Interview de Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées à France-Inter le 6 avril 2018, sur la mise en place du quatrième plan autisme et la guidance parentale.

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Média : France Inter

Texte intégral


NICOLAS DEMORAND
Et l'invité du « Grand entretien » de France Inter jusqu'à 8h40 est aujourd'hui la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Danielle MESSAGER du service Santé de la rédaction de France Inter est avec moi. Vos questions amis auditeurs au 0 un 45 24 7000 sur les réseaux sociaux et via l'application France Inter. Sophie CLUZEL bonjour !
SOPHIE CLUZEL
Bonjour !
NICOLAS DEMORAND
Merci d'être au micro d'Inter ce matin pour nous présenter les grandes lignes du quatrième plan autisme qui va courir sur les années 2018 / 2022, on va voir les choses en détail mais pour commencer, peut-on dire que l'idée d'inclusion est au coeur de ce plan ? On pourrait croire que c'est le minimum, l'inclusion dans une République, quelles que soient les modalités de citoyenneté mais non c'est encore en France un horizon. Expliquez-nous pourquoi ?
SOPHIE CLUZEL
Vous avez raison, l'inclusion est au coeur de la stratégie nationale car justement nous ne parlons plus de quatrième plan mais d'une stratégie nationale pour enfin faire basculer la place des personnes autistes dans la société. Aujourd'hui, elles ont été trop reléguées dans des institutions avec des prises en charge qui étaient inadaptées soit par manque de diagnostic, soit par manque de moyens et soit par manque aussi de volonté de prendre à bras-le-corps le fait que ce sont des citoyens et qu'ils font partie de notre société avec leur diversité, avec leur mode de fonctionnement différent et qu'il faut vraiment qu'on prenne ce sujet à bras-le-corps et qu'on en fasse un sujet de société. C'est pour ça qu'on parle de stratégie nationale.
NICOLAS DEMORAND
Pourquoi la France est-elle si en retard ?
SOPHIE CLUZEL
Je pense que c'est culturel, que nous avons à la sortie des années 50 , mis en place une grande politique de protection des personnes handicapées avec des établissements médico-sociaux et que nous n'avons pas encore fait cette bascule que beaucoup d'autres pays ont fait de vraiment parler d'inclusion , c'est-à-dire de fermer les institutions dans beaucoup d'autres pays ; moi, je préfère parler de transformation, d'accompagner les personnes, de créer des vrais services d'accompagnement, de pouvoir les faire sortir des murs et faire circuler pour qu'enfin notre regard change. Aujourd'hui pourquoi les Français en général ont peur du handicap encore, appréhendent cette différence que l'on ne comprend pas ? Parce qu'elle ne vit pas au milieu de nous ? Donc c'est un vrai vivre ensemble que l'on veut.
NICOLAS DEMORAND
Quand vous dites fermer un certain nombre de structures, quel est l'enjeu de leur existence et de leur fermeture et pourquoi ont-elles été fermées d'ailleurs et pourquoi sont-elles encore pérennes en France ?
SOPHIE CLUZEL
Je pense que c'est un vrai mouvement d'accompagnement, de changement des professionnels qu'il faut faire. Je travaille énormément avec les associations qui sont gestionnaires par délégation de service public de ces établissements, elles sont dans cette mouvance-là mais ça prend encore beaucoup de temps. Ce qu'il nous faut faire, c'est accélérer, accompagner les professionnels à travailler différemment, à sortir avec les personnes, à travailler sur cet environnement. On n'a pas du tout travaillé sur l'environnement, on n'a pas encore assez travaillé sur l'école inclusive, sur l'entreprise inclusive, on n'a pas travaillé assez sur des modes de logement inclusif où il y a une vraie mixité sociale de personnes différentes dans des logements. Donc on a un très gros travail, il faut qu'on accélère.
NICOLAS DEMORAND
Mais je dirais et c'est assez sidérant que dans cette stratégie, il y a l'un des points majeurs, c'est la recherche et le fait d'avoir des médecins formés. Donc il faut vraiment repartir de zéro.
SOPHIE CLUZEL
Non, on ne repart pas de zéro. Depuis 10 ans, il y a beaucoup de choses qui ont été faites quand même, d'abord il y a eu 1, 2, 3 plan (s), non mais en revanche il faut repartir, remettre la recherche vraiment au coeur de notre politique publique. On a trop longtemps pâti de querelles, c'est fini ça, maintenant il y a la Haute Autorité de Santé a émis des recommandations, maintenant il faut que l'Etat les fasse appliquer ces recommandations. C'est tout l'enjeu, il faut former en effet, reformer des médecins, les généralistes , les pédiatres , tous les acteurs de premier niveau qui sont en contact avec les familles , surtout sur les petits, les familles qui ont des bébés pour qu'on puisse alerter s'il y a des signes par exemple de différences de développement pour qu'on puisse agir précocement, remettre vraiment la recherche , la science, une recherche fondamentale , mais surtout une recherche appliquée dans les méthodologies et dans les pratiques vraiment de tous les professionnel est un gros enjeu.
NICOLAS DEMORAND
Pourquoi Sophie CLUZEL est-il important de repérer de manière précoce ? Là encore, décrivez-nous l'enjeu.
NICOLAS DEMORAND
Pourquoi, Sophie CLUZEL, est-il important de repérer de manière précoce ? Là encore, décrivez-nous l'enjeu.
SOPHIE CLUZEL
Ecoutez, c'est un enjeu qui est colossal, parce que plus on agit tôt, plus on peut diminuer les risques de sur-handicap et donc remettre l'enfant dans ces interactions qui lui permettront de pouvoir suivre après un cursus, le plus normal possible en termes d'apprentissage. Dans beaucoup beaucoup d'autres pays d'Europe, et j'ai fait une tournée dans les pays européens, pour voir comment ça se passait, notamment dans les pays scandinaves, on n'attend pas que le diagnostic soit posé et stabilisé, on agit avant, parce que justement on a mis en place, avec tous les professionnels qui sont en contact avec la petite enfance, la PMI les assistantes maternelles, les crèches, les enseignants, tous ceux qui sont en contact avec les petits, on les a mis, vraiment on les a outillés pour pouvoir alerter s'il y avait un écart de développement. Et à partir de là, on agit très tôt, et c'est ce qui nous manque en France, c'est agir tôt avant que le diagnostic soit posé. On a des centres de ressources autisme remarquables en France, mais qui sont embolisés, où on a un goulot d'étranglements sur les diagnostics posés. Donc il nous faut pouvoir agir tôt, beaucoup plus tôt qu'aujourd'hui.
NICOLAS DEMORAND
Où faut-il scolariser les enfants autistes ?
SOPHIE CLUZEL
A l'école de la République, tout simplement.
NICOLAS DEMORAND
Celle de tout le monde.
SOPHIE CLUZEL
Celle de tout le monde. Il faut que les familles, avec les fratries, rentrent par le même portail à l'école de la République. Après, les réponses peuvent être différenciées, mais c'est l'école de la République qui doit faire sa place à tous les enfants handicapés, et pas seulement les enfants autistes, tous les types de handicaps.
NICOLAS DEMORAND
Et le collège de la République, et le lycée de la République ?
SOPHIE CLUZEL
Bien sûr, quand je dis l'école, c'est au sens large du terme, de la maternelle au lycée.
NICOLAS DEMORAND
Parce qu'on sait que c'est difficile, plus on grandit ensuite, de pouvoir être accueilli tout simplement dans les collèges et les lycées.
SOPHIE CLUZEL
C'est pour ça qu'on a un enjeu sur cette génération 2018, plus on interviendra précocement, plus on pourra remettre vraiment ces enfants dans un mode d'apprentissage qui leur permettra de suivre ces parcours. Mais on a un enjeu en effet de qualification de ces jeunes.
NICOLAS DEMORAND
Alors, je vais donner tout de suite à parole à Danielle MESSAGER, je vois déjà que vous êtes très nombreux au standard, amis auditeurs, donc on va ouvrir tout simplement le débat ce matin. Danielle.
DANIELLE MESSAGER
Alors, vous dites agir tôt, ce qui est effectivement très louable, parce qu'en agissant tôt, on sait qu'on peut, comme vous l'avez dit, réduire ensuite la gravité des symptômes, mais pour agir tôt, il faut être reçu tôt par une instance. Je vous donne un simple exemple qui m'a été rapporté très récemment, en Seine-Saint-Denis, un an d'attente. Un an d'attente avant d'avoir un rendez-vous, avec un enfant qui présente manifestement des signes importants d'autisme ou du trouble autistique. Comment on peut repérer et agir tôt si on a un délai d'un an d'attente ?
SOPHIE CLUZEL
Alors, c'est un an d'attente pour aller où ? Ça je ne sais pas ce que vous nous dites, mais moi, ce que je veux c'est que ça soit le message généraliste...
DANIELLE MESSAGER
C'est un an d'attente pour une consultation.
SOPHIE CLUZEL
Mais, une consultation, ce que l'on veut c'est que justement ça soit dans le droit commun, dans le droit ordinaire, que le pédiatre, que le généraliste puisse tirer la sonnette d'alarme. Et derrière il faut qu'on organise la prise en charge, c'est surtout ça, prise en charge, ça veut dire pouvoir réagir très tôt sur des plateformes, que l'on va mettre, que l'on va créer, que l'on va organiser dans les territoires, pour pouvoir mettre les acteurs en synergie. Aujourd'hui un an d'attente, parce qu'on a une filière, c'est tout, on a un point d'entrée, donc on démultiplie les points d'entrée pour permettre justement de réduire ces délais d'attente. Mais au-delà de ce délai d'attente, ce qui est important c'est que une, une fois qu'on aura vu ce qu'il faut faire, c'est la mise en route de ce qu'il faut faire, c'est ça que les familles attendent. C'est, ok, vous dites que vous avez une supputation d'autisme, comment je fais pour avoir mon psychologue, mon psychomotricien, mon orthophonie ? C'est ça que les familles attendent, et c'est ça qu'on va organiser, territorialement, parce que justement, 6 mois de concertation, ça a été fait pour savoir ce qui se passait en territoires, où étaient les réseaux.
NICOLAS DEMORAND
Encore un mot Danielle ?
DANIELLE MESSAGER
Oui, vous allez donc mettre en place un forfait d'intervention précoce, ça veut dire que ces prises en charge de psychomotriciens, d'ergothérapeutes, seront remboursées, ce qui n'est pas le cas en ville actuellement.
SOPHIE CLUZEL
Non, ce n'est pas le cas, parce que ce sont des rééducations qui ne sont pas prises en charge par la Sécurité sociale, seule orthophonie l'est, et c'est justement pour réduire le reste à charge financier des familles, que l'on s'engage précocement à une prise en charge.
NICOLAS DEMORAND
Avant de donner la parole aux auditeurs, expliquez-nous ce qu'est une plateforme de répit.
SOPHIE CLUZEL
Alors une plateforme de répit, c'est pouvoir organiser les places de répit qui existent déjà sur les territoires. Quand les familles sont à bout de souffle, qu'elles ont vraiment besoin de pouvoir souffler et être sûres que la prise en charge que l'on offre sera à la hauteur des exigences qu'elles ont, ce qui est tout à fait normal, on organise cette mise en réseau. Dans les différents établissements, il existe des places de répit, donc on organise, on structure. Aujourd'hui les familles ne savent pas à qui s'adresser. C'est ça, c'est la déshérence des informations. On organise cette information sur les territoires.
NICOLAS DEMORAND
On a l'impression que le circuit qui fonctionne le mieux, en la matière, c'est la famille, que c'est la famille qui sait, c'est la famille qui fait le lien entre des continents de la prise en charge disjoints, et ça c'est l'un des problèmes majeurs, je crois. Comment on prend en compte le savoir que les familles ont accumulé, de fait ?
SOPHIE CLUZEL
C'est un des grands axes de la stratégie nationale, c'est la guidance parentale, c'est l'expertise parentale. Vous avez tout-à-fait raison, c'est le parent qui est expert, il sait comment fonctionne son enfant, il a mis en place au jour le jour depuis la naissance, les compensations, il faut qu'on puisse les écouter, leur donner la parole, leur permettre aussi de souffler, de se réunir, de se former. Il y a un grand volet sur la formation des aidants, que sont les parents, les faire sortir de leur isolement social, pouvoir les mettre en relation et savoir les écouter. Ce sont les experts, les parents.
NICOLAS DEMORAND
Il est 08h31, la parole aux auditeurs de France Inter.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 avril 2018