Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, en réponse à des questions sur les augmentations des taxes douanières aux USA et les conséquences pour l'Europe, au Sénat le 13 mars 2018.

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Circonstance : Questions d'actualité au gouvernement au Sénat, le 13 mars 2018

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Monsieur le Sénateur, vous avez raison de le souligner, le système commercial international traverse une période critique, qui pourrait s'avérer grave si les mesures annoncées par le président Trump, qui doivent normalement prendre effet le 23 mars prochain, étaient mises en oeuvre, quelles que soient les exemptions potentielles dont il a été fait mention.
La France regrette profondément ces mesures, qui sont des mesures unilatérales. Elles auront un impact négatif sur nos entreprises, que ce soit directement, par le relèvement des droits de douane, ou indirectement, par le choc à la baisse du prix mondial de l'acier et de l'aluminium.
Mais, au surplus, la raison invoquée par les autorités américaines pour justifier cette posture, à savoir l'argument de la sécurité nationale, ne nous paraît ni crédible ni étayée.
Ces mesures sont d'autant plus regrettables qu'elles pourraient frapper les pays qui, eux, respectent les règles du commerce international et ne sont pas responsables des surcapacités dans le secteur de l'acier et de l'aluminium.
Le président de la République s'est entretenu sur ce sujet, ce week-end, avec le président Trump. Il lui a fait part des observations critiques que je viens d'évoquer.
Il faut aujourd'hui une réponse européenne - vous avez raison de le souligner, Monsieur le Sénateur. Un nouveau gouvernement allemand est en place ; je vais rencontrer, demain, mon nouveau collègue, M. Maas, et ce point fera partie des sujets majeurs à l'ordre du jour, car l'Allemagne aussi est directement concernée.
Il importe actuellement de dire, d'abord, aux Etats-Unis de quelle manière nous percevons leur position ; de leur expliquer, ensuite, que la meilleure façon de traiter la question des surcapacités est de le faire au sein de l'Organisation mondiale du commerce plutôt que par ce type d'actions.
Face à ces annonces, la position et l'action de l'Union européenne doivent être à la fois fortes et unies. Tel sera l'enjeu des prochaines semaines : nous doter de la capacité de riposte nécessaire.
Monsieur le Sénateur, j'ai déjà en partie répondu, mais je voudrais compléter mon propos, pour constater avec vous, d'abord, étape après étape, décision après décision, le retrait américain de l'ensemble des forums multilatéraux internationaux.
C'est vrai pour l'UNESCO ; c'est vrai pour l'accord sur le climat ; c'est vrai - un retrait éventuel a été annoncé - pour l'accord de Vienne ; c'est vrai pour l'UNRWA, l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient ; c'est vrai aussi pour les accords commerciaux qui faisaient auparavant l'objet de négociations, à commencer par le TTIP, le traité de libre-échange transatlantique, et par l'ALENA, l'accord de libre-échange nord-américain.
Bref, le retrait. Un nouvel acte en est ici posé. Il est très pénalisant, puisque l'Union européenne est le deuxième exportateur de produits sidérurgiques vers les Etats-Unis, après le Canada. Ces mesures unilatérales, indiscriminées - je l'ai dit tout à l'heure - auront un impact négatif inacceptable sur l'industrie sidérurgique européenne et française.
On peut certes constater qu'il existe dans le monde, dans le secteur de l'acier et de l'aluminium, des surcapacités, singulièrement en Chine - ce point a d'ailleurs fait l'objet, il y a très peu de temps, de discussions entre le président Macron et le président Xi Jinping, menées, si je puis utiliser ce terme, avec beaucoup de tonicité. Oui, il existe des surcapacités ; mais non, la solution ne réside pas dans l'adoption de décisions unilatérales qui sont contraires au cadre de l'OMC.
Que faut-il faire ?
Il faut d'abord faire en sorte que nous puissions poursuivre la discussion, aussi vive soit-elle, avec les autorités américaines - c'est ce que nous faisons.
Ensuite, cette discussion doit être menée, de préférence, au niveau européen, dans le cadre d'une unité européenne retrouvée. C'est la raison pour laquelle je vais dès demain soir rencontrer mon collègue allemand.
Nous devons aussi nous garder de toute naïveté. Et si, d'aventure, les mesures annoncées devaient être mises en oeuvre, nous devrions, au niveau européen, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires à la défense de nos intérêts industriels.
"Mesures nécessaires" peut aussi vouloir dire, même si l'OMC connaît pour l'instant une vacance, saisir l'organisme de règlement des différends de l'OMC pour contester très fermement le bien-fondé de ces décisions.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 avril 2018