Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Radio France et aux médias français à Bruxelles le 19 novembre 2001, sur la mort de quatre journalistes, la sécurisation de l'acheminement de l'aide humanitaire et l'aide à la reconstruction en Afghanistan, l'engagement des Etats-Unis à l'Onu pour la création d'un Etat palestinien.

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Média : Emission Face à Radio France - Radio France

Texte intégral

Interview à Radio France à Bruxelles, le 19 novembre 2001 :
Q - Quatre journalistes viennent à nouveau de trouver la mort en Afghanistan. Quel rôle pour la presse dans ce genre de situation ?
R - Ce sont des nouvelles poignantes et bouleversantes. Ces journalistes vont là pour apporter l'information, c'est-à-dire la liberté, et sont fauchés de façon absurde et cruelle. On ne dira jamais assez que l'Afghanistan reste un endroit extrêmement dangereux, en guerre, en situation de chaos. En même temps, on ne peut pas ne pas respecter cette flamme qui les porte vers la liberté et l'information. Je souhaite de tout mon cur que l'on arrive à concilier les deux, de telle façon qu'il n'y ait plus de morts inutiles par la suite. Pour l'heure, il faut faire très attention et être très prudent.
Q - Est-ce que l'allocution de M. Colin Powell correspond à vos souhaits ? Etes-vous surpris par le contenu ? Est-ce que c'est finalement une contribution utile et est-ce qu'elle s'inspire quelque part de ce que les Européens ont pu dire aux Américains au cours de ces dernières semaines ?
R - Le discours de Colin Powell à Louisville est un développement du discours du président Bush devant l'Assemblée générale des Nations unies la semaine dernière, dans lequel il annonçait que désormais la création d'un Etat de Palestine était aussi un objectif pour les Etats Unis, comme c'est le cas pour la France depuis 1982 et pour les 15 européens depuis 1999. C'est donc une base sur laquelle nous allons pouvoir travailler ensemble et cela est une bonne nouvelle. En même temps, il ne faut pas se cacher que le chemin est très long encore et que la situation au Proche-Orient, l'attitude des protagonistes, est totalement bloquée, aux antipodes de cela. Nous avons un gros travail devant nous mais il faut y aller parce qu'on ne peut pas laisser le Proche-Orient dans cette situation intolérable.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 novembre 2001)
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Interview aux medias français à Bruxelles, le 19 novembre 2001 :
Q - Qu'est-ce qu'il faut penser des difficultés pour les troupes françaises et les ONG pour parvenir sur le terrain en Afghanistan ?
R - C'est simple : nous sommes prêts à aider, sans condition et en y mettant le maximum de moyens, le peuple afghan, à travers notre aide humanitaire et cette logistique. Nous l'avons montré et, de notre côté, c'est sans conditions. Je constate que les chefs afghans, certains pays voisins, mettent des conditions compliquées. Nous respectons naturellement leur souveraineté et nous admirons les Afghans pour leur attachement farouche à leur indépendance, mais il me semble que les deux démarches ne sont pas incompatibles. J'espère que nous allons très vite surmonter ces obstacles, car ce qui nous importe c'est que les Afghans en détresse, je pense à ceux qui sont dans les montagnes, qui souffrent du froid, je pense aux enfants, tous ceux dont la vie est en danger, il faut que ces Afghans puissent être atteints le plus vite possible. Je pense que les autres considérations devraient céder le pas par rapport à cela.
Q - Comment expliquez-vous les réticences de certains chefs militaires, qui disent, ni soldats étrangers, ni ONG ?
R - Pour les soldats étrangers, c'est peut-être une réaction par manque d'informations sur la fonction de ces troupes qui ne sont là que pour contribuer à la sécurisation d'une partie de l'Afghanistan, dans laquelle le régime taleb s'est effondré. Sur l'aspect humanitaire, c'est tout à fait incompréhensible, parce que cela se fait dans un esprit tout à fait ouvert et coopératif, pour aider des gens en grande détresse. J'espère que ces comportements vont vite évoluer et que cela était fondé sur des malentendus.
Q - N'y a-t-il pas des signes qui donnent à penser que l'Afghanistan pourrait être la proie de ses vieux démons ?
R - Il y a une histoire afghane. Il y a eu beaucoup de drames et d'affrontements en Afghanistan, il n'y a pas eu que l'abominable régime taleb, il y a eu aussi des affrontements internes, des guerres civiles. Le pays a été profondément déstructuré par l'occupation soviétique et tout ce que cela a entraîné après.
Q - Comment empêcher cela ?
R - Aujourd'hui il faut distinguer deux choses : Sur le plan humanitaire, nous avons le désir d'aider ce peuple très meurtri et nous sommes prêts à le faire sans conditions et massivement. Quand je dis "nous", c'est le monde entier. En ce qui concerne l'avenir, nous sommes tout à fait prêts à aider les Afghans à construire l'Afghanistan nouveau. Nous n'allons pas le faire à leur place, mais nous n'avons pas envie de contribuer aveuglément à revenir à la situation d'hier ou d'avant hier en Afghanistan. Il faut que les chefs afghans entendent cela, qu'ils en tirent des conséquences positives. D'ailleurs, sur le plan politique nous espérons qu'ils vont vite répondre aux demande de M. Brahimi, le représentant de M. Kofi Annan, qui veut regrouper tous les groupes représentatifs pour mettre sur pied ce gouvernement représentatif et multiethnique dont nous avons besoin pour travailler avec lui. C'est une sorte de contrat que la communauté internationale cherche à passer avec l'Afghanistan de demain.
Q - Vous proposez un contrat politique dans un pays pour lequel le contrat est une idée neuve, si j'ose dire.
R - Oui, mais ce sont aussi, j'imagine, des hommes de parole et ces différents représentants des différents groupes, ces chefs afghans, le gouvernement qui est encore reconnu internationalement, les autres groupes, ce sont beaucoup de gens qui doivent pouvoir quand même se rassembler et penser tous ensemble à l'avenir de l'Afghanistan et pas seulement de telle ethnie, de tel groupe ou de telle vallée. Voilà le message que nous leur adressons.
Q - Quand vous demandez aux Afghans un comportement responsable, est-ce que ce comportement, aujourd'hui, est un comportement responsable ?
R - Il ne faut pas juger sur un délai aussi court. Il y a l'effondrement du régime des Taleban, il y a la guerre. C'est forcément le chaos avec toute sorte de choses pénibles. J'espère que tout cela est une phase de transition et que les responsables afghans vont entendre notre appel et se joindre à cet effort de M. Brahimi, se rassembler dans ce mouvement. Il faut qu'ils voient cette communauté internationale qui est exceptionnellement unie, généreuse, disposée à aider. Mais elle doit aider à bâtir quelque chose de neuf.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 novembre 2001)