Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport Sécurité routière : mieux cibler pour plus d'efficacité, organisé à la demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
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M. le président. La parole est à Mme la ministre. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue tout d'abord le sérieux du travail qui a été réalisé par le groupe de travail du Sénat sur la sécurité routière et je note avec satisfaction qu'il soutient les dix-sept mesures adoptées, sous la présidence du Premier ministre, par le Conseil interministériel de la sécurité routière le 9 janvier 2018.
Seule la mesure n° 5 fait l'objet des propositions de modification discutées ce soir dans votre assemblée. Je remercie Mme Vullien d'avoir évoqué certaines des autres décisions qui ont été prises. Je ne les citerai pas, mais elles concernent la consommation d'alcool et de stupéfiants, ainsi que l'usage des téléphones portables.
Je me réjouis d'abord que le travail entrepris ait conduit les rapporteurs à considérer d'un autre oeil la réduction de la vitesse maximale autorisée, son effet sur la baisse des vitesses pratiquées et, de fait, sur la mortalité. Je relève en effet que les rapporteurs proposent non pas de rejeter en bloc la mesure, mais de ne l'appliquer que sur les routes ou les tronçons de route les plus accidentogènes, en fonction de leurs caractéristiques et de leur environnement.
Pour chaque réseau, c'est le gestionnaire de voirie qui prendrait, par voie d'arrêté, la décision d'abaisser la vitesse maximale autorisée. Des conférences départementales de sécurité routière seraient organisées pour déterminer ces tronçons. La baisse à 80 kilomètres par heure de la limite de vitesse sur les tronçons accidentogènes serait reportée de six mois et fixée au 1er janvier 2019.
Je répondrai précisément aux remarques qui ont été faites, en exposant la position du Gouvernement.
La fixation des vitesses maximales autorisées sur les voies relève non pas du domaine de la loi, mais du pouvoir réglementaire. Ce n'est pas nouveau, c'est toujours l'État qui a pris les décisions d'abaisser la vitesse maximale autorisée. Pour être précis, le cadre réglementaire permet aux autorités locales de fixer des vitesses maximales autorisées plus restrictives. Je suis issue d'un département rural, je connais les collectivités locales et je roule beaucoup en voiture : il m'arrive très souvent, lorsque j'emprunte une route départementale, de traverser un village où une zone 30 a été instaurée dans la partie urbanisée sur décision des élus locaux, soit une vitesse inférieure à 50 kilomètres par heure.
Veuillez me pardonner, mais j'ai oublié le nom de certains intervenants ayant été élus lors du dernier renouvellement du Sénat. (Sourires.) Un sénateur m'a demandé pour quelle raison on instaurait la diminution de la vitesse dès à présent et pourquoi on ne mettait pas en oeuvre les autres mesures prévues dans l'immédiat. Le Gouvernement n'a pas la volonté d'étaler les mesures. Plusieurs d'entre elles seront effectives au 1er juillet, d'autres nécessitent un décret. D'autres enfin, comme celle qui porte sur l'usage d'un téléphone portable, requièrent même une loi. Cette mesure figurera dans le projet de loi d'orientation sur les mobilités que défendra Mme Borne dans quelque temps. Cela étant dit, toutes les mesures seront mises en oeuvre assez rapidement.
Comme vous le savez, une proposition de loi sur les rodéos, que le Gouvernement soutient, a été déposée par le sénateur de l'Essonne, M. Delahaye. Nous sommes favorables à tout ce qui pourra limiter ces rodéos sauvages, qui, il faut bien le dire, cassent les pieds à tout le monde et sont extrêmement dangereux.
Il n'est pas choquant selon moi de vouloir appliquer la réduction de vitesse aux routes les plus accidentogènes. C'est d'ailleurs ainsi que le conçoit la Sécurité routière.
Je rappelle que les fameuses zones d'accumulation d'accidents corporels qui tachaient notre territoire il y a encore trente ans n'existent plus en France aujourd'hui. Le fait est que les accidents sont répartis de façon assez aléatoire dans les départements. En revanche, il est clair, et personne ne le conteste, qu'il y a un type de réseau sur lequel le risque d'accident est le plus élevé. L'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, l'ONISR, organisme statistique indépendant rattaché au délégué interministériel à la sécurité routière,
M. Alain Fouché. Non ! Il n'est pas indépendant !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. l'a démontré dans un rapport publié le 17 avril dernier, peu avant le dépôt de votre rapport. Il est intéressant de disposer de ces rapports sur l'état de la situation. Sur le fondement des informations sur les typologies de réseau fournies par les départements et des données relatives aux accidents corporels et mortels survenus au cours des cinq dernières années, l'Observatoire a confirmé pour l'ensemble des dpartements ce que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, le CEREMA, avait constaté sur un échantillon de départements, et cela peut paraître surprenant : hors agglomération, c'est sur les belles routes que l'on meurt le plus. Aucun département n'échappe à cette règle !
Si l'on considère la moyenne nationale, le réseau le plus important, le plus structurant dans un département représente 10 % du réseau sur le plan national et 38 % des morts. Si l'on ajoute à ces 10 % le réseau un peu moins important, qui est en moyenne de 10 %, on constate que, sur 20 % du réseau, on déplore 55 % des tués.
À titre d'exemple, j'ai analysé les départements de nos trois rapporteurs, que je remercie encore de leur travail.
Dans la Haute-Saône, le réseau structurant représente 8 % du réseau et 61 % des tués. Si on ajoute le deuxième niveau, sur 18 % des routes du département on dénombre 74 % des tués.
Mme Cécile Cukierman. C'est logique, ce sont les routes les plus fréquentées !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Dans le Rhône, le réseau structurant représente 22 % des routes et concentre 43 % des tués.
Mme Cécile Cukierman. C'est mathématique !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Si on ajoute le deuxième niveau, on constate que 32 % des routes du département totalisent 59 % des tués. Dans le Finistère, enfin, le premier niveau représente 37 % du réseau, mais concentre 60 % des tués.
Ainsi, les réseaux les plus empruntés sont ceux où l'on compte le plus d'accidents parce qu'ils concentrent les risques et que, comme chacun le sait, le danger commence là où l'on croit qu'il n'y en a pas. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ainsi, il y a rarement des accidents sur une petite route la nuit, quand cela tourne et qu'il pleut.
Mme Cécile Cukierman. Évidemment, il n'y a personne !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. En revanche, quand il fait beau, en journée, que la route est sèche, belle et droite, on accélère, on augmente le risque et on y meurt plus souvent, notamment s'il n'y a pas de séparation centrale.
Les statistiques sur ce point ne sont pas contestables. Elles sont faites par un organisme d'État, le CEREMA, et par des fonctionnaires dont le sérieux est tout à fait remarquable.
M. Alain Fouché. Ils sont à la botte du Gouvernement !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il n'y a pas lieu de remettre en cause leurs études scientifiques. Il faut défendre les fonctionnaires non pas de temps en temps, mais tout le temps !
Mme Cécile Cukierman. Ça, c'est vrai ! On en reparlera !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Dans ces conditions, les routes sur lesquelles il faut réduire la vitesse, comme vous le demandez, sont déjà bien identifiées. Elles ont été déterminées par le croisement des donnes recueillies localement et des données de réseau fournies par les conseils départementaux, qui connaissent leur réseau. Il n'est donc pas besoin, comme vous le proposez, de différer la mesure et de modifier le réseau auquel elle doit s'appliquer. Ne pas appliquer la mesure à tout ou partie du réseau sur lequel on constate le plus grand nombre de décès serait incompréhensible.
D'autres considérations me conduisent à rejeter la proposition que vous faites, mesdames, messieurs les sénateurs. Les conditions de circulation sur un réseau doivent être claires et doivent pouvoir être intégrées par tous les usagers. Il est donc indispensable de fixer une vitesse par défaut. À défaut, le réseau ne serait plus cohérent, en raison des nombreuses variations de vitesse. Les choses ne doivent pas être trop compliquées, au risque d'entraîner de graves conséquences pour les usagers et un surcoût considérable lié à la multiplication des panneaux de limitation de vitesse, comme l'a fait remarquer M. Leroy.
Dans ces conditions, mesdames, messieurs les sénateurs, tout commande que la mesure n° 5 entre bien en vigueur le 1er juillet 2018 sur l'ensemble des routes bidirectionnelles sans séparateur central, exception faite des tronçons à quatre voies, ou à trois pour le seul sens du créneau de dépassement où le dépassement peut se faire avec moins de risques.
Enfin, comme l'a rappelé le Président de la Rpublique, il s'agit d'une mesure expérimentale.
M. Gilbert Bouchet. Dans la Drôme, elle existe déjà !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. À l'issue de cette expérimentation, après une évaluation, le Gouvernement aura plusieurs options, comme l'a indiqué le Président de la République : revenir en arrière, adapter ou maintenir la mesure. Comme vous, je suis certaine que nous parviendrons à sauver des centaines de vies par an.
J'évoquerai un dernier point pour finir : certains ont accusé le Gouvernement de vouloir, par cette mesure, gagner de l'argent, combler la dette, (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Fouché. C'est vrai !
M. Gilbert Bouchet. Bien sûr !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. grâce à l'augmentation inévitable du nombre d'amendes et donc des recettes. Certains chiffres circulent même, sans que l'on sache d'où ils proviennent : un montant de 300 ou 400 millions d'euros est évoqué, lequel n'est absolument pas avéré. La Sécurité routière l'a d'ailleurs démenti.
Bien sûr, on peut imaginer que cette mesure entraînera une hausse du nombre des amendes, mais ce nombre est impossible à évaluer précisément. Le Gouvernement a pris l'engagement d'affecter toute augmentation des recettes des radars liée au passage à 80 kilomètres par heure à un fonds destiné à améliorer les soins apportés aux blessés graves. Comme l'a rappelé Arnaud de Belenet tout à l'heure, ces derniers sont 24 000 par an. C'est inacceptable sur le plan humain. En outre, leur situation a aussi un coût social. L'objectif du Gouvernement est donc de réduire le nombre de morts, mais aussi de blessés graves, dont la vie est souvent complètement gâchée.
Aujourd'hui, 92 % des recettes des radars sont consacrées à la sécurité routière et 8 % au remboursement de la dette.
M. Alain Fouché. Non, c'est faux !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je regrette, mais ces chiffres sont exacts !
Mme Costes suggère de développer le travail avec les écoles. La Prévention routière, qui est une association de la loi de 1901, réalise déjà un travail remarquable partout dans les départements. Ainsi, dans mon département, toutes les classes du primaire et du collège passent au moins deux jours par an et par niveau dans des centres de prévention routière.
La Sécurité routière a également signé un protocole avec 900 entreprises françaises afin de sensibiliser 3 millions de salariés aux problèmes liés à l'alcool au volant, à la vitesse, etc. Beaucoup de choses sont donc faites.
J'ai également été interrogée sur les délais d'attente pour passer le permis de conduire. Comme cela a été rappelé, une réforme a été engagée par M. Cazeneuve, l'ancien ministre de l'intérieur, laquelle a produit des effets. Aujourd'hui, le délai d'attente médian est de 40 jours, soit une durée inférieure à celle qui était constatée auparavant. Quant au coût du permis, il est effectivement assez élevé, mais il se situe dans la moyenne européenne, qui oscille entre 1 600 euros et 1 800 euros.
M. Gontard m'a interrogé sur la place du vélo dans le plan Mobilité. Le plan Vélo figurera bien dans le projet de loi d'orientation sur les mobilités, lequel sera prochainement soumis au Parlement. Je vous invite donc à vous rapprocher de Mme Borne, qui défendra ce projet de loi.
M. Leroy m'a interrogé sur les caméras-piétons des policiers municipaux. Je rappelle que la décision, en date du 3 juin 2016, d'équiper les policiers municipaux avait été prise par l'ancien gouvernement et que sa mise en oeuvre est intervenue par décret au mois de septembre 2016. Comme le prévoyait la loi, une expérimentation a été effectuée. Elle a eu lieu dans 344 communes. Au total, 2 106 caméras ont été fournies aux policiers municipaux. Un rapport sera présenté dans quelques jours. Le bilan est positif.
Monsieur Leroy, le groupe UDI, Agir et indépendants de l'Assemblée nationale a déposé une proposition de loi en ce sens, soutenue par le Gouvernement. Celle-ci, inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 13 juin prochain, a été examinée en commission des lois ce matin. L'expérimentation va donc être pérennisée. Cela s'inscrit dans la logique générale d'équipement des gendarmes et des policiers, la police de sécurité du quotidien, vous le savez, tendant à organiser territorialement la sécurité en nouant des relations étroites entre la police, la gendarmerie et la police municipale. Cette proposition de loi sera ensuite évidemment soumise au Sénat ; je pense que son adoption ne devrait pas poser de problème.
Avant de conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, après avoir répondu, je l'espère, à toutes vos questions, je tiens à souligner que le sujet dont nous débattons ce soir est grave. Je fais partie de ceux qui ont assisté à la réflexion menée par le Premier ministre sur la question. De plus, il se trouve que j'habite un département rural comportant des voiries très accidentogènes, en particulier les levées de la Loire, ou encore les routes de Sologne, fréquemment traversées par des animaux sauvages, notamment des sangliers. Donc, je vous le dis très sincèrement, cela ne me choque pas que la vitesse soit limitée à 80 kilomètres par heure sur certaines routes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
source http://www.senat.fr, le 11 juin 2018