Déclaration de M. Pierre Bérégovoy, Premier ministre, devant le Parlement réuni en congrès pour voter le projet de révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht, Versailles le 23 juin 1992.

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Circonstance : Réunion du Congrès pour le vote du projet de révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht à Versailles le 23 juin 1992

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires.
La solennité du lieu reflète l'importance que revêt la réunion du Parlement convoqué en Congrès.
Vous êtes rassemblés pour réviser la Constitution selon la procédure de l'article 89 choisie par le Président de la République.
La voie parlementaire a permis, dans chacune des deux Assemblées, également délégataires des pouvoirs constituants du peuple souverain, un débat riche et utile. Le ton de ce débat honore la démocratie française. Je tiens à rendre hommage à tous les parlementaires qui ont exprimé avec force leurs convictions, qu'elles prennent la forme d'interrogations, de critiques ou d'approbations.
Le texte a été précisé, il a été amélioré, il a été enrichi.
Dès lors que les amendements ne visaient pas à remettre en cause les principes sur lesquels est fondé le Traité d'Union Européenne signé à Maastricht le 7 février 1992, le Gouvernement a fait preuve d'un souci constant de conciliation. Il a recherché les compromis nécessaires dans le respect de notre loi suprême. Lorsqu'une modification de l'article 88-2 lui est apparue de nature à exercer une influence sur l'équilibre des pouvoirs entre les deux Assemblées, le Gouvernement a exposé clairement son sentiment, laissant aux députés le soin d'apprécier en conscience la portée de l'amendement.
Le projet de loi a été voté en des termes identiques par les deux Assemblées. Il est présenté aujourd'hui à vos suffrages. S'il recueille, ainsi que je l'espère, une majorité des trois cinquièmes dans vos rangs, la Constitution sera révisée.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, la révision de la Constitution vaut par elle-même. Mais elle vaut surtout par ce qu'elle autorise : la ratification du Traité d'Union Européenne proposée au peuple français par la voie du référendum.
Ce n'était pas une question de méthode qui pouvait nous diviser ; c'est un problème de fond qui peut nous réunir.
Devions-nous abandonner en chemin la construction communautaire ou entendions-nous au contraire poursuivre tranquillement l'oeuvre entreprise dès le lendemain de la deuxième guerre mondiale à laquelle ont été associés Robert Schumann et Guy Mollet sous la IVème République et les Présidents de la Vème République, le Général de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand ?
Chacun des partisans du Traité de Maastricht a dit, au cours de nos discussions, pourquoi il lui semblait que les craintes des uns ou des autres n'étaient pas fondées : ni la crainte d'une perte de souveraineté, ni la crainte d'une dilution d'identité, ni la crainte d'un affaiblissement des moeurs démocratiques.
Nous avons dit aussi pourquoi il fallait aller vite. Nous ne voulons pas que les événements, qui transforment la planète et touchent d'abord le vieux continent, nous prennent de court. Chacun de nos pays, aujourd'hui décidé à cette solidarité nécessaire, pourrait être tenté demain par un destin plus solitaire.
L'Europe est propice à la France, et les temps sont propices à l'Europe : il est impossible de rester immobile quand il s'agit du destin de notre pays et du destin de l'ensemble du continent.
Parce que nous serons plus Européens, nous ne serons pas moins Français.
L'histoire des civilisations déchues est celle des occasions perdues. Le rendez-vous de l'Europe est la chance pour notre pays de conserver son rang, pour notre culture de maintenir son rayonnement, pour notre peuple de bâtir un avenir à la mesure de son génie. Ne manquons pas ce rendez-vous.
L'Europe, c'est la paix. Le monde a plus que jamais besoin de s'organiser. Il lui faut pour cela des pôles de stabilité. La Communauté est l'un de ces pôles et le Traité d'Union Européenne l'occasion de le consolider.
L'Europe, c'est l'union et l'union, c'est la force. Pour nos monnaies, nos économies, nos entreprises, notre agriculture, nos laboratoires de recherche, nos universités, nos créateurs, il est essentiel de pouvoir s'adosser à d'autres et de faire front ensemble. La Communauté c'est l'union, et le Traité l'occasion de la renforcer.
L'Europe, c'est la solidarité. Dans un univers de concurrence toujours plus vive et souvent inégale, il faut être plusieurs pour préserver les acquis de notre modèle social.
L'Europe n'est la propriété d'aucune idéologie. Sur l'exact degré de synthèse entre l'économie de marché et l'indispensable solidarité envers les plus démunis, individus et régions, le débat politique est et restera ouvert dans notre pays ; il restera ouvert aussi dans les autres nations qui composent aujourd'hui la Communauté comme dans celles qui, demain, nous rejoindront.
Vous le savez, la Suède, la Finlande, l'Autriche, la Suisse elle aussi, frappent à notre porte. D'autres pays à l'est de l'Europe ambitionnent d'être associés à la Communauté. Le Danemark, lui-même, s'est donné un délai de réflexion. Voilà pourquoi la révision de notre constitution était si importante : elle prélude à l'avancée de l'Europe.Les Français auront à se prononcer clairement sur la ratification par un vote populaire. Le choix que nous leur recommanderons, nul n'a l'intention de se l'approprier. Nous souhaitons qu'il soit celui du plus grand nombre. Notre pays a toujours su se rassembler dans l'épreuve : il doit pouvoir se réunir dans l'espérance. C'est ce que je souhaite aujourd'hui.