Texte intégral
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, l'agenda est facétieux : le président de Rugy co-présidait justement tout à l'heure un déjeuner avec M. Jacques Chagnon, président de l'Assemblée nationale du Québec. La relation historique entre l'Union européenne et le Canada est donc le thème du jour !
Les enjeux soulevés par la proposition de résolution (ndr : utilisation de la voie référendaire pour la ratification du traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada) sont importants. Il est bon d'en débattre. Le gouvernement vous répond bien volontiers, puisqu'il en va finalement de l'articulation entre le commerce international et la démocratie : nous discutons de l'intérêt pour la France de négocier et de conclure, par l'intermédiaire de l'Union européenne, des accords commerciaux ; nous débattons aussi des processus politiques qui doivent assurer la légitimité démocratique de tels accords.
Ces sujets ont été au coeur du grand débat citoyen qui a animé le pays en 2017. Nous avons tous en tête le second tour de l'élection présidentielle, où les citoyens français ont été confrontés à un choix clair entre une politique de fermeture et d'isolement d'un côté, et de l'autre l'ancrage de la France dans une Union européenne qui a, depuis sa fondation, défendu une ouverture commerciale fondée sur des règles, et non pas sur la loi de la jungle. La réponse du peuple français a été claire.
Je ne réduis pas pour autant la démocratie à ce vote fondateur ; la démocratie est aussi un processus permanent de discussion et d'échanges publics autour des grands sujets de la vie de la nation. Son coeur battant, c'est bien le Parlement, et au premier chef l'Assemblée nationale - vous toutes et vous tous dans cet hémicycle, qui représentez les Français.
Estimez-vous le Parlement si peu capable de se prononcer au nom du peuple français, pour suggérer la voie référendaire ? La ficelle est un peu grosse, Monsieur le Député. Il s'agit en réalité pour vous de créer un nouveau théâtre des opérations politiques et médiatiques pour agiter des peurs. Nous l'avons bien compris !
Vous écrivez qu'«un véritable débat démocratique doit être le préalable à toute ratification de ce traité». Eh bien, ce débat démocratique, le gouvernement non seulement y est prêt, mais il le souhaite et il l'alimente.
Nous entretenons ainsi un dialogue intense et exigeant avec le Parlement : travaux en commission et en séance publique, étude d'impact, tableau de suivi des engagements de travail pris dans le cadre du plan d'action du 25 octobre dernier - j'y reviendrai. Cette procédure de ratification sera à la hauteur des enjeux. ÿ son terme, l'Assemblée nationale se prononcera, au nom du peuple français.
«Heureusement que nous sommes là», dites-vous. «Heureusement qu'il y a une majorité parlementaire, rassemblant le groupe La République en marche et le groupe MODEM», dis-je. Ils ont consenti un travail considérable pour aider le gouvernement à élaborer ce plan d'action, et je veux saluer ici leur contribution !
Ce débat sur l'accord entre l'Union européenne et le Canada me donne l'occasion de préciser la position du gouvernement sur cette politique commerciale ainsi que sur les conditions de l'association du Parlement à cette politique.
Revenons aux fondamentaux. Dès le traité de Rome, les pères fondateurs de l'Union ont décidé de faire de la politique commerciale une compétence de l'Europe : il revient à la Commission de négocier pour le compte des Etats membres avec nos partenaires internationaux.
Ce choix était d'abord technique : dès lors qu'il existait un marché commun, il était indispensable de créer une politique intégrée. Au-delà, c'est un choix politique : dans un monde de très grandes puissances, comme la Chine ou les Etats-Unis, l'Europe est mieux entendue lorsqu'elle parle d'une seule voix. L'Union des Vingt-huit fait la force !
Dans le cas des accords mixtes, la responsabilité démocratique s'exerce à un double niveau. Elle s'exerce au niveau européen, cela a été rappelé, par le biais du Conseil européen et du Parlement européen - et le vote de celui-ci était, je vous le rappelle, très nettement majoritaire. Elle s'exerce aussi au niveau national, puisqu'il appartient en parallèle aux parlements nationaux de se prononcer, aux gouvernements d'informer les parlements des projets de négociations notamment.
Il faut le dire : les précédents gouvernements, de droite comme de gauche, n'ont pas été exemplaires de ce point de vue. Nous devons réfléchir à l'instauration, en lien avec la Commission européenne, de procédures qui permettront aux Etats de disposer des éléments nécessaires en temps réel. Il a pu arriver que ces processus ne soient pas très fluides. C'est ce à quoi nous voulons mettre fin.
C'est au fond l'enjeu fondamental de notre discussion : au-delà de la ratification par les parlements nationaux, en toute fin de parcours, comment faire en sorte que les citoyens grâce à leurs parlementaires, mais également grâce à un dialogue avec la société civile organisée - soient effectivement associés aux discussions qui se tiennent entre la Commission et les Etats membres, comme entre les Européens et leurs partenaires ?
L'enjeu est celui de la transparence, sans laquelle il n'est pas de légitimité démocratique.
La volonté du gouvernement, que j'ai aujourd'hui l'honneur de représenter aujourd'hui devant vous, est claire : il faut rompre avec les pratiques passées, celles des gouvernements nommés par Nicolas Sarkozy ou François Hollande, qui avaient tendance à agir dans leur coin, sans rendre de comptes.
Je ne fais que rappeler ce qui se faisait ! Nous voulons au contraire établir un processus beaucoup plus transparent, inclusif et en lien constant avec les discussions en cours.
Alors que des négociations importantes sont en cours, notamment avec le Mercosur, le gouvernement est naturellement à la disposition du Parlement pour rendre compte des positions très fermes de la France au Conseil, dans la définition des mandats comme lors des négociations.
Le plan d'action pour le CETA constitue la première concrétisation de cette volonté forte et nouvelle de dialogue exigeant, à la fois dans sa substance et dans sa méthode. Sur la base d'un rapport d'experts indépendants, le gouvernement a en effet pris le 25 octobre dernier une série d'engagements.
Ceux-ci ne viennent pas de nulle part. Ils répondent aux points de vigilance signalés par le rapport ; ils ont été définis après une période de consultation de la société civile et après une contribution des parlementaires de la majorité que je tiens ici à saluer de nouveau, parce qu'elle a été à la fois critique, exigeante et constructive.
Ce qui est fécond, dans cette majorité, c'est l'union de personnes dont les parcours sont différents. Nous travaillons, nous réussissons à transcender les clivages, nous avons l'ambition de trouver ensemble un chemin de crête. Il y a quelques années, Matthieu Orphelin et moi nous serions peut-être opposés sur un tel sujet !
Nous avons réussi à trouver un chemin de crête et je remercie également Jacques Maire, qui animait avec M. Orphelin ce groupe de travail. Sincèrement, je crois que les Français attendent justement de leurs élus qu'ils fassent preuve d'une capacité de contrôle et d'évaluation, fondée sur des faits, mais pas sur des rumeurs ou des informations pas toujours vérifiées.
Le gouvernement est aujourd'hui redevable, et c'est salutaire. Nous transmettrons au Parlement des comptes rendus, à échéance très régulière, qui retracent de manière précise la mise en oeuvre du plan d'action. J'ai ainsi souhaité qu'un tableau de suivi de celle-ci soit élaboré, rendu public et mis en ligne dans les prochains jours afin que la transparence soit totale. Ce tableau devra être actualisé au moins chaque trimestre, peut-être plus lorsque des éléments le justifieront.
De même, l'étude d'impact qui sera soumise au Parlement au moment du dépôt du projet de loi de ratification sera conforme aux engagements pris dans le plan d'action, notamment pour la mesure de l'impact sur les filières agricoles sensibles.
Cette étude d'impact doit aussi être de nouvelle génération. La réforme constitutionnelle de 2008, qui a institué les études d'impact, n'était pas forcément appliquée de manière exigeante. Le gouvernement aura donc recours à l'expertise de centres de recherche comme le CEPII - Centre d'étude et de recherche en économie internationale - afin que le Parlement dispose d'éléments particulièrement fins pour se prononcer en toute connaissance de cause. Je sais la commission des affaires étrangères et sa présidente très mobilisées sur ce sujet. Nous aurons à coeur de progresser ensemble.
Vous le savez, je réunis, aux côtés de Brune Poirson, chaque trimestre, le comité de suivi de la politique commerciale, qui associe parlementaires et ONG, et qui permet un dialogue régulier - Madame la Députée, vous y participez. En outre, je me tiens naturellement à la disposition des commissions permanentes compétentes.
Notre objectif est clair : assurer l'information complète du Parlement sur les négociations en cours, pour donner tout son sens à l'activité de contrôle du gouvernement par le Parlement.
Au-delà de la refondation du dialogue entre le Parlement et le gouvernement, la France nourrit une grande ambition pour la politique commerciale européenne. L'enjeu est tant interne qu'externe : la politique commerciale donne l'occasion à l'Union européenne de montrer comment, en fixant les règles du commerce international, elle peut modeler la mondialisation.
Le président de la République l'a clairement indiqué à Davos : le cours de la mondialisation n'est pas soutenable en l'état. Nous avons besoin d'un renouveau profond et durable du multilatéralisme. Mais nous ne nous situons pas dans un monde aux frontières du réel - à vous entendre tout à l'heure, j'avais l'impression d'être dans X-Files. Il s'agit de construire un multilatéralisme solide pour mettre fin à la concurrence fiscale entre les Etats, coordonner nos actions contre le réchauffement climatique et encadrer au niveau international les conséquences du numérique sur l'économie et sur nos vies privées.
Les accords commerciaux sont également un moyen de diffuser le modèle et l'influence de l'Union européenne dans le monde.
Le gouvernement est parfaitement conscient qu'il reste du chemin à parcourir. Mais nous serons intraitables pour éviter toute déstabilisation de filière économique, notamment des filières agricoles. C'est la raison pour laquelle nous plaidons avec fermeté à Bruxelles pour que soit définie une enveloppe globale maximale des concessions qui peuvent être faites dans plusieurs filières sensibles. Oui, nos producteurs ont besoin de visibilité, il faut leur donner un cadre dans lequel ils peuvent agir.
Il nous faut encore rehausser le niveau d'exigence des accords en matière climatique et environnementale. C'est toute l'ambition du plan d'action CETA dont nous allons vous rendre compte régulièrement.
Sachez d'ores et déjà que, au 1er février, les éléments d'information disponibles indiquent que les exportateurs français sont en mesure de saisir les nouvelles opportunités au Canada et que les risques éventuels identifiés par les experts indépendants ne se sont pas réalisés.
Je cite quelques chiffres auxquels Roland Lescure a fait référence : les quantités prévues au bénéfice des fromages européens ont été presque entièrement allouées ; les contingents tarifaires ont ainsi été utilisés à 93%. ÿ l'inverse, s'agissant des quantités prévues pour la viande canadienne, les chiffres font état d'une faible utilisation du quota : seules 103,2 tonnes ont été allouées ou importées, soit 1,1% du total. Le marché européen n'a donc pas ni submergé ni déstabilisé. Au contraire, les exportateurs européens ont pu bénéficier de l'ouverture du marché canadien.
Dans tous les cas de figure, les mesures d'accompagnement et d'encadrement du CETA sont déployées. Tout d'abord, l'évolution des flux commerciaux continuera de faire l'objet d'un suivi approfondi mois par mois. La Commission européenne a présenté le 11 novembre dernier un rapport qui fait le point sur l'ensemble des accords commerciaux et leur impact. Dans le cas de la Corée, cinq ans après la signature de l'accord, la balance commerciale de l'Union européenne qui était déficitaire est redevenue bénéficiaire. Il n'y a donc pas de fatalité. Les accords commerciaux sont aussi des opportunités pour nos producteurs.
Par ailleurs, le gouvernement se mobilise pour garantir que l'éventualité d'une capture du régulateur par des intérêts privés, identifiée par le rapport des experts indépendants, n'ait pas lieu. Nous travaillons ainsi à la mise en place d'un veto climatique. La Commission est non seulement réceptive, mais elle nous a fait part de son intention d'y travailler. J'ai également obtenu des assurances de la part du Canada. Nous allons pouvoir travailler à la déclaration interprétative conjointe garantissant que nos normes environnementales ne pourront pas être abusivement mises en cause.
Cet accord est vivant - l'un d'entre vous l'a dit. Il va vivre à travers des comités sectoriels qui commenceront à se réunir au printemps, en vue d'un premier comité mixte au mois de septembre prochain. Je salue le fait que la Commission européenne ait lancé un appel public à propositions le 18 janvier dernier afin de définir une liste de sujets sur lesquels les régulateurs européens et canadiens pourraient coopérer dans le futur. Nous souhaitons que chaque partie conserve le droit de réglementer, au niveau qu'elle juge approprié. Le dialogue offre une opportunité de convaincre le Canada de se rapprocher des normes européennes.
La Cour d'investissement, qui a été jugée conforme à la Constitution, a été nettement améliorée par rapport au projet initial. Les travaux s'engagent sur l'instauration d'un code de déontologie. Nous souhaitons aller vers une cour permanente pour sortir des logiques d'arbitrage et développer des outils communs.
Enfin, s'agissant de l'encadrement de la mise en oeuvre du CETA, le gouvernement est mobilisé pour s'assurer que les produits canadiens respectent effectivement les normes sanitaires et phytosanitaires. L'audit de 2016 était satisfaisant : il n'a pas identifié de problème de traçabilité. La France souhaite qu'un autre audit soit mené rapidement. En tout état de cause, les produits qui ne respectent pas la législation européenne, comme le boeuf élevé aux hormones ou le saumon transgénique, madame la députée, ne seront pas autorisés à entrer sur le territoire européen.
Les contrôles sanitaires garantiront qu'il en sera ainsi, de droit et de fait. Nous disposons d'outils de contrôle efficients qui ont fait leur preuve.
Au-delà de l'accord commercial, nous travaillons avec nos partenaires canadiens pour renforcer la coopération de nos deux pays dans la lutte contre le réchauffement climatique afin de pallier certaines insuffisances du traité.
Sur ces enjeux, le Canada de Justin Trudeau et la France d'Emmanuel Macron partagent une même ambition. Nicolas Hulot et Catherine McKenna, les ministres de l'environnement des deux pays, se sont vus au mois de décembre et travaillent à ce plan d'action bilatéral ambitieux qui sera annoncé dans l'année.
Le dernier axe du plan d'action CETA consiste à rehausser très significativement l'ambition des chapitres consacrés au développement durable qui sont inclus dans les accords commerciaux. Sur ce point, sachez qu'à Bruxelles, la France est clairement identifiée comme le meilleur ami de l'environnement. Si vous n'êtes pas convaincus, allez-y et demandez à nos partenaires !
L'une de nos principales demandes est que tout signataire d'un accord commercial avec l'Union européenne s'engage à mettre en oeuvre dans la pratique l'accord de Paris sur le climat. En d'autres termes, pas d'accord de Paris, pas d'accord de libre-échange. Les Américains savent à quoi s'en tenir. L'ouverture commerciale devient ainsi une puissante incitation à accélérer la transition écologique.
Nous nous battons sur tous les autres sujets. Dans le cadre des négociations des mandats pour l'Australie et la Nouvelle-Zélande, nous demandons la garantie du respect de l'application du principe de précaution dans l'Union européenne. Nous souhaitons aussi demander à nos partenaires des engagements en matière de respect des conventions de l'Organisation internationale du travail. En un mot : nous agissons, nous négocions !
Vous l'avez compris, le gouvernement vous propose une méthode et un objectif. La méthode repose sur un dialogue confiant et permanent entre le Parlement et le gouvernement. L'objectif est la mobilisation de la politique commerciale au service de la promotion du modèle européen et de la réussite des terroirs et des territoires français. Le chemin sera ardu, il commence aujourd'hui. Le soutien fort du Parlement sera un atout pour l'action du gouvernement auprès de ses partenaires européens et internationaux. Je remercie la majorité pour son soutien.
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 avril 2018