Texte intégral
Mesdames et messieurs,
Les Rencontres cinématographiques de Beaune sont une occasion privilégiée pour faire le point sur les enjeux culturels des négociations commerciales internationales. Nous sommes à quelques jours de la conférence ministérielle de l'OMC, qui lancera, je l'espère, un nouveau cycle de négociations commerciales sur la base d'un agenda suffisamment large pour répondre aux enjeux de régulation du commerce mondial.
La reprise de la négociation sur les services, inscrite dans l'agenda incorporé aux accords de Marrakech en 1994, est derrière nous. Après un démarrage prudent, les négociateurs commencent à entrer, à l'OMC, dans le vif du sujet.
Où en sommes-nous ? Quel chemin avons-nous parcouru depuis le début des années quatre-vingt-dix?
L'Union européenne a réussi, à l'instigation de la France, à préserver ses politiques culturelles en 1994 à l'OMC. C'est ce qu'on a appelé l' " exception culturelle ". Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une réelle exclusion de la culture de l'Accord général sur le commerce des services.
L'Union européenne a simultanément souscrit une offre limitée pour certains services culturels, notamment les spectacles, et refusé tout engagement de libéralisation dans le secteur audiovisuel, dont les enjeux économiques et l'audience sont les plus importants. Les services audiovisuels ne sont soumis qu'aux disciplines horizontales de l'accord, limitées aujourd'hui à la transparence et à la clause de la nation la plus favorisée, pour laquelle nous avons pu prendre les dérogations nécessaires.
Ce dispositif juridique est essentiel pour préserver les quotas de diffusion audiovisuelle, les subventions à la production et à la distribution, les critères linguistiques et les accords de co-production. Il s'est révélé extrêmement efficace et le restera, pourvu que trois conditions soient réunies :
- en premier lieu, l'Union européenne, qui négocie au nom de la France à l'OMC, doit maintenir une position claire et ferme. Je n'ai aucune inquiétude à ce sujet, car nous disposons d'un mandat très clair depuis le conseil d'octobre 1999. Il n'est pas question de le remettre en cause, comme l'a confirmé la commissaire Vivianne Reding récemment.
Je vous rappelle à cet égard que nous avons obtenu, dans le traité de Nice, que les services culturels et audiovisuels ne fassent pas l'objet d'un passage à la majorité qualifiée pour le volet externe - je veux parler de la politique commerciale commune. Cette disposition de l'article 133 constitue une sérieuse garantie pour la préservation de nos positions.
- en second lieu, il faut que les contours du secteur audiovisuel, tel qu'ils sont définis dans la classification des services utilisée par l'OMC, conservent une signification économique suffisante pour garantir la sécurité juridique dont nous avons besoin. C'est un enjeu important dans le contexte des évolutions technologiques que nous connaissons. Il conviendra d'y être attentif.
- enfin, il faut éviter que de nouvelles disciplines horizontales ne viennent contourner l'absence d'engagements spécifiques qui protège le secteur audiovisuel. Des négociations sont notamment en cours au sein de l'accord de l'OMC sur deux sujets : les subventions et la réglementation intérieure.
Je ne crois pas nécessaire de détailler les dangers potentiels de disciplines sur les subventions. Le long débat sur les aides d'Etat dans le domaine culturel, qui s'est conclu de manière satisfaisante avec la Commission européenne, est suffisamment explicite à cet égard.
Les négociations sur ce sujet n'ont à l'OMC pratiquement pas avancé, notamment parce qu'elles posent des problèmes importants dans d'autres secteurs de services.
Les disciplines sur la réglementation intérieure sont à suivre de près. L'objectif est de se prémunir contre les barrières déguisées aux échanges. Pour ce faire, des disciplines sont à l'examen, visant à assurer la proportionnalité des mesures prises par les gouvernements au regard des objectifs poursuivis. Ces disciplines ne s'appliqueront qu'aux licences, qualifications et normes techniques. La France entend limiter leur application aux seuls secteurs offerts, ce qui exclut les services audiovisuels.
Si je suis confiant dans notre détermination à préserver nos politiques culturelles dans le cadre de la négociation en cours, je m'attends à un renforcement des pressions de nos partenaires à l'OMC.
Les Etats-Unis, le Japon, la Suisse et le Brésil ont d'ores et déjà fait des propositions à l'OMC, qui ont toutes un point commun : elles cherchent les moyens de sortir de la logique du " tout ou rien " en matière d'engagements de libéralisation, en prétendant concilier les enjeux commerciaux et la préservation de la diversité culturelle par l'élaboration de disciplines ad hoc à l'OMC. Ces disciplines apporteraient certes une meilleure sécurité juridique, mais nous ne sommes pas prêts à la payer d'une limitation de nos marges de manuvre pour adapter et mettre en uvre nos politiques culturelles.
Nous ne sommes plus dans une phase d'opposition frontale sur la culture. Les prises de position apparaissent plus respectueuses des sensibilités des partenaires. Pour autant, n'oublions pas que, si 19 pays sur 134 avaient pris des engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel en 1994, ils seront beaucoup plus nombreux dans l'avenir. L'Union européenne devra veiller à consolider les alliances sur la diversité culturelle.
De ce point de vue, la question des relations entre commerce et culture ne peut être traitée seulement, ni même principalement, à l'OMC. Il faut la replacer dans une perspective de gouvernance internationale et de cohérence, comme c'est le cas pour l'environnement ou la santé. La question de la diversité culturelle mérite d'être abordée dans toutes les enceintes à vocation culturelle. C'est ce que la France a entrepris depuis 1998, avec l'aide de pays comme le Canada ou la Belgique.
Nous pouvons aujourd'hui nous réjouir des premiers résultats que constituent les déclarations sur la diversité culturelle du Conseil de l'Europe, ou de la francophonie, et les travaux du réseau international sur la politique culturelle lancé par la ministre canadienne Sheila Copps. Mais le plus significatif sera, dans quelques jours je l'espère, l'adoption d'une déclaration universelle sur la diversité culturelle à l'UNESCO.
La mobilisation pour la diversité culturelle ne s'arrêtera pas là. La question est maintenant de savoir si nous sommes capables d'élaborer un instrument juridique international sur la diversité culturelle. Le sujet est complexe. Un tel instrument devra avoir un impact sur le traitement de la diversité culturelle à l'OMC, alors même qu'il n'est pas possible dans cette enceinte d'exclure purement et simplement les services audiovisuels, plusieurs membres ayant souhaité y prendre des engagements de libéralisation.
Les solutions devront donc être imaginatives, et concilier deux objectifs : préserver la capacité des Etats à définir et mettre en uvre des politiques de soutien à la diversité culturelle, tout en garantissant la libre circulation des uvres et l'ouverture aux autres cultures.
Nous sommes déterminés à contribuer activement à cette réflexion, qui se déroule déjà dans le cadre du réseau international de la politique culturelle et qui pourrait poursuivre la déclaration universelle à l'UNESCO. J'espère que des propositions réalistes pourront être esquissées dans les prochains mois.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 3 décembre 2001)