Texte intégral
GUILLAUME DURAND
Nous sommes en direct avec Nathalie LOISEAU qui est chargée des Affaires européennes au gouvernement. Bien évidemment, nous allons parler de budget européen et nous allons traiter cette affaire d'actualité. Bonjour et bienvenue. Je dirais qu'il y a sur cette affaire de Black blocs une question d'ordre public et aussi une question à caractère idéologique. Je vais être brutal : est-ce que vous n'avez pas le sentiment qu'actuellement, puisque le Premier ministre est intervenu aux côtés de Gérard COLLOMB à 22 heures 40 hier soir, que Gérard COLLOMB ne suffisait pas et serait donc une sorte de maillon faible ?
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, ce qui s'est passé hier est très choquant. Les violences bien sûr, mais choquant aussi l'irresponsabilité des commentaires politiques qui critiquent les forces de l'ordre alors que le bilan d'hier c'est pas de blessés. Pas de blessés alors qu'au départ, les Black blocs étaient au milieu du cortège de manifestants pacifiques. Ça veut dire qu'au départ, il était impossible d'intervenir. Si les forces de l'ordre étaient intervenues dès le début, elles auraient fait des blessés parmi les manifestants syndicaux. C'était évidemment exclu.
GUILLAUME DURAND
Enfin, il était peut-être possible de les casser avant, il était peut-être possible de les infiltrer. Il était peut-être possible de les empêcher de se retrouver justement au sein de cette manifestation, parce que c'est un constat d'impuissance, en fait, que vous faites. Ils sont au milieu de la manifestation, ils n'avaient qu'à pas y être.
NATHALIE LOISEAU
Mais vous savez qu'on est dans un Etat de droit, qu'on n'arrête pas quelqu'un qui n'a rien fait. Et donc, qui aurait arrêté des militants en général très organisés qui ne portent aucun signe extérieur avant qu'ils n'arrivent dans la manifestation ? Au nom de quoi ? On est dans une démocratie, un Etat de droit. Ces violences sont inqualifiables mais le comportement des forces de l'ordre, lui, est absolument irréprochable et on devrait les remercier.
GUILLAUME DURAND
Moi, je parlais du ministre de l'Intérieur. Parce que la bataille qui est menée par l'opposition, que ce soient WAUQUIEZ ou Marine LE PEN, c'est de dire que c'est une faillite de l'Etat donc c'est une faillite de COLLOMB puisque le président de la République est en Australie et le Premier ministre a été obligé d'intervenir en pleine nuit.
NATHALIE LOISEAU
Je relève comme vous que monsieur WAUQUIEZ et madame LE PEN tiennent de plus en plus souvent le même langage, un langage totalement irresponsable. Plutôt que de saluer les forces de l'ordre, on fait de la polémique politicienne. Dans un cas comme celui-là, où la violence des casseurs est inacceptable, on fait front ; il devrait y avoir l'unité nationale. Ce n'est pas le cas, ce ne sont pas des gens qui se comportent comme des hommes d'Etat.
GUILLAUME DURAND
Avant que l'on parle du budget européen, la deuxième question, je le disais, est à caractère idéologique. Au fond, plus il y a de libéralisme souhaité par Emmanuel MACRON - regardez, par exemple, la dernière interview à Forbes où il parle de l'exit tax plus évidemment l'extrême gauche se réveille. Donc est-ce que ce n'est pas fondamentalement une sorte de couple ? C'est-à-dire MACRON au pouvoir ; des partis traditionnels discrédités ou en tout cas en difficulté ; et l'extrême gauche qui se réveille partout ?
NATHALIE LOISEAU
Ça n'a rien à voir et je ne mêlerai pas l'extrême gauche et l'ultra gauche, même si je suis surprise quand monsieur MELENCHON préfère regarder ailleurs alors que les casseurs viennent de l'ultra gauche. Ces casseurs viennent de partout en Europe. Ce sont des gens qui se sont habitués à vivre dans le déni, dans le dni du monde réel. Libéral ou pas libéral, là n'est pas la question. Ce sont des gens qui étaient parmi les plus durs à Notre-Dame-des-Landes, qui étaient parmi les plus durs dans l'occupation des facs alors qu'ils ne sont pas étudiants. Ce sont des gens qui cherchent une raison de tout casser. Rien ne justifie leur comportement.
GUILLAUME DURAND
Justement, puisqu'on parle d'Europe ensemble et que nous allons parler d'Europe, il y a une chose qui passe souvent inaperçu puisque les affaires européennes sont très complexes pour les Français qui regardent ça avec parfois même un peu de réticence, on va décider dans les jours qui viennent du budget de l'Europe pour les années qui viennent, ce qui est évidemment extraordinairement important. Puisque les Anglais se retirent, c'est-à-dire qu'il n'y aura plus de contribution anglaise à partir de 2021 et qu'il faut aller plus loin, est-ce que ça veut dire que nous Français, ou les Allemands, nous allons payer plus cher ? Et est-ce que ça veut dire, deuxième question, puisqu'Emmanuel MACRON l'avait évoqué, que la politique agricole commune qui va vers les agriculteurs français va être en grande partie amoindrie ?
NATHALIE LOISEAU
Aujourd'hui à Bruxelles, la Commission va présenter sa proposition de budget. Ensuite, on va en discuter, ça va prendre des semaines, des mois. Ce qu'il faut, c'est être prêt avant fin 2020. Ça va être très compliqué pour les raisons que vous expliquez. Les Britanniques se retirent, c'est douze à quatorze milliards d'euros en moins par an pour le budget européen. Il y a des nouvelles priorités : la défense, la gestion des flux migratoires
GUILLAUME DURAND
Le terrorisme.
NATHALIE LOISEAU
Le terrorisme. Tout le monde est d'accord sur ces priorités puis il y a des politiques traditionnelles essentielles et la politique agricole commune en est évidemment une.
GUILLAUME DURAND
Mais alors on va la diminuer ou pas ? Parce que j'ai lu dans Le Figaro ce matin le grand entretien de Mario MONTI qui est en partie chargé justement de ce projet et lui dit : « Au fond, s'il faut qu'on soit beaucoup plus ferme sur les frontières et beaucoup plus ferme en matière de terrorisme », en gros il sous-entend qu'il y a les politiques à l'ancienne comme la PAC qu'il va falloir non pas supprimer mais amoindrir considérablement.
NATHALIE LOISEAU
Il va y avoir une discussion et elle sera très dure. Nous, nous souhaitons que les aides directes aux agriculteurs soient maintenues parce qu'elles sont essentielles pour leurs revenus. Nous souhaitons aussi que l'agriculture continue à évoluer vers un modèle plus respectueux de l'environnement. Ça aussi, ça doit être porté par le budget européen. Qu'est-ce que cela signifie ? Moderniser la PAC, oui ; la simplifier, sûrement. Les agriculteurs se plaignent de recevoir
GUILLAUME DURAND
Mais les budgets, on les maintient. La France défendra
NATHALIE LOISEAU
On va défendre le maintien du budget. C'est la raison pour laquelle nous sommes prêts à un certain nombre d'autres conditions, notamment travailler par exemple à ce que les fonds européens n'aillent que dans les pays qui respectent l'Etat de droit. C'est essentiel et ça devient de plus en plus une question. Travailler à ce que les pays qui avaient
GUILLAUME DURAND
Et ça, c'est possible ? Par exemple que la partie justement de l'Europe qu'on appelait avant l'Europe de l'Est, qui conteste une partie des politiques européennes, ne bénéficie plus de fonds européens ?
NATHALIE LOISEAU
En tout cas, pas s'ils ne respectent pas l'Etat de droit. C'est notre position.
GUILLAUME DURAND
Pologne, Hongrie, et cætera.
NATHALIE LOISEAU
C'est notre position. C'est notre position : si un pays quel qu'il soit, et je n'ai pas de raison d'en nommer un parce que ça peut être un autre demain
GUILLAUME DURAND
Vous ne les avez pas nommés, vous les avez indiquez. C'est pareil.
NATHALIE LOISEAU
C'est ceux qui ne respectent pas l'Etat de droit ou qui risquent de ne pas le respecter. C'est notre position, c'est celle de pas mal d'Etats membres. Je comprends que c'est aussi dans l'esprit de la Commission européenne. Et donc à ces conditions-là, nous sommes prêts à augmenter la taille du budget européen parce qu'il y a des nouvelles priorités. Parce que les Français et les Européens souhaitent voir l'Europe plus efficace dans la gestion des migrations, dans la lutte contre le terrorisme comme vous disiez ou pour l'Europe de la défense.
GUILLAUME DURAND
Nous sommes en direct avec Nathalie LOISEAU. Vous pensez bien que les Français qui nous écoutent, qui sont justement passionnés par ces questions de sécurité et qui veulent un contrôle de l'immigration se demandent si la part française justement de cette contribution européenne au terme des négociations va être amenée à augmenter.
NATHALIE LOISEAU
Ce sur quoi nous travaillons, c'est des nouvelles ressources pour l'Union européenne. Nous avons proposé la taxe sur les grands acteurs du numérique et nous proposons que le produit de cette taxe, c'est-à-dire d'après nos estimations à peu près cinq milliards d'euros par an - je parlais d'un trou de douze milliards avec le départ des Britanniques - que ces cinq milliards soient affectés au budget européen. Nous proposons aussi de travailler sur j'allais dire une taxe environnementale.
GUILLAUME DURAND
Mais ils vont l'accepter, les GAFA et tous les autres, justement cette taxe européenne ? Ils ne vont pas continuer à essayer de passer par
NATHALIE LOISEAU
Ils ne vont pas spontanément demander à être taxés, mais c'est aux Européens de se mettre d'accord. Nous sommes une masse critique, un marché solvable de quatre cent cinquante millions d'utilisateurs.
GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous avez des signes ? Est-ce que vous avez, puisque vous avez l'habitude d'aller là-bas, des signes que les dirigeants de FACEBOOK, APPLE et les autres vont justement accepter de ne pas passer par des filiales qui sont beaucoup plus actives et, en tout cas, beaucoup moins chères sur le plan de la fiscalité ?
NATHALIE LOISEAU
Ce qui s'est passé, ce qui est en train de se passer sur la protection des données, vous savez qu'en Europe à partir du 25 mai, il y a une législation sur la protection des données personnelles qui sera meilleure que partout ailleurs dans le monde. En Europe ne pourra pas se passer un scandale comme celui de FACEBOOK il y a quelques semaines aux Etats-Unis. Naturellement qu'au départ, les grands acteurs du numérique avaient tout fait pour que ça n'arrive pas, cette réglementation européenne. Les Européens ont été unis, déterminés, ils l'ont instaurée, elle est mise en oeuvre. Ce qu'il faut, ce n'est pas que FACEBOOK ou APPLE nous disent : « D'accord, allez-y », c'est que les dirigeants européens soient déterminés et ça nous y travaillons.
GUILLAUME DURAND
Tout à l'heure, on écoutait Hughes BAUDOIN, notre correspondant à Bruxelles, nous expliquer qu'un accord avait été signé avec le Mexique concernant des importations assez considérables de viande, qui évidemment sont en concurrence directe avec la politique des agriculteurs français. Cet accord a été signé. Vous l'avez soutenu ? Vous allez le combattre ?
NATHALIE LOISEAU
On avait déjà un accord avec le Mexique, celui-là est un renouvellement d'accord. Ce qui se passe sur les négociations commerciales, c'est d'abord que nous y gagnons dans l'autre sens, dans le sens de nos exportations de produits industriels mais aussi de produits agricoles. Quand nos indications géographiques sont respectées, ça veut dire que nos producteurs de vin peuvent mieux exporter, ça veut dire que nos producteurs de fromage peuvent mieux exporter. A l'inverse, un quota d'importation de viande par exemple n'a de sens que si les produits qu'un pays extérieur veut exporter dans l'Union européenne respectent nos normes sanitaires. La plupart de nos partenaires
GUILLAUME DURAND
Et ça, c'est sûr ?
NATHALIE LOISEAU
Oui. C'est sûr c'est parce qu'il y a des contrôles, bien sûr.
GUILLAUME DURAND
Hughes BAUDOIN disait tout à l'heure que ce n'était pas certain.
NATHALIE LOISEAU
Regardez ce qui se passe avec le Canada et Dieu sait s'il y a eu contestation sur la signature de l'accord avec le Canada, le CETA qui ouvrait là aussi un quota d'exportations canadiennes de viande vers l'Europe. Ce quota n'est pas utilisé tout simplement parce que le mode de production de viande au Canada est sans comparaison avec le mode de production européen. Ça voudrait dire que le Canada réorganise complètement sa filière, ce qu'ils ne font pas. Aujourd'hui les producteurs, les éleveurs européens ne sont pas concurrencés par la viande canadienne. Il faut saisir les opportunités commerciales qui s'offrent à nous parce que l'Europe est une puissance commerciale qui sait exporter et il faut videmment veiller à ne pas fragiliser ni les filières ni la norme sanitaire.
GUILLAUME DURAND
Dernière question, madame LOISEAU. Nous sommes en direct avec vous. Il y a eu deux voyages de deux dirigeants majeurs européens aux Etats-Unis : il s'agit évidemment d'Emmanuel MACRON et de madame MERKEL. Est-ce que c'est toujours un couple, ce couple franco-allemand, ou est-ce qu'il n'y a pas de la concurrence finalement pour savoir lequel des deux est le dirigeant symbolique de l'Europe ?
NATHALIE LOISEAU
Il ne peut pas y avoir un dirigeant symbolique de l'Europe et il y en a forcément. D'abord l'Europe, c'est aujourd'hui vingt-huit Etats membres et cela avance quand France et Allemagne sont d'accord, ce qui est le cas. Ce qu'ont obtenu à la fois Emmanuel MACRON et Angela MERKEL contre toute attente, et tous vos confrères avaient écrit le contraire, c'est que l'exemption de tarifs douaniers sur l'acier et l'aluminium à l'égard de l'Union européenne a été prolongé d'un mois. Ça n'est pas encore satisfaisant. Aussi bien Angela MERKEL qu'Emmanuel MACRON demandent que nous soyons définitivement exemptés de ces taxes et de manière permanente, parce que nous sommes des alliés des Etats-Unis. Mais le fait que dans la même semaine Donald TRUMP entende la même chose du président français et de la chancelière allemande, le même langage, la même unité, ça pèse. C'est une manière de mieux défendre l'Europe.
GUILLAUME DURAND
J'ai une dernière petite question. Pardonnez-moi de vous demander de répondre rapidement. Vous avez vu ce qu'a déclaré NETANYAHOU : est-ce que vous avez l'impression que l'un et l'autre se sont fait avoir ? C'est-à-dire qu'en fait, les Iraniens clandestinement continuent à fabriquer ou en tout cas à contribuer à fabriquer, ou à chercher à fabriquer une arme atomique en enrichissant de l'uranium clandestinement.
NATHALIE LOISEAU
Si je comprends ce qu'a dit NETANYAHOU - parce que maintenant il faut qu'ils transmettent ses documents à l'AIEA qui est l'organisme de contrôle des activités nucléaires notamment iraniennes - si je comprends bien ce qu'il a dit, c'est qu'avant la signature de l'accord il y avait soupçons d'activités à caractère militaire du côté iranien. Mais bien sûr, quel scoop ! C'est bien pour ça qu'on a négocié pendant des années pour amener les Iraniens à signer un accord et arrêter de développer un programme nucléaire qui n'allait pas dans la bonne direction.
GUILLAUME DURAND
Donc ce sont les éléments révélés sur les positions d'avant et pas celles que nous observons actuellement, parce qu'autrement
NATHALIE LOISEAU
Et c'est une vieille position israélienne qui consiste à ne pas croire en l'accord nucléaire signé avec l'Iran, alors que le contrôle exercé par l'AIEA nous montre que cet accord est respecté par l'Iran.
GUILLAUME DURAND
Nathalie LOISEAU en direct sur l'antenne de Radio Classique. Je rappelle que vous êtes chargée des Affaires européennes, et ô combien ces sujets sont importants, au sein du gouvernement d'Edouard PHILIPPE.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 mai 2018