Déclaration de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, sur les maltraitances médicales et le droit à l'accès aux soins, Paris le 20 mars 2018.

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Cette audition, aujourd'hui, va nous permettre d'aborder des questions importantes de la politique de santé en France, à savoir : les maltraitances médicales ayant des conséquences sur le droit à l'accès aux soins.
Ce phénomène, qui concerne – comme une évidence malheureuse – les femmes, n'épargne pas pour autant d'autres populations, peut-être moins visibles et moins biens protégées.
Je veux parler :
- des personnes handicapées et des personnes âgées ;
- des détenus (atteints de troubles mentaux) ;
- mais aussi des personnes stigmatisées en raison de leurs origines ou de leur confession, ou de leur pratique sexuelle
1. Dans un premier temps, permettez-moi d'aborder la question de la maltraitance en elle-même.
1.1. Nous le savons, le soin peut être une expérience traumatisante.
Sur les touchers pelviens par exemple, les femmes ayant ressenti de la douleur ou de la gêne, ont moins tendance à se présenter pour une visite ultérieure :
- cela a des implications potentielles en termes de santé ;
- ce qui conduit les Nord-Américains à ne plus recommander la réalisation systématique des touchers pelviens chez la femme asymptomatique et de « risque moyen ».
Le caractère traumatisant d'épisodes de soins est rapporté dans d'autres champs, avec des conséquences similaires sur l'accès aux soins :
- nous pouvons citer certaines réticences de patients pour une 2e opération dans le cas d'affections bilatérales (exemple de la cataracte) ;
- ou la difficulté pour certains patients atteints de cancer de venir à l'hôpital lorsqu'ils sont en rémission, ou pour recevoir des soins de supports ;
- enfin, la violence des annonces de pathologies graves, qui peuvent avoir un effet de sidération voire de renoncement aux soins.
Le traumatisme est de nature diverse :
- douleur, anxiété, stress,
- ou encore sentiment d'avoir été jugé, voire humilié par une parole ou un geste brutal, une annonce non accompagnée.
Cela témoigne de l'importance de développer les indicateurs d'« expérience patient », qui rendent compte du vécu du patient dans sa globalité.
1.2. De plus, le système de santé peut être responsable directement ou indirectement de discriminations.
Certaines discriminations sont ainsi connues :
- l'exclusion des homosexuels du don du sang jusqu'en 2016 ;
- la non maîtrise de la langue ou des difficultés de compréhension interdisant de fait une prise en charge adaptée
- et l'incapacité d'accéder aux locaux peut être une cause de discrimination. On constate : 16 % de refus de soins chez les personnes handicapées et 25 % de refus de l'accompagnant par les soignants.
- Enfin, l'accès aux soins est parfois limité dans des situations particulières – je pense aux problèmes géographiques, en raison d'une offre de soins moins dense.
1.3. Par ailleurs, nous relevons des discriminations conscientes ou inconscientes de la part des soignants. Soit :
- dans certaines situations (peur d'une contamination, inconfort du fait d'un handicap ou de toute forme de différence) ;
- du fait de certains préjugés (le syndrome méditerranéen ou encore la responsabilité prétendue d'une situation pathologique – c'est le cas de l'obésité) ;
- ou enfin d'une catégorisation bon/mauvais patient.
Nous pourrions également citer les discriminations de genre qui peuvent être issues de la formation, telles que :
- celles sur les pathologies cardio-vasculaires, étiquetées maladies de l'homme,
- et pour lesquelles les femmes (mais également les classes d'âge les plus jeunes) pâtissent : d'un sous diagnostic, et donc d'une moins bonne prise en charge.
2. En conséquence, nous devons favoriser l'accès aux soins des groupes vulnérables comme les personnes âgées,…
2.1. Sur la mesure de la qualité, je compte renforcer :
- la mesure et la publication des indicateurs de satisfaction des patients ;
- ainsi que la prise en compte par la Haute Autorité de santé (HAS) de l'« expérience patient » dans sa mesure des résultats.
2.2. Sur l'organisation des soins :
- la mise en oeuvre de dispositifs d'annonces inscrits dans le cadre du plan cancer 1 et généralisés par décret en 2007 : ils font l'objet d'un financement dans le cadre de la MIG qualité transversale en cancérologie ;
- le financement de nombreux dispositifs dits « de consultations externes spécifiques » pour les publiques vulnérable à hauteur de 300M€ annuels (MIG) ;
- la création des consultations longues et des consultations complexes dans la convention d'août 2016, justifiées par des situations cliniques spécifiques (Alzheimer par exemple).
2.3. Sur la formation des professionnels, nous insisterons sur :
- La formation des professionnels de santé par la simulation et l'acquisition de compétences par des formations avec des malades ;
- la formation continue des agents de la fonction publique hospitalière sur la lutte contre les discriminations ; je pense à la participation aux travaux de la Charte Romain Jacob pour la formation (novembre 2016).
2.4. Spécifiquement, sur la prise en charge des personnes avec un handicap :
Nous disposons depuis 2017 d'un guide spécifique de la Haute Autorité de santé pour améliorer :
- l'accueil,
- l'accompagnement,
- et l'organisation des soins en établissement de santé pour les personnes en situation de handicap ;
Nous intégrons des patients dans la démarche de « patient traceur » de la certification des établissements de santé par la HAS.
Une instruction du 20 octobre 2015 a été adressée pour la mise en place de dispositifs de consultations pour les personnes en situation de handicap :
- 10M€ annuels délégués aux agences régionales de santé, portés à 13,7M€ en 2017.
2.5. Enfin, sur la précarité (ce qui inclut les migrants) :
- le montant alloué aux permanences d'accès aux soins de santé (PASS) créées par la loi de lutte contre les exclusions de 1998 est de plus de 70M€ – dont 10M€ de mesures nouvelles en 2018 ;
- les financements de la prise en charge des patients en situation de précarité par les établissements de santé est de 190M€ pour 2018 – dont 31M€ de mesures nouvelles.
- Quant aux financements des équipes mobiles psychiatrie-précarité : 2M€ de mesures nouvelles en 2018.
3. La recherche de l'efficacité du service ne doit, bien entendu, en aucun cas nuire à l'humain.
Globalement, les modèles de financement privilégiant les volumes, tirent les producteurs de soins vers des situations et des patients peu complexes (les « bons risques ») :
- ils peuvent ainsi maximiser leur chiffre d'affaire et minimiser leurs charges.
Une réforme complète des modes de financement a été engagée : Il s'agit en effet d'adapter le mode de financement aux nouvelles activités médicales et non l'inverse.
Mesdames, Messieurs,
Tous ces enjeux nécessitent :
- non seulement d'adopter une approche interdisciplinaire,
- mais aussi de remettre le patient au coeur des préoccupations sociales et des évolutions institutionnelles.
Aussi, pour répondre à tous ces défis, nous apporterons une réponse à la fois juridique, hospitalière, gouvernementale, territoriale et par la formation.
Je vous remercie.
Source http://solidarites-sante.gouv.fr, le 21 mars 2018