Texte intégral
Mesdames et messieurs,
Je suis très heureux de me retrouver à nouveau au Caire. C'est mon 10ème déplacement au Caire dans mes fonctions ministérielles : 7 fois comme ministre de la Défense et 3 fois comme ministre des Affaires étrangères et à chaque fois cela me fait beaucoup plaisir. La clarté de nos relations, la confiance mutuelle, l'ampleur des enjeux, la concordance très fréquente des analyses, tout cela montre que l'Egypte est un pays ami et un pays partenaire pour la France. Cette amitié et ce partenariat sont d'autant plus précieux que la région traverse une période de tension très forte et une période dans laquelle l'influence stabilisatrice de la diplomatie égyptienne est particulièrement nécessaire. Avec le président Sissi et avec mon collègue Choukry, nous avons donc évoqué les principaux sujets de préoccupation commune.
La Syrie où, après la réponse qui a été apportée aux attaques chimiques, il faut relancer avec les pays qui pèsent dans cette crise les efforts internationaux de sortie de crise. Je voudrais préciser d'ailleurs à cet égard que si la France a décidé de frapper de manière ciblée, de manière précise et de manière proportionnée quelques cibles liées à l'appareil chimique du régime c'est pour une question de principe et de refus de la prolifération chimique. Ce n'est pas une surprise puisque le président Macron l'avait annoncé dès son arrivée aux plus hautes fonctions. Il l'avait d'ailleurs annoncé devant le président Poutine. Nous ne pouvons pas accepter que ce tabou dans l'histoire de la communauté internationale soit levé comme cela sans impunité. C'est cet acte là que nous avons posé et pas un autre acte. Nous n'avons pas par cette frappe déclaré la guerre à quiconque. Nous avons déclaré la guerre à la prolifération chimique. Nous avons beaucoup parlé ensemble avec le président Sissi de la relance du processus politique pour permettre de trouver une feuille de route aboutissant à un agenda de cessez-le-feu, de transition politique et de clarification politique dans une Syrie dont l'intégrité territoriale doit être préservée.
Nous avons évoqué la Libye, où le processus politique doit aller de l'avant suivant la feuille de route fixée par le représentant des Nations Unies, M. Salamé c'est à dire faire en sorte que le processus électoral, qui est un processus indispensable, puisse se faire d'ici la fin de l'année.
Nous avons évoqué le conflit israélo-palestinien et la situation à Gaza. Nous avons pu constater qu'une fois de plus, sur cette situation du Proche-Orient, nos objectifs et notre vision étaient identiques.
Ma visite est aussi la première depuis la réélection du président Sissi. Ce nouveau mandat nous offre l'occasion d'approfondir notre partenariat dans tous les domaines, dans l'accompagnement des réformes économiques qui commencent à porter leur fruit.. La France a déjà apporté une aide de 175 M d'euros dans le secteur énergétique, singulièrement dans les énergies solaires au courant de lannée 2017 et une nouvelle aide est à l'étude pour accompagner les réformes sociales, en particulier le projet d'assurance-maladie. Nous serons à ce rendez-vous. Nous voulons poursuivre notre partenariat dans les grands projets en appuyant les entreprises françaises qui se mobilisent. J'ai pu visiter ce matin le chantier spectaculaire du métro du Caire et je visiterai tout à l'heure celui du Grand Musée égyptien. Nous avons dans ce domaine une collaboration et un partenariat renforcé et dont les enjeux sont grands pour votre pays, notre volonté étant d'être au rendez-vous de ces défis que vous avez devant vous.
Nous avons aussi à poursuivre notre action commune dans la lutte contre le terrorisme qui a endeuillé nos deux pays et face auquel nous devons continuer d'approfondir notre coopération. Nous avons aussi à poursuivre notre relation dans le dialogue politique, dans le dialogue sur les droits de l'homme car la vitalité de la société civile et les garanties des libertés publiques sont le meilleur rempart contre le terrorisme. Nous avons évoqué ces questions avec vous, Monsieur le Ministre et avec le Président Sissi. Nous avons donc un panorama d'action très large et très riche qui nous mobilisera pendant les prochains mois et qui sera complété par un document de dialogue stratégique que nous avons décidé de réaliser ensemble pour consolider encore plus une relation qui est déjà très forte et très porteuse de résultats. Tout cela permettra de préparer la visite prochaine du président Macron ici en Egypte et que j'accompagnerai évidemment avec beaucoup de plaisir.
Q - Je voudrais savoir quelle est l'action menée par la France pour réaliser la stabilité au sud de la Libye vu l'effet de cette stabilité sur la sécurité des pays du Sahel et du Sahara ?
R - Il n'y a pas de réponse spécifique. La France n'a pas une réponse particulière au sud libyen et une réponse particulière à la Tripolitaine et une réponse particulière à la Cyrénaïque. La France a une réponse globale sur la Libye. Je l'ai évoqué dans mon propos initial. Cela signifie soutenir les efforts du représentant du Secrétaire génral des nations Unies, M. Salamé, dans sa volonté d'aboutir à un règlement politique, faire en sorte que ce règlement politique aille le plus vite possible, d'où la nécessité d'avoir un échéancier électoral rapide avant la fin de cette année -nous sommes tout à fait en phase sur ce sujet- et parallèlement à cela, faire en sorte que les éléments de l'armée, l'ensemble des effectifs militaires, puissent se réunifier pour donner à la Libye ainsi redéfinie, refondée d'une certaine manière, l'outil de sécurité dont elle a besoin dans une Libye qui évidemment ne doit pas subir d'amputation ou de déstructuration, une Libye unie qui retrouve la souveraineté grâce à deux éléments : le processus électoral et l'unification militaire.
Q - En octobre dernier, Emmanuel Macron s'est entretenu avec le président Al-Sissi en France, à l'Elysée au sujet d'une quinzaine de journalistes et associatifs qui sont soit en prison soit ont perdu leur droit civique. En avez-vous reparlé et en savez un peu plus sur leur situation ? Et puisque vous avez parlé de la Syrie, le Conseiller à la Sécurité nationale américaine a demandé à l'Egypte d'engager des troupes pour lutter contre Daech en Syrie. Est-ce que la France se joint à cette demande et que répond dans tous les cas l'Egypte ?
R - Sur la première question, à chaque fois que je rencontre le Président Sissi je parle des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. J'ai déjà eu l'occasion d'ailleurs de répondre à ces mêmes questions ici même lors de mon entretien précédent. Le président Macron aussi. Nous en parlons avec clarté et avec confiance et cela a été encore le cas assez longuement cet après-midi. Nous disons ce que nous éprouvons le besoin de dire avec beaucoup de détermination et nous avons des échanges qui sont des échanges fructueux en la matière, y compris en abordant des cas individuels sur lesquels je ne ferai pas de commentaires publics. Sachez que cette question d'ailleurs, la question des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, dans les entretiens que j'ai eus avec le Président Sissi -et ce n'est pas rompre un secret que de le dire- c'est lui-même qui a abordé cette question en ouverture de discussion. Sur votre observation sur les forces françaises, tout cela m'étonne un peu...
Q - Ma question portait sur des forces égyptiennes en Syrie.
R - Alors ce n'est pas à moi de répondre.
Q - Pourquoi la France n'a pas attendu, dans la frappe tripartite [contre la Syrie, ndlr], l'adoption d'une décision internationale au moment où la Syrie devait accueillir un groupe d'experts onusiens qui devaient faire un rapport à partir duquel une résolution internationale allait être adoptée. Pourquoi la France n'a-t-elle donc pas attendu l'adoption d'une résolution internationale pour agir dans un cadre international le tout pour éviter un recours aléatoire et illégal à l'option militaire ?
R - Madame, il y a eu un projet de résolution qui a été déposé le mardi 10 avril au Conseil de Sécurité et qui demandait l'envoi immédiat d'une mission dont le rôle aurait été d'identifier l'attaque chimique et d'identifier les responsabilités. Cette résolution a recueilli 12 voix favorables au Conseil de Sécurité, une abstention, celle de la Chine et deux voix contre, celle de la Russie et celle de la Bolivie. Donc, me diriez-vous, elle aurait dû partir, remplir la mission que vous souhaitez voir remplir. C'était le 10 avant les frappes tripartites et c'était après l'attaque chimique qui a eu lieu le samedi 7. Malheureusement, la Russie a exercé son droit de véto et la mission n'a pas eu lieu. Voilà la réalité des faits. En plus, il y a eu d'autres résolutions auparavant : la résolution 2118, après le mois d'octobre 2013 après les premières attaques chimiques, qui indiquait qu'il fallait procéder au démantèlement intégral des capacités chimiques du régime de Bachar Al Assad. Cette résolution 2118 avait été complétée par la mise en oeuvre d'un dispositif conjoint de vérification qu'on appelait le JIM. Ce dispositif conjoint n'a pas été reconduit sur véto russe en novembre de l'année dernière. Donc, devant l'absence de bonne volonté et devant l'existence d'une attaque chimique majeure, létale, la France a pris ses responsabilités. Elle n'a déclaré la guerre à personne, je l'ai dit tout à l'heure. Elle a déclaré la guerre à la prolifération chimique, qui est insupportable.
Q - Vous avez dit que la guerre [la frappe] concernait un dispositif chimique bien défini à la lumière d'un certain nombre de rapports. Or dans le cas de l'Irak, ce pays a été complètement détruit. Une décennie plus tard des excuses ont été présentées car les informations recueillies par les services de renseignement n'étaient pas exactes. Ce même scénario peut-il se répéter [en Syrie] ?
R - Vous n'allez quand même pas comparer trois frappes sur trois sites, qui étaient trois sites capacitaires chimiques, sans aucun blessé, ni mort et qui était une manifestation de refus de l'impunité contre un régime qui prenait ses aises avec les grandes orientations et les grands principes de la communauté internationale et les grands traités, avec une opération à terre avec des soldats au sol avec des blindés, avec une volonté de détruire un régime et avec des combats qui ont duré longtemps. Cela n'a aucun rapport, ce n'est pas du tout la même volonté. Il n'y a absolument aucune comparaison à faire de ces deux actions. Nous avons condamné la première mais nous sommes partie prenante de la seconde. Et nous disons pourquoi : parce que c'est une manière de protéger l'ensemble de la communauté internationale des risques de prolifération, c'est d'ailleurs le même sujet pour la prolifération nucléaire.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mai 2018