Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé à France-Inter le 14 février 2018, sur la réforme du système de santé, les épidémies et la situation des hôpitaux.

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Média : France Inter

Texte intégral


NICOLAS DEMORAND
L'invitée de France Inter jusqu'à 9 h est la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès BUZYN bonjour...
AGNES BUZYN
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Et merci d'être au micro d'Inter. Une réforme globale du système de santé a été annoncée hier en détail par le Premier ministre et vous-même, on va y venir en détail après une question, une série de questions, sur la rougeole, 269 cas de rougeole recensés en Nouvelle-Aquitaine depuis début novembre, quatre patients en réanimation et une patiente donc décédée. Est-ce que vous confirmez qu'elle a attrapé, comme on l'entendait dans le journal de 8 h de Marc FAUVELLE, elle a attrapé la rougeole à l'hôpital ?
AGNES BUZYN
C'est ce que dit la maman, aujourd'hui je n'ai pas les éléments évidemment pour conclure et donc j'attends de savoir ce qui sera dit par le personnel de l'hôpital puisque nous avons demandé évidemment des remontées. Ce qui est clair avec cette épidémie c'est que malheureusement, quand une couverture vaccinale de la population est insuffisante, les personnes les plus vulnérables l'attrapent, aujourd'hui pratiquement tous les cas de rougeole sont survenus chez des gens soit non vaccinés, soit n'ayant eu qu'une seule dose dans leur vie alors que deux doses étaient recommandés à l'époque, elles sont maintenant obligatoires je le rappelle en raison de la gravité de la maladie.
NICOLAS DEMORAND
Oui. Parce qu'il peut y avoir des refus théoriques on va dire de se faire vacciner, il y a aussi un problème de « mal vaccination », je suis certain que beaucoup d'entre nous ignore exactement où ils en sont dans leurs vaccins, leurs rappels, le carnet de santé ça fait longtemps qu'on ne l'a pas lu ?
AGNES BUZYN
D'abord un carnet de santé électronique, accessible à tous sur Internet, va être mis en place en 2018, c'est important pour s'y retrouver ; et vous avez raison, beaucoup de vaccins nécessitent deux ou trois doses pour entraîner une immunité suffisante, une protection suffisante - notamment le vaccin de la rougeole – et lorsque les enfants ou les adultes actuels n'avaient reçu qu'une dose ils ont pu contracter la maladie pendant cette épidémie.
NICOLAS DEMORAND
Avez-vous des nouvelles des quatre patients qui sont en réanimation, le pronostic vital est engagé, la situation est très grave pour ces quatre malades ?
AGNES BUZYN
Non, je n'ai pas de nouvelle individuelle. Mais, statistiquement, il faut savoir que dans une épidémie de rougeole : il y aura 1 décès sur 3.000 cas ; il y aura 1 encéphalite avec séquelles, c'est-à-dire cécité ou déficit moteur, c'est-à-dire un handicap pour 1.500 cas et des pneumopathies beaucoup plus fréquentes avec la nécessité...
NICOLAS DEMORAND
C'est considérable !
AGNES BUZYN
Donc c'est considérable, c'est une maladie potentiellement grave et les personnes les plus vulnérables - et notamment celles qu'on ne peut pas vacciner aujourd'hui – pâtissent du fait que la population n'est pas suffisamment couverte par le vaccin et dissémine le virus.
NICOLAS DEMORAND
Vous redoutez, Agnès BUZYN, que cette épidémie se propage en France ?
AGNES BUZYN
Oui, je demande vraiment aux personnes qui ne sont pas vaccinées ou qui n'ont pas fait vacciner leurs enfants de faire un rattrapage aujourd'hui, parce que notamment dans certaines régions de France la couverture est autour de 70 % - c'est le cas dans le Sud-ouest – c'est totalement insuffisant pour empêcher une épidémie d'émerger, donc... Voilà !
NICOLAS DEMORAND
On espère qu'il y aura des questions sur ce thème au standard d'Inter dans quelques instants. Réforme globale donc du système de santé, les annonces ont été faites hier, le sujet est massif, extrêmement technique il ne faut pas se le cacher, mais il nous intéresse tous, pour qu'on comprenne bien les choses dites-nous quelle est la clé de voute, quelle est la finalité de cette réforme ?
AGNES BUZYN
La finalité de cette réforme, c'est de répondre aux besoins de santé de la population française de demain - et je dirais même d'aujourd'hui - parce que le constat aujourd'hui est partagé par l'OCDE, par la Cour des comptes, par les professionnels qui connaissent le système santé. Premièrement, notre système de santé est basé sur le soin, c'est-à-dire les actes curatifs parce qu'il a été construit à une période où il y avait beaucoup de maladies aiguës dans l'après-guerre et assez peu de maladies chroniques et on s'aperçoit de cette « épidémie » de maladies chroniques qui nous touchent, qui nécessitent qu'il y ait plus de prévention et notre système de soins n'est pas un système de santé qui prévient les maladies, donc il faut impérativement plus de prévention pour vivre longtemps - mais en bonne santé – ce qui n'est pas le cas aujourd'hui de la population française ; le deuxième constat, c'est que les Français ont peur de ne pas accéder à des soins de qualité partout, il y a une hétérogénéité de pratiques sur les territoires, hétérogénéité d'installations sur les territoires, il y a cette angoisse et nous devons y répondre ; Troisième constat, le système est complexe et quand on est bien portant on sait où trouver un médecin, quand on a une ou plusieurs maladies chroniques, qu'on a besoin de faire appel trois, quatre, cinq professionnels de santé, cela devient un parcours du combattant, un labyrinthe que de se retrouver dans le système de santé – notamment pour les personnes les plus âgées – et nous devons donc construire un système tourné autour des patients et pas qui fonctionne tel qu'il fonctionne actuellement en silo, l'hôpital dans un coin, la médecine de ville dans l'autre, les médecins d'un côté, les paramédicaux de l'autre, le médico-social, les Ehpad où il y a beaucoup de besoins en soins aujourd'hui qui sont également dans leur coin et nous devons construire des coopérations et coordonner les parcours de santé des gens.
NICOLAS DEMORAND
Pour dire les choses encore autrement et prendre deux exemples « concrets », un Français donc atteint d'une maladie de longue durée la réforme faite qu'est-ce qui va changer pour lui, ce sera plus lisible entre le généraliste et l'hôpital et les allers-retours ?
AGNES BUZYN
Exactement. Pour quelqu'un qui a une maladie de longue durée, qui a besoin d'être vu régulièrement par un médecin, mais qui a aussi - je pense à un patient diabétique par exemple qui a besoin d'être vu par son généraliste, qui a besoin de bilans sanguins réguliers, mais qui a aussi besoin d'un podologue, d'une diététicienne, d'un ophtalmo, d'un cardiologue – eh bien nous allons organiser des parcours sur le territoire pour sa prise en charge et peut-être même des tarifs pour ce parcours que se partageront en termes de rémunération les professionnels de santé.
NICOLAS DEMORAND
Un panier de soins !
AGNES BUZYN
Voilà ! On veut que la rémunération ne soit plus uniquement liée au nombre d'actes mais aussi à la qualité du parcours de soins autour du patient, vraiment c'est une réforme qui se place du côté des malades et qui à mon avis va aussi donner du souffle aux professionnels qui aujourd'hui souffrent de ces silos et de ce manque de coopération.
NICOLAS DEMORAND
Oui. Si on prend un Français qui vit dans un désert médical, qui peine à effectuer des soins courants, est-ce que la réforme répond à cette problématique...
AGNES BUZYN
Oui, elle va répondre parce que...
NICOLAS DEMORAND
Et quand ?
AGNES BUZYN
Ca va être un peu long évidemment, je ne dis pas qu'on va avoir une solution dans tous les territoires tout de suite, mais on va demander à chaque territoire de s'organiser en filière de soins et on va essayer de graduer les soins dans les établissements, c'est-à-dire définir quels sont les établissements de recours dans lesquels il y aura des plateaux techniques de très haute technicité avec des compétences particulières, quels vont être les établissements de premier recours, comment ils vont travailler avec la médecine libérale – notamment les médecins généralistes - mais aussi comment ces généralistes vont s'organiser avec les autres professions de santé : infirmières, pharmaciens, kinésithérapeutes... pour apporter un vrai service aujourd'hui aux personnes malades qui se sentent un peu je dirais trimbalées d'un acteur de soins à un autre sans véritable coordination.
NICOLAS DEMORAND
Mais ma question portait sur le médecin généraliste qui part à la retraite, dont le cabinet ferme et, voilà, avec son départ se crée un désert, est-ce que ce problème-là qui est un vrai problème - et des déserts il y en a partout, il n'y en a pas que dans les campagnes, il y en a aussi en ville ou dans les périphéries urbaines – est-ce que ce problème-là peut être réglé rapidement, est-ce que votre réforme le permet ? Oui, non, peut-être ? Rapidement ou pas ?
AGNES BUZYN
Rapidement c'est peut-être un grand mot, mais on a dès notre arrivée au gouvernement lancé un plan spécifique pour lutter contre les déserts médicaux et ce plan comprend des mesures très pratiques que j'ai demandé aux Agences Régionales de Santé de mettre en oeuvre sur les territoires en organisant sur chaque bassin de vie et sur chaque territoire dans lequel il y a cette désertification médicale, en organisant je dirais des permanences de soins opérées par d'autres professionnels de santé qui viennent d'autres territoires. Donc aujourd'hui ces organisations elles se mettent en place, elles sont orchestrées par les Agences Régionales de Santé avec l'ensemble des médecins et des professions de santé du territoire, mais aussi avec les élus qui sont en grande demande d'organisation. Donc, il y a déjà un plan dédié sur des déserts médicaux qu'on a lancé le 23 octobre qui se met en place dès à présent - le comité de lancement s'est tenu la semaine dernière – et, au-delà de ça, la réforme va aller beaucoup plus loin dans l'organisation des parcours de soins pour les malades.
NICOLAS DEMORAND
Elle ira, Agnès BUZYN, cette réforme jusqu'à dire : « toi qui es diplômé et qui peut donc exercer comme médecin, tu vas t'installer là parce qu'il n'y en a pas et c'est fini la liberté d'installation ?
AGNES BUZYN
Aujourd'hui nous ne prônons pas la fin de la liberté d'installation parce que dans tous les pays où cela s'est mis en oeuvre cela n'a pas fonctionné, notamment lorsque les démographies sont faibles, c'est-à-dire quand il y a très peu de médecins – ce qui est le cas aujourd'hui – ou trop peu de médecins, quand on les force à s'installer quelque part en fait ils vont choisir un autre métier, une profession salariée par exemple dans une école et ils n'iront pas s'installer et donc l'Allemagne qui l'a tenté, le Canada qui l'a tenté ont vu que c'était un échec, aujourd'hui nous avons plutôt des mesures très incitatives et des mesures organisationnelles, c'est comme ça que nous travaillons avec les professions de santé.
NICOLAS DEMORAND
Tension sociale, absentéisme, épuisement, burn-out dans les hôpitaux, les Ehpad en crise avec une grève, la psychiatrie, le secteur de la psychiatrie qui est épuisé, vous l'avez dit cette réforme vise à reconstruire le système de santé qui est largement issu de la Seconde guerre mondiale, donc voilà pour le projet, c'est un projet de moyen et long terme. En attendant, vous faites quoi pour ces crises aiguës – comme la fièvre – comment vous la faites retomber, qu'est-ce que vous proposez à ces personnels de santé qui sont dans une forme de désarroi et ne peuvent pas faire leur métier là maintenant en 2018 ?
AGNES BUZYN
Je vais vous répondre d'abord sur l'hôpital. L'hôpital souffre d'une crise de sens, il a subi beaucoup de réformes depuis 15 ans - dont une réforme de la tarification qui a poussé à faire de plus en plus d'activité pour que l' hôpital ait un budget à l'équilibre - et les professionnels de l'hôpital qui se sont engagés dans le service, notamment le service public, ils aiment prendre du temps avec les malades, ils n'ont plus ce temps, ils n'ont plus ce temps au quotidien et donc je veille – et ça c'est ma priorité aujourd'hui – à réduire la part du financement de l‘hôpital qui est liée à cette activité, à cette course à l'activité, pour essayer de rémunérer les professionnels aussi, en tous les cas l'hôpital, financé l'hôpital sur d'autres valeurs : la qualité...
NICOLAS DEMORAND
C'est fini l'hôpital entreprise ?
AGNES BUZYN
Je souhaite que ce soit fini, ça me choque quand j'entends qu'un hôpital cherche des parts de marché par rapport à une clinique privée, aujourd'hui nous avons besoin de tous les professionnels sur les territoires, nous avons besoin qu'ils coopèrent et pas qu'ils soient en concurrence et ce système de tarification vise à entraîner un concurrence entre les établissements.
NICOLAS DEMORAND
Vous n'allez pas recruter d'infirmiers, d'infirmières, d'aides-soignants, on a vu lors de la crise des Ehpad que c'était le problème, qu'il n'y avait pas assez de monde, il n'y avait pas assez de personnel pour le fameux 1 pour 1, 1 soignant pour 1 malade, donc je vous repose la question de la dimension aiguë d'un certain nombre de crises de la santé aujourd'hui, crises que le plan présenté hier laissent intactes ?
AGNES BUZYN
Sur les Ehpad la situation a été évoquée, mais c'était vraiment un plan hier dédié à la transformation du système de santé, sur les Ehpad on a deux sujets : un premier sujet qui est évidemment aigu, qui est la crise que subissent aujourd'hui les Ehpad en sachant qu'on met dans le même panier des Ehpad privés, des Ehpad publics qui n'ont pas tout à fait les mêmes contraintes ; il y a d'autre part dans la façon dont on finance les Ehpad aujourd'hui trois acteurs, l'Etat n'est pas le seul financeur des Ehpad, il finance en fait la partie soins - or nous avons beaucoup augmenté le budget dédié aux soins parce que les Ehpad liés au vieillissement de la population ont de plus en plus besoin de soignants, d'infirmières - donc nous avons créé des postes d'infirmières dans des Ehpad et notamment des infirmières de nuit et aussi des postes d'aides-soignants ; et nous voyons bien que ce qui pose problème aujourd'hui c'est plutôt la partie dépendance qui est financée par les départements, c'est-à-dire l'aide à manger, l'aide à s'habiller - et ça, ce ne sont pas les infirmières et les aides-soignants - et j'ouvre donc, je vais ouvrir dans les mois qui viennent une réflexion de plus long terme sur la prise en charge de la dépendance de nos personnes âgées parce que je crois que les problèmes sont devant nous.
NICOLAS DEMORAND
On reviendra, Agnès BUZYN, après la revue de presse avec les auditeurs de France Inter sur la question spécifique de la psychiatrie. Une dernière question d'actualité, est-il vrai – comme l‘indique Le Figaro ce matin – que la loi anti fake news pour la confiance dans l'information pourrait être étendue aux campagnes d'intox contre la vaccination ?
AGNES BUZYN
Aujourd'hui ce n'est pas un sujet qui a été traité entre nous, je ne sais pas qui vous donne cette information...
NICOLAS DEMORAND
Le Figaro ce matin !
AGNES BUZYN
En tous les cas il s'agit pour l'instant d'une loi qui est dédiée aux fake news pendant les périodes électorales et ça n'a pas touché les fake news dans le domaine je dirais de la science - parce que le problème n'est pas que la vaccination - il y a aujourd'hui...
NICOLAS DEMORAND
Ça vous semblerait utile ?
AGNES BUZYN
Je ne suis pas sûre qu'on traite la question des croyances versus des faits scientifiques par une loi, moi je crois qu'il y a un sujet d'éducation sur le fait scientifique, c'est ma bataille - c'est-à-dire de faire revenir le relationnel dans le débat – je ne crois pas que la loi permette...
NICOLAS DEMORAND
De trancher ce point-là.
AGNES BUZYN
De trancher effectivement.
NICOLAS DEMORAND
Agnès BUZYN, on vous retrouve dans quelques instants après la revue de presse de France Inter.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 février 2018