Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, sur son souhait d'une "relève" pour la France, la critique de la technocratie, la mise en place de la refondation sociale et sur son programme en matière d'éducation, de retraite et de construction européenne, Amiens le 2 décembre 2001.

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Circonstance : Convention nationale de l'UDF à Amiens les 1er et 2 décembre 2001-discours de clôture le 2

Texte intégral

Mes chers amis,
J'ai été très ému par le débat que nous venons d'avoir. L'élection présidentielle que nous allons vivre, et sur laquelle je reviendrai dans un instant, se déroule en effet à un moment de la vie du monde dont chacun sent le poids.
Cette nuit, les Etats-Unis pleuraient encore les 5000 ou 6000 morts du World Trade Center. Je dis au représentant du gouvernement des Etats-Unis que nous les pleurons avec eux, non seulement comme Jean-Louis Bourlanges l'a dit parce qu'il y a eu 1 000 morts européens mais parce que leurs morts sont les nôtres. Cette nuit les soldats américains traquaient et j'espère finissaient de traquer Ben Laden dans son repère. Cette nuit le peuple israélien a encore perdu douze des siens dans deux attentats suicides. Et cette nuit 5 000 personnes de plus dans le monde sont mortes du sida.
L'élection présidentielle française intervient dans ce cadre. C'est dans ce monde que nous allons vivre, c'est à ces questions là que nous devons apporter une réponse. Naturellement, ces questions ne trouveront de notre part une réponse que si nous savons d'abord répondre et en même temps aux problèmes qui sont les nôtres. Lorsque que le monde est dangereux et compliqué comme il l'est, ne se font entendre que les voix des pays forts.
C'est avec ces questions à l'esprit que j'ai accueilli et reçu avec gratitude l'investiture que vous m'avez accordée hier après une journée de débat, une investiture sans qu'il manque une voix parmi vous. C'est donc un témoignage de confiance que je reçois comme tel, et c'est investi par votre confiance que je m'adresserai désormais aux Français.
1 - La relève
Je veux vous dire simplement que je mettrai dans cette élection ce que j'ai de meilleur, ce qui est de l'ordre de la foi qui fait bouger les montagnes, et de l'espérance qui les soulève, de la générosité qui fait que l'on trouve toujours en soi toujours plus de foi et d'espérance qu'on ne l'on croyait. Le but ne sera atteint que si chacun d'entre vous est conduit à mettre dans cette entreprise sa propre foi et sa propre espérance, tous ceux qui se sont exprimés ces derniers temps, tous ceux qui ont dit leur confiance et tous ceux qui ont dit leur préoccupation pour l'avenir, tous ensemble dans le combat. C'est à ce prix que les millions de français nous entendrons. Et de cela à l'avance je veux vous dire merci.
Nous avons choisi un mot pour cette entrée en campagne, c'est le mot de relève. Qu'est ce que c'est " relève " ? Relève c'est un pays qui ressaisit son destin. Ce qui me frappe le plus dans le cycle des vingt années qui s'achèvent, c'est que la lassitude que ressentent les pouvoirs a déteint sur les Français.
J'ai le sentiment depuis longtemps qu'au fond les deux forces de ces vingt dernières années qui se sont partagé ou qui se sont succédé au pouvoir n'y croient plus, ni les unes ni les autres. Elles ne croient plus qu'on puisse changer le monde, elles ne croient plus que la volonté partagée par les citoyens qui décident de se prendre par la main et de travailler ensemble puisse authentiquement changer la société dans laquelle nous vivons. Et nos compatriotes, au fil du temps, chaque fois croyant que les choses allaient changer et chaque fois déçus parce qu'elles ne changeaient pas, en sont venus au fond d'eux mêmes à partager la même résignation, et pour certains, peut-être les plus généreux, à partager la même colère.
Ma conviction est qu'au fond d'eux mêmes, sous la cendre, la braise est là, prête à se rallumer. C'est notre travail dans les cinq mois qui viennent de souffler sur cette braise pour qu'à nouveau brille cette flamme d'un pays qui veut changer sa vie de tous les jours, d'un pays qui se remet y croire.
Il y a en France d'immense réserves de générosité. Simplement depuis le temps cette générosité s'est détournée de la chose publique. Elle est dans la vie associative, elle est dans l'expérience de solidarité, elle est dans l'esprit d'entreprise, c'est la vie politique qui ne la reçoit plus. Nous, nous voulons l'y ramener.
Dans le tour de France que je viens de faire avec beaucoup d'entre vous, il y a beaucoup d'endroits qui m'ont marqué, il y en a un dont je voudrais parler. J'ai visité l'usine Airbus de St Nazaire, une des usines les plus performantes de France et d'Europe. Dans cette usine là il y a une chose qui est frappante, c'est que d'atelier en atelier, le lieu le plus important, le lieu le mieux mis en valeur est celui où chacun des ouvriers de la chaîne vient tous les jours inscrire et signer l'idée qui est la sienne pour améliorer la production de l'usine. La performance de l'usine la plus performante d'Europe repose sur l'engagement, la suggestion, la proposition de chacun des ouvriers de la chaîne.
Ma conviction est que c'est ainsi que l'on gouverne non pas seulement les usines, mais un pays moderne. Les grands peuples ne sont pas ceux qui croient qu'il y a les grands en haut et les petits en bas. Les grands peuples sont ceux qui savent qu'ils sont fait d'une multitude de grands hommes, une multitude de héros et d'héroïnes modestes, sur lesquels il faut s'appuyer pour que les choses enfin bougent et que les choses enfin avancent.
2 - L'esprit de la relève
Si l'on pouvait, c'est l'esprit de la relève, aller chercher et mettre en uvre toutes les ressources de notre peuple, alors, je n'ai aucun doute, la France reviendrait d'un seul coup au premier rang des nations, et la France entraînerait l'Europe. Vous voyez ce que je m'efforce de dire avec vous. L'esprit de la relève, ce n'est pas la question d'un homme qu'on élirait à la place d'un autre, l'esprit de la relève ce n'est même pas l'esprit d'une équipe nouvelle qui viendrait à la place d'une équipe déjà en place. La relève n'a de sens que si un peuple tout entier se voit reconnu dans ses compétences, dans son intelligence, dans les capacités qui sont les siennes, se voit investi de confiance et comprend qu'en raison de cette confiance on va vivre autrement.
La relève ce n'est ni homme, ni un parti, ni un verrouillage nouveau. Ce n'est pas l'Etat dans lequel on s'installe comme si on était chez soi. Je veux vous dire quelque chose qui nous engage. Je ne veux plus de l'Etat PS, je ne veux pas davantage de l'Etat RPR et je ne veux pas d'Etat UDF non plus.
Je veux l'Etat de toutes les réussites, de tous les dons, de toutes les expériences de la France. La relève ce n'est pas le remplacement des deux partis qui confisquent le pouvoir depuis 20 ans par un troisième qui le confisquerait à son tour, la relève c'est la fin de la confiscation du pouvoir par les uns ou par les autres. Parce que nous voyons à quel point ils ont échoué et si nous agissions comme eux, nous échouerions à notre tour.
Cette conception du pouvoir, le pouvoir fermé, le pouvoir déraciné, empêche la réussite dans le monde que nous allons vivre. J'ai souvent parlé avec des mots peut-être sévères, que mes amis anciens élèves de l'ENA me pardonnent, du handicap que représentait la technocratie pour la société française. Ceux sont des femmes et des hommes dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils sont brillants, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils sont bien formés. La preuve est qu'ils réussissent dans tous les ordres, l'ordre de l'administration, l'ordre de la politique, l'ordre de l'économie, l'ordre des médias. Mais ce sont des hommes et des femmes à qui on a fait croire que gouverner était une science qui s'apprend dans les livres.
Or il se trouve, et les meilleurs d'entre eux en font l'expérience dans nos rangs, que ce n'est pas la vérité. Si on se laisse à le croire alors on oublie qu'il y a à l'autre bout de la France et quelques fois à quelques mètre seulement, d'autres hommes et d'autres femmes, dans les banlieues et les vallées de montagne, qu'ils ne verront et ne rencontreront jamais et dont ils n'imaginent même pas qu'il puissent savoir aussi bien qu'eux, excusez moi, mieux qu'eux, ce que c'est que la vie.
J'ai beaucoup d'admiration pour les livres d'un publicitaire, qui s'appelle David Ogilvy. Je ne sais si quelques-uns d'entres vous le connaissent ou on lu ses livres. Il raconte dans l'un d'eux une très jolie histoire. Il raconte que sa vie s'est jouée le jour où son père lui a griffonné une petite carte avec cinq mots. Il lui a mis cette carte avec cinq mots dans sa poche et lui a dit : " chaque fois que tu rencontres quelqu'un, chaque fois que quelqu'un te parlera, chaque fois que quelqu'un te donnera une suggestion ou te donnera un conseil, avant de juger, sors la carte de la poche. Et sur cette carte il était écrit : et s'il avait raison ?".
Et bien je voudrais qu'à notre tour nous suggérions à tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir de mettre dans leur poche la carte de David Ogilvy et qu'ils écrivent devant les chômeurs, les animateurs d'association, les chefs d'entreprises, les responsables syndicaux qu'ils rencontrent " et s'il avait raison ? " Ce sont les mots de la relève. Parce que tout d'un coup si l'on s'adresse à la France dont je parle, la France des banlieues, la France des vallées, en pensant qu'elle peut avoir raison, alors d'un seul coup les " petits " deviennent grands, c'est la France qui gagne et c'est avec cela que nous avancerons. Voilà ce que nous avons à l'esprit : le pouvoir qui s'ouvre, le pouvoir qui s'enracine, le pouvoir qui, je crois que c'est un néologisme, " dignifie ", qui donne de la dignité à toute la France. Alors si nous le faisons nous allons mettre en exploitation le plus vaste gisement d'intelligence, le plus vaste gisement de créativité, le plus vaste gisement d'engagement qu'une nation détienne à la surface de la planète.
Vous voyez comment, décrivant cette idée, ce principe de la relève, et sans polémique aucune, vous voyez à quel point nous condamnons la manière dont la France a été gouvernée ces dernières années. Vous voyez à quel point, je le dis devant Gilles de Robien, il s'agit d'une condamnation absolue de la manière dont Martine Aubry a fait la loi sur les 35 heures pour les entreprises en France. Vous voyez à quel point il s'agit d'une condamnation absolue de la manière dont cette semaine au parlement on va soumettre la loi dite de " modernisation sociale ", dont l'intérêt n'est pas de résoudre les problèmes des entreprises mais le problème du parti communiste français qui a des difficultés avec sa base ! Et vous voyez comme il s'agit identiquement d'un autre choix que celui qui fut suivi lorsqu'en 1995 notre majorité a voté la loi de la réforme de la sécurité sociale, avec cette idée que quelques uns, dans un bureau, très compétents, très capables, très intelligents et je suis sûr très généreux, pouvaient seuls changer la sécurité sociale de la France.
C'est avec cette idée, c'est avec ce changement de perspective que nous nous avançons vers l'élection présidentielle. Autrement dit, il s'agit de substituer, comme on dit en physique, un couple à un autre couple. Le couple qui gouverne la France c'est défiance de la part des pouvoirs, irresponsabilité de la part des citoyens et des organisations. Nous, nous voulons mettre en place un autre couple, confiance de la part du pouvoir et responsabilité de la part des citoyens et des organisations, parce que l'un ne va pas sans l'autre. Notre conviction, elle a souvent été exprimée pendant ces deux jours, est que naturellement il faut aider à aller à son terme la refondation sociale qui a été initiée par Nicole Notat et par le MEDEF. Parce que l'enjeu immense et auquel beaucoup résistent d'un bord et de l'autre, c'est que l'état d'esprit des organisations représentatives des salariés et des entreprises, ce ne soit pas seulement la confrontation, ce ne soit pas seulement la revendication, mais que ce soit au contraire, la co-responsabilité.
Nous nous plaçons dans l'esprit d'une société où chacun, et en particulier les organisations, se sentiraient co-responsables de l'avenir du pays. Cet esprit de responsabilité ou de co-responsabilité ne se construira pas s'il n'y a pas de l'autre côté le mouvement de confiance qui le justifiera. J'ai été profondément choqué par la manière dont le gouvernement a accueilli l'effort de refondation sociale. C'est probablement la marque d'archaïsme la plus grande qu'il ait donné pendant ces cinq ans. Ce que nous choisissons c'est exactement le contraire, l'autre parti, le parti de la confiance contre le parti de la défiance.
Je ne suis pas tout à fait un pur esprit, je sais parfaitement que le conflit, c'est la vie, je sais parfaitement qu'il y a des situations qui ne se dénouent que de cette manière, mais je voudrais que nous construisions une société, en matière sociale en particulier, dans laquelle le conflit soit un conflit de dernier recours et pas un conflit de première intention, dans la quelle le conflit vienne au bout du chemin, pas au début du chemin comme nous l'apercevons aujourd'hui.
Voilà, la relève, c'est la révolution de la confiance pour la France.
Je voudrais aborder trois sujets avec une idée que j'ai effleurée hier et que je voudrais énoncer devant vous aujourd'hui. Le gouvernement moderne, c'est un gouvernement par objectifs, c'est un gouvernement qui, non pas déroule des mesures, mais se fixe un but, fait valider ce but par la Nation et s'engage à le respecter sur le long terme. Nous avons besoin de long terme, à l'éducation nationale, dans notre système de santé, dans la politique à conduire dans les banlieues. Et pour le long terme il faut réaliser ou proposer un consensus national.
3 - L'éducation nationale
Je voudrais vous parler d'abord de l'éducation nationale. Je me suis très peu exprimé sur l'éducation nationale. Il y avait à cela beaucoup de raison politiques et personnelles, mais au moment d'aborder ce sujet je veux vous dire dans quel état d'esprit je me trouve. J'entends se multiplier les critiques contre l'éducation nationale française. Ces critiques sont lourdes quelque fois, méchantes et pourtant lorsqu'on se promène dans le monde, lorsqu'on visite les plus grandes entreprises du monde et les laboratoires de recherche de la planète, on découvre qu'il y a des jeunes Français dans toutes ces entreprises, dans toutes ces institutions-là. Jean François-Poncet chiffrait à 300 000 le nombre de jeunes Français qui se sont expatriés pour aller valoriser ailleurs leurs compétences, leurs connaissances et leurs diplômes. 300 000 c'est la moitié d'une classe d'âge annuelle en France. Mais si l'on veut bien y réfléchir une seconde, s'ils se sont ainsi expatriés, c'est qu'on les a appelés à le faire. Et si on les a appelés à le faire, c'est parce que leur compétence, l'excellence de leur savoir, leur capacité de création était très grande. Il faut oser en rendre hommage à l'éducation nationale française.
Simplement il y a deux questions que nous serions coupables de ne pas traiter et qui doivent être posées devant nous comme les questions majeures de notre agenda. La première de ces questions est celle-ci : comment se fait-il que nous ne réussissions pas à apprendre à lire à tous les jeunes Français ? Comment se fait-il que nous ayons 15%, un sur 6 de nos enfants, qui ne réussit pas à apprendre à lire avant d'entrer en sixième et qui ne rattrapera jamais ce retard ? Vous vérifierez que les enfants qui n'apprennent pas à lire et les enfants qui déstabilisent les collèges sont les mêmes. Je crois qu'il faut que nous prenions sur ce sujet le taureau par les cornes. Il faut que nous disions que ça ne peut pas durer comme ça, qu'on ne peut plus se mentir à soi-même, parce que ce mensonge à de telles conséquences qu'il faut y mettre un terme.
La première mesure de générosité sur ce sujet, c'est la rigueur. Je propose que l'on ne puisse plus entrer en sixième en France au collège sans savoir ni lire ni écrire parfaitement. Si vous exigez avant d'entrer en sixième la vérification de la compétence en lecture et en écriture, cela signifie que vous êtes en même temps capable de concentrer tous les moyens de l'éducation nationale, et peu importe le prix que cela coûte, sur les enfants qui ne savent pas lire et à qui il faut l'apprendre à tout prix. Sur cette affaire là il n'y a pas de question de coût, c'est le meilleur investissement possible pour la nation. Cela veut dire aussi que si vous êtes décidé à faire cet effort, il faut le faire le plus tôt possible. Parce que ceux qui ne savent pas lire à 10 ans, à 11 ans, à 12 ans, on sait très bien depuis qu'ils ont six ou sept ans les difficultés qu'ils traînent. Je sais tous les efforts qui sont faits par l'éducation nationale. S'ils ne suffisent pas, sur ce sujet, il faut en ajouter.
La deuxième question qui doit être sur notre agenda est aussi simple : comment ramener la paix dans les collèges. Comment faire en sorte que le respect règne dans les collèges. Comment assurer que plus jamais un enfant ne pourra cracher dans le dos d'un professeur et comment assurer que plus jamais un professeur n'aura peur devant sa classe.
J'ai dit autrefois dans un livre ancien qu'il y en avait marre qu'il faille être à la fois être tarzan et Socrate pour être professeur dans les collèges et dans les lycées en France. Si nous voulons que le respect soit garanti dans les collèges il faut être capable de prononcer l'exclusion des enfants qui manquent à ce respect élémentaire. Si vous n'êtes pas capable de faire cela, tout le reste n'est que paroles verbales. Et si vous voulez être justes et honnêtes avant d'être capable de dire à un enfant " tu as manqué à notre règle et tu vas être sanctionné pour cela ", il faut avoir construit les nouveaux établissements, j'avais appelé cela les collèges hors les murs, qui seront encadrés non seulement par des enseignants mais par des éducateurs, des éducateurs solides, qui se donneront comme règle de transmettre aux enfants non seulement les connaissances mais également les repères dont on a besoin pour vivre.
S'il y a des efforts à consentir, s'il y a de l'argent à mobiliser, s'il y a des postes à créer c'est sur les collèges hors les murs qu'il convient de les créer !
Vous voyez ce que je plaide devant vous en matière de lecture comme en matière de collèges : les moyens les plus importants, les moyens les plus généreux pour les plus faibles et pour ceux qui vont le plus mal, mais en échange, le retour à des principes de compétence, à des principes de respect sans lesquels nous ne répondrons pas aux problèmes concrets de tous les jours qui se posent pour notre éducation nationale.
Il ne suffit pas de parler d'idées, je veux parler de calendrier. Combien de temps faut-il, si l'on mobilise tous les moyens de la nation, pour mettre en place les moyens nécessaires à l'acquisition de la lecture ? A mon avis il faut deux ans. Je dis donc que si je suis élu, ces moyens seront en place à la rentrée 2004. Pour bâtir les institutions nouvelles de recherche et de développement qui seront chargées de repérer et de répandre les pratiques pédagogiques qui répondent aux besoins de ces élèves, 18 mois. Cette institution sera en place à la rentrée 2003. Pour les collèges hors les murs capables d'accueillir, d'encadrer, de rendre des repères et de faire réussir ces élèves, rentrée 2004. Ainsi, en deux ans, on aura je l'espère rendu la paix au collège où qu'il soit sur le territoire de la république. Pour réussir complètement et sans retour une nouvelle politique de la lecture en France, combien de temps faudra-t-il pour passer de 85% d'enfants qui apprennent à lire à 95, 97, c'est-à-dire tous ceux qui n'ont pas de problèmes médiaux. A mon avis c'est plus long. Je pense qu'il est raisonnable de prévoir sept ans.
Vous le voyez, c'est un plan qui exigence ce consensus national que j'évoquais hier. Deux ans pour répondre aux problèmes des collèges, deux ans pour mettre en place les premières institutions pour la lecture, sept ans, peut-être huit, pour résoudre les problèmes de la lecture à l'école en France. C'était le premier sujet que je voulais traiter devant vous.
4 - Les retraites
Deuxième sujet, les retraites, dont tout le monde parle et sur lesquels depuis douze ans hélas tant d'échecs ont été enregistrés. Vous connaissez les données objectives : aujourd'hui, il faut 100 actifs pour assurer les pensions de 38 retraités. Demain, dans 25 ou 30 ans, ce sont 70 retraités qui seront à la charge de 100 actifs. 38 aujourd'hui, 70 demain. Je n'ai pas besoin de faire devant vous le dessin de ce que signifient les conséquences de ces chiffres là en termes d'évolution des cotisations ou d'évolution des pensions. Cela signifie qu'il faudra doubler le montant des cotisations, ou bien les pensions baisseront de manière très lourdes, si lourdes que je crois les retraités ne le supporteront pas. La France a échoué comme aucun autre pays qui nous entoure. L'Espagne, l'Allemagne ont réussi à regrouper les partenaires sociaux, les forces politiques différentes, et à régler cette question.
Les Etats-Unis ont fait beaucoup mieux. Ils ont pris il y a 25 ans une loi qui oblige le gouvernement et le congrès à présenter chaque année au pays le tableau exact de l'évolution de la durée de la vie, de la démographie et donc de l'évolution obligée des retraites. Tous les ans, ce tableau doit envisager la situation dans les soixante-quinze années qui viennent. En 2000, c'est jusqu'en 2075 que le congrès et le gouvernement américain ont présenté au pays les évolutions des retraites.
Dans le même temps, ils ont créé un fonds de réserve pour garantir les pensions des retraités américains. Ce fonds de réserve aujourd'hui comporte, écoutez bien le chiffre, 1000 milliards de dollars. Nous, nous avons pris une décision du même ordre il y a deux ou trois ans et notre fonds de réserve comporte 20 ou 25 milliards de francs. 1000 milliards de dollars d'un côté, 20 ou 25 milliards de francs de l'autre. C'est toute la différence entre les prévoyants et les imprévoyants. C'est toute la différence entre les courageux et ceux qui n'ont pas le courage d'affronter les choses.
Alors quelles sont les pistes de réforme des retraites ? La première question est celle de la politique démographique de la France. Parce que la question majeure lorsqu'on se demande s'il y aura assez d'actifs pour financer les pensions des retraités c'est de savoir combien d'actifs et donc combien d'enfants nous aurons pour payer les retraites de ceux qui viendront dans 20 ou 25 ans. Il me semble que le premier chapitre d'une politique des retraites c'est une politique démographique et familiale assumée. Que l'on garantisse à tous ceux qui le souhaitent de pouvoir avoir les enfants qu'ils désirent. Vous voyez qu'ainsi se dessine une politique familiale. Je rappelle que le principe des allocations c'était qu'un enfant soit financièrement neutre pour la famille dans laquelle il arrivait. On en est loin. Alors cela veut dire politique du logement, cela veut dire préservation des carrières pour ceux des parents qui choisiront de consacrer une partie de leur vie active à leurs enfants et réflexion sur les retraites des mêmes.
Deuxièmement, assouplissement de l'âge du départ à la retraite, encouragement à la prolongation de l'activité y compris fiscale et fin de la politique absurde des préretraites abusives qui font le lot quotidien aujourd'hui de la politique sociale en France.
Troisièmement épargne et retraite. C'est un sujet qui suscite en France des torrents de polémique. Cela me stupéfie. Moi je demande une seule chose, elle est modeste, je demande que l'on consente aux salariés du privé les avantages qui sont aujourd'hui ceux des fonctionnaires pour leur épargne retraite. Et ensuite, parce qu'il faut être courageux et simples, je demande qu'on aille vers l'égalité de traitement en matière de retraite pour le public et le privé.
Alors, que l'on prenne le temps nécessaire pour le faire, qu'on étale dans le temps par exemple sur dix ans le rapprochement des deux régimes. Tout cela me semble naturel et normal, car les fonctionnaires n'ont pas tort de dire que c'est en sachant quelle était leur retraite qu'ils ont signé leur contrat avec l'Etat. Mais que l'on n'accepte plus d'avoir en France une telle inégalité entre les uns et les autres, surtout quand cette inégalité est entre le secteur protégé et le secteur exposé.
Je voudrais ajouter une mesure qui me paraît normale, c'est que l'on fasse uvre de justice et que ceux qui ont atteint 40 années de cotisations puissent partir à la retraite s'ils le souhaitent.
Pourquoi est-il si difficile de traiter cette question en France ? Pourquoi Michel Rocard a dit-il dit il y a 12 ans, faisant preuve de lucidité, que c'est une affaire sur laquelle dix gouvernements pourraient sauter ? Parce que la peur existe chez nos concitoyens et particulièrement chez nos concitoyens salariés qu'on leur enlève des acquis, qu'on les dépouille d'avantages qui seraient les leurs. Or il se trouve que ces avantages là sont illusoires. Ils ne les ont pas et il suffit d'en parler avec eux. Et le mouvement de confiance que je préconise pour la construction de la société administrative et politique française, je propose d'en faire le principe de grandes réformes comme celles-là. Il faut faire l'épreuve de confiance, il faut remettre aux citoyens eux mêmes, le choix ultime. Il faut leur donner d'abord tous les éléments objectifs de la question, ensuite organiser, comme le disait Anne-Marie hier, un Grenelle des retraites selon la méthode que je défends : mettons nous d'accord sur les questions posées, mettons nous d'accord sur les principes, mettons nous d'accord sur les décisions enfin.
Il faut qu'à ce Grenelle des retraites soient invités à participer les syndicats, les associations, y compris des retraités, la majorité et opposition. Et au terme de ce Grenelle que j'organiserai si je suis élu, je m'engagerai, je proposerai avec le gouvernement des solutions précises, simples, compréhensibles par tous, qui formeront un plan puis je demanderai aux Français de trancher, par référendum, sur leur propre avenir.
Vous voyez bien que c'est la condition pour que la discussion se déroule sans crainte de part et d'autre, puisque ce sont les Français eux mêmes qui détiendront au bout du compte la réponse à la question qu'on leur pose. Si je suis élu ce référendum aura lieu en 2003. Ainsi le problème des retraites en France, qui est impossible à résoudre depuis 12 ans, il me semble que nous devrions le régler en 12 mois par la responsabilisation des acteurs et l'intervention directe, consciente et informée du peuple français au bout du processus.
5 - L'Europe
Je voudrais enfin et pour finir vous parler de l'Europe. On l'a dit très brillamment ce matin, les temps ont changé, la mondialisation est devenue un fait. Mes chers amis puis-je vous rappeler que c'est un fait depuis la nuit des temps ! L'empire romain c'était la mondialisation, les croisades c'était la mondialisation ! La révolution industrielle du 19ème siècle, c'était déjà la mondialisation ! Mais il faut avoir conscience clairement de quelque chose : la mondialisation c'est le règne des forts, et pas seulement le règne politique, en matière de défense, d'influence ou de diplomatie, les marchés ou la monnaie, mais c'est le règne culturel des forts. Pourquoi croyez vous qu'ici nous parlons français, que notre ami espagnol s'est exprimé si brillamment dans notre langue, et qu'Alain Lamassoure s'est exprimé si brillamment en espagnol ? Pourquoi l'italien, le catalan, le portugais ? Parce que nous parlons latin. Nous parlons latin chacun à notre manière parce que l'empire romain s'était imposé à la surface de notre continent qui était à la dimension du monde aujourd'hui.
Il n'y a pas le choix : la question est de savoir comment la France, avec sa dimension qui est un fait, avec sa population qui est un fait, avec sa part de la richesse du monde qui est un fait que nous pouvons améliorer, comment la France peut participer à cette définition du nouvel ordre mondial pour être du côté des forts. Et bien, il y a une réflexion que je voudrais reprendre, après Jean-Louis Bourlanges, un monde dans lequel on aurait 200 Etats jouant le chacun pour soi à la surface de la planète est un monde qui ne sert pas les intérêts de la France. L'intérêt de la France c'est de rassembler les pays européens dans une union politique capable d'exprimer une volonté et de porter la décision des citoyens européens. Nous avons besoin de construire pour la France l'Union européenne.
Je ne suis pas de ceux qui séparent l'amour de la patrie de la conviction européenne, pour moi c'est par patriotisme que je suis européen. C'est par amour de mon pays que je veux qu'il soit fort et je ne vois pas d'autre chemin pour qu'il soit fort que de construire la maison grâce à laquelle il pourra exprimer sa force.
Les idées que nous avons apportées au débat ont fait fortune. Il y a deux ans nous avancions l'idée d'une constitution européenne sous les sarcasmes généralisés. Cette idée est reprise partout. Tant mieux ! Encore faut-il savoir ce que l'on met à l'intérieur d'une constitution européenne. D'abord je pense qu'il faut y écrire la clarification et la simplification des pouvoirs. Nous, nous ne voulons pas que l'Europe s'occupe de tout. Je veux que l'Europe s'occupe de défense, je veux qu'elle est une voix en matière de politique étrangère. Mais je n'ai aucun besoin qu'elle s'occupe de la chasse dans la Somme ou dans les vallées pyrénéennes ! D'autres seront d'un autre avis, discutons en. Mais par pitié, fournissons au citoyen le moyen de lire le paysage institutionnel dans lequel il se trouve, le moyen de s'y reconnaître et le moyen d'y avoir une influence.
Alors comment faire pour que cette union elle est une volonté ? Au fond c'est la question à laquelle nous sommes depuis des années et des années confrontés. Comment faire pour que l'Union ait une volonté ? Je donne ma réponse. Pour moi, il est évident que le seul moyen pour que l'Union ait une volonté, c'est qu'elle se construise une vie politique et une démocratie européenne, transparente, dans laquelle les citoyens pourront reconnaître leurs problèmes et dans laquelle ils pourront investir leur influence.
Et c'est pourquoi je plaide en effet pour la réforme des institutions, pour qu'elles soient transparentes et légitimes avec un principe simple : partout où il y a aujourd'hui une autorité au sommet nommée, il faut que cette autorité soit élue. Le Président de la commission, qui est aujourd'hui l'autorité fédératrice, celle qui est censée porter l'intérêt général des européens, il faut, pour lui donner du poids politique et de la légitimité démocratique, qu'il soit élu. Un jour, j'espère dans longtemps peut être, il sera élu au suffrage universel par tous les européens. Mais je sais bien qu'en attendant, il faut que nous trouvions un scénario crédible pour que ce Président soit élu le plus tôt possible. Et je propose qu'il soit élu par un congrès qui rassemblera à égalité, les parlementaires européens et une représentation des parlementaires nationaux. Ainsi la légitimité du Président de l'Union elle ne dépendra pas des tractations entre les gouvernements, elle plongera ses racines dans la volonté du peuple. Je suis pour un Président élu de l'Union européenne.
Jean-Louis Bourlanges s'est exprimé avec beaucoup de force sur les aspects de justice. Je n'y reviens pas, je signe son propos, comme c'est d'ailleurs le cas le plus souvent. Je veux parler un instant de défense.
La où il y a la division et le chacun pour soi, il faut qu'en matière de défense nous mettions l'Union. je veux vous dire ma conviction, les Français ont beaucoup souffert, ont été troublés, même quelques-uns humiliés par les péripéties et par les circonstances malheureuses qui ont résulté de la rencontre entre les évènements du 11 septembre et la mise en cale sèche du porte-avions en rade de Toulon. Le fait que la France qui avait deux porte-avions, puis-je rappeler au passage que nous les avons vendus, s'est trouvée dans une situation désarmée au moment où le besoin s'est fait sentir d'une présence de notre part sur le théâtre des opérations. Il est évident qu'il faut un deuxième porte-avions. Ma conviction est que le deuxième porte-avions, en raison de son coût, sera européen ou ne sera pas.
Je voudrais énoncer le principe devant vous de cette défense européenne : tout ce que nous pouvons construire, acquérir et bâtir seuls faisons-le, mais pensons-le ensemble. Et tout ce que nous sommes incapables d'acquérir, de construire et de bâtir seul, bâtissons-le ensemble. Vous voyez bien que ce que je défends ce n'est pas la disparition d'une défense nationale, tout ce que nous pouvons conserver de national dans notre défense, conservons-le, mais articulons-le avec les autres forces de l'Union européenne. Et ce que nous sommes incapables de construire seuls, construisons-le ensemble.
J'ai donné des délais sur les projets nationaux, je ne risquerai pas de donner des délais sur les projets européens, sauf un. En 2004, au moment où va s'ouvrir l'Union européenne, il est vital que nous ayons pensé et écrit les principes de son évolution institutionnelle. C'est pourquoi il est pour moi si souhaitable que Valéry Giscard d'Estaing préside la convention. Mais il faut qu'en 2004 ce travail constituant soit achevé. Autrement je fais une prédiction devant vous. Ce qui ne sera pas fait en 2004, dans l'ordre de l'évolution des institutions européennes, ne se fera plus. Ce que nous aurons été incapables de faire à 12 d'abord, à 15 ensuite, nous ne le ferons pas à 20 ou à 27. C'est vital pour l'union européenne.
Je veux enfin dire devant vous que nous sommes nombreux à considérer que la manière dont le Président de la République et le Premier ministre ont pris la décision d'ouvrir l'Union européenne à la Turquie est un problème pour beaucoup d'entre nous et une menace sur l'avenir même de l'Union. Non pas que nous n'ayons à l'égard de la Turquie des sentiments amicaux, mais pour nous l'Union est un ensemble de civilisation fragile. Et il faut prendre garde à ne pas trop la chahuter.
6 - Un monde à construire
J'en viens à la conclusion de ce propos. Nous avons un monde à construire. Nous avons la France qui a besoin de retrouver le chemin perdu depuis longtemps de l'espérance. C'est cette espérance là que nous avons en charge. Tous ceux qui en France cherchent un autre chemin, tous ceux qui ne veulent pas le retour illusoire en arrière, tous ceux qui savent que ce n'est pas dans la résignation qui hausse les épaules et baisse les yeux qu'on peut avancer. Tous ceux qui savent que ce n'est pas dans la nostalgie qui regarde en arrière. Cela c'est ceux à qui nous devons parler pendant cette campagne électorale. L'espérance regarde devant. Et la relève que nous portons, c'est la condition nécessaire de cette espérance.
Je vais donner à cette campagne électorale, à cette tâche, tout ce que j'ai de conviction, de temps, de courage et de volonté. C'est mon pays, peut-être vous le sentez, je l'aime profondément. Et chaque fois que l'on aime, on veut le meilleur pour ceux que l'on aime. C'est cela que je vais essayer de construire avec vous pour la France. C'est cela le chemin de la relève. J'ai fait aujourd'hui une exception à une règle qui date de 25 ans. Il y a 25 ans que je suis engagé en politique. Il y a 25 ans que ma famille me soutient, il y a 25 ans qu'elle me donne beaucoup dans cette action. Aujourd'hui, j'ai voulu amener devant vous, pour vous montrer la détermination et la force de l'engagement qui est le mien, ma femme Babeth et mon dernier fils. Je voudrais vous les présenter.
Mes chers amis, au moment où ce congrès s'achève, je ne veux pas que nous nous quittions sans exprimer les sentiments de gratitude qui sont les nôtres, à l'égard de la fédération de la Somme qu'il l'a organisé, à l'égard d'Anne-Marie Idrac qui en a été le maître d'uvre avec tous ceux qui l'entourent au secrétariat général, à l'égard de Marielle de Sarnez et de tous ceux qui ont fait le travail difficile de penser ce congrès. Je voudrais dire un merci particulier aux parlementaires très nombreux ce matin qui hier étaient retenus dans leurs circonscriptions et qui ont fait l'effort de venir pour le discours de cette fin de matinée. Alors je voudrais que tous les députés, les sénateurs et les députés européens présents dans la salle me rejoignent à la tribune. Mais le merci le plus important, le plus profond, le plus chaleureux que je veux exprimer c'est pour vous qui êtes venus pendant ces deux jours.

(source http://www.udf.org, le 6 décembre 2001)