Entretien de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, avec Europe 1 le 21 avril 2018, sur la construction européenne.

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Média : Europe 1

Texte intégral


Q - Macron est-il l'homme seul de l'Europe après en avoir été l'homme fort ? Il y a consacré un discours mardi à Strasbourg devant le Parlement européen, il a lancé la grande consultation nationale sur l'Europe le même jour à Epinal. Mais jeudi à Berlin, le président français a dû constater qu'en Allemagne, on n'est pas nécessairement sur la même longueur d'onde. Bonjour Nathalie Loiseau.
R - Bonjour David Abiker.
Q - Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes, merci d'être avec nous ce matin sur Europe 1 en direct. J'y vais directement, comment allez-vous convaincre nos amis allemands qu'il faut plus d'Europe et, notamment, un gouvernement de la zone euro, un ministre des Finances de la zone euro puisqu'ils n'en veulent pas ?
R - D'abord, on travaille sur beaucoup de choses avec l'Allemagne et on avance sur beaucoup de choses. On a avancé sur l'Europe de la défense, on a avancé sur la réforme de ce régime des travailleurs détachés qui mettait tout le monde en colère dans cette partie de l'Europe, on avance sur le numérique, la taxation des grands acteurs du numérique, on avance sur l'immigration, on y reviendra peut-être, il y a beaucoup de sujets sur lesquels on avance.
Q - Oui mais celui-là.
R - La zone euro on avance aussi, on va enfin terminer l'Union bancaire, il était temps, il y avait un travail formidable qui avait été fait du temps de Michel Barnier, commissaire européen. Il faut finaliser cette Union bancaire, on y est...
Q - En un mot, l'Union bancaire ça sert à quoi pour ceux qui nous écoutent ?
R - Cela sert à faire en sorte que lors de la prochaine crise - et il y aura une prochaine crise - le système bancaire tienne mieux la route, qu'il y ait des filets de sécurité pour éviter qu'un problème dans un pays de la zone euro devienne contagieux dans le reste. Le reste de nos propositions sur la zone euro c'est dans le même esprit...
Q - Ce n'est pas le reste, c'est prioritaire pour Emmanuel Macron, la gouvernance de la zone euro, le ministre des Finances de la zone euro c'est le coeur de la relance de la souveraineté européenne dans son esprit.
R - Ce n'est pas prioritaire que pour Emmanuel Macron, c'est prioritaire pour les Portugais, les Espagnols, les Italiens, les Grecs qui savent ce qui leur est arrivé...
Q - C'est prioritaire pour l'Europe du sud, l'Europe dépensière !
R - Non, nous ce que nous disons c'est : attention, aujourd'hui tout va bien, la croissance est revenue en Europe, le chômage baisse, on pourrait se reposer sur nos lauriers et se dire "on a fait tout le travail". Et dans ces conditions, on ne serait pas prêts pour la future crise qui arrivera un jour, on ne sait pas où, on ne sait pas quand, on ne sait pas dans quel pays. Là où on a déjà avancé avec Angela Merkel, c'est un budget de la zone euro pour investir. Parce que depuis 2008, on est en sous-investissement partout, partout même en Allemagne. Pour faire converger aussi nos économies parce qu'avoir la même monnaie et des économies qui divergent, ce n'est pas tenable.
Là où il nous reste encore à convaincre, c'est utiliser cette capacité budgétaire comme un instrument pour venir au secours d'un pays qui va mal. Alors les pays du nord et l'Allemagne quelque part au milieu disent "il faut faire le ménage chez soi d'abord et puis après, on verra si on est solidaires".
Q - Ils ont peur de payer pour les pays dépensiers, si je schématise !
R - L'avantage c'est que nous, nous avons fait le ménage chez nous, ce qui fait que nous sommes beaucoup plus crédibles, beaucoup plus entendus et que cela nous permet de porter cette vision-là sans passer pour des dépensiers qui ne veulent pas faire le travail de réforme. Et la réalité c'est que partout, une grande partie du travail a été fait. Nous, nous disons : attention à ne pas rester purement théoriques, dire " on réduit les risques, chacun pour soi, et puis on verra ce qui se passe le jour où cela va mal ". Le jour où cela va mal, on sera obligé d'agir peut-être dans la précipitation, peut-être en perdant du temps et de l'argent. Nous nous proposons de s'organiser dès maintenant.
Q - Concrètement, comment vous faites ? Angela Merkel a une nouvelle majorité avec elle, ce n'est pas la même qu'avant, elle n'a pas les coudées franches pour aller vers cette convergence de la gestion de la zone euro. Il y a dans son parti à elle, la CDU, des gens qui ne sont pas du tout favorables à cela. Quelle est votre méthode, vous allez la voir souvent, vous allez, comme on dit - j'utilise une expression un peu triviale -, la travailler au corps ? Il faut être avec Angela Merkel tout le temps ?
R - Emmanuel Macron et Angela Merkel se voient tout le temps. Il était jeudi à Berlin, il retournera en Allemagne le 9 mai, -c'est symbolique, c'est le jour de la fête de l'Europe- il y retournera probablement avant la fin du mois de mai. Elle s'est engagée avec nous à ce qu'on ait un projet commun sur la zone euro en juin au Conseil européen. Et donc évidemment entre temps, on a pas mal de pain sur la planche, on se parle tout le temps. L'Europe avance quand les Français et les Allemands se mettent d'accord...
Q - Et quand elle s'incarne, qui ça peut être le ministre des finances de la zone euro, parce qu'il faut toujours mettre des visages là-dessus ?
R - On n'en est pas là et certainement pas aux questions de personne. L'urgence c'est terminer l'Union bancaire. Je vous l'ai dit, si on ne le fait pas, la prochaine fois il y aura un gros pépin. L'urgence, c'est se mettre d'accord sur une capacité budgétaire pour agir en cas de crise. Après, les questions institutionnelles, c'est dans un deuxième temps. Honnêtement ce n'est pas par ce biais-là qu'on prend la réforme de l'Europe.
Q - Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes. On va prendre trois sujets qui divisent profondément l'Europe et qui sont importants. L'accueil des migrants, comment on met en place une politique coordonnée d'accueil des migrants, de gestion des flux de migrants, Emmanuel Macron a proposé à Strasbourg, vous y étiez, mardi un soutien financier des collectivités territoriales qui accueilleront ces migrants. Est-ce que cela va suffire ?
R - En tout cas, c'est une bonne démarche parce que les Fonds européens servent à la cohésion de l'espace européen. Et l'intégration des migrants et des réfugiés, cela fait partie de la cohésion, donc il est temps de se dire qu'on consacre une partie de l'argent européen à cela. Et c'est aussi un message pour ceux qui disent "pas de migrants", on dit "alors pas de fonds de cohésion", c'est un choix.
Q - C'est un message mais est-ce que cela suffit à apporter la réponse globale, coordonnée que l'Europe a tant de mal à mettre en place depuis la crise ?
R - Non, bien sûr. Nous avons commencé à travailler depuis plusieurs mois sur la partie extérieure de la gestion de la question migratoire. Cela veut dire travailler avec les pays d'origine des migrants économiques, faire en sorte que l'on coordonne l'aide européenne. Il y a beaucoup d'argent qui va vers l'Afrique subsaharienne de chacun des pays européens et de l'Union européenne. On ne s'était pas coordonnés pendant des décennies. Aujourd'hui, on veut faire bloc pour que cet argent aille à la formation, l'emploi des jeunes, parce qu'on ne peut pas se résoudre à ce que l'Afrique soit saignée de ses jeunes les plus dynamiques. Aujourd'hui elle connait la croissance sans développement, ce n'est pas possible !
Q - Là encore il y a un clivage, de la même façon que sur le plan financier il y a un clivage nord-sud en Europe, il y a peut-être un clivage est-ouest sur cette question migratoire !
R - Sur l'aide aux pays d'origine, pas du tout, et on a pu entraîner les autres. Parce qu'on se parle tout le temps, et pas seulement en franco-allemand comme je le disais tout à l'heure. Je vais en Pologne, je vais en Hongrie, je vais en République tchèque, je vais en Slovénie, je passe mon temps dans les avions, mon bilan carbone est une catastrophe, mais au moins on se parle et on avance.
Et aujourd'hui, ces pays-là participent au financement de projets à destination du Sahel. Des pays comme les pays baltes sont aujourd'hui présents militairement avec nous au Sahel, c'est une révolution. Cela veut dire aussi que nous, nous sommes présents dans les pays baltes qui ont peur de la menace russe. Cela veut dire que se construit une vision commune de l'Europe sur son environnement et ça, c'est une révolution tranquille mais c'est une révolution.
Q - Nathalie Loiseau, vous parlez de militaires et des pays baltes, on se retrouve juste après la pause pour parler de défense européenne. (...) Avec Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes. Elle est avec nous sur Europe 1 en direct pour évoquer les grands rendez-vous de la France avec l'Europe. Cette semaine Nathalie Loiseau, vous avez évoqué les questions de défense, sujet important, est-ce qu'on peut plaider pour une souveraineté de l'Europe, comme l'a fait Emmanuel Macron mardi à Strasbourg, quand on va frapper la Syrie, en étant le seul pays d'Europe - nous la France - à s'allier avec l'Angleterre et les Etats-Unis, sans consulter l'Europe avant d'envoyer des militaires ?
R - Si, nous avons consulté et d'ailleurs obtenu un soutien politique de tous. Mais là où vous avez raison, c'est qu'il y a deux armées qui sont capables d'aller frapper en Syrie, c'est l'armée française et l'armée britannique. C'est pour cela que depuis décembre, on s'est mis d'accord entre Européens, 25 sur 27, -c'est carrément carton plein-, pour mutualiser nos efforts de défense, financer des efforts de défense, de recherche et de développement de matériels et faire travailler nos armées ensemble avec des budgets de l'Union européenne.
Q - Il existe ce budget, l'argent est là ?
R - Ça y est, c'est parti, c'est en train d'être voté au Parlement européen. Ça aussi c'est une révolution tranquille, cela fait des décennies qu'on en parlait, ça y est.
Q - Un autre exemple de cette Europe difficile à construire, c'est lorsqu'elle impose des réformes que les citoyens comprennent mal. Exemple, ouverture à la concurrence de la SNCF qui met les cheminots en grève.
R - Ce n'est pas " l'Europe " qui a imposé cette réforme. Nous avons participé à la décision, c'était sous le mandat précédent mais on assume parce que c'est une bonne décision. L'ouverture à la concurrence, c'est un meilleur service, ce sont des coûts qui baissent, ce sont des petites lignes qui sont maintenues ou qui sont développées. Cela marche en Allemagne, cela marche en Italie, cela marche en Suède, on n'a pas été les premiers à se lancer et on n'a pas de raison de penser qu'on ne sera pas les meilleurs. Et d'ailleurs la SNCF participe à l'ouverture de la concurrence ailleurs et cela lui profite.
Q - Nathalie Loiseau, je voudrais revenir sur une phrase qu'Emmanuel Macron a prononcée mardi à Strasbourg, une phrase assez forte, on ne s'est pas assez arrêté dessus. Il a prononcé cette phrase, il a dit "une forme de guerre civile réapparait en Europe", c'est un terme très fort, est-ce qu'il a en tête nos blocages à nous, nationaux, blocages d'universités, nos ZAD, nos mouvements sociaux...
R - Non, sûrement pas.
Q - Pourquoi il a utilisé ce terme-là ?
R - Parce qu'il y a des choses qui se passent en Europe et qui ne nous plaisent pas. Il a dit aussi : " le progrès en Europe, cela n'est pas la démocratie autoritaire, c'est l'autorité de la démocratie ".
Q - Qu'est-ce qui ne nous plaît pas en Europe et qui arrive ?
R - Ce qui ne nous plaît pas, ce sont les pays qui respectent mal ou pas assez l'Etat de droit ; et puis c'est la montée de la xénophobie, de l'antisémitisme, de certains discours qu'on croyait disparus. Le projet européen, il s'est construit sur des valeurs, l'Europe ce n'est pas un marché unique, c'est d'abord des valeurs partagées. Et aujourd'hui, on ne cèdera rien sur l'antisémitisme, sur le retour d'une extrême-droite qu'on retrouve un peu partout, y compris en Allemagne, 94 députés d'extrême-droite, il faut être très vigilant, c'est ça qu'il a dit.
Q - C'est des passions tristes tout ça et qui raniment des propositions anciennes. Qu'est-ce que vous répondez à Laurent Wauquiez, président des Républicains, il propose de revenir sur le droit du sol, vous lui répondez quoi vous, Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes mais porteuse aussi du socle de valeurs portées par le président de la République ?
R - Je luis dis que moi, j'avais connu les Républicains qui disaient "jamais d'alliance avec l'extrême-droite", et aujourd'hui j'entends un discours qui est celui de Madame Le Pen, je ne comprends plus.
Q - La convergence des droites, on y va là parce qu'il y a une dynamique partout en Europe sur la convergence des droites !
R - Ecoutez, il y a une dynamique en France et partout en Europe ce qu'on voit, ce sont des partis traditionnels fatigués et une envie de renouvellement du personnel politique. En France on a eu une chance formidable, c'est qu'on avait une offre renouvelée et progressiste, il faudrait que ce soit la même chose ailleurs en Europe.
Q - Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes, on va parler politique européenne, politique intérieure. À Epinal, Emmanuel Macron a lancé sa grande consultation sur le devenir de l'Europe, il en parle depuis des mois. Comment allez-vous faire pour que nos concitoyens en Europe et en France s'intéressent à l'Europe, participent à ces consultations et surtout ne pas mélanger les genres, c'est-à-dire que la consultation sur la relance de l'Europe ne devienne pas une campagne électorale pour préparer les européennes en 2019 ?
R - D'abord, ça se fait dans 27 pays de l'Union européenne - pas chez les Britanniques puisque l'avenir de l'Europe c'est sans eux- mais dans 27 Etats membres on fait ces consultations citoyennes. Moi, je les ai ouvertes... pas en France, à Zagreb le 3 avril, le plus jeune Etat membre était le plus pressé de reprendre la conversation avec sa population sur l'avenir de l'Europe. Emmanuel Macron était à Epinal, moi avant-hier j'étais à Marseille, hier à Brignoles, la semaine prochaine je serai à Quimper, à Pont-l'Abbé. Edouard Philippe ira dans les Ardennes. Les salles sont pleines partout, les gens ont énormément de choses à dire...
Q - Elles sont pleines d'Européens ou de militants La République en Marche ?
R - Elles sont pleines d'Européens d'accord ou pas d'accord, il y a aussi des gens critiques, il y a des gens pas contents, il y a des gens en colère. Il y a surtout beaucoup de gens qui ont des propositions.
Q - Vous faites déplacer des gens sur l'Europe en province, comment vous remplissez les salles, ça m'intéresse ?
R - Hier c'était dans une agence de Pôle Emploi à Brignoles, il y avait des demandeurs d'emploi, des employeurs, des conseillers de Pôle Emploi qui parlaient d'Europe sociale, qui avaient plein d'idées, qui avaient aussi parfois des agacements, c'était passionnant. Ce qu'on fait c'est qu'à chaque fois, on ramasse les copies, on demande "faites-nous des propositions", on les liste, on les rend publiques et on s’engage à ce que tous les décideurs européens à la fin de l'année travaillent dessus.
Q - Et vous, vous prenez vos avions partout en Europe en lisant les copies, vous avez le temps de gérer toutes ces propositions ?
R - Je ne suis pas partout parce que je n'ai pas 3 ou 4 soeurs jumelles, tout ça se passe au travers d'un site Internet. C'est la première fois qu'on consulte 450 millions d'habitants de l'Union européenne avant de prendre des décisions. C'est fini l'Europe en chambre, à l'écart des peuples, c'est avec les peuples.
Q - Nathalie Loiseau, est-ce que le scrutin européen de 2019 ne risque pas de se transformer en référendum pour ou contre Emmanuel Macron ?
R - Alors évidemment, une élection à mi-mandat c'est toujours un peu une manière de dire "j'aime ou j'aime pas ce que fait le gouvernement", il ne faut pas se faire d'illusion sur cela. Mais il y a aussi un projet européen, la République en Marche est en train de faire son porte à porte, la Grande marche pour l'Europe, j'y participe aussi, je ne m'ennuie pas...
Q - Vous seriez candidate vous, les temps changent, les gouvernements changent mais un mandat européen, ça vous intéresse ?
R - Ecoutez, la question n'est pas là pour le moment. Pour le moment on est en train de préparer le programme de la République en Marche. Et c'est pour cela qu'on va frapper aux portes des Français, pas des Européens, des Français jusqu'au 9 mai. Il y a déjà plus de 100.000 portes qui ont été poussées pour savoir ce que les Français veulent voir dans le programme. Ca c'est la première partie du travail.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 avril 2018