Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne de M. Joachim Son-Forget et plusieurs de ses collègues relative à l'interdiction de la pêche électrique (nos 632, 656, 715).
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Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Madame la présidente de la commission des affaires européennes, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'occasion d'échanger sur les enjeux de notre politique en faveur des pêches maritimes et sur nos pratiques de pêche. Je tiens à saluer la qualité du travail de nos deux rapporteurs, MM. Joachim Son-Forget et Jean-Pierre Pont, sur cette initiative parlementaire de proposition de résolution européenne.
La pêche maritime, en France, ce sont 6 900 navires dont près de 4 400 en métropole , ce sont plus de 16 000 marins. Au-delà de son poids économique direct, la pêche joue un rôle clé dans le développement et l'économie de nos régions littorales ainsi que de l'ensemble de la filière française un emploi en mer génère environ quatre emplois à terre.
La conjoncture, pour la pêche française, est aujourd'hui globalement favorable, même si je ne méconnais pas les difficultés de certains segments ou de certaines zones de pêche j'ai d'ailleurs eu le plaisir d'en parler avec les professionnels du secteur lors du Salon de l'agriculture, la semaine passée. Cette situation permet une reprise des investissements privés, laquelle s'observe notamment à travers la construction de nouveaux navires. C'est là le signe d'un dynamisme retrouvé, mesdames et messieurs les députés, même si je sais tout le chemin qui reste à parcourir en termes de modernisation et de renouvellement de la flotte.
Cette situation résulte également de la politique volontariste dont l'Union européenne a su se doter depuis plus de trente-cinq ans. Vous le savez, c'est une évidence, les stocks halieutiques ne connaissent pas les frontières. Il s'agit, par nature, d'une ressource commune qui doit être gérée collectivement avec l'ensemble des États concernés. C'est pourquoi l'Union européenne a souhaité se doter d'une politique intégrée la politique commune de la pêche en prévoyant une compétence exclusive de l'Union européenne dans la gestion des pêches. Une telle politique constitue une opportunité extraordinaire pour nos pêcheurs qui ont accès, sans aucune formalité administrative, à l'ensemble des eaux européennes en respectant, bien entendu, les équilibres de chaque zone.
Ce caractère intégré signifie également que la quasi-totalité des décisions les plus structurantes pour l'avenir du secteur des pêches sont prises à Bruxelles, au sein du Conseil de l'Union européenne, du Parlement européen, et à l'initiative de la Commission européenne.
Ces décisions visent en particulier à la fixation des « règles du jeu » communes concourant notamment à une gestion durable, à long terme, de la ressource et donc de l'activité des milliers de pêcheurs qui exercent dans l'ensemble des eaux européennes.
Le caractère intégré de cette politique, qui repose sur la mise en commun des espaces et des ressources à l'échelle européenne, explique ainsi pleinement la forte crainte, légitime, de l'ensemble de la filière pêche européenne sur les enjeux liés au Brexit. Je peux vous garantir que celle-ci a les yeux rivés sur les discussions actuellement en cours. De même, je peux vous assurer que le gouvernement français, en lien avec l'ensemble de nos partenaires européens concernés, veillera particulièrement à ce que la mise en oeuvre du Brexit ne porte pas atteinte à la filière française. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, la pêche française ne saurait être, demain, la variable d'ajustement du Brexit.
Les enjeux sont bien identifiés, et nous saurons défendre les intérêts de la pêche française, car le projet européen repose sur la solidarité et la protection de ses acteurs économiques.
Dans le cadre de cette politique, le rôle du Conseil des ministres européens de la pêche est de veiller à ce que les décisions prises soient pleinement, parfaitement cohérentes et lisibles, à la fois pour le secteur des pêches, premier concerné, mais également pour l'ensemble des citoyens européens. L'objectif central de cette politique commune de la pêche est particulièrement ambitieux et pleinement cohérent avec les objectifs de développement durable de l'Organisation des Nations Unies : l'atteinte du rendement maximal durable en 2020. Cela signifie que pour chaque stock de poisson pêché dans les eaux de l'Union européenne, les quotas de pêche doivent être fixés pour assurer une productivité maximum à long terme. Dit comme cela, cet objectif est une évidence, mais il a nécessité et nécessitera encore des efforts très importants de l'ensemble du secteur européen des pêches.
Des résultats remarquables ont déjà été atteints, et la pêche européenne, qui a traversé une crise profonde en 2009-2010, se porte globalement mieux, d'un point de vue tant environnemental que socio-économique.
Une étude toute récente de la Commission européenne indique ainsi que 97 % des captures en volume s'effectuent désormais sur des stocks exploités au rendement maximal durable. Durant le dernier Conseil des ministres fixant les quotas de pêche pour 2018, en décembre dernier, les quotas pour 53 stocks sur 76 ont été fixés à des niveaux permettant le rendement maximal durable, contre 44 en 2017. Enfin, les indicateurs économiques sont également encourageants, avec un accroissement de la marge brute alors même que les coûts du carburant remontent.
M. Xavier Breton. Cela va dans le bon sens.
M. Stéphane Travert, ministre. Si la tendance générale est ainsi très positive, elle ne doit pas occulter certaines situations locales qui demeurent très difficiles, nous le savons.
Dans ce contexte, où des efforts clairs ont été faits par la filière, et en ayant à l'esprit ceux qui restent à faire par exemple sur la mise en oeuvre de l'obligation de débarquement visant la réduction des rejets de pêche , aucun retour en arrière ne doit être permis. Il y va de la lisibilité de notre action : on ne peut pas, d'une part, demander des efforts toujours plus conséquents, mais nécessaires, à notre secteur des pêches et, d'autre part, autoriser des pratiques ou des techniques susceptibles de remettre en cause la durabilité de son activité ou de la ressource qu'il exploite.
C'est dans ce contexte que se place le débat, sain et nécessaire, sur la pêche électrique. Je me réjouis de la prise de conscience générale sur cet enjeu, aussi bien en France qu'ailleurs en Europe.
Le texte en discussion sur ce sujet à Bruxelles est le règlement européen « relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques ». Il est actuellement au stade du trilogue interinstitutionnel entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne.
La pêche électrique ne constitue qu'un des volets de ce texte, qui comporte d'autres mesures sur lesquelles nous devrons trouver un accord je pense notamment à certaines dispositions sur les maillages, qui concernent directement nos pêcheurs et sur lesquelles nous devrons être vigilants.
Le vote des parlementaires européens de tous pays pour l'interdiction de la pêche électrique intervenu le 16 janvier dernier est très clair : l'interdiction a été votée par 402 voix contre 232. Dans ce cadre, la France soutient pleinement la position du Parlement européen en faveur de l'interdiction complète et sans équivoque de la pêche électrique.
Il ne s'agit pas de s'opposer par principe à toute évolution des technologies de pêche, notamment quand elles vont dans le sens de la diminution de la dépendance des activités de pêche aux énergies fossiles dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, sujet sur lequel la filière pêche française est très mobilisée. Je le dis ici avec force et fermeté : la pêche électrique n'est pas une solution en la matière.
M. Pierre Cordier. Très bien !
M. Stéphane Travert, ministre. Malgré une expérimentation très large, peut-être même trop large, il n'a pas pu être démontré que son impact sur l'ensemble de l'écosystème marin était maîtrisé. Il est donc temps d'y mettre fin.
M. Pierre Cordier. Très bien !
M. Stéphane Travert, ministre. Il y va de la crédibilité de notre politique européenne de la pêche défendue par la Commission européenne à l'international, dont les principes et les bonnes pratiques sont exportés dans le monde entier, au sein des organisations régionales de gestion des pêches et dans le cadre des accords de partenariat de pêche durable avec, notamment, des pays africains et de l'Océan Indien.
Ainsi, cela fait dix ans que l'Union européenne, pionnière en la matière, a adopté une réglementation contre la pêche illégale, non déclarée, non réglementée, dite « pêche INN ». Elle prévoit des sanctions commerciales contre les États ne respectant pas des obligations minimales en matière de contrôle des pêches. Cette réglementation est un modèle.
L'Union européenne ne se contente pas d'édicter des règles, elle apporte des aides financières chaque année aux pays en développement pour qu'ils progressent dans la gestion de leurs pêches.
Vous l'aurez compris, la politique commune de la pêche est un exemple à suivre en termes de durabilité sur le plan mondial et doit le rester. La pratique de la pêche électrique va à l'encontre de cet objectif et risque de nuire à l'image de la pêche européenne dans son ensemble au détriment, en premier lieu, de nos professionnels de la pêche.
M. Xavier Breton. Tout à fait.
M. Stéphane Travert, ministre. C'est ce constat et cette conviction qui guideront la position que je défendrai au nom de la France dans les débats à venir au sein du Conseil européen des ministres de la pêche. Je ne vous cache pas, cependant, que la bataille sera difficile car si le mandat du Parlement européen est particulièrement clair, les positions au sein du Conseil sont plus diverses et nous avons aujourd'hui peu d'alliés. Il va falloir aller les chercher, il va falloir les trouver et nous aurons besoin de votre soutien pour ce faire.
M. Xavier Breton. Nous vous soutenons.
M. Stéphane Travert, ministre. Messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement soutient donc votre initiative, votre proposition de résolution, qui me permettra de porter haut la position de la représentation nationale française à Bruxelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur plusieurs bancs du groupe LR).
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 20 mars 2018