Texte intégral
Q - Bonjour Monsieur Lemoyne. La situation est tendue entre le Royaume-Uni et Donald Trump, après que le président américain ait retweeté des postes antimusulmans de «Britain first», un groupe d'extrême-droite britannique.
Donald Trump a également menacé de détruire le régime nord-coréen, après le nouvel essai balistique de Pyongyang. Le président américain va-t-il trop loin ?
R - Il a une façon de faire qui peut être un peu déconcertante, effectivement. Concernant les tweets, les Britanniques ont réagi, ils ont tout dit. Il faut parfois faire attention à ce que l'on fait.
S'agissant de la Corée du Nord, clairement, face à l'augmentation des menaces, il faut une augmentation des pressions, y compris des pressions et des sanctions qui vont toucher le régime nord-coréen et un certain nombre d'individus, car on ne peut plus laisser faire cela. On le voit bien, tout point du globe est potentiellement à portée de tirs.
La France a réaffirmé ce souhait de sanctions confortées, et, à travers cela, il faut parvenir à amener le régime nord-coréen à la table des négociations pour arriver à une dénucléarisation de cette péninsule coréenne.
Q - Mais est-ce en tenant de tels propos de la part de Donald Trump que l'on réussira à remettre autour de la table le régime nord-coréen ?
R - La France parle à tout le monde, elle fait passer les messages à la Chine, à la Russie, pour justement faire en sorte que ces pays qui sont membres permanents du conseil de sécurité, qui par ailleurs ont eux-mêmes une capacité à faire passer des messages à la Corée du Nord, le fassent. Si la communauté internationale est unie et ferme, c'est la meilleure façon de progresser.
Q - Cette politique de sanctions ne vous semble-t-elle pas inefficace jusqu'ici?
R - Vous savez, il y a un certain nombre d'officiels nord-coréens qui continuent à voyager, d'entreprises d'État qui continuent d'avoir des activités économiques à l'étranger ; il faut restreindre tout cela par une meilleure application des sanctions existantes et par de nouvelles sanctions pour conduire à une situation telle que le régime n'ait pas d'autre choix que de revenir à la table des négociations. C'est pour cela qu'un accord avait été atteint en 2015 avec l'Iran, pour contrôler le développement nucléaire, et cet accord on y tient.
Sur ce sujet du nucléaire, la France est cohérente. Elle défend fermement l'accord de Vienne qui a trait à l'Iran, car cela permet de contrôler les choses, et cela montre bien que l'on a besoin de dispositifs de la sorte pour éviter la prolifération.
Q - Pour cela, il faudrait avoir un accord avec la Chine puisque c'est elle qui approvisionne majoritairement la Corée du Nord. La Chine est-elle prête aussi à durcir les sanctions ?
R - Je crois qu'il y a une prise de conscience du côté de la Chine. Je peux vous le dire, chaque fois, la diplomatie française est à l'oeuvre pour le dire et le redire à ses homologues chinois.
Q - L'absence de coalition en Allemagne, est-ce préoccupant pour la France ou bien, cela renforce-t-il la position d'Emmanuel Macron sur la scène européenne ?
R - la France souhaite toujours avoir un partenaire allemand qui soit stable, fort, et de ce point de vue-là bien sûr, lorsqu'un gouvernement aura été constitué, ce sera un plus pour continuer d'avancer et pour avoir une véritable ambition européenne.
Le président de la République a mis sur la table un certain nombre de propositions lors de son discours de la Sorbonne, on a vu d'ailleurs le bon accueil qu'il a reçu de la part d'un certain nombre de partenaires allemands. Nous souhaitons donc pouvoir le mettre en oeuvre. Cela passe effectivement par la mise en place d'un gouvernement.
Q - Êtes-vous confiant dans la formation de cette coalition en Allemagne ?
R - Les prochains jours le diront. Il y a un certain nombre de consultations qui sont menées, le président de la République a souhaité que les socio-démocrates et la CDU puissent se parler, nous verrons ce que cela devient. Il y a un congrès du SPD prochainement. Nous aurons en tout cas des partenaires pro-européens en Allemagne quoiqu'il arrive et nous pouvons nous en féliciter pour continuer d'avancer. On le voit bien, mettre en place une Europe qui protège, mettre en place une Europe qui fonctionne mieux, cela doit se faire avec ce moteur franco-allemand qui doit être encore plus ambitieux que jamais.
Q -Emmanuel Macron revient d'Afrique où il a passé trois jours, la presse africaine est assez partagée sur la visite du président, il a voulu tourner la page de la Françafrique, il a dit qu'il n'y avait plus de politique africaine de la France, il veut que la jeunesse africaine se prenne en main, peut-on dire qu'Emmanuel Macron a coupé le cordon ombilical entre la France et l'Afrique ?
R - J'étais également à Abidjan pour le sommet Union européenne/Union africaine. Ce que je peux dire, pour avoir discuté avec un certain nombre de responsables du continent, c'est que sa nouvelle approche basée sur l'accent qu'il met sur la jeunesse, sur l'éducation, sur le digital pour transformer les économies, cela plaît. Effectivement, il est d'une génération - et je suis de la même que lui - qui n'a pas connu les heurts de la décolonisation. C'est donc un regard nouveau qui est porté sur le continent, sachant que l'Europe et l'Afrique ont des destins liés ; ce même fuseau qui va du nord au sud, avec les mêmes enjeux : les défis climatiques, les défis sécuritaires, le défi des mobilités. On a vu ces images horribles des migrants traités en Libye et c'est ensemble que nous devons élaborer des solutions. La façon de voir du président renouvelle véritablement le genre.
Q - N'était-ce pas un peu brutal comme approche de dire que la jeunesse africaine doit se prendre en main ?
R - Vous savez que la jeunesse africaine est bouillonnante d'initiatives, je peux vous le dire. C'est vrai dans le secteur du numérique, dans le secteur de la ville durable, cela foisonne. Il y a un certain nombre d'innovations qui sont faites là-bas qui ensuite viennent en Europe. Je prends l'exemple de toutes les applications liées au paiement bancaire par téléphone mobile, en réalité, ce sont souvent des applications qui ont été conçues à Abidjan ou à Dakar. Nous sommes maintenant sur un même pied d'égalité et nous devons avancer ensemble dans un vrai partenariat. C'est ce qui est nouveau et c'est ce qui est à saluer.
Q - Selon vous, faut-il quand même une politique africaine, une ambition pour la France en Afrique ?
R - Il faut une ambition pour l'Europe et l'Afrique car aujourd'hui, sur tous ces sujets, ce n'est pas la France seule et ce n'est pas le continent africain non plus tout seul qui peuvent trouver des solution. En matière d'éducation, il y a d'énormes défis. En effet, la démographie étant ce qu'elle est, ce sont plusieurs dizaines de milliers d'enseignants qu'il faut former chaque année, pour parvenir à prodiguer une éducation de base et supérieure suffisante. Le président de la République a lancé un appel aux différents établissements français en leur disant de se projeter là-bas, car il y a énormément de talents.
La France doit adapter sa présence en Afrique aux enjeux d'aujourd'hui. Demain, l'Afrique sera le continent de mégalopoles et nous avons énormément à faire en matière de défis à relever. La France a une expertise considérable et c'est la raison pour laquelle le Président de la République a proposé que le Sommet de 2020 soit consacré aux villes durables.
C'est effectivement une manière de voir un peu nouvelle, mais qui est rafraîchissante et qui colle à ce que souhaite la jeunesse africaine.
Q - Il y a un autre défi à relever qui est celui de l'immigration. La France a fait tomber Kadhafi, Emmanuel Macron a dit qu'il n'aurait pas fait comme ça s'il avait été aux responsabilités à ce moment-là, du coup, la France a-t-elle une responsabilité ? Devait-elle trouver une solution à cette traite d'esclaves en Libye ?
R - Je crois que nous avons tous été interpelés, ce n'est pas un sujet de France ou pas, c'est un sujet universel.
Il y a quelques jours, j'accueillais ici la conférence ministérielle de l'organisation Internationale de la Francophonie où nous avons élaboré une déclaration que les 84 États francophones ont endossée, pour dire toute l'horreur que cela nous inspirait. Je dirai que c'est chaque humain qui doit se sentir interpelé. Trouver des solutions à ce sujet-là s'impose à tous.
En arrivant à Abidjan, le président de la République a pris les choses en main, il a provoqué une réunion, nous avons un dispositif et une - task-force - qui se met en place entre l'Union africaine, l'Union européenne et les pays riverains pour parvenir à mettre en place des dispositifs permettant à ces migrants qui sont dans ces situations, soit de revenir chez eux s'ils le souhaitent, soit s'ils sont éligibles au droit d'asile, de pouvoir faire valoir ce droit.
Q - Comment faire pour ceux qui ne peuvent pas retourner chez eux ?
R - C'est pour cela qu'un certain nombre de missions ont été mises en place, suite au sommet que nous avons tenu le 28 août ici à Paris, en coopération avec le HCR et OIE qui permettent de détecter, dès le sol africain, celles et ceux qui sont éligibles au droit d'asile.
Maintenant ce qu'il faut, c'est faire en sorte d'aboutir à un développement économique qui permette à cette jeunesse considérable de trouver des débouchés, des formations et des emplois, parce que, ce qu'ils souhaitent avant tout, c'est évidemment d'être heureux. C'est parce qu'il n'y a pas suffisamment de création d'emplois qu'ils sont conduits à prendre ces routes de la nécessité.
Q - Comment fait-on pour ces Africains qui ne peuvent pas rejoindre leur pays, qui sont dans ce marché de traite d'esclaves en Libye, faut-il les accueillir en Europe ou non ?
R - Vous évoquez des cas qui s'apparentent à celui du droit d'asile, des gens persécutés etc. Si le droit d'asile est octroyé au terme des procédures, cela veut dire effectivement que ce sont des personnes qui ont leur place en Europe.
Q - Edouard Philippe a annoncé un changement de scrutin pour les élections européennes. Pourquoi ce retour à une liste nationale ?
R - Tout simplement pour donner une plus grande force, une plus grande visibilité à ce scrutin.
Q - C'est donc un choix politique ?
R - C'est tout simplement pour donner de la lisibilité. Souvent, le scrutin européen n'est pas très mobilisateur, on a un taux d'abstention important et pourtant, tout ce qui est géré au niveau européen est considérable, on le voit aujourd'hui. Il faut que l'électeur français puisse s'y retrouver. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 décembre 2017