Déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur la politique de la ville, notamment les projets pour améliorer l'emploi, la sécurité, le cadre de vie, la santé et l'éducation des enfants, Lille le 19 juin 1999.

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Circonstance : Assises de la politique de la ville à Lille le 19 juin 1999

Texte intégral

Je suis très heureuse de clore ici avec vous ces assises de la politique de la ville de Croix, Roubaix, Tourcoing et Wattrelos.
Depuis le mois de février, associations, comités de quartier, acteurs du monde économique, travailleurs sociaux, chefs de projet, élus et habitants de Croix, Roubaix, Tourcoing et Wattrelos, vous avez été nombreux à vous mobiliser, pour réfléchir à l'avenir de notre ville, à son développement et cohésion sociale.
Les comptes rendus des ateliers de quartiers de Roubaix, comme des réunions d'habitants à Tourcoing témoignent de la richesse et de la diversité des sujets évoqués.
Vous avez exprimé vos attentes, vos projets pour améliorer l'emploi, la sécurité, le cadre de vie, la santé, l'éducation de vos enfants.
Aujourd'hui, je suis donc venue participer à cette démarche collective, porteuse d'une véritable ambition pour notre agglomération que Michel-François Delanoy, élu et cheville ouvrière de cette journée en soit chaleureusement remercié.
Vos propositions et réflexions viennent d'être présentés. Elles posent les problématiques et les enjeux majeurs pour lutter contre les processus d'exclusion qui affectent certains territoires de notre ville. Elles doivent maintenant permettre de donner plus de force à la politique de renouvellement urbain qui a été initié par vos élus.
L'enjeu est d'importance ; il est aussi d'actualité. Vous le savez, l'Etat, les communes mais aussi la Région et le département sont en train de définir les orientations de leur politique territoriale. A travers les contrats de plan et les contrats de ville, les différents acteurs prendront des engagements concrets pour les sept années à venir. C'est donc en ce moment même que se discutent les actions d'envergure qui seront financées dans les différents quartiers.
Nous aurons ainsi d'autant plus de force que nous serons unis autour d'un projet ambitieux et partagé par tous.
Le fait même que vos quatre communes soient classées en Grand Projet Urbain, et à partir du 1er janvier 2000, en Grand Projet de Ville, témoigne déjà de la volonté de l'Etat de s'engager fortement pour contribuer à renforcer la solidarité de notre territoire.
Mais le passage même du Grand Projet Urbain au Grand Projet de Ville, qui cette fois, intégrera Lille, révèle les ambitions de l'Etat en matière de politique de la ville.
En effet, il ne suffit plus aujourd'hui de penser l'avenir de nos villes à travers le seul prisme de l'aménagement de l'espace.
Une ville, c'est avant tout des habitants avec des besoins sociaux, culturels, économiques. C'est une vie associative, des actions quotidiennes de solidarité. Bref, la politique de la ville n'a de sens que si la ville est pensée dans sa globalité, et surtout avec les habitants qui en constituent le cur.
C'est pourquoi ces assises de la politique de la ville apportent une richesse considérable au projet de ville.
Et cette année 1999 doit permettre de concrétiser vos choix pour l'avenir de notre territoire, vos priorités pour le futur contrat de ville à l'échelle de notre agglomération et, plus particulièrement, pour le Grand Projet de Ville de Croix, Roubaix, Tourcoing et Wattrelos.
Les politiques de droit commun doivent être mobilisées dans la perspective de ce projet partagé. Les politiques de développement économique et d'emploi, les actions sur l'habitat et le peuplement, l'éducation, les dispositifs de sécurité et de prévention, les politiques de santé publique, l'intégration des populations immigrées doivent être pensés dans le contrat de ville, dans la perspective du projet.
En ce qui concerne l'emploi et le développement économique de vos villes, je ne parlerai que des projets que vous connaissez bien, notamment ceux qui ont été programmés dans vos 13 quartiers intégrés au Grand projet urbain.
Le bilan est significatif : 81 opérations structurantes ont été mises en uvre. Elles représentent u investissement total de 325 millions de francs.
A Croix : c'est par exemple, la redynamisation commerciale de la rue de l'Amiral Courbet.
A Roubaix : la création du parc sportif du Brondeloire, dans le quartier de l'Epeule, ou encore le réaménagement d'un bâtiment industriel, rue des Arts en hôtel d'entreprise.
A Tourcoing : je cite l'hôtel d'entreprise Albert Mongy, dans le quartier de l'Epidème.
A Wattrelos : les efforts portent prioritairement sur la restructuration du quartier de la Mousserie, et la nécessité de mieux équiper ce secteur : c'est l'objectif de la reconstruction de la maison pour tous et de la réhabilitation du Centre social.
Ces quelques opérations révèlent bien les priorités de la politique de la ville : embellir les quartiers, multiplier les équipements de proximité, relancer le commerce et favoriser l'implantation de nouvelles activités, notamment, en requalifiant les nombreuses friches industrielles.
Plus qu'ailleurs, ces opérations sont vitales.
Ce n'est pas à vous que je dois dire pourquoi.
Vous savez à quel point le versant Nord-Est de la métropole a souffert, combien il souffre encore du déclin de ses industries héritées du début du siècle. Elles faisaient la force et la fierté de vos villes.
Malgré tous les efforts pour soutenir et sauvegarder ces industries, elle continent à s'épuiser. Le mouvement ne s'inverse pas.
En disant cela, bien sûr, j'ai à l'esprit, la Lainière qui continue à perdre des emplois. Case Poclain, en restructuration. Peignage Amédée qui ferme ses portes.
Les conséquences humaines sont dramatiques. C'est bien pourquoi, le développement économique et l'emploi sont des priorités majeures surtout dans cette agglomération qui connaît un taux de chômage qui grimpe jusqu'à 25 % c'est-à-dire 7 point et demi de plus que l'ensemble de la métropole Lilloise.
Vous avez évoqué la Zone Franche Urbaine.
Elle a certes donné des résultats localement, puisque la zone franche de Roubaix Tourcoing a enregistré l'arrivée de 377 nouvelles entreprises, permettant ainsi la création de 2857 emplois.
Il convient cependant de préciser qu'au plan national, cette politique de " zonage " a montré ses limites. Son impact sur l'emploi des habitants de quartiers est notamment resté limité. Même si des efforts importants ont été déployés ici notamment pour faire bénéficier prioritairement les habitants des quartiers.
Compte tenu de l'enjeu, il convient en tout été de cause de développer la dimension économique de la politique de la ville et d'engager avec les acteurs économiques locaux un partenariat plus approfondi, favorisant le recrutement et l'insertion professionnelle des habitants des quartiers en difficulté.
Au moment où la croissance repart, puisque 620000 emplois ont été créés dans notre pays au cours des 22 derniers mois, il est indispensable que les habitants de nos quartiers ne passent pas à côté de la reprise économique. Rien ne serait plus grave pour les jeunes de nos quartiers qu'ils aient le sentiment que la société va mieux, mais que, pour eux, tout continue à aller mal. Je sais les impatiences de ceux qui souffrent et voient la situation des autres s'améliorer.
Le programme " nouveaux services, emplois jeunes " répond en partie à cet enjeu.
Au plan national, 25 000 jeunes de nos quartiers les plus difficiles ont déjà trouvé un emploi grâce à ce dispositif, soit 15 % du nombre total des emplois jeunes. C'est un premier résultat qui est significatif mais encore insuffisant.
A Lille, grâce à une forte mobilisation des élus et des acteurs locaux, nous avons réussi à atteindre les 80 pour cent. Ici sur le versant Nord-Est, votre détermination n'en est pas moins identique.
Par ailleurs, j'ai souhaité mobiliser en priorité dans les quartiers difficiles les outils existants pour l'insertion des jeunes, en particulier le programme TRACE.
Le programme a débuté à la fin de l'année 1998. En juin 1999, 20 000 jeunes devraient déjà être concernés, et 50 000 d'ici la fin de l'année. Nous nous étions fixés un objectif de 25 pour cent des jeunes entrant dans TRACE issus des quartiers difficiles. Cet objectif est atteint. Parmi les jeunes les moins qualifiés, ils sont même près de la moitié à venir d'une zone urbaine sensible.
Ces actions s'articulent avec la lutte contre les discriminations sur le marché du travail et dans l'accès à l'emploi dont je connais l'attention toute particulière que vous accordez à ce problème ainsi que les actions concrètes que vous menez comme celle en direction des " jeunes diplômés " actuellement.
Dans le cadre de la politique de la ville, il nous faut réussir également à stimuler l'activité dans les quartiers, à contribuer à les rendre plus attractifs à l'accueil des entreprises et à les réinscrire dans la dynamique économique de l'agglomération. Avec Claude Bartolone, nous allons mettre en place de nouveaux outils pour répondre à cet enjeu, à partir des propositions de la mission parlementaire que le Premier ministre a confiée à Pierre Bourguignon et Chantal Rodrigo.
La communauté urbaine et la région devront se saisir de ces nouveaux outils afin de répondre à l'enjeu de développement du versant Nord Est, qui connaît le plus de difficultés. C'est aussi grâce a ces nouveaux outils que nous réussirons la sortie du dispositif " Zone Franche ".
La qualité des logements et la mixité sociale constituent deux autres enjeux majeurs pour notre agglomération.
En particulier, la question de l'amélioration de l'habitat privé ancien se pose avec une forte acuité. Il représente 70 % de l'habitat dans vos 13 quartiers.
Cet enjeu est d'ailleurs au cur même de la politique de la ville dans la plus grande partie de la région Nord-Pas-de-Calais.
Il est vrai qu'aujourd'hui, les moyens d'intervention publique sur ce parc de logements demeurent limités. Il existe diverses procédures, telles que les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH), les campagnes de ravalements de façades ou les subventions du ministère de la culture au titre des interventions à proximité des lieux classés. Mais, globalement, les élus locaux restent très largmenet démunis.
Le projet de loi sur l'urbanisme et l'habitat préparé en ce moment même par le Gouvernement vise précisément à répondre à cet enjeu. Il devrait ainsi permettre une meilleure intervention publique que les copropriétés dégradées, qui constituent un problème particulièrement lourd dans certains sites prioritaires de la politique de la ville, et sur le parc privé ancien.
L'autre axe de ce projet de loi sur l'urbanisme et l'habitat devrait être la réforme de la loi d'orientation sur la ville, qui imposera une meilleure répartition du logement social sur l'agglomération.
Afin d'éviter la constitution de ghettos sociaux, il nous faudra aussi développer une politique de peuplement adaptée. Aujourd'hui, de plus en plus de personnes rejettent l'idée de vivre dans certains de nos quartiers, ce qui entraîne inexorablement une concentration de populations " assignées à résidence ". De fait, le cercle vicieux de la stigmatisation s'installe alors dans la ruée et s'étale dans l'espace.
Ce problème lié à l'équilibre social de nos territoires est grave. Il est nécessaire de renouveler les règles du jeu. De nouvelles règles en matière de prévention, car il nous faut éviter à l'avenir la concentration des populations les plus défavorisées sur tel ou tel territoire. Mais aussi de nouveaux modes d'intervention lorsque le déséquilibre social est déjà installé.
L'éducation des jeunes reste au cur de nos préoccupations.
Je sais les efforts importants et méritants déployés par nos enseignants dans nos quartiers les plus difficiles. Ces quartiers sont d'ailleurs caractérisés par une population jeune ; leur travail constitue donc le socle même de notre modèle républicain d'égalité des chances.
Là, plus que partout ailleurs, notre devoir est de garantir l'égalité effectif des droits. Et le premier doit qu'une société doit garantir à sa jeunesse, c'est le droit à l'avenir.
La mobilisation exceptionnelle de tous, enseignants, parents d'élèves, personnels d'encadrement, demeure donc une nécessité.
L'accompagnement scolaire développé à Wattrelos, " l'école des parents " à Tourcoing, comme " l'espace intermédiaire " à Roubaix sont le témoignage de cette mobilisation concrète et qui produit déjà des résultats.
Et, parce que l'éducation de nos enfants ne s'arrête pas à la sortie de l'école, il nous faut aussi valoriser le travail de toutes les associations culturelles ou sportives, de tous les personnels des collectivités locales, qui, au quotidien, encadrent nos jeunes.
La vie d'un enfant ne se découpe pas en tranches l'éducation dot donc se penser de manière globale dans le contrat de ville.
La réhabilitation des écoles, premiers lieux de sociabilité des enfants, est aussi un problème important qui entre dans le champ de compétence des collectivités locales.
Mais là aussi, la solidarité nationale doit jouer son rôle, et l'Etat doit poursuivre son effort.
Les moyens exceptionnels déployés cette année dans ce domaine dans la programmation du Grand Projet Urbains, comme sur les crédits de droit commun illustrent concrètement cette solidarité nationale.
Un autre défi à relever dans nos villes est celui de la sécurité. Le droit à la sécurité est fondamental. Car chacun le sait, l'insécurité frappe d'abord les plus fragiles.
Concrètement, il es vrai que dans une partie des quartiers relevant de la politique de la ville, des tensions fortes se sont développées entre certains groupes de jeunes et les forces de police, voire l'ensemble des agents publics. Cette situation est mal vécue par tous.
Mais la solution miracle et à court terme n'existe pas sur ce sujet, même si des réponses visibles doivent être apportées rapidement par l'Etat.
Pour être efficace, il ne peut y avoir qu'une réponse globale et collective, fédérant l'ensemble des champs des politiques urbaines autour d'un projet et mobilisant tous les acteurs, y compris la population. Aucune institution publique ne pourra jamais remplacer la mobilisation collective des adultes.
L'Etat, pour sa part, engage actuellement une réforme profonde des pratiques professionnelles. Pour la police, il faut réussir le passage à une vraie police de proximité, fondée sur des équipes à même d'apporter des réponses concrètes à la population de chaque quartier, et plaçant au cur de ses objectifs le dialogue quotidien avec la population, notamment les jeunes.
C'est la vocation des contrats locaux de sécurité. Et je soulignerai que Tourcoing était l'une des villes les plus avancée dans cette démarche, puisque cela fait de nombreuses années qu'elle a mis en place un observatoire de la sécurité pour mieux évaluer et cibler ses actions.
Je salue le Maire, Jean-Pierre Balduyck ainsi que Michel-François Delannoy, qui ont été les précurseurs des futures contrats locaux de sécurité.
La santé pour les publics les plus défavorisés constitue un enjeu fort. Ainsi, la couverture maladie universelle garantira l'égalité de nos concitoyens devant l'accès aux soins. Il s'agit de faire de ce droit un droit réel et pas seulement formel.
Dans le domaine de la santé publique de proximité, les villes de Lille et de Roubaix sont déjà engagées dans des démarches innovantes : je pense à l'espace santé du Faubourg de Béthune ou la maison de santé de Roubaix, qui apportent aux habitants une écoute de proximité et des conseils. Ces nouvelles structures ne manqueront pas de tracer la voie d'une meilleure prise en charge de cette dimension dans les futurs contrats de ville.
Je voudrais tout particulièrement insister sur ce que l'on appelle encore l'intégration des populations immigrées. A vrai dire, ce terme n'est sans doute plus adapté car je suis frappée de constater que les jeunes d'origine immigrée notamment sont déjà intégrés et que leurs attentes sont autres.
Il faut donc prendre en compte la lutte contre les discriminations qui sont une réalité et sur lesquelles le Gouvernement s'est mobilisé depuis deux ans.
L'Etat doit montrer sa détermination en cette matière pour que les discriminations et le racisme reculent. Je ne méconnais pas la difficulté d'inscrire ces sujets dans la politique contractuelle menée avec les collectivités territoriales, les associations, les habitants eux-mêmes. Mais l'enjeu est important.
Je souhaite pour ma part que les contrats cadres et les orientations de la politique de la ville qui seront adoptées dans les mois qui viennent prennent en compte l'intégration et la lutte contre les discriminations, de manière systématique et transversale.
Je serai particulièrement vigilante pour que les points de vue de l'Etat dans l'élaboration des futurs contrats de ville manifestent cette mobilisation qui doit être collective.
Vous êtes d'ailleurs engagés sur un diagnostic à l'échelon de l'agglomération sur la dimension intégration, en tenant compte de l'expérience des trois schémas locaux d'intégration des villes de Lille, Roubaix, Tourcoing.
Je serai tout aussi vigilante quant à l'implication réelle des habitants à l'élaboration et la mise en oeuvre de ces contrats.
Et, je voudrais dire que le travail réalisé à Roubaix dans ce cadre, sous l'impulsion de René Vandierendonck est tout à fait exemplaire.
PARTICIPATION DES HABITANTS
Agir pour les habitants, ce n'est pas suffisant. Ce qu'il faut, c'est agir avec les habitants. C'est à mon sens le meilleur des critères pour définir des dispositifs efficaces et adaptés qui correspondent à la réalité du terrain et aux attentes des premiers concernés.
Notre région a été le terreau de la politique de la ville dans bien des domaines, dont l'un d'entre eux est la participation des habitants.
Le Fonds de Participations des Habitants, mis en uvre par le conseil régional au curs du plan précédents ainsi servi de modèle au dispositif du même nom mis en place par le gouvernement lors du comité interministériel du 2 décembre 1998.
CONCLUSION
C'est comme cela, en permettant aux habitants d'être à la fois auteur et acteur du changement dans leur ville, dans leur quartier que nous devons bâtir les villes de demain.
Le changement doit être concret et durable. C'est la vocation de la politique de la ville. Elle est certes compliquée, mais elle ne se réalise qu'à travers des opérations bien concrètes.
Avec ces assises de la politique de la ville, aujourd'hui notre agglomération démontre encore sa capacité d'innovation et de mobilisation sur ces plans.
Il nous faut désormais poursuivre notre action commune pour faire de notre territoire une ville solidaire et compétitive.