Texte intégral
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
M. Marc Le Fur. Ne nous décevez pas, monsieur le ministre !
M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Quelle pression ! (Sourires.)
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame la présidente de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure pour avis de la commission du développement durable, mesdames, messieurs les députés, presque dix mois jour pour jour après le lancement des États généraux de l'alimentation EGA , nous voici réunis pour donner du corps, ensemble, aux évolutions législatives issues de leurs travaux. Je souhaite prendre un peu de temps pour vous livrer l'état d'esprit du Gouvernement dans cette discussion, mais aussi pour expliquer nos propositions et vous convaincre de leur bien-fondé.
Vous le savez, nous devons lutter à la fois contre ceux qui veulent que rien ne bouge, et qui se complaisent dans des politiques figées pour mieux les dénoncer ensuite, et ceux qui veulent absolument imposer leurs visions, leurs modèles, sans souci des difficultés générées. Cette politique du « pied au mur » ne permet pas les démarches de progrès auxquelles je crois et que je souhaite construire avec vous dans un dialogue singulier, permanent et respectueux des valeurs de chacune et de chacun.
L'agriculture et l'alimentation sont au coeur de notre projet pour la France. Pourquoi ? Parce qu'elles sont l'une des clefs de notre souveraineté, parce que l'agriculture est au carrefour de multiples politiques qui façonnent notre pays en matière d'alimentation, d'aménagement du territoire, de ruralité, de transition écologique, de commerce extérieur et de relations internationales , parce que l'une de ses missions premières est de nourrir la population, parce que l'alimentation est un enjeu quotidien pour tous nos concitoyens, et parce que nous parlons de bien manger, en quantité et en qualité. Il s'agit de permettre à chacun de manger sain, sûr, durable, sans oublier la dimension conviviale, bien française, de nos repas.
C'est pour toutes ces raisons que le Président de la République a souhaité, dès le début de son mandat, que se tiennent les États généraux de l'alimentation. Vous vous êtes tous mobilisés, dans les ateliers et dans vos circonscriptions, pour que cette réflexion collective produise du fruit, et je tiens à vous en remercier. Ce fruit, c'est la feuille de route de la politique de l'alimentation présentée par le Premier ministre et les ministres présents le 21 décembre dernier, lors de la clôture des États généraux.
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui est le premier de ces fruits. Mais il y en a d'autres, et c'est la grappe tout entière dont il faut se saisir pour avancer sur les sujets agricoles et alimentaires : les plans de filière, qui marquent l'engagement des acteurs économiques ; le programme « Ambition Bio 2022 » ; le renforcement de la stratégie relative au bien-être animal ; la feuille de route sur les produits phytopharmaceutiques et sur une agriculture moins dépendante aux pesticides, qui témoigne des dynamiques de transformation à l'oeuvre ; le plan d'action en matière de bioéconomie, qui ouvre des pistes de diversification des revenus agricoles ; le volet agricole du grand plan d'investissement et le travail sur la fiscalité agricole que j'ai engagé avec Bruno Le Maire, des parlementaires et des représentants des acteurs de l'agriculture, signe de la volonté de l'État d'être présent aux côtés des acteurs pour accompagner les évolutions en cours ou à venir.
La liste n'est évidemment pas exhaustive, mais il me paraissait important de remettre en perspective le travail que nous allons conduire. Nous avons besoin d'un cadre légal clair et facilitateur, qui laisse aussi chacun des acteurs exercer pleinement ses compétences et ses responsabilités.
En abordant cette discussion, nous devons penser tout particulièrement aux agriculteurs et à tous nos concitoyens, comme pendant les EGA. Pensons aux agriculteurs. L'agriculture française doit pouvoir retrouver son esprit de conquête. Les agriculteurs disposent de savoir-faire et d'une force de travail indispensables à la vie économique de la France et à l'aménagement de nos territoires. Ils sont les gardiens des paysages et de la biodiversité, au coeur de notre identité et au coeur de nos défis alimentaires, économiques et environnementaux. Comment faire réussir la France sans son agriculture ?
C'est parce que nous voulons une agriculture prospère, compétitive et durable que notre projet de loi vise à soutenir les agriculteurs et à leur permettre de vivre de leur travail, tout simplement. À travers ce texte nous voulons donc défendre avec vous une agriculture compétitive, innovante, durable et riche de la diversité de ses modèles. Il ne s'agit pas d'opposer ces modèles mais, au contraire, de les rendre complémentaires, de sorte qu'ils créent les ressources suffisantes pour développer nos économies locales et, ce faisant, gagner ensuite sur les marchés nationaux et internationaux.
Parce que nous souhaitons, à travers notre projet de transformation de la France, que le travail paie, nous devons nous engager pour permettre aux agriculteurs de percevoir le juste prix de leur labeur. Pensons aussi à nos concitoyens, tous sensibles à l'une des facettes, au moins, du chantier sociétal des États généraux de l'alimentation. Nos concitoyens sont attentifs à ce qu'ils mangent, eux et leurs enfants, à la maison comme à l'extérieur ; préoccupés aussi de l'alimentation des personnes les moins favorisées, comme en témoigne la générosité de leurs dons aux associations caritatives ; soucieux du bien-être animal ; concernés et vigilants, enfin, sur les enjeux environnementaux.
Nous avons déjà eu l'occasion de débattre du texte par deux fois, en commission du développement durable et en commission des affaires économiques, pendant près de trente-sept heures. Je tiens à remercier les présidents de ces deux commissions, Roland Lescure et Barbara Pompili, ainsi que tous les députés qui ont participé à ces travaux, pour la qualité de l'écoute et des échanges que nous avons eus. Je tiens aussi à souligner tout spécialement le travail remarquable de Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure pour avis sur le titre II du texte, et de Jean-Baptiste Moreau, rapporteur du texte, dont il n'est pas nécessaire de rappeler qu'il est un excellent connaisseur des secteurs agricole et agroalimentaire et un homme de terrain.
La réalité du terrain, mesdames, messieurs les députés, nous permettra de rédiger un texte équilibré, bien éloigné des visions parfois folkloriques de l'agriculture qui fleurissent çà et là. Les deux rapporteurs ont conduit un travail dense d'auditions ; ils ont pris la pleine mesure des enjeux environnementaux et des transformations à conduire, et formulé des propositions pertinentes sur des sujets souvent complexes et parfois clivants. Les enrichissements du texte par rapport la version initiale du Gouvernement leur doivent beaucoup, et ce n'est pas fini.
Grâce à tout ce travail en amont, les EGA, l'élaboration du texte initial par le Gouvernement, appuyé par des services dont je salue le très grand professionnalisme, et le passage dans vos deux commissions, le texte qui arrive en discussion devant vous ne porte pas sur de simples ajustements techniques : il appelle à un changement clair de paradigme. Vous le savez, cela est attendu par le monde agricole, mais aussi par les consommateurs.
À travers ce texte, je veux redonner du pouvoir aux producteurs dans la chaîne de valeur. Nous partageons tous le même constat : la situation n'a que trop duré. Les agriculteurs subissent de plein fouet une guerre des prix et ne dégagent pas, ou plus, les marges de manoeuvre indispensables tant à la rémunération de leur travail ou de leur capital qu'à la montée en gamme des productions agroalimentaires.
Cette guerre des prix se nourrit du déséquilibre de l'offre et de la demande, de l'absence d'organisation de la production et de la concentration toujours plus forte du secteur la distribution.
M. Charles de Courson. C'est ça, le problème !
M. Stéphane Travert, ministre. Elle se nourrit aussi, parfois, de la défiance des consommateurs et des injonctions contradictoires qu'ils envoient aux producteurs. Je ne crois pas que l'on puisse avoir des productions toujours plus saines et plus élaborées avec des prix toujours plus bas et des promotions toujours plus attrayantes.
Entre 2000 et 2016, le prix du lait payé au producteur est passé de 30 à 32 centimes par litre, soit 2 centimes de plus en seize ans : non pas 2 centimes par an, mais bien 2 centimes par litre de lait en seize ans, alors que, durant la même période, l'inflation a crû de plus de 27 % et le produit intérieur brut PIB de 45 %.
Ce qui vaut pour le lait vaut aussi pour de nombreuses autres productions agricoles, en viande bovine, en porc, en volailles, en productions végétales Sans nier le fait que certaines productions ont connu parfois des parenthèses plus favorables, le sujet auquel il nous faut apporter des réponses est bien celui de la répartition et de la relance de la création de valeur, pour lutter contre la vente à des prix anormalement bas. Ma priorité est bien de redonner aux agriculteurs le juste prix de leur production et la visibilité indispensable à tout entrepreneur pour penser le temps long et ainsi produire une alimentation de qualité, dans le respect de règles sociales, environnementales et sanitaires renforcées.
Premiers maillons de la chaîne de production alimentaire, les agriculteurs devront se regrouper pour servir des transformateurs innovants, qui valoriseront les matières premières sur le marché intérieur comme à l'international. Nous voulons y arriver en renforçant les organisations de producteurs pour permettre aux agriculteurs de peser collectivement, et en leur permettant, ensemble, de définir le prix de vente de leurs produits. Sachez que plus de la moitié des éleveurs livrant à une entreprise privée n'adhèrent pas à une organisation de producteurs OP ou à une coopérative laitière. C'est vrai aussi pour le secteur de la viande et des fruits et légumes, qui comptent chacun plus de 250 OP parmi les 600 recensées en France.
Que prévoit le présent projet de loi ? Intitulé « projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable », il comprend deux titres principaux, le premier à dominante économique, et le deuxième à dominante sociétale. Le titre Ier regroupe une palette de dispositifs visant à redonner sa juste place à chaque maillon de la chaîne de valeur agricole et alimentaire : construction du prix à partir de l'amont et des coûts de production des agriculteurs : contrat et prix associés désormais proposés par celui qui vend ; clause de renégociation plus opérationnelle, pour faciliter la réouverture des négociations commerciales en cas d'évolution des coûts de production ; lutte contre les prix abusivement bas ; contrôles et sanctions ; rôle accru de la médiation ; renforcement des interprofessions ; travail sur le statut et le rôle de la coopération agricole ; encadrement des promotions ; seuil de revente à perte fixé à 10 %.
Sur ce dernier point, je souhaite rassurer les consommateurs, parfois rendus inquiets par les propos alarmistes d'un grand distributeur. Oui, c'est vrai : le relèvement du seuil de revente à perte et la fin des promotions excessives vont induire pour la distribution, dans un premier temps, une hausse de marge et de chiffre d'affaires. Mais, il n'y a aucune fatalité à ce que ces hausses se traduisent par une augmentation globale des prix pour le consommateur. (Exclamations sur les bancs du groupe UDI-Agir.) Chaque distributeur pourra revoir ses marges à la baisse sur d'autres produits, tout en augmentant le prix payé à ses fournisseurs, notamment les producteurs et les PME de l'agroalimentaire.
M. Marc Le Fur. Une usine à gaz !
M. Stéphane Travert, ministre. Ce rééquilibrage des marges se répartira sur un nombre si important de produits que, en définitive, le distributeur pourra à la fois contribuer à la meilleure rémunération des agriculteurs et préserver le pouvoir d'achat des consommateurs.
Vous le voyez, l'édifice du titre Ier de la loi forme un tout : c'est un ensemble cohérent de mesures, qui repositionne chaque acteur sur ses compétences et le met face à ses responsabilités. Le travail en commission a permis de vérifier et de renforcer la cohérence de l'ensemble. Si chacun prend ses responsabilités, cette loi sera efficace et opérationnelle. Elle ne laissera pas la place aux interprétations en ce qui concerne la répartition de la valeur créée.
Je suis convaincu, et je crois que vous l'êtes aussi sur ces bancs, que le premier des défis qui attend nos modèles agricoles est bien de recréer des marges financières permettant à la fois d'offrir de la visibilité pour investir et de transformer durablement nos modèles. Cette visibilité et cette capacité à penser l'agriculture à moyen terme sont indispensables pour conduire les transformations rendues nécessaires tant par le contexte économique que par les attentes sociétales.
À cet égard, les titres suivants du projet de loi, qui sont à mes yeux aussi importants que le premier, viennent soutenir la première jambe du texte, à savoir la finalité de la production agricole : l'alimentation des Françaises et des Français. Les États généraux l'ont souligné : bien plus qu'un besoin élémentaire, la consommation de denrées alimentaires est un acte auquel nos concitoyens accordent un sens plus profond, une attention renforcée, presque politique dans le sens noble du terme. Comment notre alimentation contribue-t-elle aujourd'hui à nous maintenir en bonne santé ? Comment contribue-t-elle à la protection de notre environnement ? Comment développer une alimentation à la fois sûre, saine, durable et, j'insiste sur ce point, accessible à toutes les couches de la société ?
Le projet de loi traduit la volonté du Gouvernement de défendre une politique alimentaire favorisant des choix qui préservent le capital santé de chacun et le capital environnement de tous.
Ainsi, pour réduire l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, nous prévoyons d'interdire les rabais, ristournes et remises lors de leur vente, de séparer les activités de vente et de conseil et de sécuriser par voie d'ordonnance le dispositif des certificats d'économies des produits phytopharmaceutiques.
En matière de sécurité sanitaire, les pouvoirs d'enquête et de contrôle des agents chargés de la protection de la santé, de la protection animale et de la sécurité sanitaire des aliments sont renforcés pour accroître l'efficience des contrôles de l'État.
Dans le domaine du bien-être animal, le projet initial du Gouvernement prévoyait déjà d'étendre le champ du délit de maltraitance animale et de doubler les peines en cas de délit constaté lors de contrôles officiels. Il proposait aussi de donner aux associations de protection des animaux la possibilité de se porter partie civile en cas d'infraction constatée par un contrôle officiel. Ces dispositions ont été complétées par plusieurs articles adoptés en commission des affaires économiques, prévoyant notamment l'extension à tous les abattoirs de l'obligation de désigner un responsable de la protection animale et l'application du statut de lanceur d'alerte. Ces ajouts vont dans le sens d'une amélioration du bien-être animal, un sujet auquel le Gouvernement est particulièrement attentif.
Autre volet clef du projet de loi au sein du titre II, la volonté du Gouvernement de faire de la politique de l'alimentation un puissant moteur de réduction des inégalités sociales. Nous le savons tous, l'accès à une alimentation variée et de qualité est encore aujourd'hui très corrélé à l'appartenance à une catégorie sociale, ainsi qu'en témoigne la prévalence de maladies comme l'obésité ou le diabète. Pour tenter de réduire ces inégalités sociales, il vous est proposé, à l'article 11 de faire de la restauration collective un levier d'amélioration de la qualité de l'alimentation pour tous, et ce dès le plus jeune âge.
Comment ? La restauration collective publique représente plus de la moitié des 7,3 milliards de repas hors foyer servis en France chaque année. Aussi, le projet de loi prévoit que la restauration collective publique s'approvisionne avec au moins 50 % de produits issus de l'agriculture biologique, locaux ou sous signes de qualité, à compter du premier janvier 2022. Le travail en commission a permis de préciser et de compléter le dispositif, notamment en élargissant son périmètre à la restauration collective d'organismes privés ayant des missions de service public. La commission a également adopté une série d'articles additionnels portant sur des thématiques alimentaires, dont beaucoup constituent à mes yeux des apports notables au projet de loi.
Enfin, le projet de loi prévoit de lutter contre la précarité alimentaire et de limiter les conséquences environnementales du gaspillage. Les articles 12 et 15 du projet de loi ont ainsi pour objectif de réduire le gaspillage alimentaire dans la restauration collective par la mise en place d'un diagnostic obligatoire et d'étendre à la restauration collective et à l'industrie agroalimentaire le don alimentaire.
Voilà, dépeint succinctement, le panorama global du présent projet de loi relatif à l'agriculture et l'alimentation, et le cadre dans lequel il s'insère. Comme toujours, je serai, bien évidemment, à l'écoute de toutes les propositions d'amendements que vous formulerez pour améliorer encore le projet. Il s'agit de nous inscrire collectivement et résolument dans une trajectoire qui respectera tant les hommes du producteur au consommateur que l'environnement dans lequel ils évoluent. Construire ensemble une trajectoire permettant de tirer notre agriculture vers le haut, par l'innovation, par l'investissement, par la montée en gamme, par la confiance, c'est lui donner toutes les chances de résister aux défis de la mondialisation. Avec le Président de la République et le Premier ministre, nous voulons refonder le pacte social entre les agriculteurs et la société, pour rendre les premiers à nouveau fiers de leur travail et pour redonner à la France la fierté de son agriculture. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
source http://www.asemblee-nationale.fr, le 23 mai 2018