Texte intégral
Q - Les Européennes, le Brexit, le couple franco-allemand et si la belle dynamique européenne impulsée par l'élection d'Emmanuel Macron se grippait à l'occasion du E-day, Journée européenne qui se tiendra jeudi prochain à l'université Paris-Dauphine. Je reçois ce matin la ministre chargée des affaires européennes, bonjour Nathalie Loiseau.
R - Bonjour David Abiker.
(...)
Q - Angela Merkel n'a pas réussi à obtenir une majorité absolue lors des dernières législatives, elle a échoué à négocier avec les libéraux. Est-ce qu'elle peut former un projet de gouvernement avec le SPD et les Verts rapidement, de manière à ce que le couple franco-allemand poursuive dans la dynamique impulsée ces derniers mois ?
R - Angela Merkel a dit qu'elle souhaitait former rapidement un nouveau gouvernement, elle y travaille avec le président fédéral, puisque désormais c'est lui qui a la main. Angela Merkel, c'est une grande Européenne, on a fait beaucoup avec elle, on a fait beaucoup pendant la campagne électorale allemande et on fait beaucoup en ce moment, alors que c'est un gouvernement qui, entre guillemets, expédie les affaires courantes. Elle est très déterminée, elle sait très bien où elle va. La relation franco-allemande, et la relation entre Angela Merkel et Emmanuel Macron, est extrêmement étroite. Nous avons fait des propositions sur l'Europe de la défense, sur la taxation des GAFA, tout cela s'est fait en franco-allemand, donc le moteur n'est pas grippé. Évidemment, on souhaite pour l'Allemagne qu'il y ait très vite un gouvernement stable.
Q - Si elle n'y parvenait pas, on perd combien de temps ?
R - C'est un système politique qui est très différent du nôtre. Déjà, ils ont l'habitude de la coalition, ce qui n'est pas forcément notre cas. Au pire du pire, ce sont des nouvelles élections législatives et, dans ce cas, ce serait février. Mais, entre-temps, il y a un gouvernement allemand qui travaille avec des gens qui ont de fortes convictions européennes.
Q - Donc le contexte du moment, le contexte politique allemand ne gêne en aucun cas votre travail à vous ?
R - Tout ce qu'on a mis sur la table comme propositions pour faire évoluer l'Europe va être examiné par les partis politiques qui vont travailler ensemble pour former une coalition en Allemagne. On en parle avec tous, on les connaît tous et ce sont tous des partis très pro-européens.
Q - Il y aura des élections européennes en 2019, c'est une échéance qui va être très importante pour Emmanuel Macron, parce que ce sont les premières élections qui arrivent, elles sont assez lointaines mais elles vont arriver vite. Emmanuel Macron a eu un projet européen plus que tous les autres candidats dans la dernière campagne présidentielle, je n'ose pas dire qu'il a mis ses oeufs dans le même panier, mais s'il se plante ou si En Marche se plante à ces élections européennes, il perdra beaucoup. Alors la première question que j'ai envie de vous poser, c'est comment il va mobiliser les Français sur les enjeux européens ?
R - La question, ce n'est pas uniquement 2019, parce que si on à l'oeil rivé sur la politique politicienne, effectivement on se dit, la prochaine fois ce sont les élections européennes. C'est ce qu'on entend beaucoup dans la bouche de Jean-Luc Mélenchon, par exemple, il se passionne pour l'Europe, depuis qu'il s'est rappelé que les prochaines échéances électorales, c'est les européennes. Non, ce qui compte, c'est qu'effectivement Emmanuel Macron a fait campagne sur l'Europe, que depuis qu'il est en fonction, on pousse très fort pour faire avancer l'Europe, pour la réformer aussi. Ce n'est pas une question de politique politicienne, c'est parce que l'Europe en a besoin parce qu'il y a des défis à la taille du continent, qu'il faut les relever et là-dessus, on est extrêmement mobilisés. Mais, vous avez raison, une partie de mon travail ce n'est pas seulement de faire en sorte que la France soit mieux entendue en Europe, c'est que l'Europe soit mieux vécue en France. Et de ce point de vue-là, il y a du travail, c'est une des raisons pour lesquelles on va organiser l'année prochaine au printemps des conventions démocratiques, c'est-à-dire des grands débats sur l'Europe partout à travers la France, partout à travers l'Europe, pas sur les institutions...
Q - Les autres pays vont le faire ?
R - Au moins une dizaine, oui.
Q ? C'est une initiative française, mais qui nous dit que la Pologne ou les Belges ou les Italiens vont nous suivre là-dessus ?
R - Les Belges et les Irlandais, oui. On est en train d'y travailler, on discute ensemble. Ne viendront que ceux qui ont envie de participer. C'est intéressant pour que les dirigeants, au moment où ils vont prendre des décisions de réformes de l'Europe, aient une photographie aussi fidèle que possible de l'état d'esprit, des aspirations des Européens sur les grandes politiques européennes. Qu'est-ce qu'on attend de l'Europe en matière économique, en matière de migrations, en matière de lutte contre le terrorisme ? C'est cela qu'on a envie de savoir.
Q - On va y venir mais est-ce qu'il faut changer le mode de scrutin pour avoir un mode de scrutin qui soit peut-être plus européen et moins national et en finir avec cette sale habitude française d'envoyer au Parlement européen des losers de la politique française ?
R - Cette sale habitude, elle dépend des partis. Il y a aussi des députés formidables à Strasbourg, sur les travailleurs détachés on a formidablement bien travaillé au niveau du Conseil, et au Parlement européen une eurodéputée française, Elisabeth Morin-Chartier, a porté le dossier pendant des mois.
Q - Il faut changer le mode de scrutin ?
R - Nous, ce qu'on propose c'est qu'à côté de l'élection qu'on connaît déjà, qui peut se faire soit sur une liste nationale, soit sur des listes régionales - ça c'est en débat, les partis politiques en discutent avec le président de la République, on verra ce qui sera décidé la semaine prochaine, je ne vais pas faire d'annonce à l'avance - ce qu'on propose donc c'est qu'il y ait à côté une circonscription européenne, c'est-à-dire des listes avec des gens qui seront Lettons, Roumains, Portugais, Français, l'important ne sera pas là, l'important c'est le projet qu'ils portent. Il s'agit de faire en sorte que pour une élection européenne, il y ait vraiment des programmes européens, un débat sur quelle Europe on veut, parce que si les citoyens européens ne dessinent pas l'Europe qu'ils veulent, d'autres la dessineront à leur place.
Q - Un sujet qui interpelle les citoyens, c'est l'écologie dans cette Europe, avec ce constat que des dossiers comme le glyphosate ou la pêche électrique sont poussés par des lobbies au niveau de Bruxelles, comment rendre l'Europe plus soucieuse des intérêts des citoyens et des intérêts écologiques ?
R - C'est le vrai dossier aujourd'hui, il y a des différences de perception entre les États membres. Un pays comme la France où les enjeux d'environnement et de santé sont devenus très fort - l'opinion, les associations sont très mobilisées et c'est une excellente chose - et puis d'autres pays où c'est moins présent. Donc on discute, on débat. L'Europe, c'est se mettre d'accord à 28, c'est donc quelquefois moins rapide qu'on ne le voudrait. Mais sur le glyphosate, il y aura une réunion lundi à Bruxelles, on était parti d'une reconduction quasiment les yeux fermés pour 10 ans de l'autorisation du glyphosate, aujourd'hui on débat au maximum de 5 ans. Il y a une pétition signée par 1.300.000 citoyens européens pour demander qu'on aille vers la sortie du glyphosate et aujourd'hui c'est cela le sujet, c'est cela qui est sur la table.
Q - Avec l'Europe, on peut en reprendre pour 10 ans, pour 5 ans ?
R - Non, non, aujourd'hui même la commission ne parle plus que de 5 ans et on parle de stratégie de sortie. Il y a eu une énorme évolution sur la pêche électrique, c'est un sujet qui est aussi en train de monter, à juste titre. La pêche électrique, elle doit être interdite aujourd'hui. Il y a une exception, 5% des prises peuvent être faites en pêche électrique, c'est une expérimentation néerlandaise, absolument pas française. Mon point de vue, c'est qu'il faut aller plus loin vers l'interdiction complète parce que c'est un véritable massacre écologique.
Q - Sujet qui concerne également les Français, mais aussi tout le continent africain : il y aura un sommet de l'Union africaine et de l'Union européenne en Côte d'Ivoire, mercredi et jeudi prochain, le président français y sera puisqu'il part en Afrique dès demain. Que peut l'Europe pour stopper le développement de l'esclavage en Libye ? Certains estiment que l'Europe est responsable de la résurgence de l'esclavage en Libye.
R - Emmanuel Macron est le premier à avoir nommé les choses, il a parlé de crime contre l'humanité. Jean-Yves Le Drian a saisi le conseil de sécurité en urgence, donc la France prend ses responsabilités. Qui est responsable ? D'abord les passeurs, c'est-à-dire des trafiquants d'êtres humains, le trafic d'êtres humains c'est devenu le troisième trafic le plus lucratif au monde, vous trouvez en Libye non seulement des Africains d'Afrique subsaharienne, vous trouvez des gens du Bangladesh qui sont amenés par des gens qui tirent profit de la misère humaine, de la manière la plus ignoble possible.
Q - Ça, c'est le constat, qu'est-ce qu'on peut faire ?
R - Ce qu'il faut, c'est lutter contre les passeurs dans les pays d'origine, c'est de là que cela part, et on a vu des manifestations en Afrique dans un certain nombre de pays disant : mais que font les pays africains ? Parce que cela démarre chez eux et qu'évidemment il faut agir, dans les pays de transit. Pour cela, nous, nous avons décidé de venir en soutien au Haut-commissariat aux réfugiés, à l'Organisation internationale des migrations pour qu'ils puissent aller dans les camps de détention et surtout faire sortir ceux qui relèvent véritablement de l'asile. On a commencé à faire venir des réfugiés depuis le Niger directement en France. Il faut aussi évidemment travailler sur les causes des migrations.
Q - Emmanuel Macron va en parler à Abidjan.
R - Bien sûr, et fortement vous verrez.
Q - Un mot sur le Brexit, Nathalie Loiseau, ministre chargé des affaires européennes, Michel Barnier qui est le négociateur pour l'Europe de ce divorce avec le Royaume-Uni, disait il y a 10 jours que cela n'avançait pas, que les 27 devaient se préparer à une absence d'accord. S'il n'y a pas d'accord, qu'est-ce qui se passe ?
R - S'il n'y a pas d'accord, c'est une mauvaise nouvelle, mais pour avancer, il faut être deux, et pour le moment, le gouvernement britannique n'a toujours pas répondu aux questions assez simples qu'on lui a posées, c'est-à-dire : qu'est-ce qu'on fait pour garantir la situation des citoyens européens qui vivent au Royaume-Uni ? Qu'est-ce qu'on fait pour faire en sorte que les relations entre le Royaume-Uni et l'Irlande, qui, elle, va rester dans l'Europe, dans la zone euro, restent aussi fortes et avec, malgré tout, la mise en place d'une forme de frontières, puisque cela ne sera plus la même chose ? Et qu'est-ce qu'on fait pour que le Royaume-Uni paie ce qu'il doit en tant qu'État membre ? Là-dessus on n'a pas suffisamment avancé, sur les citoyens, pas assez, on n'a presque pas avancé sur l'Irlande, on n'a pas du tout avancé sur le règlement financier. Nous sommes tous pressés de passer à la deuxième phase, c'est-à-dire négocier un accord étroit entre le Royaume-Uni et l'Europe, c'est notre intérêt commun. Mais on ne va pas mettre de côté nos premières priorités et on ne va pas partir dans l'inconnu avec un pays qui doit encore honorer sa signature en quelque sorte.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 décembre 2017