Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Madame la sous-Secrétaire générale adjointe des Nations unies pour les affaires humanitaires, Chère Ursula Mueller,
Madame la Secrétaire générale adjointe de la Fédération Internationale de la Croix-Rouge, Chère Jemilah Mahmood,
Monsieur le Directeur général de l'organisation internationale pour les migrations, Cher William Lacy Swing,
Nous ne nous rencontrons d'ailleurs pas uniquement dans les colloques, il ne faut pas croire, nous ne sommes pas uniquement des partenaires de colloques, nous sommes aussi des partenaires sur le terrain. Donc je suis très heureux de vous retrouver à Paris.
Monsieur le Président de Coordination Sud, Cher Philippe Jahshan,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Depuis 2011, cette conférence nationale humanitaire est un moment important de la vie du secteur humanitaire en France, comme un moment important de la vie de mon ministère. Je suis donc très heureux de saluer tous ceux qui se retrouvent aujourd'hui présents pour ce rendez-vous que je souhaite régulier, qu'il faut rendre régulier - et je remercie particulièrement Patrice Paoli d'avoir été la cheville ouvrière, avec son équipe, de ce partenariat et vous pouvez l'applaudir, il le mérite - : responsables d'ONG et d'organisations internationales, représentants des Etats, chercheurs, élus, mais aussi étudiants qui ont le projet de s'engager dans les métiers exigeants de la solidarité internationale. Depuis presqu'une décennie, chacune des éditions de cette conférence a été l'occasion de débattre des transformations du secteur humanitaire, des moyens de le rendre plus efficace et plus adapté aux besoins des populations, de la meilleure manière aussi de coordonner l'action de l'Etat et celle de vos organisations.
Pour celui qui cherche à dégager les traits caractéristiques de notre époque, les échanges qui ont eu lieu ici depuis 2011 dressent la chronique d'un monde en proie à une multiplicité de crises et de conflits. Vous le savez mieux que quiconque, vous dont les organisations sont en première ligne sur le terrain. Un chiffre donne la mesure de cette réalité : en l'espace de quinze ans, le montant investi pour l'aide humanitaire à travers le monde a été multiplié par douze.
Les crises de notre époque sont de plus en plus complexes : multidimensionnelles, elles combinent des facteurs économiques et environnementaux, des enjeux politiques et des menaces sécuritaires. Et en plus elles s'inscrivent dans la durée : les deux tiers des crises humanitaires durent aujourd'hui plus de dix ans. Certaines des crises que vous évoquerez aujourd'hui étaient déjà à l'agenda international lors de la première édition de la CNH en 2011 : je pense en particulier à la Syrie et à la Libye. Géographiquement, en plus, ces crises ont lieu désormais au plus proche de l'Europe, parfois même sur le continent européen. Je serai tout à l'heure à Kiev, où je pourrais malheureusement constater l'environnement ukrainien.
Depuis la dernière conférence nationale humanitaire, en 2016, vous le savez, la montée des tensions s'est encore aggravée. Ces crises sont d'autant plus préoccupantes qu'elles ont lieu dans un contexte de mise en cause du système de règlement international des conflits et de contestation de facto de normes que l'on avait pu croire reconnues et agréées, notamment sur les principes fondamentaux des processus de paix, les résolutions des Nations unies ne sont pas respectées, on a même récemment pensé que ce sont des résolutions de principes. Les principes fondamentaux des processus de paix, les principes fondamentaux de la protection des civils et les principes fondamentaux de l'accès de l'aide humanitaire.
Trois grandes tendances déterminent aujourd'hui les mutations de l'ordre international :
- Premièrement, les bouleversements qui affectent la démographie mondiale elle-même, en raison des évolutions dans certaines régions et des conséquences du réchauffement climatique.
- Deuxièmement, la redistribution de la puissance à l'échelle mondiale : elle se traduit par le retour particulièrement inquiétant de la menace de conflits interétatiques et, je le disais à l'instant, la contestation régulière des normes internationales.
- Troisièmement, la dissémination de la violence au coeur des sociétés, y compris à l'échelle locale, que la fragilité manifeste de certains Etats rend incapable d'endiguer.
Dans ce contexte, jamais sans doute depuis des décennies, les populations civiles n'ont été aussi vulnérables, jamais leurs besoins n'ont été aussi grands et jamais le secteur humanitaire n'a été soumis à une telle demande. Les chiffres parlent d'eux-mêmes - ils ont été évoqués tout à l'heure par les intervenants précédents : 130 millions de personnes à peu près à travers le monde ont besoin d'aide humanitaire immédiate ; plus de 65,5 millions de personnes sont aujourd'hui déracinées, sur les routes de l'exil à la recherche d'un avenir meilleur, victimes par ailleurs sur leur chemin des organisations criminelles qui se livrent au trafic d'êtres humains, sur lequel faudra engager des dispositifs de sanctions : je pense au drame des migrants en Afrique et aux abords de la Méditerranée. Dans le même temps, les épidémies qui se développent au coeur des crises rendent indispensables des actions sanitaires de grande ampleur. 20 millions de personnes sont aujourd'hui menacées de famine au Yémen - Philippe Jahshan l'a rappelé tout à l'heure, c'est insupportable, le Yémen est dans une situation insupportable, qui est souvent en-dessous des radars et sur laquelle les initiatives sont rares. Mais nous avons pris des initiatives, je le dis ici parce que c'est important : M. Paoli et le directeur des Nations unies sont allés il y a peu de temps à ma demande à Riyad pour parler les yeux dans les yeux -, en Somalie, au Soudan du Sud, et au nord-est du Nigéria. Aux crises de nature politique ou économique s'ajoutent les catastrophes naturelles dont le nombre s'est également multiplié, sous le coup du réchauffement climatique, qui devient aussi un facteur de déstabilisation globale.
J'entendais bien, dans ses propos, M. Swing dire qu'il était résolument optimiste ; Je vais vous faire une confidence, parfois j'ai du mal à l'être. Par contre, résolument volontariste, oui.
Dans ce contexte, la politique étrangère que je conduis sous l'autorité d'Emmanuel Macron cherche à chaque fois à favoriser la coopération internationale et l'action multilatérale, à chaque fois à défendre les cadres d'action et les règles de droit édictés collectivement, en nous engageant vigoureusement pour le renforcement des instruments de régulation du système international. Je constate, comme vous, que lorsque les crises durent, s'enlisent, lorsqu'elles s'enchaînent, c'est toujours par défaut de coopération internationale. Dans un monde aussi interdépendant que le nôtre les crises passées ont suffisamment prouvé que les sorts des Etats étaient liés, et que la réponse aux défis internationaux passait toujours par davantage de coopération, par davantage d'actions multilatérales. Et ça c'est aussi le message de la France. Et c'est la seule méthode à même de conforter la stabilité là où elle existe, à même de la préserver là où elle menace de rompre, à même de la restaurer là où elle est contestée.
L'aide humanitaire joue un rôle de pilier dans cette approche globale des crises. C'est ce qui justifie une action humanitaire d'Etat, distincte, avec sa logique propre, mais complémentaire de celle des organisations de la société civile. Je me réjouis d'ailleurs que la stratégie dont vous allez débattre aujourd'hui est d'une certaine manière une coproduction parce que nous avons beaucoup échangé sur la définition des éléments majeurs de cette stratégie. Dans la période récente, nous avons donc agi pour répondre à des crises humanitaires de toutes natures. Catastrophe naturelle avec l'ouragan Matthews, crise liée à la famine dans la Corne de l'Afrique, crise de sécurité avec les conséquences de la reprise des villes de Mossoul et de Raqqa et sur ce point nous avons engagé des montants significatifs. Il nous faut poursuivre pour sécuriser et je pense notamment à la création d'un fonds dédié au déminage, qui me paraît essentiel pour permettre aux réfugiés irakiens et du nord-est syrien de retrouver leurs foyers. Sinon, ces reprises de sites n'auraient servi à rien.
L'humanitaire joue également un rôle fondamental dans la question des migrations, aujourd'hui décisive pour la stabilité internationale. Qu'on me comprenne bien, je l'ai déjà dit, je suis souvent interpellé sur le sujet, donc je le répète : il ne s'agit pas de faire de l'aide humanitaire un outil de régulation des migrations mais de prendre en compte le caractère humanitaire de la crise migratoire qui se joue aujourd'hui sur les routes d'Afrique et du Levant. Ce sont d'ailleurs les sujets que nous abordons régulièrement avec M. Swing. Je me réjouis d'ailleurs de la qualité du partenariat que nous avons réussi à mettre en place avec l'OIM et le HCR pour avoir une réponse globale à la question migratoire et pour avoir aussi le partenariat bien identifié et bien clair de l'ensemble des acteurs humanitaires.
Ce que nous faisons, ce que vous faites, dans le domaine humanitaire, je crois que nous le faisons bien et nous pouvons en être fiers. L'argent dépensé l'est utilement. Pour autant nous ne disposons pas de la masse critique suffisante pour peser comme nous le souhaiterions, dans un contexte où l'écart entre les financements internationaux de l'aide humanitaire et l'ampleur des besoins ne cesse de s'accroître. C'est ce que j'ai constaté en arrivant à la tête de ce ministère, en dénombrant que, depuis des années, les moyens que l'Etat consacrait à l'action humanitaire n'étaient à la hauteur ni des besoins, qui explosent, ni de notre volonté politique d'intervenir dans les crises pour favoriser la stabilité internationale.
C'est à cette insuffisance que le président de la République a voulu remédier en décidant, dans le cadre d'une augmentation générale de l'aide publique au développement française, d'un effort particulier en faveur de l'humanitaire. Au comité interministériel pour la coopération internationale et le développement du 8 février, nous avons donc décidé que la contribution française annuelle à l'action humanitaire et à la stabilisation en sortie de crise atteindrait 500 millions d'euros d'ici 2022. Il s'agit d'un effort très significatif. Cela fera de nous l'un des trois premiers bailleurs européens, même si, c'est vrai, l'horizon c'est 2022, mais il faut le faire progressivement et de manière extrêmement vigilante.
En triplant nos moyens, cette augmentation inédite dans notre histoire récente bénéficiera à l'ensemble des instruments mobilisés pour l'action humanitaire. Elle nous permettra d'augmenter nos contributions aux agences humanitaires des Nations unies - je salue tout particulièrement l'action de la sous-secrétaire générale adjointe, Mme Ursula Mueller et l'action des Nations unies - parce qu'elles demeurent, elles demeureront la clé de voûte du système humanitaire international. Ces moyens nouveaux abonderont les projets que nous opérons au travers des ONG, avec qui nous avons noué un partenariat essentiel, comme j'ai eu l'occasion de le dire déjà lorsque j'ai rencontré les membres du Groupe de concertation humanitaire en février dernier.
Il faut ajouter à cette somme notre contribution au budget de la Direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne (ECHO).
À ce changement d'échelle devait aussi correspondre un cadre d'emploi renouvelé. Nous avons donc mené depuis un an une large réflexion pour rénover notre politique afin d'en améliorer l'efficacité. Elle aboutit à une nouvelle Stratégie humanitaire de la République Française, qui sera endossée à la fin de cette journée. Elle s'inscrit également dans un mouvement nécessaire de transformation du système humanitaire mondial. Engagée par le Sommet humanitaire mondial, cette volonté d'amélioration a aujourd'hui pour cadre le "Grand Bargain", que nous avons choisi de rejoindre et que nous rejoindrons avec la meilleure efficacité possible, cela m'a été rappelé tout à l'heure. Je constate que les personnels humanitaires font un travail admirable, mais le système humanitaire doit s'adapter pour faire face aux défis d'aujourd'hui. Il est entravé par sa complexité, par l'enchevêtrement des acteurs qui opèrent en silos, par la rigidité des procédures d'attribution et le "Grand Bargain" doit pouvoir remédier à ces difficultés.
Dans l'humanitaire comme ailleurs, l'innovation est décisive. Nous devons être ouverts à toutes les nouvelles pratiques qui permettent d'améliorer la réponse humanitaire, qu'il s'agisse des transferts monétaires, des opportunités offertes par les nouvelles technologies pour l'anticipation des crises et la connaissance des besoins, pour aussi la mise en oeuvre de modes de financement innovants ou des partenariats avec les nouveaux acteurs - secteur privé, pays émergents, diasporas.
Cette nouvelle stratégie humanitaire de la France, à laquelle le président de la République m'a demandé de vous dire son plein soutien, est structurée selon trois grands axes : l'augmentation des moyens et l'amélioration de leur emploi ; l'inscription de l'action humanitaire dans le traitement durable des crises ; le renforcement du respect du droit international humanitaire, dans les enceintes internationales, dans nos relations bilatérales comme sur le terrain. Je voudrais revenir sur chacune de ces lignes de forces.
Le premier axe, le premier objectif, c'est de renforcer l'efficacité de notre aide. Les moyens accrus dont l'Etat va disposer doivent aller de pair avec un effort supplémentaire de transparence et de redevabilité. Vis-à-vis, bien sûr, de la représentation nationale - les parlementaires sont là -, vis-à-vis des Français qui financent ces actions, mais aussi à l'égard des populations bénéficiaires de l'aide. Les récents scandales dévoilés dans le monde humanitaire représentent une trahison de sa mission et de ses valeurs. Nous devons y répondre par une discussion de fond sur les pratiques, pour empêcher que de telles actions se reproduisent.
Toutefois, prenons garde - et cela a été dit aussi dans le panel - à ce que l'exigence légitime de redevabilité ne se concrétise pas au détriment de l'efficacité de l'aide. Depuis des années, l'alourdissement de la bureaucratie ralentit l'accès aux financements, fragilise la capacité à répondre dans l'urgence et absorbe des ressources considérables, au détriment de la réponse aux besoins. Ce phénomène favorise également la concentration et la standardisation, au détriment de la diversité et de l'adaptation et de la subsidiarité. Or nous savons que des structures de taille moyenne, plus flexibles, apportent une réelle valeur ajoutée. C'est notamment le cas de nombreuses ONG françaises.
Cependant, l'action humanitaire, même si elle dispose de financements adéquats, même si elle est rendue plus efficace, ne peut circonvenir seule les crises : elle en traite les symptômes, mais il faut également agir sur ses causes profondes. Sans cela, l'aide humanitaire est condamnée à cautériser sans répit des plaies qui ne cessent de se rouvrir. Regardons les faits : les crises humanitaires mobilisent des financements pendant, en moyenne, huit années. C'est un chiffre anormal ; il doit nous interpeller, sauf à confondre l'action d'urgence avec ce qui relève d'un ordre différent. C'est le deuxième axe de cette stratégie : favoriser le traitement durable des crises.
Je l'ai dit il y a un instant, si nous voulons éviter que l'urgence ne s'inscrive dans la durée, il est décisif que nous dépassions les silos qui se sont créés entre les acteurs de l'humanitaire et du développement. Je sais que cela fait l'objet de beaucoup de discussions, autour des concepts de "continuité" ou de "nexus". Sur cette question, j'ai une approche pragmatique qui répond à un objectif d'efficacité.
Ce mouvement est en cours. C'est le sens de la création au sein du centre de crise et de soutien de ce ministère d'une mission pour la stabilisation, capable de prendre le relais de l'action humanitaire et d'accompagner les premières étapes des processus de sortie de crise. Je tiens également à souligner les efforts entrepris ces dernières années par l'Agence française de développement pour mieux prendre en charge les vulnérabilités - Philippe Jahshan me le rappelait tout à l'heure - dans la phase post-crise, notamment grâce au Fonds vulnérabilité/gestion de crise de l'Agence, dont les moyens seront doublés en 2020.
Mais cette révolution culturelle n'est pas achevée : elle passe par un travail de l'AFD avec sa tutelle au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, pour être en mesure de construire, dès la phase de réponse d'urgence, une stratégie humanitaire-développement à long terme, indispensable pour réduire les facteurs de fragilité, et accroître la résilience des populations. C'est seulement de cette manière que nous serons capables de relever le défi de la sortie de crise et du redressement. Donc, le chantier est ouvert mais la Stratégie en parle aussi, vous aurez l'occasion de le constater dans la journée.
Si nous voulons que l'action humanitaire produise des effets durables, nous devons également attacher une importance décisive au renforcement des acteurs locaux. J'ai conscience que cette question fait l'objet de vifs débats dans le monde humanitaire, et je suis conscient des difficultés qu'elle pose. Je suis pour ma part convaincu qu'acteurs locaux et internationaux sont et resteront dans les années à venir indispensables et complémentaires. Ce qui m'importe, c'est de renforcer cette complémentarité.
Nous allons donc créer avec nos partenaires un mécanisme qui favorisera ce renforcement, en lien avec les initiatives internationales en cours. Je voudrais à cet égard saluer le rôle que le Mouvement de la Croix-Rouge, représenté aujourd'hui par Mme Jemilah Mahmood, à cet égard. Je pense qu'il faut avoir une vision partagée entre acteurs locaux et internationaux et à rendre l'aide humanitaire, selon la formule consacrée, "aussi locale que possible, aussi internationale que nécessaire".
Le troisième axe, le plus structurant sans doute, c'est la défense et le renforcement du droit international humanitaire. Vous connaissez la vigilance de la France sur cette question. Je l'ai réaffirmée en commençant mon propos. Il y a quelques mois encore, nous avons invité Peter Maurer à être le témoin majeur de la semaine des ambassadeurs, c'était un signe, une volonté. De cette manière, je voulais souligner l'attachement de la France au CICR, gardien des Conventions de Genève, et ne laisser planer aucun doute sur le sérieux de notre engagement. Le respect du droit international humanitaire n'est pas une option : c'est une obligation. En attaquant les personnels de santé, en bombardant les hôpitaux, en retirant des convois humanitaires les médicaments et le matériel médical, comme c'est le cas dans la Ghouta, la privation de soin et d'aide humanitaire est de plus en plus utilisée comme une véritable arme de guerre, comme un instrument de chantage international. Et c'est en raison de l'obstruction pratiquée au Conseil de sécurité qui s'est retrouvé dans l'incapacité de réagir tout au long de la crise syrienne, aux violations répétées du droit international humanitaire que nous avons redit notre disponibilité pour engager un engagement du droit de veto face aux atrocités de masse.
Pour répondre à cet enjeu, notre démarche passe par la mobilisation du plus grand nombre de partenaires autour de quatre moyens :
Premièrement, la mobilisation internationale pour le renforcement de la protection des personnels humanitaires et des populations les plus vulnérables. Nous l'avons vu, au cours de ces dernières semaines, c'est souvent au péril de leur vie que les acteurs humanitaires exercent leur métier, pour porter une assistance vitale aux populations civiles. C'est pourquoi je souhaite qu'à l'instar des actions que la France a promues pour mieux protéger les personnels de santé lors de sa présidence du Conseil de sécurité récemment, une réflexion soit engagée, avec le Secrétariat des Nations unies et nos partenaires humanitaires, sur les moyens de renforcer encore le niveau de protection de tous les personnels humanitaires dans les conflits. C'est une demande que nos partenaires humanitaires nous relaient régulièrement, et je souhaite que la France soit à l'initiative de nouvelles propositions, pour augmenter le niveau de protection à la fois juridique et pratique des personnels humanitaires.
Notre action en faveur de la protection des civils dans les conflits demeure également une priorité. Je pense notamment à la protection des enfants dans les conflits armés. Nous avons eu, à cet égard, déjà des initiatives assez significatives.
Deuxièmement, la protection des travailleurs humanitaires, comme des populations civiles, ne pourra être efficace sans lutte contre l'impunité. Les Etats doivent donc poursuivre les auteurs de violation du droit international humanitaire. La France coopère et coopérera avec l'ensemble des instruments internationaux créés en ce sens, qu'il s'agisse de la Cour Pénale Internationale ou des mécanismes ad hoc. Et lorsque ces instruments sont empêchés d'agir, nous sommes à l'initiative, nous avons ici même dans cette même salle lancé le 23 janvier dernier, le partenariat international contre l'impunité dans l'emploi d'utilisation d'armes chimiques. Les responsables de ces crimes doivent savoir qu'ils seront poursuivis et qu'ils auront des comptes à rendre, et je ne parle pas que du chimique.
Troisièmement, l'effectivité du droit international humanitaire passe par l'exemplarité de nos forces armées sur les théâtres de crise et par notre capacité à former nos partenaires, les forces régionales comme les opérations de maintien de la paix. La France, dans les opérations militaires qu'elle conduit, s'attache à la protection des humanitaires et des personnels de santé, dès la planification. Nous sommes également engagés dans la formation des troupes avec lesquelles nous agissons, comme c'est le cas entre autres des acteurs de l'opération Barkhane au Sahel avec les forces qui nous sont partenaires.
Enfin, le quatrième moyen, c'est le dialogue politique, celui que nous menons au niveau multilatéral - j'y ai beaucoup insisté en commençant - mais aussi que nous menons en bilatéral, avec les pays parties à un conflit comme avec les acteurs émergents sur la scène humanitaire. C'est ce que nous faisons s'agissant de la crise syrienne en parlant clair, net, vigoureux avec les acteurs concernés, même si ce n'est pas toujours public, même s'il n'est peut-être pas souhaitable que ce soit toujours public, en tout cas la franchise du discours doit être intégrale. C'est ce que nous faisons aussi en assumant un rôle de médiateur entre l'Ukraine et la Russie, ainsi que dans les autres crises où nous intervenons. Les remises en causes du droit international humanitaire sont l'un des aspects les plus préoccupants de la contestation des droits de l'Homme à laquelle nous assistons aujourd'hui, dans les conflits bien sûr, mais également sous le coup de la montée des autoritarismes. Ce sont des questions que je n'aborde pas automatiquement, celles-là, de manière publique mais que j'aborde régulièrement et quasiment systématiquement dans les entretiens que j'ai avec mes interlocuteurs. Parfois, la dénonciation publique est indispensable, souhaitable, parfois, le discours privé peut être aussi une condition du succès, j'ai pu le vérifier pour la résolution de certains cas difficiles au cours des derniers mois. Il faut faire les deux avec discernement.
Mesdames et Messieurs,
Avec sa nouvelle stratégie, la France veut se situer à l'avant-garde du mouvement de transformation qui anime aujourd'hui le monde humanitaire. En fixant un cap clair assorti de moyens, dont il faudra vérifier en permanence - mais je vous fais confiance là-dessus, M. Jahshan - l'arrivée et la régularité. Il s'agit d'une nouvelle étape dans notre engagement. Cette journée de dialogue sera l'occasion pour nous tous d'approfondir l'ensemble de ces questions.
Je tiens à vous le dire, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères est fier de relever avec les ONG françaises, avec les organisations internationales, avec ses partenaires bilatéraux, ce défi aussi ambitieux que nécessaire. Fidèle à ses principes, soucieuse d'être à l'initiative pour garantir la stabilité internationale, la France continuera de répondre présente, à vos côtés, pour protéger la vie et la dignité humaine et conforter le droit international. Je vous remercie./.
Echanges avec la salle
[Q - Vous avez manifesté votre intérêt à accompagner la réforme du système humanitaire international à travers la signature cet été du "Grand Bargain". Au-delà de cette signature, comment allez-vous politiquement et diplomatiquement accompagner cette réforme, qui est ambitieuse et collective ? À l'heure actuelle, la France ne fait partie d'aucun groupe de travail spécifique.
Q - La France revient dans la course de l'APD, un peu tardivement mais c'est bienvenu. À l'heure actuelle, seuls 2% de l'APD française sont consacrés à l'aide humanitaire, ce sera probablement 3% d'ici 2022, c'est encore extrêmement faible. La France prévoit-elle de revoir sa copie et de s'assurer que les terrains prioritaires qui seront choisis seront bien définis en fonction de critères de besoins humanitaires et non pas d'agenda politique ?
Q - Dans les zones assiégées, l'aide humanitaire est totalement bloquée. Pourrait-on imaginer un rôle plus important de la Croix Rouge dans les zones assiégées ?
R - Sur le "Grand Bargain", je suis surpris que nous ne soyons pas dans ces groupes de travail mais je vais regarder cela de plus près. Il ne s'agit pas d'un engagement formel mais d'un engagement de fond.
Sur la part de l'action humanitaire dans l'APD, l'objectif que nous nous donnons est d'arriver à 6%. Je ne suis pas tout à fait d'accord sur le chiffre des 3% évoqué tout à l'heure. Je suis sur un objectif de 6% sur la période, ce n'est pas 12% mais c'est vrai que l'on part de loin. Il faut une progression régulière sur ce sujet.
Sur les mécanismes d'articulation sur le Nexus, il faut arrêter de travailler en silos séparés, il faut qu'il y ait en même temps les outils de fluidité et d'articulation pour passer d'une étape à l'autre, mais il ne faut pas mélanger les sujets, et c'est toute la difficulté. À mon sens, cela ne peut se traduire - et cela me permet de répondre à la troisième question - que sur le terrain il faut bien identifier comment se font les passages de dispositifs humanitaires, de crise immédiate, à des dispositifs de stabilisation, puis à des dispositifs de développement, comment cela peut se régler sur le territoire concerné indépendamment d'un certain nombre de contraintes militaires. Je sais que l'on revient toujours à cette référence, mais il est parfois indispensable qu'il y ait des opérations de maintien de la paix. Sur la bonne articulation des différentes étapes, je crois qu'il importe que cela soit géré territorialement sur les zones de crise, car si l'on est uniquement dans des principes généraux, on ne s'en sort pas. C'est une adaptation très concrète, il faut être dans la subsidiarité sur ce sujet.]
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mars 2018