Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Le Président de la République française, M. François MITTERRAND, m'a chargé de vous dire ses regrets de ne pas être parmi vous aujourd'hui. Il a été très sensible, vous le savez, aux très nombreux témoignages d'amitié qui lui sont venus du continent africain. En son nom et au nom de la France, je tiens à vous remercier chaleureusement. Si l'intervention chirurgicale qu'il a subie lui interdit encore de longs déplacements, sa convalescence est en bonne voie et il exerce la plénitude de ses fonctions. Attentif à vos difficultés et à vos espérances, il suit avec un grand intérêt vos travaux.
C'est aussi au nom du Président de la République française et du gouvernement que j'ai la charge de diriger, que je remercie cordialement M. le Président du Gabon, hôte de cette réunion ; je veux l'assurer, ainsi que son gouvernement et le peuple gabonais de notre gratitude pour la chaleur de leur accueil.
Je tiens aussi à saluer ceux qui, chefs d'Etat ou de gouvernement, représentent ici, pour la première fois, leur pays à nos travaux, et tout particulièrement le Président SAM NUJOMA de Namibie, dont le pays siège pour la première fois dans cette enceinte.
Enfin, je me tourne vers votre doyen, le Président HOUPHOUET-BOIGNY, ce grand porte-parole de l'Afrique dont nous avons tous à louer la sagesse et l'expérience, que je suis heureux de retrouver et auquel j'exprime mes sentiments de respectueuse amitié.
Notre conférence est traditionnellement l'occasion d'échanger des vues sur l'évolution du monde et les conséquences qui peuvent en résulter pour le continent africain. Je souhaite, pour ma part, évoquer trois thèmes, indissolublement liés : la sécurité, la démocratie et le développement.
Depuis la rencontre de La Baule, le monde a profondément changé. La désintégration de l'empire soviétique a mis un terme à plus de quarante ans de division de l'Europe.
Nul ne peut regretter la guerre froide, qui se fondait sur l'équilibre de la terreur, se traduisait par la servitude de nombreux peuples et engendrait des conflits meurtriers en Asie, en Amérique latine et en Afrique.
Les temps nouveaux sont des temps d'indépendance et de démocratie pour des pays toujours plus nombreux. Comment ne pas s'en réjouir ?
Les temps nouveaux sont aussi des temps de désarmement pour les Grands. La plupart des Etats occidentaux sont conduits à réduire leurs budgets militaires, préférant la logique de la coopération à celle de l'affrontement. Qui ne se réjouirait aussi de cela ?
Mais, si elle met moins en péril l'avenir de l'humanité, la situation nouvelle est aussi plus instable. Dans l'attente d'un nouveau monde, que chacun appelle de ses voeux, nous vivons une période de recomposition. Des besoins de liberté, d'identité, d'indépendance, longtemps réprimés, s'expriment, parfois dans la violence. Ces évolutions s'accompagnent d'une très forte dissémination des armements, qui menace la paix en attisant les rivalités. Prenons garde aux conséquences que produisent la destruction des Etats, et la prolifération des armes. Ce qui s'est passé en Somalie et au Liberia ne doit pas se reproduire.
Dans la marche vers l'indépendance et la démocratie, la tentation existe aussi d'un nationalisme ombrageux avec la résurgence de revendications territoriales qui peuvent conduire à l'affrontement.
Certes, la communauté internationale a su se mobiliser pour se porter au secours des pays victimes d'une agression. Ce fut le cas au Koweït. Elle s'organise, j'y reviendrai, pour contribuer au règlement des conflits. Mais le temps presse et nous avons besoin de faire mieux encore pour assurer notre sécurité collective.
La France est attachée au renouveau que connaît aujourd'hui l'Organisation des Nations Unies. N'est-elle pas aujourd'hui le pays qui compte le plus grand nombre de casques bleus dans le monde ? Il en va de même en matière de droit humanitaire ou de diplomatie préventive : la solidarité entre les peuples doit s'exprimer dans le respect de la souveraineté des Etats.
Les Nations Unies ne pourront assumer directement le règlement de toutes les crises. Elles devront s'appuyer sur les organisations régionales : la Communauté européenne, la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, l'Organisation de l'Unité Africaine à la tête de laquelle se trouve actuellement le Président Abdou DIOUF, dont je salue le dévouement courageux à la cause de la Paix en Afrique.
Beaucoup de pays, notamment sur votre continent, tirant la leçon de l'évolution du monde, s'efforcent de réduire leurs budgets militaires et de diminuer la taille de leurs armées, consacrant l'essentiel de leurs énergies à des tâches plus urgentes. Instrument d'édification de l'Etat et de protection des frontières au lendemain de l'indépendance, les forces armées doivent jouer pleinement leur rôle de garant des institutions. Elles ne sont pas seulement le bouclier de l'Etat, mais aussi le protecteur du citoyen. Des armées peu nombreuses, disciplinées, légalistes : c'est la voie sur laquelle vous trouverez toujours l'assistance de la France. Le respect du droit des gens et des peuples doit l'emporter pacifiquement. Il nous faut favoriser les évolutions, comme celle que nous constatons aujourd'hui en Afrique du Sud où l'on entrevoit enfin l'avènement, par la négociation, d'une société démocratique non raciale dont le rayonnement politique et économique bénéficiera un jour à toute la région. La France, en liaison avec d'autres, contribue à cette évolution. Elle se réjouit notamment du projet évoqué au dernier sommet de Dakar qui vise à instaurer un mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits. Ce projet, s'il voit le jour et si les Etats de la région le souhaitent, la France sera prête à lui apporter son soutien. Elle se réjouit ainsi de l'effort des pays engagés dans le Groupe d'Observateurs Militaires Neutres au Rwanda et affirme sa volonté de contribuer au succès de cette mission. Je souhaite que nous puissions rappeler ici l'intérêt que nous portons à un dialogue direct entre les parties opposées pour mettre un terme à un conflit dont les responsables du Rwanda m'ont dit à quel point il les préoccupait.
Partout sur le continent africain, chaque fois qu'elle est sollicitée, la France se met à l'oeuvre, agissant par la médiation ou les bons offices. Vous connaissez son action. Je ne m'y étendrai pas. Elle préférera toujours, vous le savez, l'efficacité discrète aux proclamations sans résultats.
Enfin, parce que la sécurité collective est une oeuvre de longue haleine, parce qu'elle n'ignore pas les menaces extérieures qui peuvent mettre en danger l'intégrité de vos Etats. La France entend rester fidèle aux accords bilatéraux qui la lient à nombre d'entre vous en matière de défense. Elle sait à quel point la Paix est aujourd'hui une condition indispensable à la réussite de vos efforts de développement et de démocratisation.
La paix avance en Afrique, la démocratie aussi.
S'il est une leçon qu'il faut tirer de l'effondrement du communisme, c'est qu'il ne peut pas y avoir de développement économique et social durable sous l'emprise d'une dictature qui décourage la créativité, la productivité, l'esprit d'entreprise. La démocratie est la soeur jumelle du développement. C'est une loi de l'histoire à laquelle nul ne peut échapper : partout où nant le développement s'exprime le désir de démocratie ; partout où s'installe la démocratie, le développement peut prendre un nouvel élan.
Lors du sommet de La Baule, le Président de la République, François MITTERRAND, avait exprimé les encouragements de la France au mouvement de démocratisation de l'Afrique. Aujourd'hui, où que l'on regarde sur le continent, ce mouvement est en marche. Vous avez parcouru un chemin considérable. J'en connais les difficultés. La démocratie n'est jamais simple à construire, moins encore lorsque la crise économique exacerbe les tensions et exaspère les impatiences. La France n'a pas de leçon à donner. Elle a connu, elle aussi, dans son histoire ce cheminement complexe. Elle en sait les épreuves.
Mais nous avons, les uns et les autres, une certitude : rester à l'écart de ce mouvement, qui est irréversible, comporterait plus de risques pour la stabilité des Etats et des sociétés du continent que le progrès, parfois turbulent, de la liberté.
La France continuera d'être attentive à ce cheminement qu'elle a appelé de ses voeux. Elle ne cherche pas à imposer ses choix ou à dicter des solutions. Partout où son rôle est sollicité, elle restera à l'écoute de chacun, prônant le dialogue, la concertation, afin qu'au bout du compte, le suffrage universel permette au peuple de choisir librement ses dirigeants et ses institutions.
La liberté acquise, il faut la consolider. Il faut l'approfondir en l'enracinant dans le terreau des communautés villageoises et citadines. Il faut enfin assurer la justice sociale et l'attention aux plus démunis.
D'où la priorité qu'il faut donner au développement. Il n'y a pas de démocratie qui vaille si les peuples n'en mesurent pas les conséquences heureuses sur leurs conditions de vie. Ainsi que le rappelait hier soir, le Président HOUPHOUET-BOIGNY, "la démocratie ne fait pas bon ménage avec la misère". Nous le savons, la liberté est exigeante.
Ceux qui parmi vous, de plus en plus nombreux ont choisi les chemins de la démocratie, savent ce que je veux dire. Leur choix leur attire un surcroît de respect de la part du monde extérieur ; mais ce choix mérite une solidarité plus attentive et plus profonde de la communauté mondiale pour que vos pays puissent à la fois gérer mieux et produire plus.
Quand une nation est réconciliée avec elle-même et qu'elle fait la place à toutes les forces qui la composent, l'histoire montre qu'elle se donne les moyens de s'ouvrir au progrès, à condition bien sûr qu'elle soit ouverte sur le monde et que le monde s'ouvre à elle.
Dans la conduite de ce processus, la France vous a aidé et elle vous aidera davantage encore ; l'histoire des liens qu'elle a tissés avec l'Afrique lui en fait obligation. Le nouvel ordre international auquel elle est attachée lui en rappelle la nécessité.
Les acquis du soutien français sont réels. Qu'il me soit permis de les rappeler brièvement :
- la France donne l'exemple de la solidarité en matière d'aide au développement. Le montant de son aide à l'Afrique subsaharienne a été multiplié par quatre pendant la décennie 80. En 1991, il atteignait un peu plus de 16 milliards de francs dont trois quart sous forme de dons. Ce montant représentait la moitié de l'aide publique bilatérale française et 20 % du total des aides publiques reçues par l'Afrique. Il n'y a pas eu de détournement de notre aide au bénéfice des pays de l'Est. Le Comité du Développement de l'OCDE, qui comptabilise l'aide au Sud, constate que depuis 1988, l'aide de la France augmente régulièrement (plus 6% par an), plus rapidement encore sur votre zone que dans le reste du monde.
- la France donne aussi l'exemple de la solidarité en matière de dette. Dois-je rappeler que chaque année depuis 1988, la France presse avec succès ses partenaires développés pour de nouvelles initiatives sur la dette. Pour les pays les moins avancés, nous sommes arrivés à des résultats considérables. Chaque année progresse l'idée que l'allégement ou l'annulation d'une partie des échéances, voire du stock de la dette de ces pays est une condition du retour à la croissance.
Pour les pays intermédiaires, nous avons pu nous faire entendre de nos partenaires occidentaux à Houston, plus récemment à Munich cet été. Certains de ces pays pourront pour la première fois, bénéficier de réduction de dettes au-delà d'un simple rééchelonnement des échéances.
Ainsi en 10 ans, le Club de Paris a-t-il rééchelonné 42 milliards de dollars d'échéances subsahariennes. Quand elle ne parvient pas à créer le consensus chez les créanciers, la France s'emploie à trouver chaque fois qu'elle le peut des solutions bilatérales. Les mesures décidées à Dakar et à La Baule représentent ainsi un effort de 24,4 milliards de francs.
Forte de ces acquis, la France est prête à faire davantage.
Comme le Président François MITTERRAND l'a annoncé à la Conférence de Rio, notre aide publique continuera à augmenter dans les années qui viennent. A la fin du siècle, la France respectera l'engagement de consacrer 0,7 % de son PIB à l'aide au développement. Notre taux d'aide, déjà le plus élevé des pays industrialisés, progressera malgré les contraintes budgétaires que nous connaissons du fait du ralentissement de l'activité économique aux Etats-Unis et en Europe.
La France fera également davantage en matière de dette. Le Président François MITTERRAND m'a chargé de vous annoncer aujourd'hui une nouvelle initiative consistant à créer un "Fonds de conversion des créances pour le développement" destiné aux pays à revenu intermédiaire de l'Afrique sub-saharienne. Ce Fonds sera doté de 4 milliards de francs.
Les créances actuelles pourront être converties et annulées pour accompagner des projets de développement dans le domaine le plus large possible des activités productrices de base, du développement humain et social ou de l'environnement. Le Fonds sera géré par la Caisse Centrale de Coopération Economique.
J'ai demandé aux ministres des Finances et de la Coopération de mettre rapidement en oeuvre ce Fonds afin qu'il puisse être opérationnel avant la fin de l'année en cours.
La France entend ainsi, dans le respect des règles internationales, contribuer de manière encore plus efficace à la résolution des problèmes "liés" de l'endettement et du développement. Elle manifeste aussi sa détermination à aider tous les pays de l'Afrique sub-saharienne. Nul n'est exclu de sa solidarité.
Mais la France, aussi forte soit-elle, ne peut être seule. La solidarité ne peut être uniquement bilatérale. Tous les pays industrialisés ont un devoir de solidarité. Les organisations financières internationales aussi.
Ces organisations financières internationales remplissent-elles bien leur rôle ? Ma réponse, c'est oui et non. Oui, car sans le FMI, le maintien de la stabilité financière, la solution partielle de la crise de la dette ou la reconstruction des économies délabrées de l'Est n'auraient pas été possibles.
Oui, car le nom de la Banque Mondiale est associée dans de nombreux pays à la lutte contre la pauvreté et la malnutrition, ou à la réalisation d'infrastructures indispensables. Mais j'ai dit oui et non ; non car ce n'est pas assez.
Ce n'est pas assez quand on constate dans vos pays que les flux nets de ces institutions sont durablement négatifs, quand on observe que plus de la moitié des pays représentés à ce Sommet n'ont pas de programme avec le FMI, et sont donc privés de toute possibilité de financement additionnel et interdits de Club de Paris.
Cette situation est inacceptable et je me dois de le dire devant vous au nom de la France. Le FMI et la Banque Mondiale doivent être plus attentifs à la situation de l'Afrique. Je sais que ces institutions divergent avec vous, comme avec moi sur la conduite de la politique monétaire mise en oeuvre dans la zone franc. Il faut donc continuer à s'en expliquer mais ce n'est pas une raison pour ne rien faire. Nous avons tous des devoirs à l'égard des institutions monétaires internationales, mais nous avons aussi des droits. En premier lieu celui d'être compris. Et les institutions internationales ont aussi des devoirs envers nous et vous : en premier le devoir de solidarité et de compréhension.
Je souhaite donc que le contexte particulier de votre continent soit pris en compte. Je souhaite donc plus de souplesse dans le dialogue que les institutions multilatérales ont avec vous. Plus de compréhension ne signifie pas moins de responsabilité de votre part. Il est des ajustements qui sont nécessaires dans vos pays, des économies à faire, mais il faut vous y aider et non vous y contraindre.
La France continuera de plaider au FMI pour un traitement adapté à la situation de vos pays. Je veillerai à ce qu'elle le fasse avec beaucoup de force et de conviction, au sein du groupe des pays industrialisés comme avec ses partenaires de la CEE. La priorité africaine a été entérinée par la Convention de Lomé, j'ai demandé à ce qu'elle le soit également dans la reconstitution des ressources de l'AID.
Il y a aussi le problème majeur des cours des matières premières. La volatilité des cours des matières premières est préjudiciable à tous : producteurs et consommateurs. Des discussions ont eu lieu sur le café et le cacao. Il faut qu'elles aboutissent rapidement.
Je veillerai aussi à ce que la communauté internationale aménage les règles du jeu du commerce mondial. Les pays producteurs doivent pouvoir disposer en effet d'une meilleure visibilité sur leurs recettes d'exportation. Dans un monde solidaire, le Nord et le Sud ont des intérêts convergents dont il nous faut discuter dans un forum comme le nôtre.
Après tant d'années de régression et de stagnation, après tant d'efforts pour alléger le poids du passé et créer les conditions de la croissance, il importe que vos pays réfléchissent maintenant avec nous aux moyens d'exercer leur activité économique dans un cadre plus large.
Le 1er janvier 1993 le Grand Marché européen verra le jour. Dans le même temps s'édifie un Grand Marché nord-américain. L'Afrique elle, reste encore cloisonnée.
Or la coopération régionale inter-africaine constitue incontestablement un facteur de dynamisme et d'initiatives dont votre continent a tant besoin. L'Union fait la force économique. Elle permet aux pays associés d'affirmer leur présence sur la scène internationale. Je crois à la théorie des grands ensembles, à l'indispensable regroupement comme cela a été le cas pour la Communauté européenne.
Je sais aussi que les caractéristiques des économies de vos pays ne les prédisposent pas à envisager rapidement la constitution de marchés communs régionaux. Très tournées vers l'extérieur en raison de la prédominance des matières premières dans leurs échanges, souvent enclavées et en général dotées d'entreprises encore fragiles, vos économies trouveraient peu de bénéfices à supprimer trop vite leurs barrières douanières, ressource encore appréciable de vos budgets nationaux.
Il me parant donc utile de songer à une meilleure intégration économique et de jeter les bases d'une coopération institutionnelle. L'Europe a démarré son processus d'unification par les échanges et le commerce. Elle devra l'achever par la monnaie. De votre côté vous avez déjà, et je m'en réjouis en m'exprimant devant vous en français, un instrument commun de communication, la francophonie, que le gouvernement français encourage fortement ; certains d'entre vous ont déjà une monnaie commune. A ce stade du cheminement, votre intégration économique doit être aujourd'hui votre préoccupation première. Il vous faut créer des outils permettant à vos entrepreneurs de travailler dans un cadre élargi et de franchir sans difficulté les frontières de vos pays. Il s'agit du "droit commun des affaires", de la "communauté des assurances", de la "conférence sur la prévoyance sociale", de l'"unification des systèmes statistiques" ; il peut s'agir aussi des politiques régionales de santé, de recherche agronomique, de formation... S'agissant de la Zone Franc cette convergence pourra se doubler d'un rapide rapprochement des politiques budgétaires et monétaires.
Quel que soit le cadre géographique, la France apportera un soutien très actif aux initiatives que vous prendrez dans ce domaine.
Je vous l'ai dit, la France vous soutiendra dans votre développement par son aide financière. Elle vous fera partager son expérience en matière d'intégration économique. Mais elle ne saurait s'engager à votre place. Votre crédibilité est à l'épreuve. Elle nous est indispensable pour faire avancer votre cause avec succès dans les enceintes internationales.
Votre crédibilité est d'abord engagée à travers l'action de l'appareil gouvernemental et de l'administration. L'échec du libéralisme pur et dur a prouvé, si c'était nécessaire, le grand besoin d'Etat qu'ont les sociétés modernes. Cet Etat doit être économe et efficace. La démocratie, par la transparence qu'elle impose, est l'aiguillon de cette modernisation de l'action publique.
Mais l'Etat ne peut pas tout faire. Son métier n'est pas de produire directement, mais de créer les conditions de la production, y compris avec des capitaux publics mais alors avec des entreprises autonomes et responsables. Son métier est de bâtir un environnement financier et juridique où peuvent s'épanouir les initiatives des acteurs économiques et prospérer les investissements étrangers dont vous avez grand besoin.
Vous le savez mieux que moi : la bonne gestion des structures administratives vous donnera des marges de manoeuvre financière. Je sais les efforts que vous consentez pour mantriser les effectifs globaux de l'administration, le niveau des rémunérations par rapport au reste de la population, la répartition des agents publics sur le territoire national et dans les différents domaines d'activité. La France continuera à vous apporter son assistance technique dans cette démarche. Je sais aussi la rigueur qu'impose l'ajustement en cours de vos économies. J'en connais le prix humain. C'est pourquoi la dimension humaine et sociale du développement ne doit pas être oubliée.
Mais votre responsabilité est aussi engagée dans la préparation de l'avenir de vos économies. Chaque fois que vos pays s'engageront sans détour dans la voie du redressement économique, ils pourront compter sur le plein soutien de la France et de la communauté internationale.
J'ai gardé en mémoire l'entrevue que le Président François MITTERRAND a eu le 31 juillet dernier, avec quatre d'entre vous, mandatés par leurs pairs. Ils ont dit ce jour-là leur attachement au maintien de la parité du franc CFA. La France leur a confirmé son soutien, et les chefs d'Etat ont pris l'engagement d'adopter des mesures garantissant le maintien de cette monnaie commune. J'ai été profondément impressionné par cette détermination. Nous sommes à vos côtés. Le cap est fixé, il faut maintenant tenir fermement la barre.
Vous savez que la France est l'avocat militant de l'Afrique. Elle le demeurera de toutes ses forces, sinon elle renoncerait à être elle-même.
Elle sait les inquiétudes de votre jeunesse qui redoute que votre continent ne soit oublié quand le projecteur de l'actualité se tourne vers les pays de l'Est de l'Europe en proie à une mutation profonde et laborieuse. Qu'elle sache, votre jeunesse, qu'il n'y a pas de place aujourd'hui pour le fatalisme et le renoncement. Vous vous êtes engagés sur la voie du redressement et de la solidarité. Vous n'êtes pas seuls. La France est à vos côtés et elle entraînera l'Europe à une coopération plus profonde avec l'Afrique, car là aussi est notre avenir commun.
Le monde est à la croisée des chemins : ou bien les Nations se replieront sur leur pré carré, ou bien elles uniront leurs efforts pour une croissance plus forte et un équilibre pacifique des rapports internationaux.
Les désordres monétaires actuels à l'échelle du monde montrent les ravages que peut provoquer "le chacun pour soi". Il est grand temps que la coopération financière et économique internationale retrouve l'esprit des accords du Plazza de 1985 et du Louvre de 1987. C'est l'une des conditions majeures de l'évolution des négociations commerciales multilatérales.
La France y travaillera parce que nous savons que la sécurité et la stabilité sont liées comme le sont la démocratie et le développement. En Afrique comme dans le reste du monde, la solidarité doit être notre force. Solidarité des Africains. Solidarité internationale d'autant plus disponible que les Africains seront déterminés à aller de l'avant. Enfin solidarité de la France à l'égard de l'Afrique au nom de l'histoire et au nom de l'amitié entre nos peuples.
CONFERENCE DE PRESSE DE M. PIERRE BEREGOVOY, PREMIER MINISTRE, ET DE M. OMAR BONGO, PRESIDENT DU GABON PROPOS DU PREMIER MINISTRE. Le 7 octobre
QUESTION : La dette publique, goulot d'étranglement pour les économies africaines, est un constant sujet de préoccupation pour le continent. Il y a deux ans, lors du sommet de La Baule, la France annonçait un certain nombre de mesures en faveur de la dette des pays les plus pauvres, oubliant les pays à revenus intermédiaires tel que le Gabon. Cette fois, Paris a décidé des mesures d'allègement pour les oubliés de La Baule et un Fonds de conversion des créances pour le développement, doté de 4 milliards de francs, sera mis en place d'ici à la fin de l'année. Cette décision apparaît comme la mesure la plus concrète de ce 17ème sommet. Etait-il nécessaire, alors que l'annulation pure et simple de la dette publique eut été mieux appréciée, d'organiser cette 17ème rencontre pour annoncer finalement une mesure qui nous apparaît aussi tiède ?
LE PREMIER MINISTRE.- Ce n'est pas une question, c'est un commentaire, et avant même de m'avoir entendu, vous avez apporté votre conclusion.
Je crois, moi, que c'est une mesure importante. Car en effet, depuis Toronto, la France, avocat des pays en développement, agit pour que l'on allège la dette de ces pays. Toute une série de mesures ont été prises à Toronto, ensuite à Houston et enfin à Munich. Les premières ont concerné les pays les plus pauvres, pour lesquels il y a eu des mesures d'annulation. Ensuite il y a eu les pays à revenus intermédiaires, disons de la tranche inférieure. Et enfin, la France vient de prendre une décision intéressant les pays à revenus intermédiaires en liant deux concepts : le concept d'allègement de la dette et le concept de développement.
En effet, ce Fonds est destiné à convertir des créances et cela correspond, permettez-moi de vous le préciser, à une annulation, sauf que cette annulation doit servir au développement, puisque la créance doit être transformée pour financer un équipement productif.
C'est donc une mesure de solidarité. Elle n'est pas tiède, elle est chaleureuse. C'est d'ailleurs l'état d'esprit qui a été celui de cette rencontre au sommet entre chefs d'Etat et de gouvernement africains et Premier ministre de la République française représentant le Président de la République, M. François MITTERRAND, et agissant en plein accord avec lui.
Mais ne retenir de ce sommet que cette mesure, serait insuffisant. Beaucoup de rapports ont été faits, remarquables, et beaucoup d'orientations ont été dessinées. Si j'avais à les résumer d'un mot, je dirais que nous avons montré qu'il existait un lien indissoluble entre la sécurité sur le continent africain, la démocratie, dont il faut poursuivre l'exécution du processus engagé depuis le sommet de La Baule, et le développement. Il est bien évident que la charge de la dette ou l'effondrement des prix des matières premières ont de redoutables effets sur l'économie des pays africains et qu'il nous faut agir pour stabiliser, d'abord, les cours des matières premières. Nous agissons pour le cacao et le café : la France a soutenu, avec d'autres d'ailleurs, l'action du Président HOUPHOUET-BOIGNY en ce domaine, et j'espère que l'on va pouvoir aboutir, à Genève pour le cacao, à Londres pour le café. D'autre part, nous nous sommes adressés aux institutions monétaires internationales et aux autres pays industrialisés et pour leur demander de faire plus. La France fait beaucoup plus que d'autres mais il faut que d'autres fassent autant qu'elle. Et si tout le monde veut faire plus, la France sera présente.
Enfin, nous nous sommes adressés aux institutions monétaires internationales, FMI et Banque Mondiale, en leur disant qu'ils doivent tenir compte du caractère spécifique de l'Afrique. J'ai eu l'occasion de le dire dans mon discours, et de le répéter : chaque fois qu'il y a un plan d'ajustement structurel, et il en faut bien pour mettre de l'ordre dans les économies, la dimension sociale de l'ajustement doit être prise en compte afin d'assurer le succès du processus démocratique en cours.
Donc c'était, à mes yeux, en tout cas, un sommet utile qui fixe de très bonnes orientations. Beaucoup d'autres points, notamment la coopération entre la France et l'Afrique, les perspectives d'harmonisation voire d'intégration ont été évoquées. C'est un congrès positif et je remercie le Président BONGO de l'avoir présidé de main de maître.
QUESTION : En prenant l'exemple du Cameroun du Togo et du Zaïre, où le processus démocratique a du mal à s'implanter, que répondez-vous à ceux qui pensent qu'il est temps d'élaborer une charte de démocratisation de l'Afrique ? Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu'en décernant publiquement une note aux bons et mauvais élèves de la démocratie, on éviterait certains dérapages en la matière ?
LE PREMIER MINISTRE.- Je commencerai par la deuxième partie de la question.
La France ne donne pas de bonnes et de mauvaises notes. La France est attachée à la liberté et à la démocratie. Elle considère que la démocratie est le meilleur système de gouvernement et cela suppose le pluralisme des opinions et l'exercice du droit de vote, autrement dit, le suffrage universel. Lorsque le suffrage universel, après que le pluralisme des partis politiques ait été reconnu s'est prononcé, chacun doit s'incliner devant le verdict du suffrage universel. Je pense d'ailleurs qu'au-delà de l'organisation des pouvoirs de l'Etat, il faut enraciner la démocratie dans le terreau local, dans l'exercice des rapports sociaux. C'est donc une grande ambition. Et au risque de vous surprendre, je vous dirai que je ne crois pas qu'il existe au monde, je dis bien au monde, un pays où la démocratie soit parfaite. La démocratie est toujours à approfondir.
Elle est d'abord à conquérir, c'est ce qui s'est passé en Afrique et nous saluons, dans la déclaration qui a été rendue publique, les efforts qui ont été faits.
J'en viens donc à votre deuxième question. Une Charte de la démocratie en Afrique, cela regarde d'abord les Africains. La France est l'amie de l'Afrique. Elle n'est pas le tuteur de l'Afrique. Elle souhaite en effet que la démocratie puisse progresser. Dans les pays que vous avez cités, cela me parant indispensable. Mais nous n'avons pas, quant à nous, à édifier une charte. Il y a la Charte des Nations unies, il y a la Charte qui intéresse la sécurité, la Charte de la démocratie en Afrique regarde les Africains eux-mêmes.
Au sortir de ce sommet, j'ai le sentiment que c'est une prise de conscience collective. Et c'est à partir de là qu'il faut réfléchir à une phrase dite par le Président HOUPHOUET-BOIGNY. Il a dit, et c'était à mes yeux important, "la démocratie et la misère ne font pas bon ménage". C'est pourquoi je vous disais tout à l'heure qu'il y a un lien à mes yeux indissoluble entre sécurité, démocratie et développement. Je crois pouvoir dire que c'était le sentiment partagé par tous ceux qui ont participé à ce sommet.
QUESTION : Adressée au président BONGO sur la démocratisation (...) ?
LE PREMIER MINISTRE.- Si le Président BONGO permet, j'ajoute un mot. J'ai un certain âge ; j'ai été, dans ma jeunesse, un militant de la décolonisation. Je dis cela parce que le journal qui vient de s'exprimer a connu toute cette période et a connu même certains de ces responsables qui étaient favorables en effet non seulement à l'émancipation mais à l'indépendance. A l'époque, le militant démocrate que j'étais n'était pas choqué par le processus qui a été mis en place, en Afrique et dans bien d'autres pays. J'ai connu des militants de la gauche socialiste qui applaudissaient l'autogestion et le parti unique en Algérie. Je dis cela parce qu'il n'est pas mauvais, de temps en temps, de rappeler l'Histoire.
L'indépendance a conduit en effet des pays, dont les frontières avaient été tracées souvent par la colonisation, à s'organiser d'une certaine façon qui n'était pas celle des démocraties occidentales. Il est clair qu'il est important maintenant que la démocratisation des structures soit opérée. Il n'y a pas d'autres moyens que le suffrage universel.
J'ai vu que l'on disait dans la presse française : ce sommet va être un sommet économique, il ne sera pas un sommet consacré à la démocratie. Mais on n'a parlé que de cela, et d'économie naturellement. Jugeons les progrès qui ont été enregistrés à la mesure des difficultés rencontrées. Il y avait au sommet un grand nombre de chefs d'Etat et de gouvernement élus par le suffrage universel, responsables devant des Parlements, qui ont rétabli la liberté de manifestation, le pluralisme politique et qui ont des oppositions parfois vigoureuses : c'est la vie démocratique. Le processus est en cours, nous l'avons salué, et nous l'encourageons.
A partir de là, naturellement, on a parlé d'économie. Regardez la carte de l'Europe, regardez ce qui se passe aujourd'hui dans des pays qui retrouvent la liberté où les difficultés sociales font que des manifestations s'expriment parfois même dangereusement. Vous avez observé, je pense, ce qui s'est passé en Allemagne de l'Est. Il est vrai que la démocratisation met en mouvement des revendications et des forces. Moi, je préfère ça à la dictature et au parti unique qui risquent en effet de porter atteinte à l'équilibre ou à la stabilité. D'où l'importance, pour mon pays, pour les pays industrialisés et pour les institutions monétaires internationales de comprendre cela. Il dépend beaucoup des pays du Nord que le processus démocratique dans les pays du Sud soit mené avec succès.
QUESTION : Je ne crois pas au Fonds de reconversion des créances pour le développement. Je doute de ce Fonds parce que je pense au troisième sommet France-Afrique de Paris, avec la mise sur pied du Fonds exceptionnel de promotion de l'Afrique. Nous étions en 1976. Quelle promotion pour l'Afrique ? Je pense au Fonds de solidarité africain. Le 14ème sommet de Paris a mis sur pied le plan Marshall. Si vous voulez, M. le Premier ministre, nous rappeler pour nous convaincre les aboutissements de ces fonds ?
LE PREMIER MINISTRE.- Si vous n'y croyez pas, laissons les événements nous départager. Vous me dites qu'il y a eu d'autres fonds. Je ne sais pas si celui de 1976 était bon ou mauvais, j'assume toute l'histoire de la France. Je ne peux pas en juger. C'est vrai qu'il y a eu des initiatives qui ont réussi et d'autres qui ont échoué.
Mais je crois que ce Fonds de conversion est une bonne idée. C'est, en tout cas, une idée, une proposition qui s'additionne à d'autres. Ne faites pas comme s'il n'y avait pas d'aide bilatérale de la France, cela existe déjà. Ne faites pas comme si la France n'avait pas annulé des dettes. Lorsqu'il y a accord avec le FMI -et c'est pourquoi j'en ai parlé- le Club de Paris rééchelonne et cela a naturellement un coût pour les finances publiques des pays qui agissent de cette façon.
Vous venez d'émettre une idée que je juge bonne : le plan MARSHALL. Le plan MARSHALL, incontestablement, a été bon pour l'Europe au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Il y a des pays qui l'ont refusé, sous la pression du grand frère soviétique, et l'on voit que cela ne leur a pas tellement réussi. Cela a été bon pour les pays européens, et cela a été bon aussi pour l'Amérique. Je plaide depuis très longtemps en faveur de cela au niveau international. Le Président MITTERRAND a suffisamment plaidé en faveur d'une telle proposition à l'intérieur du G7 et à la tribune des Nations Unies. Seulement, vous me permettrez de vous dire que la France ne peut pas faire cela toute seule. C'est pourquoi je compte sur vous, Mesdames et Messieurs de la presse, pour mobiliser les opinions publiques afin que les pays industrialisés fassent leur devoir.
La France est un des pays qui, en pourcentage du PIB, participe le plus à l'aide aux pays en développement. Nous sommes actuellement aux environs de 0,58 % ; nous serons à 0,7 % à la fin du siècle. Il y a des pays, des grands pays que je ne citerai pas car je ne veux être désobligeant à l'égard de personne, qui en sont à 0,25 %. C'est vrai que votre idée est bonne. Je suis prêt, au nom de la France, en plein accord avec le Président MITTERRAND à la défendre. Mais nous ne pouvons pas faire cela tous seuls.
Il faut mobiliser les opinions publiques pour qu'elles exercent une pression sur les gouvernements. Ma conviction est qu'un tel plan serait bon pour les pays d'Afrique et serait bon aussi pour les pays d'Europe, d'Amérique, du Japon et d'ailleurs.
QUESTION : On dit que les sommets se suivent et ne se ressemblent pas. En quoi d'après vous le sommet de Libreville est-il différent du sommet de La Baule. Et au travers des contacts téléphoniques que vous avez pu avoir avec le chef de l'Etat, est-ce que d'après vous il est satisfait des travaux de cette conférence, ou est-il plutôt inquiet du fait que nombre de chefs d'Etat ont brillé par leur absence à ce sommet.
LE PREMIER MINISTRE.- Il m'était difficile de rendre compte par téléphone au Président de la République des conclusions de ce sommet entre le moment où j'ai quitté la salle du sommet et le moment où je vous aurai quitté.
Cette question n'était pas tout à fait celle que vous vouliez poser. Celle que vous vouliez poser était la suivante : du fait de l'absence du Président MITTERRAND, n'y a-t-il pas eu des chefs d'Etat qui ne sont pas venus ?
J'ai regardé cela de très près. Je me suis dit, en effet, c'était peut-être parce que j'étais là qu'ils n'étaient pas venus. Heureusement que le Président BONGO était là... J'ai constaté qu'il y avait quatorze et beaucoup de chefs de gouvernement. Le Président de la République Centrafricaine est en campagne électorale. Le Président des Comores connaît une situation plutôt délicate. Le Président de Djibouti, et j'ai rencontré son représentant, a aussi quelques échéances intérieures, il doit d'ailleurs venir à Paris prochainement. En Angola, il y a des élections, cela demande une certaine mise en place, c'est quelque chose qui nous soucie et nous en avons parlé, M. Le Président BONGO et moi-même. Au Mozambique, un accord a été signé à Rome le 4 octobre, et il faut un petit peu de temps sans doute. En ce qui concerne le Togo et le Zaïre, questions déjà posées, il y a comme l'on dit des situations, je cherche le terme exact, complexes qui justifiaient que les chefs d'Etat ne se déplacent point. Mais les Premiers ministres, ou des ministres très importants étaient là. Donc cela a été un bon sommet.
Vous me dites de le juger par rapport aux précédents. Les précédents, je les jugeais comme ministre des Finances, et parfois je me disais que l'addition allait être forte.
Depuis que je ne suis plus ministre des Finances, je regarde moins à l'addition. Et finalement, je me réjouis de ce très bon sommet parce que les rapports que nous avons entendus et qui seront connus étaient des rapports d'une très grande qualité : sur le Droit des affaires, c'était le Président DIOUF ; sur les matières premières, le Président HOUPHOUETBOIGNY ; sur le problème des plans d'ajustement structurel, le Président du Bénin qui connaît bien le FMI, sur le problème de la démocratie, le Président LISSOUBA. Cela a été très remarquable et c'est un bon sommet. Seulement j'ai toujours remarqué que quand je dis que c'est un bon sommet, on me dit que je suis toujours optimiste. Alors, je ne peux pas moi-même vous dire que c'est un mauvais sommet quand je pense qu'il est bon. Appréciez.
QUESTION : Ma question s'adresse au Premier ministre français. Parmi les thèmes que vous avez abordés dans votre discours d'ouverture, figure bien entendu le développement, ce qui sous-entend pour moi le développement économique du Gabon. Est-ce que les taux d'intérêt de la France au Gabon en matière économique, je parlerai ici du domaine pétrolier, favorisent réellement le développement malgré la mise en place de la démocratie.
LE PREMIER MINISTRE.- Le problème des taux d'intérêt n'est pas un problème simple. D'abord, il y a les taux d'intérêt du marché - et ils sont élevés aujourd'hui en Europe (moins élevés en France qu'ailleurs quand on parle des taux à 10 ans). Naturellement nous devons tous souhaiter que le désordre monétaire mondial s'estompant, il puisse y avoir décrue internationale des taux d'intérêts. Il y a aussi des taux concessionnels : cela veut dire qu'il arrive au Trésor français de prêter de l'argent à des taux inférieurs aux taux du marché. Le Gabon comme d'autres pays en ont bénéficié et en bénéficieront. Dans ces cas-là, c'est en effet le budget de la France qui le supporte. Il faut que chacun le sache. Nous le faisons par solidarité, nous le faisons aussi parce que nous croyons que le développement de l'Afrique est utile, aussi, pour notre propre économie.
QUESTION : Vous avez annoncé la création d'un Fonds de conversion des créances pour le développement. Or, disent certains économistes, cela suscite d'autres exigences, d'autres.... N'est-ce pas un nouvel asservissement pour l'Afrique ?
LE PREMIER MINISTRE.- Vous dites : c'est mal accueilli par certains économistes. Je n'ai pas fait cela pour les économistes, j'ai fait cela pour les pays qui sont intéressés. A eux d'en juger.
Convertir une créance en finançant un projet sans augmenter la dette, je vais expliquer. Vous me devez 100 000 F CFA. Je vous dis : je vous annule si vous construisez une maison avec ces 100 000 F ; serez-vous, après, plus riches qu'avant ? Vous aurez votre maison. Naturellement cela peut servir à des équipements, des infrastructures, cela a été dit. Cela peut servir à financer des programmes de formation, cela peut servir à financer des équipements de production : chaque pays déterminera et la Caisse centrale de coopération économique fera le travail que je lui ai demandé. J'ai même demandé aux ministres des Finances et de la Coopération de faire en sorte que cela soit mis en oeuvre très vite pour pouvoir être mis en application avant la fin de l'année.
QUESTION : A propos des projets que vous évoquiez tout à l'heure: si un pays comme le Gabon présente un projet de développement qui vous intéresse qui coûte 600 milliards de francs CFA, vous effacez combien sur sa dette !
LE PREMIER MINISTRE.- La somme correspondante. Naturellement je ne pourrai pas annuler les dettes qu'il n'a pas. Mais nous connaissons les chiffres, le Président BONGO et moi, et croyez-moi cela sera une bonne chose. Pas seulement pour le Gabon. Il y a quatre pays qui sont concernés : le Gabon, le Congo, le Cameroun et la Côte d'Ivoire.
QUESTION : Votre critique du FMI et de la Banque mondiale ne traduit-elle pas un certain agacement envers ceux qui prônent une dévaluation du franc CFA, et ne risque-t-elle pas de démobiliser ceux à qui vous demandez une meilleure gestion, moins de corruption et de gaspillage ?
LE PREMIER MINISTRE.- Les deux questions ne sont pas liées. D'abord, je n'ai pas critiqué aussi vertement que vous le pensez, les institutions monétaires internationales.
La parité entre le franc CFA et le franc est une parité qui a été définie d'un commun accord. Lorsque les émissaires de la Banque mondiale et du FMI recommandent une dévaluation du Franc CFA aux pays de la zone franc, nous en prenons acte. Moi il m'est arrivé de dire que si les gouvernements africains en jugeaient ainsi, nous aurions à apprécier la situation. Seulement je les ai mis en garde à plusieurs reprises. J'ai constaté que nous sommes toujours sur la même ligne. Une dévaluation, pour être réussie, exige un plan d'austérité d'une rigueur absolue.
Nous venons d'avoir un exemple. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. L'Italie a dévalué, ensuite sa monnaie a flotté. Et elle a naturellement mis en oeuvre un plan d'austérité. Pourquoi ? Parce qu'une dévaluation, dans l'esprit de ceux qui la proposent, doit permettre de rendre les produits du pays qui dévalue plus compétitifs sur les marchés extérieurs. En principe, si vous dévaluez par deux, votre produit deviendra deux fois moins cher, vous pourrez vendre plus. Mais avant que cela soit constaté, car ce n'est pas du jour au lendemain que les courants commerciaux se modifient, il se passe un, voire deux ans. Mais dès que vous avez dévalué, ce que vous allez acheter à l'extérieur, coûte - si on prend cet exemple- deux fois plus cher.
Cela veut dire que les consommateurs vont payer deux fois plus cher tout ce qu'ils achètent à l'extérieur. Ils vont donc demander des augmentations de salaire correspondantes et les coûts de production des produits que vous exportez augmenteront. Ils augmenteront de façon suffisamment élevée, au moment où vous commencerez à les vendre à l'extérieur. Cela veut dire que si vous voulez que votre dévaluation réussisse, il faut diviser les salaires par deux (par la mesure qui est proposée). Ceux qui peuvent le faire le font, mais je dis que ce n'est pas tout à fait raisonnable. Cela regarde les gouvernements africains eux-mêmes.
Je suis d'ailleurs parfois stupéfait de voir les institutions monétaires internationales recommander la dévaluation, dans le même temps où elles recommandent qu'il n'y ait pas d'inflation. Inutile de vous dire qu'une dévaluation est forcément source d'inflation importée, à moins de serrer la vis terriblement sur le plan interne. Voilà le premier point.
Après tout, le Fonds monétaire a parfaitement le droit d'avoir ce point de vue et il y a des économistes en France, ainsi que des hommes politiques, qui ont également le même point de vue et le débat est tout à fait normal. Ce que je dis simplement, c'est que les institutions monétaires internationales, le FMI et la Banque mondiale, jouent un rôle très utile dans l'économie mondiale, un rôle indispensable. Le FMI a facilité le règlement de la dette dans une certaine mesure. La Banque mondiale a son nom attaché à des équipements qui ont été très utiles à l'économie des pays en développement.
Mais j'ai posé la question : est-ce assez ? Autrement dit, est-ce que les institutions monétaires internationales en font trop peu ou trop. Ma tendance est de dire qu'il faut qu'elles en fassent plus. Je le recommande donc et je le dis devant vous avec énergie : la France siège au Conseil d'administration et elle dit qu'il faut tenir compte du caractère spécifique de l'Afrique. Des programmes d'ajustement structurel il en faut, nous sommes tous d'accord. Mais il faut tenir compte aussi du processus démocratique et de la dimension sociale. Voilà ce que j'ai voulu dire tout simplement : les institutions monétaires internationales sont au service de l'économie mondiale et je crois qu'elles doivent prendre en compte la situation très difficile, parfois tragique, d'un certain nombre de pays africains. Et comme c'est ce que je pense, je le dis sans arrière-pensée.
QUESTION : Pensez-vous que les sommets franco-africains sont aussi importants pour l'Afrique que pour la France ?
LE PREMIER MINISTRE.- Je voudrais vous dire que je crois que la France, le peuple français, est préoccupé par la situation de l'Afrique et par la situation dramatique d'autres pays dans le monde. Vous me dites que la télévision présente telles ou telles images, je vais vous répondre très franchement. La télévision en France est libre, la chaîne privée est libre de publier les images qu'elle veut et la chaîne publique aussi. Le Président de France 2 est ici présent, et je vous dirai que l'on est aussi bien servi par l'une que par l'autre. Si vous avez des reproches à faire, je pense qu'ils les enregistreront. Car je crois en effet qu'il faudrait donner du continent africain, à l'opinion publique mondiale et à l'opinion publique française en particulier, une vision réaliste. C'est vrai qu'il y a de la pauvreté, c'est vrai qu'il y a pu avoir ici ou là peut-être, des erreurs de gestion. Mais c'est vrai qu'il y a un effort de démocratisation très poussé, qu'il y a un effort de solidarité. J'ai entendu le Président BONGO parler d'une meilleure intégration, nous venons de parler en venant ici de ce que pourraient faire les pays de l'Afrique centrale. Il faut montrer parfois les difficultés mais aussi les résultats. C'est à vous de le dire à la presse, pas à moi. Moi, je ne donne pas de consignes.
QUESTION : Vous avez souligné le passage de la logique d'affrontement à la logique de coopération, ce qui a entraîné une réduction des budgets militaires. La logique n'eut-elle pas commandé que le surplus dégagé de cette réduction soit principalement et massivement affecté au problème du développement de l'Afrique ?
La question est d'autant plus cruciale pour nous que nous avons assisté à une mobilisation sans précédent dans le cadre du redressement des pays de l'Est. Et la question que je formule est de savoir s'il y a eu privilège du sang. Ou, au contraire, ne faudrait-il pas penser aujourd'hui à envisager un autre privilège, qui est encore plus historique, celui qui lie l'Afrique à la France. Autre question que je me permettrai de vous poser : c'est par rapport à la Convention de Lomé qui prévoit pour les partenaires une transformation industrielle des matières premières locales. Ne faudrait-il pas envisager, comme le souligne le ministre allemand de la Coopération dans une interview qu'il nous a accordée, que l'on puisse soutenir davantage la transformation locale pour permettre l'exportation, non plus de matières premières brutes, mais de produits finis et semi-finis. Et c'est peut-être là que la France pourrait faire preuve de maturité économique et psychologique.
LE PREMIER MINISTRE.- Merci de ce conseil. Nous allons mûrir psychologiquement comme vous nous le suggérez !
J'ai indiqué en effet dans mon discours, qu'à la logique de l'affrontement entre les deux blocs, entre l'Est et l'Ouest, avait succédé la logique d'entente, qui a permis une réduction des armements. Il y a eu des accords entre les Russes et les Américains. Il y a des accords auxquels nous participons, d'autres auxquels nous ne sommes pas associés. Bref, il y a une démarche.
Mais, dans mon discours, il y avait autre chose (comme quoi vous n'avez pas dû le lire entièrement). Il y avait la crainte que j'exprimais de voir le réveil des nationalismes, l'exaspération des tensions, et la tragédie yougoslave démontre à quel point nous ne sommes pas entrés dans une ère de stabilité. Cela étant, si les armements peuvent être réduits, nous nous en réjouissons. Si l'on pouvait, dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies et des institutions monétaires internationales, financer le développement à partir de ces économies, la France y souscrirait.
Vous dites -c'était un peu blessant, notamment pour moi qu'on a beaucoup aidé les pays de l'Est. L'a t-on fait pour des raisons raciales -vous avez dit liens du sang-, et a t-on oublié l'Afrique ? C'est tout à fait injuste : cette question peut, peut-être, s'adresser à d'autres pays dans le monde, qui ont d'ailleurs une communauté noire. Mais pour ce qui concerne la France, elle a fait plus d'efforts pour l'Afrique que pour les pays de l'Est. Les statistiques, qui sont publiées, le démontreront.
Et je l'ai répété aux chefs d'Etat et de gouvernement qui m'ont d'ailleurs posé la question pendant la réunion -dont parlait le président BONGO- qui a eu lieu avant l'ouverture du sommet. La France continuera à être l'amie, mais l'amie fraternelle et solidaire de l'Afrique, et l'Est ne la détournera pas du Sud.
Deuxième question : la transformation des matières premières. Naturellement c'est ce qu'il faut faire, et c'est ce à quoi on doit aider. La Banque mondiale, c'est sa mission. Il faut des infrastructures naturellement, il faut des routes, comme le disait le Président BONGO, il faut de l'énergie, il faut construire des usines, et cela serait bien préférable (c'est le leitmotiv du Président HOUPHOUET-BOIGNY). Seulement à mon tour de le dire à mes amis africains : il faut dans ce cadre-là qu'il y ait quelques initiatives prises. Il faut que les investisseurs étrangers soient assurés de la garantie de leur investissement. Il faut qu'ils aient un code des affaires, et d'ailleurs cela a été dit par le Président DIOUF, qui soit simplifié. Les ministres de la Justice et des Finances, des pays de la zone franc, en particulier, vont mettre au point un dispositif. Il faut qu'il y ait stabilité aussi. Il faut qu'il y ait confiance.
Vous savez, les investisseurs ne s'installent dans des pays, pour éventuellement faire ce que vous souhaitez, créer des équipements pour transformer des matières premières -et après tout, il peut y avoir des investisseurs africains, il y a des Africains qui ont des idées et auxquels on peut naturellement fournir des capitaux- que s'il y climat de confiance.
C'est la raison pour laquelle les problèmes de la sécurité sont si importants. Nous les avons posés en termes très clairs durant ce sommet. D'une part en souhaitant un règlement négocié des conflits en cours : il y a des décisions qui ont été prises par l'Organisation de l'Unité Africaine, je tiens à la saluer, qui a eu l'idée de mettre en place un mécanisme de prévention et de traitement des conflits. Et puis, il faut sans doute que les Africains -et la France est prête à apporter sa contribution réfléchissent à la situation créée par des armes qui circulent un peu trop librement à certaines frontières. C'est un problème sérieux dont on a parlé, dont beaucoup de mes interlocuteurs ont parlé au cours de conversations particulières et sur lequel j'entends bien réfléchir. Car l'insécurité qui est produite par quelques guerriers qui traversent une frontière ou une autre, avec des armes d'ailleurs qui ne sont pas produites par des Africains, c'est quelque chose de préoccupant.
QUESTION : Vous avez cité certains rapports faits par les Présidents. Vous avez oublié celui du Président du Mali sur la situation des femmes...
LE PREMIER MINISTRE.- Cher Monsieur, j'ai dit qu'il y avait eu d'excellents rapports et j'en ai cité quelques uns. Je ne les ai pas cité tous. Mais le rapport du Président du Mali sur le rôle des femmes était remarquable, et vous y trouverez une allusion, un paragraphe consacré dans la déclaration finale. Je n'ai pas tout dit. Il y a bien d'autres chefs d'Etat et de gouvernement qui sont intervenus. Alors ne voyez pas dans le fait que je n'ai pas cité celui-ci ou celui-là une intention quelconque. J'ai beaucoup apprécié ce rapport, et je vais même vous faire une confidence : je l'ai applaudi plus fortement que d'autres. Mais ne me demandez pas quels sont les autres.Source http://www.diplomatie.gouv.fr
Mesdames, Messieurs,
Le Président de la République française, M. François MITTERRAND, m'a chargé de vous dire ses regrets de ne pas être parmi vous aujourd'hui. Il a été très sensible, vous le savez, aux très nombreux témoignages d'amitié qui lui sont venus du continent africain. En son nom et au nom de la France, je tiens à vous remercier chaleureusement. Si l'intervention chirurgicale qu'il a subie lui interdit encore de longs déplacements, sa convalescence est en bonne voie et il exerce la plénitude de ses fonctions. Attentif à vos difficultés et à vos espérances, il suit avec un grand intérêt vos travaux.
C'est aussi au nom du Président de la République française et du gouvernement que j'ai la charge de diriger, que je remercie cordialement M. le Président du Gabon, hôte de cette réunion ; je veux l'assurer, ainsi que son gouvernement et le peuple gabonais de notre gratitude pour la chaleur de leur accueil.
Je tiens aussi à saluer ceux qui, chefs d'Etat ou de gouvernement, représentent ici, pour la première fois, leur pays à nos travaux, et tout particulièrement le Président SAM NUJOMA de Namibie, dont le pays siège pour la première fois dans cette enceinte.
Enfin, je me tourne vers votre doyen, le Président HOUPHOUET-BOIGNY, ce grand porte-parole de l'Afrique dont nous avons tous à louer la sagesse et l'expérience, que je suis heureux de retrouver et auquel j'exprime mes sentiments de respectueuse amitié.
Notre conférence est traditionnellement l'occasion d'échanger des vues sur l'évolution du monde et les conséquences qui peuvent en résulter pour le continent africain. Je souhaite, pour ma part, évoquer trois thèmes, indissolublement liés : la sécurité, la démocratie et le développement.
Depuis la rencontre de La Baule, le monde a profondément changé. La désintégration de l'empire soviétique a mis un terme à plus de quarante ans de division de l'Europe.
Nul ne peut regretter la guerre froide, qui se fondait sur l'équilibre de la terreur, se traduisait par la servitude de nombreux peuples et engendrait des conflits meurtriers en Asie, en Amérique latine et en Afrique.
Les temps nouveaux sont des temps d'indépendance et de démocratie pour des pays toujours plus nombreux. Comment ne pas s'en réjouir ?
Les temps nouveaux sont aussi des temps de désarmement pour les Grands. La plupart des Etats occidentaux sont conduits à réduire leurs budgets militaires, préférant la logique de la coopération à celle de l'affrontement. Qui ne se réjouirait aussi de cela ?
Mais, si elle met moins en péril l'avenir de l'humanité, la situation nouvelle est aussi plus instable. Dans l'attente d'un nouveau monde, que chacun appelle de ses voeux, nous vivons une période de recomposition. Des besoins de liberté, d'identité, d'indépendance, longtemps réprimés, s'expriment, parfois dans la violence. Ces évolutions s'accompagnent d'une très forte dissémination des armements, qui menace la paix en attisant les rivalités. Prenons garde aux conséquences que produisent la destruction des Etats, et la prolifération des armes. Ce qui s'est passé en Somalie et au Liberia ne doit pas se reproduire.
Dans la marche vers l'indépendance et la démocratie, la tentation existe aussi d'un nationalisme ombrageux avec la résurgence de revendications territoriales qui peuvent conduire à l'affrontement.
Certes, la communauté internationale a su se mobiliser pour se porter au secours des pays victimes d'une agression. Ce fut le cas au Koweït. Elle s'organise, j'y reviendrai, pour contribuer au règlement des conflits. Mais le temps presse et nous avons besoin de faire mieux encore pour assurer notre sécurité collective.
La France est attachée au renouveau que connaît aujourd'hui l'Organisation des Nations Unies. N'est-elle pas aujourd'hui le pays qui compte le plus grand nombre de casques bleus dans le monde ? Il en va de même en matière de droit humanitaire ou de diplomatie préventive : la solidarité entre les peuples doit s'exprimer dans le respect de la souveraineté des Etats.
Les Nations Unies ne pourront assumer directement le règlement de toutes les crises. Elles devront s'appuyer sur les organisations régionales : la Communauté européenne, la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, l'Organisation de l'Unité Africaine à la tête de laquelle se trouve actuellement le Président Abdou DIOUF, dont je salue le dévouement courageux à la cause de la Paix en Afrique.
Beaucoup de pays, notamment sur votre continent, tirant la leçon de l'évolution du monde, s'efforcent de réduire leurs budgets militaires et de diminuer la taille de leurs armées, consacrant l'essentiel de leurs énergies à des tâches plus urgentes. Instrument d'édification de l'Etat et de protection des frontières au lendemain de l'indépendance, les forces armées doivent jouer pleinement leur rôle de garant des institutions. Elles ne sont pas seulement le bouclier de l'Etat, mais aussi le protecteur du citoyen. Des armées peu nombreuses, disciplinées, légalistes : c'est la voie sur laquelle vous trouverez toujours l'assistance de la France. Le respect du droit des gens et des peuples doit l'emporter pacifiquement. Il nous faut favoriser les évolutions, comme celle que nous constatons aujourd'hui en Afrique du Sud où l'on entrevoit enfin l'avènement, par la négociation, d'une société démocratique non raciale dont le rayonnement politique et économique bénéficiera un jour à toute la région. La France, en liaison avec d'autres, contribue à cette évolution. Elle se réjouit notamment du projet évoqué au dernier sommet de Dakar qui vise à instaurer un mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits. Ce projet, s'il voit le jour et si les Etats de la région le souhaitent, la France sera prête à lui apporter son soutien. Elle se réjouit ainsi de l'effort des pays engagés dans le Groupe d'Observateurs Militaires Neutres au Rwanda et affirme sa volonté de contribuer au succès de cette mission. Je souhaite que nous puissions rappeler ici l'intérêt que nous portons à un dialogue direct entre les parties opposées pour mettre un terme à un conflit dont les responsables du Rwanda m'ont dit à quel point il les préoccupait.
Partout sur le continent africain, chaque fois qu'elle est sollicitée, la France se met à l'oeuvre, agissant par la médiation ou les bons offices. Vous connaissez son action. Je ne m'y étendrai pas. Elle préférera toujours, vous le savez, l'efficacité discrète aux proclamations sans résultats.
Enfin, parce que la sécurité collective est une oeuvre de longue haleine, parce qu'elle n'ignore pas les menaces extérieures qui peuvent mettre en danger l'intégrité de vos Etats. La France entend rester fidèle aux accords bilatéraux qui la lient à nombre d'entre vous en matière de défense. Elle sait à quel point la Paix est aujourd'hui une condition indispensable à la réussite de vos efforts de développement et de démocratisation.
La paix avance en Afrique, la démocratie aussi.
S'il est une leçon qu'il faut tirer de l'effondrement du communisme, c'est qu'il ne peut pas y avoir de développement économique et social durable sous l'emprise d'une dictature qui décourage la créativité, la productivité, l'esprit d'entreprise. La démocratie est la soeur jumelle du développement. C'est une loi de l'histoire à laquelle nul ne peut échapper : partout où nant le développement s'exprime le désir de démocratie ; partout où s'installe la démocratie, le développement peut prendre un nouvel élan.
Lors du sommet de La Baule, le Président de la République, François MITTERRAND, avait exprimé les encouragements de la France au mouvement de démocratisation de l'Afrique. Aujourd'hui, où que l'on regarde sur le continent, ce mouvement est en marche. Vous avez parcouru un chemin considérable. J'en connais les difficultés. La démocratie n'est jamais simple à construire, moins encore lorsque la crise économique exacerbe les tensions et exaspère les impatiences. La France n'a pas de leçon à donner. Elle a connu, elle aussi, dans son histoire ce cheminement complexe. Elle en sait les épreuves.
Mais nous avons, les uns et les autres, une certitude : rester à l'écart de ce mouvement, qui est irréversible, comporterait plus de risques pour la stabilité des Etats et des sociétés du continent que le progrès, parfois turbulent, de la liberté.
La France continuera d'être attentive à ce cheminement qu'elle a appelé de ses voeux. Elle ne cherche pas à imposer ses choix ou à dicter des solutions. Partout où son rôle est sollicité, elle restera à l'écoute de chacun, prônant le dialogue, la concertation, afin qu'au bout du compte, le suffrage universel permette au peuple de choisir librement ses dirigeants et ses institutions.
La liberté acquise, il faut la consolider. Il faut l'approfondir en l'enracinant dans le terreau des communautés villageoises et citadines. Il faut enfin assurer la justice sociale et l'attention aux plus démunis.
D'où la priorité qu'il faut donner au développement. Il n'y a pas de démocratie qui vaille si les peuples n'en mesurent pas les conséquences heureuses sur leurs conditions de vie. Ainsi que le rappelait hier soir, le Président HOUPHOUET-BOIGNY, "la démocratie ne fait pas bon ménage avec la misère". Nous le savons, la liberté est exigeante.
Ceux qui parmi vous, de plus en plus nombreux ont choisi les chemins de la démocratie, savent ce que je veux dire. Leur choix leur attire un surcroît de respect de la part du monde extérieur ; mais ce choix mérite une solidarité plus attentive et plus profonde de la communauté mondiale pour que vos pays puissent à la fois gérer mieux et produire plus.
Quand une nation est réconciliée avec elle-même et qu'elle fait la place à toutes les forces qui la composent, l'histoire montre qu'elle se donne les moyens de s'ouvrir au progrès, à condition bien sûr qu'elle soit ouverte sur le monde et que le monde s'ouvre à elle.
Dans la conduite de ce processus, la France vous a aidé et elle vous aidera davantage encore ; l'histoire des liens qu'elle a tissés avec l'Afrique lui en fait obligation. Le nouvel ordre international auquel elle est attachée lui en rappelle la nécessité.
Les acquis du soutien français sont réels. Qu'il me soit permis de les rappeler brièvement :
- la France donne l'exemple de la solidarité en matière d'aide au développement. Le montant de son aide à l'Afrique subsaharienne a été multiplié par quatre pendant la décennie 80. En 1991, il atteignait un peu plus de 16 milliards de francs dont trois quart sous forme de dons. Ce montant représentait la moitié de l'aide publique bilatérale française et 20 % du total des aides publiques reçues par l'Afrique. Il n'y a pas eu de détournement de notre aide au bénéfice des pays de l'Est. Le Comité du Développement de l'OCDE, qui comptabilise l'aide au Sud, constate que depuis 1988, l'aide de la France augmente régulièrement (plus 6% par an), plus rapidement encore sur votre zone que dans le reste du monde.
- la France donne aussi l'exemple de la solidarité en matière de dette. Dois-je rappeler que chaque année depuis 1988, la France presse avec succès ses partenaires développés pour de nouvelles initiatives sur la dette. Pour les pays les moins avancés, nous sommes arrivés à des résultats considérables. Chaque année progresse l'idée que l'allégement ou l'annulation d'une partie des échéances, voire du stock de la dette de ces pays est une condition du retour à la croissance.
Pour les pays intermédiaires, nous avons pu nous faire entendre de nos partenaires occidentaux à Houston, plus récemment à Munich cet été. Certains de ces pays pourront pour la première fois, bénéficier de réduction de dettes au-delà d'un simple rééchelonnement des échéances.
Ainsi en 10 ans, le Club de Paris a-t-il rééchelonné 42 milliards de dollars d'échéances subsahariennes. Quand elle ne parvient pas à créer le consensus chez les créanciers, la France s'emploie à trouver chaque fois qu'elle le peut des solutions bilatérales. Les mesures décidées à Dakar et à La Baule représentent ainsi un effort de 24,4 milliards de francs.
Forte de ces acquis, la France est prête à faire davantage.
Comme le Président François MITTERRAND l'a annoncé à la Conférence de Rio, notre aide publique continuera à augmenter dans les années qui viennent. A la fin du siècle, la France respectera l'engagement de consacrer 0,7 % de son PIB à l'aide au développement. Notre taux d'aide, déjà le plus élevé des pays industrialisés, progressera malgré les contraintes budgétaires que nous connaissons du fait du ralentissement de l'activité économique aux Etats-Unis et en Europe.
La France fera également davantage en matière de dette. Le Président François MITTERRAND m'a chargé de vous annoncer aujourd'hui une nouvelle initiative consistant à créer un "Fonds de conversion des créances pour le développement" destiné aux pays à revenu intermédiaire de l'Afrique sub-saharienne. Ce Fonds sera doté de 4 milliards de francs.
Les créances actuelles pourront être converties et annulées pour accompagner des projets de développement dans le domaine le plus large possible des activités productrices de base, du développement humain et social ou de l'environnement. Le Fonds sera géré par la Caisse Centrale de Coopération Economique.
J'ai demandé aux ministres des Finances et de la Coopération de mettre rapidement en oeuvre ce Fonds afin qu'il puisse être opérationnel avant la fin de l'année en cours.
La France entend ainsi, dans le respect des règles internationales, contribuer de manière encore plus efficace à la résolution des problèmes "liés" de l'endettement et du développement. Elle manifeste aussi sa détermination à aider tous les pays de l'Afrique sub-saharienne. Nul n'est exclu de sa solidarité.
Mais la France, aussi forte soit-elle, ne peut être seule. La solidarité ne peut être uniquement bilatérale. Tous les pays industrialisés ont un devoir de solidarité. Les organisations financières internationales aussi.
Ces organisations financières internationales remplissent-elles bien leur rôle ? Ma réponse, c'est oui et non. Oui, car sans le FMI, le maintien de la stabilité financière, la solution partielle de la crise de la dette ou la reconstruction des économies délabrées de l'Est n'auraient pas été possibles.
Oui, car le nom de la Banque Mondiale est associée dans de nombreux pays à la lutte contre la pauvreté et la malnutrition, ou à la réalisation d'infrastructures indispensables. Mais j'ai dit oui et non ; non car ce n'est pas assez.
Ce n'est pas assez quand on constate dans vos pays que les flux nets de ces institutions sont durablement négatifs, quand on observe que plus de la moitié des pays représentés à ce Sommet n'ont pas de programme avec le FMI, et sont donc privés de toute possibilité de financement additionnel et interdits de Club de Paris.
Cette situation est inacceptable et je me dois de le dire devant vous au nom de la France. Le FMI et la Banque Mondiale doivent être plus attentifs à la situation de l'Afrique. Je sais que ces institutions divergent avec vous, comme avec moi sur la conduite de la politique monétaire mise en oeuvre dans la zone franc. Il faut donc continuer à s'en expliquer mais ce n'est pas une raison pour ne rien faire. Nous avons tous des devoirs à l'égard des institutions monétaires internationales, mais nous avons aussi des droits. En premier lieu celui d'être compris. Et les institutions internationales ont aussi des devoirs envers nous et vous : en premier le devoir de solidarité et de compréhension.
Je souhaite donc que le contexte particulier de votre continent soit pris en compte. Je souhaite donc plus de souplesse dans le dialogue que les institutions multilatérales ont avec vous. Plus de compréhension ne signifie pas moins de responsabilité de votre part. Il est des ajustements qui sont nécessaires dans vos pays, des économies à faire, mais il faut vous y aider et non vous y contraindre.
La France continuera de plaider au FMI pour un traitement adapté à la situation de vos pays. Je veillerai à ce qu'elle le fasse avec beaucoup de force et de conviction, au sein du groupe des pays industrialisés comme avec ses partenaires de la CEE. La priorité africaine a été entérinée par la Convention de Lomé, j'ai demandé à ce qu'elle le soit également dans la reconstitution des ressources de l'AID.
Il y a aussi le problème majeur des cours des matières premières. La volatilité des cours des matières premières est préjudiciable à tous : producteurs et consommateurs. Des discussions ont eu lieu sur le café et le cacao. Il faut qu'elles aboutissent rapidement.
Je veillerai aussi à ce que la communauté internationale aménage les règles du jeu du commerce mondial. Les pays producteurs doivent pouvoir disposer en effet d'une meilleure visibilité sur leurs recettes d'exportation. Dans un monde solidaire, le Nord et le Sud ont des intérêts convergents dont il nous faut discuter dans un forum comme le nôtre.
Après tant d'années de régression et de stagnation, après tant d'efforts pour alléger le poids du passé et créer les conditions de la croissance, il importe que vos pays réfléchissent maintenant avec nous aux moyens d'exercer leur activité économique dans un cadre plus large.
Le 1er janvier 1993 le Grand Marché européen verra le jour. Dans le même temps s'édifie un Grand Marché nord-américain. L'Afrique elle, reste encore cloisonnée.
Or la coopération régionale inter-africaine constitue incontestablement un facteur de dynamisme et d'initiatives dont votre continent a tant besoin. L'Union fait la force économique. Elle permet aux pays associés d'affirmer leur présence sur la scène internationale. Je crois à la théorie des grands ensembles, à l'indispensable regroupement comme cela a été le cas pour la Communauté européenne.
Je sais aussi que les caractéristiques des économies de vos pays ne les prédisposent pas à envisager rapidement la constitution de marchés communs régionaux. Très tournées vers l'extérieur en raison de la prédominance des matières premières dans leurs échanges, souvent enclavées et en général dotées d'entreprises encore fragiles, vos économies trouveraient peu de bénéfices à supprimer trop vite leurs barrières douanières, ressource encore appréciable de vos budgets nationaux.
Il me parant donc utile de songer à une meilleure intégration économique et de jeter les bases d'une coopération institutionnelle. L'Europe a démarré son processus d'unification par les échanges et le commerce. Elle devra l'achever par la monnaie. De votre côté vous avez déjà, et je m'en réjouis en m'exprimant devant vous en français, un instrument commun de communication, la francophonie, que le gouvernement français encourage fortement ; certains d'entre vous ont déjà une monnaie commune. A ce stade du cheminement, votre intégration économique doit être aujourd'hui votre préoccupation première. Il vous faut créer des outils permettant à vos entrepreneurs de travailler dans un cadre élargi et de franchir sans difficulté les frontières de vos pays. Il s'agit du "droit commun des affaires", de la "communauté des assurances", de la "conférence sur la prévoyance sociale", de l'"unification des systèmes statistiques" ; il peut s'agir aussi des politiques régionales de santé, de recherche agronomique, de formation... S'agissant de la Zone Franc cette convergence pourra se doubler d'un rapide rapprochement des politiques budgétaires et monétaires.
Quel que soit le cadre géographique, la France apportera un soutien très actif aux initiatives que vous prendrez dans ce domaine.
Je vous l'ai dit, la France vous soutiendra dans votre développement par son aide financière. Elle vous fera partager son expérience en matière d'intégration économique. Mais elle ne saurait s'engager à votre place. Votre crédibilité est à l'épreuve. Elle nous est indispensable pour faire avancer votre cause avec succès dans les enceintes internationales.
Votre crédibilité est d'abord engagée à travers l'action de l'appareil gouvernemental et de l'administration. L'échec du libéralisme pur et dur a prouvé, si c'était nécessaire, le grand besoin d'Etat qu'ont les sociétés modernes. Cet Etat doit être économe et efficace. La démocratie, par la transparence qu'elle impose, est l'aiguillon de cette modernisation de l'action publique.
Mais l'Etat ne peut pas tout faire. Son métier n'est pas de produire directement, mais de créer les conditions de la production, y compris avec des capitaux publics mais alors avec des entreprises autonomes et responsables. Son métier est de bâtir un environnement financier et juridique où peuvent s'épanouir les initiatives des acteurs économiques et prospérer les investissements étrangers dont vous avez grand besoin.
Vous le savez mieux que moi : la bonne gestion des structures administratives vous donnera des marges de manoeuvre financière. Je sais les efforts que vous consentez pour mantriser les effectifs globaux de l'administration, le niveau des rémunérations par rapport au reste de la population, la répartition des agents publics sur le territoire national et dans les différents domaines d'activité. La France continuera à vous apporter son assistance technique dans cette démarche. Je sais aussi la rigueur qu'impose l'ajustement en cours de vos économies. J'en connais le prix humain. C'est pourquoi la dimension humaine et sociale du développement ne doit pas être oubliée.
Mais votre responsabilité est aussi engagée dans la préparation de l'avenir de vos économies. Chaque fois que vos pays s'engageront sans détour dans la voie du redressement économique, ils pourront compter sur le plein soutien de la France et de la communauté internationale.
J'ai gardé en mémoire l'entrevue que le Président François MITTERRAND a eu le 31 juillet dernier, avec quatre d'entre vous, mandatés par leurs pairs. Ils ont dit ce jour-là leur attachement au maintien de la parité du franc CFA. La France leur a confirmé son soutien, et les chefs d'Etat ont pris l'engagement d'adopter des mesures garantissant le maintien de cette monnaie commune. J'ai été profondément impressionné par cette détermination. Nous sommes à vos côtés. Le cap est fixé, il faut maintenant tenir fermement la barre.
Vous savez que la France est l'avocat militant de l'Afrique. Elle le demeurera de toutes ses forces, sinon elle renoncerait à être elle-même.
Elle sait les inquiétudes de votre jeunesse qui redoute que votre continent ne soit oublié quand le projecteur de l'actualité se tourne vers les pays de l'Est de l'Europe en proie à une mutation profonde et laborieuse. Qu'elle sache, votre jeunesse, qu'il n'y a pas de place aujourd'hui pour le fatalisme et le renoncement. Vous vous êtes engagés sur la voie du redressement et de la solidarité. Vous n'êtes pas seuls. La France est à vos côtés et elle entraînera l'Europe à une coopération plus profonde avec l'Afrique, car là aussi est notre avenir commun.
Le monde est à la croisée des chemins : ou bien les Nations se replieront sur leur pré carré, ou bien elles uniront leurs efforts pour une croissance plus forte et un équilibre pacifique des rapports internationaux.
Les désordres monétaires actuels à l'échelle du monde montrent les ravages que peut provoquer "le chacun pour soi". Il est grand temps que la coopération financière et économique internationale retrouve l'esprit des accords du Plazza de 1985 et du Louvre de 1987. C'est l'une des conditions majeures de l'évolution des négociations commerciales multilatérales.
La France y travaillera parce que nous savons que la sécurité et la stabilité sont liées comme le sont la démocratie et le développement. En Afrique comme dans le reste du monde, la solidarité doit être notre force. Solidarité des Africains. Solidarité internationale d'autant plus disponible que les Africains seront déterminés à aller de l'avant. Enfin solidarité de la France à l'égard de l'Afrique au nom de l'histoire et au nom de l'amitié entre nos peuples.
CONFERENCE DE PRESSE DE M. PIERRE BEREGOVOY, PREMIER MINISTRE, ET DE M. OMAR BONGO, PRESIDENT DU GABON PROPOS DU PREMIER MINISTRE. Le 7 octobre
QUESTION : La dette publique, goulot d'étranglement pour les économies africaines, est un constant sujet de préoccupation pour le continent. Il y a deux ans, lors du sommet de La Baule, la France annonçait un certain nombre de mesures en faveur de la dette des pays les plus pauvres, oubliant les pays à revenus intermédiaires tel que le Gabon. Cette fois, Paris a décidé des mesures d'allègement pour les oubliés de La Baule et un Fonds de conversion des créances pour le développement, doté de 4 milliards de francs, sera mis en place d'ici à la fin de l'année. Cette décision apparaît comme la mesure la plus concrète de ce 17ème sommet. Etait-il nécessaire, alors que l'annulation pure et simple de la dette publique eut été mieux appréciée, d'organiser cette 17ème rencontre pour annoncer finalement une mesure qui nous apparaît aussi tiède ?
LE PREMIER MINISTRE.- Ce n'est pas une question, c'est un commentaire, et avant même de m'avoir entendu, vous avez apporté votre conclusion.
Je crois, moi, que c'est une mesure importante. Car en effet, depuis Toronto, la France, avocat des pays en développement, agit pour que l'on allège la dette de ces pays. Toute une série de mesures ont été prises à Toronto, ensuite à Houston et enfin à Munich. Les premières ont concerné les pays les plus pauvres, pour lesquels il y a eu des mesures d'annulation. Ensuite il y a eu les pays à revenus intermédiaires, disons de la tranche inférieure. Et enfin, la France vient de prendre une décision intéressant les pays à revenus intermédiaires en liant deux concepts : le concept d'allègement de la dette et le concept de développement.
En effet, ce Fonds est destiné à convertir des créances et cela correspond, permettez-moi de vous le préciser, à une annulation, sauf que cette annulation doit servir au développement, puisque la créance doit être transformée pour financer un équipement productif.
C'est donc une mesure de solidarité. Elle n'est pas tiède, elle est chaleureuse. C'est d'ailleurs l'état d'esprit qui a été celui de cette rencontre au sommet entre chefs d'Etat et de gouvernement africains et Premier ministre de la République française représentant le Président de la République, M. François MITTERRAND, et agissant en plein accord avec lui.
Mais ne retenir de ce sommet que cette mesure, serait insuffisant. Beaucoup de rapports ont été faits, remarquables, et beaucoup d'orientations ont été dessinées. Si j'avais à les résumer d'un mot, je dirais que nous avons montré qu'il existait un lien indissoluble entre la sécurité sur le continent africain, la démocratie, dont il faut poursuivre l'exécution du processus engagé depuis le sommet de La Baule, et le développement. Il est bien évident que la charge de la dette ou l'effondrement des prix des matières premières ont de redoutables effets sur l'économie des pays africains et qu'il nous faut agir pour stabiliser, d'abord, les cours des matières premières. Nous agissons pour le cacao et le café : la France a soutenu, avec d'autres d'ailleurs, l'action du Président HOUPHOUET-BOIGNY en ce domaine, et j'espère que l'on va pouvoir aboutir, à Genève pour le cacao, à Londres pour le café. D'autre part, nous nous sommes adressés aux institutions monétaires internationales et aux autres pays industrialisés et pour leur demander de faire plus. La France fait beaucoup plus que d'autres mais il faut que d'autres fassent autant qu'elle. Et si tout le monde veut faire plus, la France sera présente.
Enfin, nous nous sommes adressés aux institutions monétaires internationales, FMI et Banque Mondiale, en leur disant qu'ils doivent tenir compte du caractère spécifique de l'Afrique. J'ai eu l'occasion de le dire dans mon discours, et de le répéter : chaque fois qu'il y a un plan d'ajustement structurel, et il en faut bien pour mettre de l'ordre dans les économies, la dimension sociale de l'ajustement doit être prise en compte afin d'assurer le succès du processus démocratique en cours.
Donc c'était, à mes yeux, en tout cas, un sommet utile qui fixe de très bonnes orientations. Beaucoup d'autres points, notamment la coopération entre la France et l'Afrique, les perspectives d'harmonisation voire d'intégration ont été évoquées. C'est un congrès positif et je remercie le Président BONGO de l'avoir présidé de main de maître.
QUESTION : En prenant l'exemple du Cameroun du Togo et du Zaïre, où le processus démocratique a du mal à s'implanter, que répondez-vous à ceux qui pensent qu'il est temps d'élaborer une charte de démocratisation de l'Afrique ? Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu'en décernant publiquement une note aux bons et mauvais élèves de la démocratie, on éviterait certains dérapages en la matière ?
LE PREMIER MINISTRE.- Je commencerai par la deuxième partie de la question.
La France ne donne pas de bonnes et de mauvaises notes. La France est attachée à la liberté et à la démocratie. Elle considère que la démocratie est le meilleur système de gouvernement et cela suppose le pluralisme des opinions et l'exercice du droit de vote, autrement dit, le suffrage universel. Lorsque le suffrage universel, après que le pluralisme des partis politiques ait été reconnu s'est prononcé, chacun doit s'incliner devant le verdict du suffrage universel. Je pense d'ailleurs qu'au-delà de l'organisation des pouvoirs de l'Etat, il faut enraciner la démocratie dans le terreau local, dans l'exercice des rapports sociaux. C'est donc une grande ambition. Et au risque de vous surprendre, je vous dirai que je ne crois pas qu'il existe au monde, je dis bien au monde, un pays où la démocratie soit parfaite. La démocratie est toujours à approfondir.
Elle est d'abord à conquérir, c'est ce qui s'est passé en Afrique et nous saluons, dans la déclaration qui a été rendue publique, les efforts qui ont été faits.
J'en viens donc à votre deuxième question. Une Charte de la démocratie en Afrique, cela regarde d'abord les Africains. La France est l'amie de l'Afrique. Elle n'est pas le tuteur de l'Afrique. Elle souhaite en effet que la démocratie puisse progresser. Dans les pays que vous avez cités, cela me parant indispensable. Mais nous n'avons pas, quant à nous, à édifier une charte. Il y a la Charte des Nations unies, il y a la Charte qui intéresse la sécurité, la Charte de la démocratie en Afrique regarde les Africains eux-mêmes.
Au sortir de ce sommet, j'ai le sentiment que c'est une prise de conscience collective. Et c'est à partir de là qu'il faut réfléchir à une phrase dite par le Président HOUPHOUET-BOIGNY. Il a dit, et c'était à mes yeux important, "la démocratie et la misère ne font pas bon ménage". C'est pourquoi je vous disais tout à l'heure qu'il y a un lien à mes yeux indissoluble entre sécurité, démocratie et développement. Je crois pouvoir dire que c'était le sentiment partagé par tous ceux qui ont participé à ce sommet.
QUESTION : Adressée au président BONGO sur la démocratisation (...) ?
LE PREMIER MINISTRE.- Si le Président BONGO permet, j'ajoute un mot. J'ai un certain âge ; j'ai été, dans ma jeunesse, un militant de la décolonisation. Je dis cela parce que le journal qui vient de s'exprimer a connu toute cette période et a connu même certains de ces responsables qui étaient favorables en effet non seulement à l'émancipation mais à l'indépendance. A l'époque, le militant démocrate que j'étais n'était pas choqué par le processus qui a été mis en place, en Afrique et dans bien d'autres pays. J'ai connu des militants de la gauche socialiste qui applaudissaient l'autogestion et le parti unique en Algérie. Je dis cela parce qu'il n'est pas mauvais, de temps en temps, de rappeler l'Histoire.
L'indépendance a conduit en effet des pays, dont les frontières avaient été tracées souvent par la colonisation, à s'organiser d'une certaine façon qui n'était pas celle des démocraties occidentales. Il est clair qu'il est important maintenant que la démocratisation des structures soit opérée. Il n'y a pas d'autres moyens que le suffrage universel.
J'ai vu que l'on disait dans la presse française : ce sommet va être un sommet économique, il ne sera pas un sommet consacré à la démocratie. Mais on n'a parlé que de cela, et d'économie naturellement. Jugeons les progrès qui ont été enregistrés à la mesure des difficultés rencontrées. Il y avait au sommet un grand nombre de chefs d'Etat et de gouvernement élus par le suffrage universel, responsables devant des Parlements, qui ont rétabli la liberté de manifestation, le pluralisme politique et qui ont des oppositions parfois vigoureuses : c'est la vie démocratique. Le processus est en cours, nous l'avons salué, et nous l'encourageons.
A partir de là, naturellement, on a parlé d'économie. Regardez la carte de l'Europe, regardez ce qui se passe aujourd'hui dans des pays qui retrouvent la liberté où les difficultés sociales font que des manifestations s'expriment parfois même dangereusement. Vous avez observé, je pense, ce qui s'est passé en Allemagne de l'Est. Il est vrai que la démocratisation met en mouvement des revendications et des forces. Moi, je préfère ça à la dictature et au parti unique qui risquent en effet de porter atteinte à l'équilibre ou à la stabilité. D'où l'importance, pour mon pays, pour les pays industrialisés et pour les institutions monétaires internationales de comprendre cela. Il dépend beaucoup des pays du Nord que le processus démocratique dans les pays du Sud soit mené avec succès.
QUESTION : Je ne crois pas au Fonds de reconversion des créances pour le développement. Je doute de ce Fonds parce que je pense au troisième sommet France-Afrique de Paris, avec la mise sur pied du Fonds exceptionnel de promotion de l'Afrique. Nous étions en 1976. Quelle promotion pour l'Afrique ? Je pense au Fonds de solidarité africain. Le 14ème sommet de Paris a mis sur pied le plan Marshall. Si vous voulez, M. le Premier ministre, nous rappeler pour nous convaincre les aboutissements de ces fonds ?
LE PREMIER MINISTRE.- Si vous n'y croyez pas, laissons les événements nous départager. Vous me dites qu'il y a eu d'autres fonds. Je ne sais pas si celui de 1976 était bon ou mauvais, j'assume toute l'histoire de la France. Je ne peux pas en juger. C'est vrai qu'il y a eu des initiatives qui ont réussi et d'autres qui ont échoué.
Mais je crois que ce Fonds de conversion est une bonne idée. C'est, en tout cas, une idée, une proposition qui s'additionne à d'autres. Ne faites pas comme s'il n'y avait pas d'aide bilatérale de la France, cela existe déjà. Ne faites pas comme si la France n'avait pas annulé des dettes. Lorsqu'il y a accord avec le FMI -et c'est pourquoi j'en ai parlé- le Club de Paris rééchelonne et cela a naturellement un coût pour les finances publiques des pays qui agissent de cette façon.
Vous venez d'émettre une idée que je juge bonne : le plan MARSHALL. Le plan MARSHALL, incontestablement, a été bon pour l'Europe au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Il y a des pays qui l'ont refusé, sous la pression du grand frère soviétique, et l'on voit que cela ne leur a pas tellement réussi. Cela a été bon pour les pays européens, et cela a été bon aussi pour l'Amérique. Je plaide depuis très longtemps en faveur de cela au niveau international. Le Président MITTERRAND a suffisamment plaidé en faveur d'une telle proposition à l'intérieur du G7 et à la tribune des Nations Unies. Seulement, vous me permettrez de vous dire que la France ne peut pas faire cela toute seule. C'est pourquoi je compte sur vous, Mesdames et Messieurs de la presse, pour mobiliser les opinions publiques afin que les pays industrialisés fassent leur devoir.
La France est un des pays qui, en pourcentage du PIB, participe le plus à l'aide aux pays en développement. Nous sommes actuellement aux environs de 0,58 % ; nous serons à 0,7 % à la fin du siècle. Il y a des pays, des grands pays que je ne citerai pas car je ne veux être désobligeant à l'égard de personne, qui en sont à 0,25 %. C'est vrai que votre idée est bonne. Je suis prêt, au nom de la France, en plein accord avec le Président MITTERRAND à la défendre. Mais nous ne pouvons pas faire cela tous seuls.
Il faut mobiliser les opinions publiques pour qu'elles exercent une pression sur les gouvernements. Ma conviction est qu'un tel plan serait bon pour les pays d'Afrique et serait bon aussi pour les pays d'Europe, d'Amérique, du Japon et d'ailleurs.
QUESTION : On dit que les sommets se suivent et ne se ressemblent pas. En quoi d'après vous le sommet de Libreville est-il différent du sommet de La Baule. Et au travers des contacts téléphoniques que vous avez pu avoir avec le chef de l'Etat, est-ce que d'après vous il est satisfait des travaux de cette conférence, ou est-il plutôt inquiet du fait que nombre de chefs d'Etat ont brillé par leur absence à ce sommet.
LE PREMIER MINISTRE.- Il m'était difficile de rendre compte par téléphone au Président de la République des conclusions de ce sommet entre le moment où j'ai quitté la salle du sommet et le moment où je vous aurai quitté.
Cette question n'était pas tout à fait celle que vous vouliez poser. Celle que vous vouliez poser était la suivante : du fait de l'absence du Président MITTERRAND, n'y a-t-il pas eu des chefs d'Etat qui ne sont pas venus ?
J'ai regardé cela de très près. Je me suis dit, en effet, c'était peut-être parce que j'étais là qu'ils n'étaient pas venus. Heureusement que le Président BONGO était là... J'ai constaté qu'il y avait quatorze et beaucoup de chefs de gouvernement. Le Président de la République Centrafricaine est en campagne électorale. Le Président des Comores connaît une situation plutôt délicate. Le Président de Djibouti, et j'ai rencontré son représentant, a aussi quelques échéances intérieures, il doit d'ailleurs venir à Paris prochainement. En Angola, il y a des élections, cela demande une certaine mise en place, c'est quelque chose qui nous soucie et nous en avons parlé, M. Le Président BONGO et moi-même. Au Mozambique, un accord a été signé à Rome le 4 octobre, et il faut un petit peu de temps sans doute. En ce qui concerne le Togo et le Zaïre, questions déjà posées, il y a comme l'on dit des situations, je cherche le terme exact, complexes qui justifiaient que les chefs d'Etat ne se déplacent point. Mais les Premiers ministres, ou des ministres très importants étaient là. Donc cela a été un bon sommet.
Vous me dites de le juger par rapport aux précédents. Les précédents, je les jugeais comme ministre des Finances, et parfois je me disais que l'addition allait être forte.
Depuis que je ne suis plus ministre des Finances, je regarde moins à l'addition. Et finalement, je me réjouis de ce très bon sommet parce que les rapports que nous avons entendus et qui seront connus étaient des rapports d'une très grande qualité : sur le Droit des affaires, c'était le Président DIOUF ; sur les matières premières, le Président HOUPHOUETBOIGNY ; sur le problème des plans d'ajustement structurel, le Président du Bénin qui connaît bien le FMI, sur le problème de la démocratie, le Président LISSOUBA. Cela a été très remarquable et c'est un bon sommet. Seulement j'ai toujours remarqué que quand je dis que c'est un bon sommet, on me dit que je suis toujours optimiste. Alors, je ne peux pas moi-même vous dire que c'est un mauvais sommet quand je pense qu'il est bon. Appréciez.
QUESTION : Ma question s'adresse au Premier ministre français. Parmi les thèmes que vous avez abordés dans votre discours d'ouverture, figure bien entendu le développement, ce qui sous-entend pour moi le développement économique du Gabon. Est-ce que les taux d'intérêt de la France au Gabon en matière économique, je parlerai ici du domaine pétrolier, favorisent réellement le développement malgré la mise en place de la démocratie.
LE PREMIER MINISTRE.- Le problème des taux d'intérêt n'est pas un problème simple. D'abord, il y a les taux d'intérêt du marché - et ils sont élevés aujourd'hui en Europe (moins élevés en France qu'ailleurs quand on parle des taux à 10 ans). Naturellement nous devons tous souhaiter que le désordre monétaire mondial s'estompant, il puisse y avoir décrue internationale des taux d'intérêts. Il y a aussi des taux concessionnels : cela veut dire qu'il arrive au Trésor français de prêter de l'argent à des taux inférieurs aux taux du marché. Le Gabon comme d'autres pays en ont bénéficié et en bénéficieront. Dans ces cas-là, c'est en effet le budget de la France qui le supporte. Il faut que chacun le sache. Nous le faisons par solidarité, nous le faisons aussi parce que nous croyons que le développement de l'Afrique est utile, aussi, pour notre propre économie.
QUESTION : Vous avez annoncé la création d'un Fonds de conversion des créances pour le développement. Or, disent certains économistes, cela suscite d'autres exigences, d'autres.... N'est-ce pas un nouvel asservissement pour l'Afrique ?
LE PREMIER MINISTRE.- Vous dites : c'est mal accueilli par certains économistes. Je n'ai pas fait cela pour les économistes, j'ai fait cela pour les pays qui sont intéressés. A eux d'en juger.
Convertir une créance en finançant un projet sans augmenter la dette, je vais expliquer. Vous me devez 100 000 F CFA. Je vous dis : je vous annule si vous construisez une maison avec ces 100 000 F ; serez-vous, après, plus riches qu'avant ? Vous aurez votre maison. Naturellement cela peut servir à des équipements, des infrastructures, cela a été dit. Cela peut servir à financer des programmes de formation, cela peut servir à financer des équipements de production : chaque pays déterminera et la Caisse centrale de coopération économique fera le travail que je lui ai demandé. J'ai même demandé aux ministres des Finances et de la Coopération de faire en sorte que cela soit mis en oeuvre très vite pour pouvoir être mis en application avant la fin de l'année.
QUESTION : A propos des projets que vous évoquiez tout à l'heure: si un pays comme le Gabon présente un projet de développement qui vous intéresse qui coûte 600 milliards de francs CFA, vous effacez combien sur sa dette !
LE PREMIER MINISTRE.- La somme correspondante. Naturellement je ne pourrai pas annuler les dettes qu'il n'a pas. Mais nous connaissons les chiffres, le Président BONGO et moi, et croyez-moi cela sera une bonne chose. Pas seulement pour le Gabon. Il y a quatre pays qui sont concernés : le Gabon, le Congo, le Cameroun et la Côte d'Ivoire.
QUESTION : Votre critique du FMI et de la Banque mondiale ne traduit-elle pas un certain agacement envers ceux qui prônent une dévaluation du franc CFA, et ne risque-t-elle pas de démobiliser ceux à qui vous demandez une meilleure gestion, moins de corruption et de gaspillage ?
LE PREMIER MINISTRE.- Les deux questions ne sont pas liées. D'abord, je n'ai pas critiqué aussi vertement que vous le pensez, les institutions monétaires internationales.
La parité entre le franc CFA et le franc est une parité qui a été définie d'un commun accord. Lorsque les émissaires de la Banque mondiale et du FMI recommandent une dévaluation du Franc CFA aux pays de la zone franc, nous en prenons acte. Moi il m'est arrivé de dire que si les gouvernements africains en jugeaient ainsi, nous aurions à apprécier la situation. Seulement je les ai mis en garde à plusieurs reprises. J'ai constaté que nous sommes toujours sur la même ligne. Une dévaluation, pour être réussie, exige un plan d'austérité d'une rigueur absolue.
Nous venons d'avoir un exemple. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. L'Italie a dévalué, ensuite sa monnaie a flotté. Et elle a naturellement mis en oeuvre un plan d'austérité. Pourquoi ? Parce qu'une dévaluation, dans l'esprit de ceux qui la proposent, doit permettre de rendre les produits du pays qui dévalue plus compétitifs sur les marchés extérieurs. En principe, si vous dévaluez par deux, votre produit deviendra deux fois moins cher, vous pourrez vendre plus. Mais avant que cela soit constaté, car ce n'est pas du jour au lendemain que les courants commerciaux se modifient, il se passe un, voire deux ans. Mais dès que vous avez dévalué, ce que vous allez acheter à l'extérieur, coûte - si on prend cet exemple- deux fois plus cher.
Cela veut dire que les consommateurs vont payer deux fois plus cher tout ce qu'ils achètent à l'extérieur. Ils vont donc demander des augmentations de salaire correspondantes et les coûts de production des produits que vous exportez augmenteront. Ils augmenteront de façon suffisamment élevée, au moment où vous commencerez à les vendre à l'extérieur. Cela veut dire que si vous voulez que votre dévaluation réussisse, il faut diviser les salaires par deux (par la mesure qui est proposée). Ceux qui peuvent le faire le font, mais je dis que ce n'est pas tout à fait raisonnable. Cela regarde les gouvernements africains eux-mêmes.
Je suis d'ailleurs parfois stupéfait de voir les institutions monétaires internationales recommander la dévaluation, dans le même temps où elles recommandent qu'il n'y ait pas d'inflation. Inutile de vous dire qu'une dévaluation est forcément source d'inflation importée, à moins de serrer la vis terriblement sur le plan interne. Voilà le premier point.
Après tout, le Fonds monétaire a parfaitement le droit d'avoir ce point de vue et il y a des économistes en France, ainsi que des hommes politiques, qui ont également le même point de vue et le débat est tout à fait normal. Ce que je dis simplement, c'est que les institutions monétaires internationales, le FMI et la Banque mondiale, jouent un rôle très utile dans l'économie mondiale, un rôle indispensable. Le FMI a facilité le règlement de la dette dans une certaine mesure. La Banque mondiale a son nom attaché à des équipements qui ont été très utiles à l'économie des pays en développement.
Mais j'ai posé la question : est-ce assez ? Autrement dit, est-ce que les institutions monétaires internationales en font trop peu ou trop. Ma tendance est de dire qu'il faut qu'elles en fassent plus. Je le recommande donc et je le dis devant vous avec énergie : la France siège au Conseil d'administration et elle dit qu'il faut tenir compte du caractère spécifique de l'Afrique. Des programmes d'ajustement structurel il en faut, nous sommes tous d'accord. Mais il faut tenir compte aussi du processus démocratique et de la dimension sociale. Voilà ce que j'ai voulu dire tout simplement : les institutions monétaires internationales sont au service de l'économie mondiale et je crois qu'elles doivent prendre en compte la situation très difficile, parfois tragique, d'un certain nombre de pays africains. Et comme c'est ce que je pense, je le dis sans arrière-pensée.
QUESTION : Pensez-vous que les sommets franco-africains sont aussi importants pour l'Afrique que pour la France ?
LE PREMIER MINISTRE.- Je voudrais vous dire que je crois que la France, le peuple français, est préoccupé par la situation de l'Afrique et par la situation dramatique d'autres pays dans le monde. Vous me dites que la télévision présente telles ou telles images, je vais vous répondre très franchement. La télévision en France est libre, la chaîne privée est libre de publier les images qu'elle veut et la chaîne publique aussi. Le Président de France 2 est ici présent, et je vous dirai que l'on est aussi bien servi par l'une que par l'autre. Si vous avez des reproches à faire, je pense qu'ils les enregistreront. Car je crois en effet qu'il faudrait donner du continent africain, à l'opinion publique mondiale et à l'opinion publique française en particulier, une vision réaliste. C'est vrai qu'il y a de la pauvreté, c'est vrai qu'il y a pu avoir ici ou là peut-être, des erreurs de gestion. Mais c'est vrai qu'il y a un effort de démocratisation très poussé, qu'il y a un effort de solidarité. J'ai entendu le Président BONGO parler d'une meilleure intégration, nous venons de parler en venant ici de ce que pourraient faire les pays de l'Afrique centrale. Il faut montrer parfois les difficultés mais aussi les résultats. C'est à vous de le dire à la presse, pas à moi. Moi, je ne donne pas de consignes.
QUESTION : Vous avez souligné le passage de la logique d'affrontement à la logique de coopération, ce qui a entraîné une réduction des budgets militaires. La logique n'eut-elle pas commandé que le surplus dégagé de cette réduction soit principalement et massivement affecté au problème du développement de l'Afrique ?
La question est d'autant plus cruciale pour nous que nous avons assisté à une mobilisation sans précédent dans le cadre du redressement des pays de l'Est. Et la question que je formule est de savoir s'il y a eu privilège du sang. Ou, au contraire, ne faudrait-il pas penser aujourd'hui à envisager un autre privilège, qui est encore plus historique, celui qui lie l'Afrique à la France. Autre question que je me permettrai de vous poser : c'est par rapport à la Convention de Lomé qui prévoit pour les partenaires une transformation industrielle des matières premières locales. Ne faudrait-il pas envisager, comme le souligne le ministre allemand de la Coopération dans une interview qu'il nous a accordée, que l'on puisse soutenir davantage la transformation locale pour permettre l'exportation, non plus de matières premières brutes, mais de produits finis et semi-finis. Et c'est peut-être là que la France pourrait faire preuve de maturité économique et psychologique.
LE PREMIER MINISTRE.- Merci de ce conseil. Nous allons mûrir psychologiquement comme vous nous le suggérez !
J'ai indiqué en effet dans mon discours, qu'à la logique de l'affrontement entre les deux blocs, entre l'Est et l'Ouest, avait succédé la logique d'entente, qui a permis une réduction des armements. Il y a eu des accords entre les Russes et les Américains. Il y a des accords auxquels nous participons, d'autres auxquels nous ne sommes pas associés. Bref, il y a une démarche.
Mais, dans mon discours, il y avait autre chose (comme quoi vous n'avez pas dû le lire entièrement). Il y avait la crainte que j'exprimais de voir le réveil des nationalismes, l'exaspération des tensions, et la tragédie yougoslave démontre à quel point nous ne sommes pas entrés dans une ère de stabilité. Cela étant, si les armements peuvent être réduits, nous nous en réjouissons. Si l'on pouvait, dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies et des institutions monétaires internationales, financer le développement à partir de ces économies, la France y souscrirait.
Vous dites -c'était un peu blessant, notamment pour moi qu'on a beaucoup aidé les pays de l'Est. L'a t-on fait pour des raisons raciales -vous avez dit liens du sang-, et a t-on oublié l'Afrique ? C'est tout à fait injuste : cette question peut, peut-être, s'adresser à d'autres pays dans le monde, qui ont d'ailleurs une communauté noire. Mais pour ce qui concerne la France, elle a fait plus d'efforts pour l'Afrique que pour les pays de l'Est. Les statistiques, qui sont publiées, le démontreront.
Et je l'ai répété aux chefs d'Etat et de gouvernement qui m'ont d'ailleurs posé la question pendant la réunion -dont parlait le président BONGO- qui a eu lieu avant l'ouverture du sommet. La France continuera à être l'amie, mais l'amie fraternelle et solidaire de l'Afrique, et l'Est ne la détournera pas du Sud.
Deuxième question : la transformation des matières premières. Naturellement c'est ce qu'il faut faire, et c'est ce à quoi on doit aider. La Banque mondiale, c'est sa mission. Il faut des infrastructures naturellement, il faut des routes, comme le disait le Président BONGO, il faut de l'énergie, il faut construire des usines, et cela serait bien préférable (c'est le leitmotiv du Président HOUPHOUET-BOIGNY). Seulement à mon tour de le dire à mes amis africains : il faut dans ce cadre-là qu'il y ait quelques initiatives prises. Il faut que les investisseurs étrangers soient assurés de la garantie de leur investissement. Il faut qu'ils aient un code des affaires, et d'ailleurs cela a été dit par le Président DIOUF, qui soit simplifié. Les ministres de la Justice et des Finances, des pays de la zone franc, en particulier, vont mettre au point un dispositif. Il faut qu'il y ait stabilité aussi. Il faut qu'il y ait confiance.
Vous savez, les investisseurs ne s'installent dans des pays, pour éventuellement faire ce que vous souhaitez, créer des équipements pour transformer des matières premières -et après tout, il peut y avoir des investisseurs africains, il y a des Africains qui ont des idées et auxquels on peut naturellement fournir des capitaux- que s'il y climat de confiance.
C'est la raison pour laquelle les problèmes de la sécurité sont si importants. Nous les avons posés en termes très clairs durant ce sommet. D'une part en souhaitant un règlement négocié des conflits en cours : il y a des décisions qui ont été prises par l'Organisation de l'Unité Africaine, je tiens à la saluer, qui a eu l'idée de mettre en place un mécanisme de prévention et de traitement des conflits. Et puis, il faut sans doute que les Africains -et la France est prête à apporter sa contribution réfléchissent à la situation créée par des armes qui circulent un peu trop librement à certaines frontières. C'est un problème sérieux dont on a parlé, dont beaucoup de mes interlocuteurs ont parlé au cours de conversations particulières et sur lequel j'entends bien réfléchir. Car l'insécurité qui est produite par quelques guerriers qui traversent une frontière ou une autre, avec des armes d'ailleurs qui ne sont pas produites par des Africains, c'est quelque chose de préoccupant.
QUESTION : Vous avez cité certains rapports faits par les Présidents. Vous avez oublié celui du Président du Mali sur la situation des femmes...
LE PREMIER MINISTRE.- Cher Monsieur, j'ai dit qu'il y avait eu d'excellents rapports et j'en ai cité quelques uns. Je ne les ai pas cité tous. Mais le rapport du Président du Mali sur le rôle des femmes était remarquable, et vous y trouverez une allusion, un paragraphe consacré dans la déclaration finale. Je n'ai pas tout dit. Il y a bien d'autres chefs d'Etat et de gouvernement qui sont intervenus. Alors ne voyez pas dans le fait que je n'ai pas cité celui-ci ou celui-là une intention quelconque. J'ai beaucoup apprécié ce rapport, et je vais même vous faire une confidence : je l'ai applaudi plus fortement que d'autres. Mais ne me demandez pas quels sont les autres.Source http://www.diplomatie.gouv.fr