Déclaration de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, sur la protection de l'enfance et le rôle du Conseil national de protection de l'enfance (CNPE), Paris le 12 janvier 2018.

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Etre présente parmi vous aujourd'hui pour la première plénière du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) de l'année 2018 revêt pour moi une importance particulière.
C'est en premier lieu l'occasion de vous faire part de mes attentes vis-à-vis de cette instance de création récente et à laquelle j'attache une importance particulière.
C'est aussi et surtout, pouvoir vous dire quelles sont mes orientations et les sujets de préoccupation qui guideront mon action future.
1) Ce que j'attends du CNPE d'abord :
Je suis la ministre de la famille et de l'enfance dans un gouvernement volontairement resserré. Il me revient donc de veiller à ce que dans notre pays, l'intérêt supérieur de l'enfant soit défendu et pris en compte à haut niveau dans les priorités du gouvernement.
Il me revient aussi de veiller à ce que les politiques publiques conduites par les conseils départementaux, chefs de file de la protection de l'enfance dans les territoires depuis de nombreuses années, soient mises en oeuvre de manière cohérente, dans le respect de la loi et avec un niveau d'exigence défini de manière collective.
C'est particulièrement important dans un contexte où la maîtrise des finances publiques est un impératif incontournable et où chaque acteur cherche légitimement la juste allocation de ses ressources. Cela ne doit pas nous conduire à baisser la garde, notamment en ce qui concerne la qualité des prises en charge et l'équité de traitement.
Pour remplir ces objectifs, je compte pleinement m'appuyer sur le CNPE et je poursuivrai la dynamique positive engagée au cours du précédent quinquennat. Je tiens d'ailleurs à saluer Mme Créoff, Mme Derain et vous tous ici présents pour les travaux que vous avez menés, avec efficacité, durant votre premier année de fonctionnement et pour votre engagement.
Plus largement, je tiens ici à rendre hommage à l'ensemble des acteurs et des professionnels qui oeuvrent pour la protection de l'enfance au quotidien. Magistrats, fonctionnaires de la PJJ, associations, éducateurs, assistantes sociales, psychologues, professionnels de santé, personnels des PMI, des crèches, professeurs des écoles et j'en oublie certainement. Soyez tous ici remerciés pour votre travail et l'importance de la tâche qui est la vôtre.
J'ai pris connaissance des éléments du rapport du CNPE pour l'année 2017 et de vos recommandations. J'ai également tenu compte de vos positions sur des sujets d'actualité récents tels que la proposition de loi sur la garde alternée ou la consignation de l'allocation de rentrée scolaire pour les enfants placés au titre de l'aide sociale à l'enfance.
Sur ces bases qui sont solidement établies, je tiens à ce qu'ensemble nous puissions aller plus loin.
Le CNPE doit être un lieu d'échanges entre tous les acteurs qui permet de dépasser les clivages et les querelles en matière de protection de l'enfance. Celles-ci ont trop souvent été un frein au changement et à l'évolution des pratiques au service de l'intérêt de l'enfant. Ce dernier, seul, est notre guide et notre boussole. Nous devons être capables de prendre des tournants et d'être vraiment innovants. Cela ne peut se faire que dans un climat apaisé, ce qui n'empêche pas les débats, bien au contraire.
Le CNPE doit être aussi un lieu qui permette d'atténuer la diversité des prises en charge découlant d'une politique dont la mise en oeuvre est décentralisée. C'est le rôle du partage des bonnes pratiques et de l'élaboration de guide et de référentiels.
En effet, nos concitoyens peuvent comprendre qu'il existe des caractéristiques propres à chaque territoire, des variantes dans l'application des textes nationaux, nécessaires à l'adaptation aux contextes et à l'histoire. Personne en revanche ne peut tolérer que ces variations aboutissent, pour certains, les plus fragiles en réalité, à des pertes de chance et à un déni du droit. C'est à cet équilibre subtil que nous devons nous attacher ensemble et je sais bien que ce n'est pas facile.
Le CNPE doit enfin être un lieu d'évaluation de la qualité des pratiques et de suivi de l'application des normes en vigueur, au premier rang desquelles figure la loi du 14 mars 2016 qui a apporté en théorie des avancées substantielles mais qui est inégalement mise en oeuvre sur le terrain.
Vous le savez, j'ai été à la tête de la Haute autorité de santé. Comparaison n'est certes pas raison mais je sais quel peut être l'apport d'un organisme tel que celui-ci en matière :
- de régulation d'un secteur ;
- d'amélioration de la qualité des prises en charge ;
- d'harmonisation des pratiques et d'appui aux professionnels en termes d'outils, de guides et de méthodes de travail.
J'estime qu'il est temps que les politiques sociales se dotent du même niveau de pilotage des pratiques et d'amélioration constante de leur qualité. Je souhaite que nous puissions y travailler ensemble et je m'y engagerai pleinement à vos côtés.
2) Quelles sont mes priorités et comment sera orientée mon action dans les années qui viennent ?
Je tiens à vous le dire d'emblée, car les choses doivent, me semble-t-il, être claires en la matière : mes futurs combats pour la protection de l'enfance ne seront pas essentiellement d'ordre législatif. Les lois de 2007 et de 2016 ont abouti à de grands équilibres cohérents que je souhaite consolider et à des avancées qui doivent à présent trouver leur concrétisation. Ce n'est pas à la loi prioritairement qu'il faut s'attaquer aujourd'hui, c'est à la réalité de son application et à sa mise en oeuvre, à l'épaisseur des choses donc plus qu'à la symbolique des mots.
Et cette épaisseur des choses, que nous enseigne-t-elle ?
- Elle nous enseigne hélas que de nombreux enfants continuent d'être victimes de violence, toutes sortes de violences, à un niveau qui n'est pas tolérable dans une société avancée comme la nôtre. Je ferai donc de cette lutte contre les violences ma priorité absolue, mon combat ;
- Elle nous enseigne aussi que nous mettons trop peu d'énergie dans la prévention des difficultés et des ruptures par rapport à ce que notre système tout entier engage en matière de dispositifs curatifs, lorsque le pire est déjà advenu et qu'il s'agit alors, tant bien que mal, de réparer = je veux que cela change et ce sera ma deuxième priorité, le fil rouge de mon action, comme en matière de santé ;
- Elle nous enseigne enfin que nous n'attachons pas vraiment d'importance à la sortie de nos dispositifs de prise en charge. Que deviennent au long cours les enfants que nous accompagnons, avec plus ou moins d'intensité, parfois depuis leur naissance lorsque l'âge, fatidique à certains égards, de 18 ans arrive ? Avons-nous seulement développé des systèmes d'information et des études robustes pour le savoir et pour mesurer l'ampleur des efforts que nous devons accomplir en la matière ? Il faut changer cela aussi et cela engage notre système tout entier, dans sa capacité à coordonner les multiples acteurs et à décloisonner les politiques publiques. Rien de tout cela ne se fait de manière spontanée. Il faut y engager une attention considérable et un appui dans la durée.
Au service des priorités que je viens de définir, je souhaite à présent vous faire part de mes intentions prochaines :
- Poursuivre bien évidemment la mise en oeuvre du plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants
Une journée nationale sera organisée le 2 mars prochain. Elle permettra de faire le bilan de la mise en oeuvre de ce plan. D'autres mesures pourront être débattues à cette occasion.
Je pense notamment aux éventuelles mesures qui pourraient être adoptées pour lutter contre les violences éducatives, pour sensibiliser la société aux incidences de l'exposition des enfants aux violences conjugales, mais aussi pour prévenir l'exposition des mineurs aux sites pornographiques. Sur ce dernier thème, un certain nombre de propositions m'ont été faites par un groupe de travail qui s'est réuni durant l'année 2017, piloté par la DGCS et l'observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique. Je les examinerai avec attention.
- S'engager résolument dans la construction et la mise en oeuvre d'une stratégie nationale de protection de l'enfance et de l'adolescence couvrant la durée du quinquennat et portée au plus haut niveau
En termes de calendrier, je souhaite que nous puissions aboutir à la fin du mois de mai par la présentation au Premier ministre et au Président de la République de mesures concrètes.
En termes de méthode, je souhaite que la Direction générale de la cohésion sociale et le CNPE soient co-pilotes de la réflexion et de la co-construction de cette stratégie, avec l'ensemble des acteurs concernés, au premier rang desquels, bien sûr, figurent les conseils départementaux. D'ici le mois de mai, je ferai régulièrement le point sur l'avancement de la construction de cette stratégie, sous une forme à déterminer.
En ce qui concerne les objectifs de cette stratégie, je souhaite bien sûr qu'elle reprenne les priorités que j'ai exposées il y a un instant. J'en rajouterai une et ce n'est pas la moins importante : renforcer l'accès aux soins et la prise en charge sanitaire des enfants qui ont été victimes de violence et de ceux suivis à l'aide sociale à l'enfance. J'ai été, depuis mon arrivée à la tête de ce ministère, sensibilisée à ce sujet et en tant que ministre de la Santé, constater un accès aux soins réduit pour les enfants les plus vulnérables est une chose qui me choque profondément, comme vous tous, j'en suis sûre. Là encore, il nous faut inventer les moyens, les plus pragmatiques possibles, de franchir une étape et de mettre fin à des situations qui ne sont pas tolérables compte tenu de la qualité globale de notre système de santé. C'est un investissement social, certes, mais c'est aussi et surtout, un devoir moral.
En guise de conclusion, je souhaite dire que la protection de l'enfance doit, selon moi, s'entendre dans le cadre plus vaste que constituent les politiques publiques à destination des familles et de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Je suis également en charge de ces deux politiques et donc, je vois parfaitement l'intérêt de les lier, de faire en sorte qu'elles se nourrissent et se renforcent les unes les autres.
Comment améliorer la protection de l'enfance si nous restons dans un pays où la pauvreté des enfants et des familles est élevée et où nous peinons à fixer des objectifs clairs à notre politique familiale ?
C'est la raison pour laquelle, j'ai demandé à Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes et à Michèle Créoff de travailler étroitement ensemble et de tirer parti de toutes les synergies possibles entre leur deux champs de compétence. Je sais qu'ils ont commencé à le faire et je leur redis ici toute ma confiance.
Un tout dernier mot enfin : la question des mineurs non accompagnés fait, je le sais, l'objet d'inquiétude de votre part. Vous craignez que les annonces de réformes gouvernementales ne se traduisent par un recul en matière de protection accordée à ces enfants particulièrement vulnérables. Je veux vous rassurer et vous assurer de mon engagement sur ce sujet.
Que serait notre pays s'il ne mettait pas tout en oeuvre pour accueillir dignement ces enfants après le périple qui a été le leur et alors qu'ils se trouvent en besoin manifeste de soins, d'éducation, de secours, d'humanité ?
J'ai pris connaissance des chiffres et des rapports : ils traduisent une augmentation certes mais les volumes concernés ne disent en aucune manière qu'il est impossible de faire les choses correctement et conformément aux engagements internationaux de la France.
Les chiffres disent aussi que les enfants qui arrivent sont de plus en plus jeunes. Cela aussi doit être un aiguillon de notre action. Je n'ai pas de solution toute prête pour répondre à ce genre de défis qui nous occupera pour les nombreuses années à venir, compte tenu de la situation internationale. Je sais seulement qu'il faut agir en se préservant des idées reçues et, encore une fois, avec l'intérêt de l'enfant comme boussole.
Je prendrai donc toute ma part à la réflexion et aux arbitrages qui s'annoncent, en ayant fermement à l'esprit la protection de l'enfance.
Je vous remercie de votre attention et suis prête à vous écouter.
Source http://solidarites-sante.gouv.fr, le 16 mars 2018