une idée profondément européenne.
Troisièmement, il y a les conventions démocratiques que le président évoquait dans son discours à la Sorbonne, c'est-à-dire faire en sorte que dans tous les États de l'Union il puisse y avoir ce remue-méninge : quelle Union voulons-nous ? Parce qu'il faut entendre les peuples européens.
Q - Allez-vous faire des alliances avec ce qui existe déjà, la gauche européenne, la droite européenne, le PPe ou le parti socialiste, ou bien y aura-t-il des listes ou des équivalents d'En Marche dans tous les États d'Europe pour avoir un président En Marche de la commission à l'échelle européenne ?
R - Il ne vous aura pas échappé qu'Emmanuel Macron n'a pas fait comme les autres quand il a lancé sa candidature. Il s'est affranchi des catégories qui existaient. Au niveau européen. Je pense qu'il ne faut pas s'enfermer dans les schémas existants. C'est pour cela que Christophe Castaner a annoncé qu'En marche irait à la rencontre des formations politiques en Europe, pour identifier où l'on peut trouver des accords avec les formations politiques sur nos priorités. Nous prendrons notre bâton de pèlerin pour aller à la rencontre de tous les partis politiques démocratiques qui, de près ou de loin peuvent être proches de la philosophie d'En marche, et avec lesquelles on peut trouver des points d'accord.
C'est l'ambition du Président pour que l'on puisse constituer des majorités sur des projets concrets.
Q - En plein Brexit, avec Mme Merkel affaiblie, le président Macron tente-t-il de prendre le leadership ?
R - L'idée n'est pas de la «jouer perso.» Le moteur franco-allemand a toujours été là, nous souhaitons une Allemagne stable, forte, avec laquelle on puisse conduire un certain nombre de transformations. Il est vrai, pour voyager beaucoup, en Europe et au-delà, qu'il y a une envie de France qui se manifeste. Ce jeune président interpelle et on a envie de travailler avec lui.
Q - Jean-Baptiste Lemoyne, comment faire avec la situation des migrants, on est assez divisés sur la question, comme toujours.
R - La France est à l'offensive. Souvenez-vous le 28 août dernier, Emmanuel Macron réunissait à l'Élysée plusieurs de ses homologues européens, méditerranéens, africains, parce que pour gérer Calais, il faut aussi gérer les situations en amont, très en amont, notamment dans les pays d'origine et de transit. Il faut distinguer quelles sont les personnes qui relèvent du droit d'asile et quelles sont celles qui sont tentées par une immigration de type économique.
C'est pourquoi le président de la République sera sur le continent africain la semaine prochaine, où il aura l'occasion à Ouagadougou de prononcer un discours fondateur sur sa vision des relations entre l'Europe et l'Afrique et des défis que l'on a à relever ensemble.
Naturellement, l'idée est de pouvoir faire en sorte qu'il y ait un développement endogène, qui permette à sa jeunesse très dynamique de trouver de quoi s'employer.
Q - Après les terribles images que l'on a vues des ventes aux enchères d'esclaves en Libye, confirmez-vous que la France va accueillir des migrants évacués de Libye qui auraient été choisis, triés, - le mot n'est pas joli - soit en Libye, soit au Niger ?
R - Ce que je peux vous dire, c'est qu'à la suite du sommet du 28 août, a été mis en place un processus avec le HCR notamment, dans ces zones, pour être capable d'identifier les personnes qui relèvent effectivement du droit d'asile, au regard de leur dossier, pour leur éviter d'avoir à traverser cette Méditerranée mortelle, dès lors qu'ils relèvent bien du droit d'asile. Il y aura effectivement des premières arrivées au début de l'an prochain. Je ne peux pas vous indiquer de chiffre mais un processus s'est mis en place avec le HCR, dans le cadre de permanences qui sont régulièrement organisées au Niger et dans les pays de la zone.
Q - Quelle est votre position Monsieur Lemoyne [alors que la plupart des pays d'origine semblent très peu coopératifs pour réadmettre leurs ressortissants ] ?
R - Il faut sûrement plus de moyens, plus d'efficacité dans les moyens pour l'aide au développement, mais il faut également plus d'efficacité dans les mesures d'éloignement. On ne peut pas se satisfaire de la situation présente, Gérard Collomb l'a affirmé et réaffirmé. Ce que nous souhaitons, c'est aussi obtenir des pays émetteurs qu'ils émettent plus de laissez-passer pour réadmettre un certain nombre de ressortissants qui n'ont plus vocation à rester sur notre territoire.
Q - Quels moyens pouvez-vous mettre en oeuvre pour le faire ?
R - C'est un travail qui ne relève pas des estrades, c'est un travail de confiance avec les autorités, pour obtenir qu'elles délivrent plus de laissez-passer pour réadmettre leurs ressortissants. Mais, effectivement, compte tenu de la sensibilité du sujet dans leurs opinions à eux, c'est un travail qui se fait à basse intensité en terme de visibilité médiatique. Mais je peux vous dire que la détermination est là.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 novembre 2017