Interview de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec Radio Classique le 27 avril 2018, sur l'usage de la langue française dans la diplomatie, le voyage officiel du président de la République aux Etats-Unis, l'accord relatif au nucléaire iranien et sur le dialogue entre les deux Corées.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME DURAND
Nous sommes avec le numéro 2 du Quai d'Orsay Jean-Baptiste LEMOYNE.
(…)
GUILLAUME DURAND
On a un peu l'impression… d'abord bonjour et bienvenue.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Bonjour.
GUILLAUME DURAND
Marche avant marche arrière, c'est-à-dire qu'au Burkina Faso l'année dernière, il a dit « il faut passer sur des périodes qui sont des périodes maintenant un petit peu oubliées de l'histoire » ; et en même temps parfois il accompagne ce travail de mémoire. Donc qui est vrai MACRON en fait ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non, je crois que c'est…
GUILLAUME DURAND
Ou est-ce que c'est le « en même temps » qu'on…
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Il prend déjà l'histoire de France d'un bloc, l'histoire de France c'est Saint-Louis, c'est VOLTAIRE, c'est la Commune, vous voyez, ce que je veux dire c'est qu'on assume tout dans la diversité de ces épisodes. Et donc il faut… les Québécois ont une belle devise : je me souviens. Il faut se souvenir…
GUILLAUME DURAND
Donc c'est l'objectif d'aujourd'hui !
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Exactement, se souvenir, commémorer, ça ne veut pas dire se flageller parce que nous sommes les générations d'aujourd'hui, de 2018 qui sont celles qui préparent l'avenir. Et donc le président de la République d'ailleurs dans son discours aux étudiants de Ouagadougou a incité à ce qu'on on travaille ensemble pour justement l'économie, pour développer l'environnement numérique, bref ! Pour se projeter aujourd'hui et demain et pas être uniquement dans effectivement la repentance.
GUILLAUME DURAND
Question, elle est importante, on va évidemment revenir sur le voyage américain parce que vous avez lu dans les journaux ce matin, les appréciations sont diverses, d'autant plus que madame MERKEL arrive et qu'on se demande si elle ne va pas obtenir plus de résultats dans un style qui sera peu moins chaleureux, parce que le moins qu'on puisse dire c'est qu'ils ne se supportent pas avec le président américain. Mais je voudrais revenir sur cette affaire qui intéresse beaucoup de gens, puisque nous sommes tous attachés aux Français, vous aussi, c'est le représentant de la France à Bruxelles qui en a par-dessus la tête et qui a claqué la porte d'une réunion parce qu'il n'y a même plus de traducteurs français, alors que le Français a été pendant des années la langue de la diplomatie.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Il a très bien fait, il y a très bien fait parce que le président de la République d'ailleurs dans le plan qu'il a présenté à l'Académie française, sous la Coupole le 20 mars dernier à l'occasion de l'Agence de la francophonie, précisait que justement il était important que les hauts fonctionnaires, les ministres dans les enceintes européennes s'expriment en français. Et donc Philippe LEGLISE-COSTA, notre représentant permanent, constatant qu'il n'y ait pas de traduction a posé ce geste fort parce qu'il y a un moment, on a besoin tout simplement de pouvoir s'exprimer dans sa langue…
GUILLAUME DURAND
Oui mais ce matin, on est dans le boycott définitif tant que les traducteurs ne seront pas revenus, on va essayer de demander aux autres délégations de parler plus français parce que les hauts diplomates à ce niveau-là, ils parlent tous 4, 5, 6 langues, donc ils le peuvent, s'ils parlent anglais c'est parce que c'est la volonté courante, mais ils sont parfaitement capables de parler français.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais d'ailleurs vous savez, cet anglais parlé dans les enceintes internationales, c'est plus du globish, une sorte d'espéranto qui n'a d'ailleurs pas toute la richesse de la langue anglaise. Mais nous, le président de la République a présenté un plan pour la promotion du français et du multilinguisme. Naturellement en 2018, il faut maîtriser les langues étrangères et nous nous employons dans le cadre de l'Education nationale à avoir cette meilleure maîtrise, parce que c'est important dans le monde d'aujourd'hui. Maintenant la langue française, c'est une langue internationale, elle a un statu…
GUILLAUME DURAND
… La langue de la diplomatie.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Exactement. Elle un statut qui demeure dans un certain nombre d'instances…
GUILLAUME DURAND
Donc c'est la bataille à Bruxelles ou vous allez…
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Exactement, donc nous allons essayer de tirer profit du Brexit, parce que naturellement l'anglais était la langue du Royaume-Uni, mais pour autant peu d'Etat ont cette langue en langue officielle. Donc il est important – et c'est ce à quoi nous travaillons avec Jean-Yves LE DRIAN de monter en puissance dans des formations au français, pour les fonctionnaires européens, les fonctionnaires des autres Etats nations, pour qu'ils puissent eux aussi…
GUILLAUME DURAND
Mais on ne va pas substituer le français à l'anglais.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
En fait, l'anglais restera une langue de travail comme le français, comme d'autres langues, mais ce que nous souhaitons c'est avoir une véritable politique d'influence à Bruxelles pour accroître la connaissance et le fait que cette langue soit parlée.
GUILLAUME DURAND
Nous sommes en direct avec Jean-Baptiste LEMOYNE. Mais alors pourquoi le président de la République ne donne pas l'exemple, vous avez défini vous-même la politique, les souhaits, mais aux Etats-Unis il n'a pas arrêté de parler anglais. Vous imaginez MITTERRAND en train de parler avec TRUMP en anglais, enfin c'était REAGAN à l'époque, vous imaginez madame MERKEL quand elle va arriver aux Etats-Unis, qui va se mettre à parler en anglais ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais il n'y a pas d'incompatibilité, je veux dire pouvoir s'exprimer devant des représentants américains en anglais, c'est la meilleure façon d'être bien perçu, bien compris. Ce que je veux dire c'est que quand il a… d'ailleurs il s'est adressé aux citoyens du monde et aux citoyens américains, après que les Etats-Unis aient quitté l'Accord de Paris, il l'a fait d'abord en français, puis il l'a fait en anglais. Il ne s'agit pas d'opposer une langue à l'autre, il s'agit de dire que naturellement…
GUILLAUME DURAND
Non mais c'est avoir une cohérence.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui mais encore une fois, on est aujourd'hui en 2018, il faut savoir jouer sur tous les registres, être multilingue, à la fois défendre le français et à la fois continuer à s'adresser à ceux qui parlent cette langue, qui sont natifs, en l'occurrence les Américains avec cette langue, il n'y a pas d'opposition.
GUILLAUME DURAND
Vous êtes le numéro 2 du Quai d'Orsay derrière Jean-Yves LE DRIAN, est-ce qu'Emmanuel MACRON… d'abord est-ce que vous l'avez vu depuis son retour, est-ce qu'il est content de son voyage ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors c'est un très beau voyage, véritablement qui a été un grand succès, vous avez vu le succès rencontré auprès du Congrès avec de nombreux démocrates ou républicains, sur tous les bancs il était très fortement applaudit…
GUILLAUME DURAND
45 fois.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Il a été également au contact des étudiants. Et puis il y a cette relation très personnelle et très dense qui existe entre les 2 hommes. Je vais vous faire une confidence, vous savez un des grands dirigeants également des Etats-Unis, le général MATTIS, me dit il y a quelque temps sur un problème sensible : il faut que le président MACRON appelle le président TRUMP parce qu'il est le seul que le président TRUMP admire et respecte en Europe. C'est fort et on voit bien qu'ils ont réussi à créer depuis presque un an je crois… en tous les cas un dialogue fort. Après naturellement…
GUILLAUME DURAND
Donc ce n'est pas une caricature, cette amitié n'est pas une caricature ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non, non, non, non, elle est profonde, elle est dense, elle est à l'image aussi de la relation entre la France et les Etats-Unis, une relation pluriséculaire. Vous savez, j'étais d'ailleurs à la Nouvelle-Orléans ce week-end, puisqu'il y avait les 300 ans de la création de cette ville par un Français, eh bien ! Je peux vous dire qu'on sent bien cette relation forte entre nos deux pays.
GUILLAUME DURAND
Et si Madame MERKEL obtient plus de résultats qu'Emmanuel MACRON !
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous savez, nous sommes totalement coordonnés, moi-même sur les sujets commerciaux je suis en contact avec mon homologue ; et les équipes du président avec l'équipe de la Chancelière…
GUILLAUME DURAND
Je parle de l'accord iranien là, parce qu'il y a une date, c'est le 12 mai.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui, d'accord…
GUILLAUME DURAND
Soit TRUMP déchire, soit il ne déchire pas, personne n'y croit, il va déchirer. Donc maintenant il y a deux questions : 1) Madame MERKEL va-t-elle obtenir quelque chose ; 2) est-ce que la surveillance de cet accord sera maintenu par les autres cosignataires, dont Madame MERKEL justement ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors moi je crois que justement, Emmanuel MACRON a obtenu du président TRUMP quelque chose sur l'Iran, parce qu'il a obtenu…
GUILLAUME DURAND
D'ici le 12 mai ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non mais… dans le point presse ce qu'ils ont tenu tous les 2, jusqu'à maintenant la position des États-Unis c'était (vous l'avez dit) était vraisemblablement de quitter JCPOA, cet accord. Pour l'instant… on verra le 12 mai parce que naturellement c'est là que les décisions se prendront, mais…
GUILLAUME DURAND
…Il a obtenu, alors comme vous êtes le seul à le savoir…
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non, mais non…
GUILLAUME DURAND
Les gens qui nous écoutent ce matin disent…
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je me réfère aux propos tenus par les deux présidents lors de leur conférence de presse. Le président TRUMP n'a pas écarté l'idée d'un travail à engager sur le fait de compléter cet accord, avec le sujet du balistique, le sujet de l'influence iranienne dans la région. Et donc c'est déjà une petite évolution, on va regarder le 12 mai si elle se concrétise ou pas. Mais le fait que le président TRUMP n'écarte pas d'un revers de la main cette idée d'avoir peut-être un accord plus global qui prenne en compte l'accord actuel et qui le complète…
GUILLAUME DURAND
Donc cette, vous y croyez d'ici le 12 mai, c'est-à-dire que les 2 équipes américaines et françaises, vous pensez – et ça peut passer par Madame MERKEL – qu'on va trouver un nouveau système d'ici le 12 mai, dont les Iraniens ne veulent pas, dont les Chinois ne veulent pas, dont les Russes ne veulent pas ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ce que je veux dire…
GUILLAUME DURAND
Personne ne le veut d'ailleurs en fait.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ce que je veux dire c'est qu'aujourd'hui, vous faites le constat vous-même qu'on a l'impression que 2 trains sont lancés l'un contre l'autre totalement incompatibles, ceux qui veulent le maintien de l'accord et la France souhaite le maintien de l'accord puisqu'il y a une signature à honorer ; et ceux qui voudraient en sortir. Il faut se préparer aussi à l'hypothèse d'une impasse et donc du coup travailler au-delà de cette impasse éventuelle sur comment on en sort. Et donc là si vous voulez par ces discussions, le président de la République prépare par petites touches aussi des options de sortie par le haut, mais pour l'instant les réactions iraniennes ou russes sont tout à fait normales à ce stade. Mais encore une fois vous savez, la diplomatie ça ne se fait pas d'un coup de baguette magique, il s'agit de poser des jalons qui peut-être le moment venu, peut-être au moment où on constatera une impasse, seront des options qui seront à nouveau considérées par les parties prenantes.
GUILLAUME DURAND
Pour le diplomate que vous êtes, est-ce que le petit voyage… ce n'est pas un petit voyage, il n'y en a pas eu depuis 65 ans, des 2 Coréens est une nouvelle rassurante pour l'ensemble de la planète ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Là aussi, on est… comment dire, on est face à un dirigeant nord-coréen dont la prévisibilité des actes est un peu aléatoire. Mais en tous les cas à ce stade, effectivement c'est un geste fort qui était posé par les 2 présidents. Il faut… quelque part c'est peut-être aussi le résultat d'un certain nombre de sanctions qui ont été prises par l'Union européenne, par la communauté internationale qui fait que le régime nord-coréen a été quand même peut-être un peu exsangue, acculé à enfin bouger parce que nous avons été très fermes, le président de la République et la communauté internationale. Et donc aujourd'hui si cette fermeté permet de progresser sur le chemin d'un dialogue, ce qui est manifestement le cas, il faut s'en réjouir. Mais attention, tout cela doit être vérifié, tous les engagements qui seront pris doivent être tenus parce qu'il est hors de question de permettre des accros au Traité de non-prolifération nucléaire.
GUILLAUME DURAND
Dernière question, il nous reste 30 secondes, ça va vous permettre d'être rapide et concis. Gérald DARMANIN ce matin dans Le Parisien, ce n'est pas du tout votre domaine d'intervention mais ça concerne vraiment les gens, c'est les impôts. Il y a un grand discours général du gouvernement, il n'y aura pas de nouvel impôt, suppression de la taxe d'habitation sera un cadeau fiscal pour tous les Français, dit DARMANIN ce matin sans contreparties. Mais en même temps ceux qui font les calculs, reprise de la dette de la SNCF éventuelle, 2ème jour de carence éventuel, tout ça va forcément avoir un coût. Est-ce que vous pouvez nous dire ce matin solennellement : non, le gouvernement auquel j'appartiens ne lâchera plus jamais aucun impôt d'ici la fin du quinquennat ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non mais…
GUILLAUME DURAND
Ou d'impôt déguisé ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non mais je le confirme parce qu'en fait, on fait un gros travail pour faire des économies sur le fonctionnement de l'Etat. Et c'est ça qui permet de faire des baisses d'impôt…
GUILLAUME DURAND
Personne ne l'a vu.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ah mais si, moi je peux vous dire qu'on le voit parce qu'on n'est pas au régime sec mais presque, ce que je veux dire c'est qu'on fait énormément d'efforts. Et donc… par exemple sur la taxe d'habitation, nous allons mettre sur les feuilles ce que les Français ont économisé ; et les collectivités locales qui auront augmenté l'impôt au moment où l'Etat le baisse, ça se verra.
GUILLAUME DURAND
Merci Jean-Baptiste LEMOYNE d'être venu ce matin sur l'antenne de Radio Classique parler de ces sujets de politique étrangère.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 mai 2018