Interview de M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, avec RTL le 11 juin 2018, sur la protestation des agriculteurs français contre l'importation par Total d'huile de palme pour fabriquer ses biocarburants.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

YVES CALVI
Elizabeth MARTICHOUX, vous recevez donc ce matin le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, Stéphane TRAVERT.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et merci beaucoup d'être avec nous ce matin sur RTL. Bonjour Stéphane TRAVERT.
STEPHANE TRAVERT
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Les agriculteurs bloquent les raffineries depuis tôt ce matin, pour protester contre l'autorisation donnée à TOTAL d'importer 300 000 tonnes d'huile de palme. On va bien sûr essayer de comprendre dans le détail, votre position. Mais d'abord, vous leur demandez quoi ce matin aux agriculteurs ? De lever les blocus ? Et est-ce que vous allez les recevoir ?
STEPHANE TRAVERT
Moi, j'appelle toujours à la responsabilité, c'est-à-dire que, aujourd'hui, ces blocages, ils ne peuvent pas être la solution aux discussions que nous allons avoir. Oui je vais les recevoir.
ELIZABETH MARTICHOUX
Quand ?
STEPHANE TRAVERT
Je vais les recevoir demain, au ministère, je recevrai la FNSEA et les jeunes agriculteurs, pour travailler ensemble à des solutions, mais comme nous l'avons toujours fait, et depuis que j'occupe ce ministère, nous avons toujours été dans une étroite concertation, dans le dialogue, mais ce dialogue, il doit être franc. Moi je dis que, aujourd'hui, ces blocages sont illégaux et que ce n'est pas en bloquant des raffineries que l'on trouvera les solutions adéquates, tout simplement.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ils sont illégaux et est-ce qu'ils risquent d'aboutir à une pénurie ?
STEPHANE TRAVERT
Il n'y aura pas de pénurie d'essence, et moi j'appelle à la responsabilité aussi de nos…
ELIZABETH MARTICHOUX
Pourquoi ? Parce que vous avez suffisamment de stocks pour tenir et que vous pensez…
STEPHANE TRAVERT
Mais aussi, parce qu'il faut appeler à la responsabilité de nos concitoyens, c'est-à-dire qu'il ne faut pas se précipiter inutilement dans les stations-service, parce que c'est ça qui souvent crée la pénurie. Et donc j'en appelle à la responsabilité, mais moi je suis un homme de dialogue, je suis ouvert à ce dialogue avec les agriculteurs et je souhaite qu'il puisse se faire de la meilleure des manières possibles et nous l'aurons demain.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, justement, vous les recevez demain, qu'est-ce qu'ils vont vous dire ? Eh bien d'abord que TOTAL, pour fabriquer ses biocarburants, achète l'huile de palme 25 % moins cher que le prix du colza français, sur lequel par ailleurs pèsent des normes qui n'existent pas sur l'huile de palme malaisienne. Vous leur dites quoi : vendez moins cher ? Alors qu'ils n'ont pas les mêmes coûts de production ?
STEPHANE TRAVERT
Vous savez, moi ce que je leur dis c'est que, ces sujets des biocarburants, c'est un sujet complexe et celui des importations de l'huile de palme également. Moi, ce que je veux dire, c'est que nous avons une filière colza aujourd'hui en France, qui est une belle filière, une filière que je soutiens, une filière que je veux voir se développer encore. C'est une filière qui produit d'excellentes huiles alimentaires, c'est une filière qui produit aussi des tourteaux, ce qui nous permet aussi d'avoir notre indépendance protéique.
ELIZABETH MARTICHOUX
Pour nourrir les animaux, des tourteaux de colza.
STEPHANE TRAVERT
Pour nourrir les animaux, oui, et ça c'est important, et moi je souhaite que demain, eh bien, il puisse y avoir... que la filière colza puisse contractualiser, dans l'esprit de ce que nous avons toujours fait, dans les états généraux de l'alimentation, puisse contractualiser avec les donneurs d'ordres, pour que cette filière, elle participe…
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais ça veut dire quoi, ça ?
STEPHANE TRAVERT
Eh bien que demain, TOTAL, par exemple, et les entreprises agricoles qui produisent des biocarburants, puissent, se mettre d'accord sur une base de prix, sur un contrat, qui permettra d'offrir des débouchés à la filière colza française. Moi c'est ce que je souhaite.
ELIZABETH MARTICHOUX
D'accord, d'accord, mais TOTAL dit : eh bien je vais acheter 50 000 tonnes de colza français, pour compenser, c'est ce qu'on comprend, les 300 000 tonnes d'huile de palme. Mais enfin, on peut le comprendre, les agriculteurs français ils le vivent comme une espèce d'aumône, comme un cadeau de consolation. Ils disent : que TOTAL nous achète 200 000 tonnes de colza et un peu moins d'huile de palme. C'est ça qui pour eux permettrait effectivement, comme vous le dites, de soutenir la filière du colza français.
STEPHANE TRAVERT
Il y a des engagements volontaires qui ont été pris par TOTAL vis-à-vis du gouvernent.
ELIZABETH MARTICHOUX
50 000 tonnes.
STEPHANE TRAVERT
C'est la limitation, à moins de 300 000 tonnes, d'utilisation de l'huile de palme. Ensuite, c'est les achats de 50 000 tonnes de colza. Ensuite, vous l'avez vu, moi je souhaite que nous puissions être cohérents, c'est-à-dire comment faire en sorte que demain, TOTAL puisse s'approvisionner, de la meilleure manière, auprès des fournisseurs de colza, que nous puissions avoir cette notion de contrat…
ELIZABETH MARTICHOUX
Au prix de l'huile de palme malaisienne, 25 % moins chère ? C'est ça qui aussi fait peur aux producteurs français, c'est que leurs prix vont être tirés par le bas, par les importations de TOTAL de Malaisie.
STEPHANE TRAVERT
Je l'entends parfaitement, mais nous…
ELIZABETH MARTICHOUX
Comment vous faites ? Alors, qu'est-ce que vous leur dites ?
STEPHANE TRAVERT
Nous, nous avons travaillé sur une meilleure répartition de la valeur pendant les états généraux de l'alimentation. Et c'est sur cette base que nous devons travailler aujourd'hui, parce que les producteurs de colza, aujourd'hui, ne doivent pas être les parents pauvres des filières sur les biocarburants.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et comment ?
STEPHANE TRAVERT
Eh bien c'est un dialogue. Alors ce sont des entreprises privées, elles doivent travailler ensemble pour trouver des accords, mais cela doit correspondre à la cohérence et aux objectifs de la France sur ces sujets, c'est-à-dire limiter les produits de la déforestation importés sur notre territoire, et favoriser nos filières d'excellence, comme l'est la filière colza.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, et vous savez, ils en ont assez, vous parliez de cohérence, de vos incohérences. Vous leur dites, Emmanuel MACRON en tête : montez en gamme, montez en gamme, faites de la qualité, et puis vous autorisez le passage aux frontières de produits moins chers et moins contraints par les normes. Où est la cohérence, Stéphane TRAVERT ?
ELIZABETH MARTICHOUX
La cohérence c'est de trouver une réponse européenne à ce sujet, parce que la France peut porter toutes les interdictions qu'elle voudra, mais demain, lorsque l'on sait que vous avez des produits qui arrivent d'autres continents et qui arrivent dans un Etat membre et qui ressortent de cet Etat membre avec un label UE. Ça c'est difficile, c'est là-dessus que nous devons travailler, c'est comment protéger les frontières européennes des aliments ou des produits qui ne correspondent pas aux standards sanitaires qui sont les nôtres et que ceux que nous avons fixés ensemble.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous en voulez une autre incohérence ? Une directive européenne veut interdire l'huile de palme dans les biocarburants, à partir de 2021, alors qu'aujourd'hui le gouvernement autorise TOTAL à les importer.
STEPHANE TRAVERT
C'était une décision qui datait de 2015…
ELIZABETH MARTICHOUX
Quel est votre avis sur cette directive ?
STEPHANE TRAVERT
Mais, moi, ce que je sais, c'est que nous avons une stratégie, aujourd'hui, le gouvernement porte une stratégie sur les produits issus de la déforestation, et donc ces produits issus de la déforestation doivent demain, venir de moins en moins sur nos marchés, pour protéger justement nos filières. Mais nous ne pouvons pas faire les choses tout seul, nous devons avoir une réponse européenne sur ces sujets. La stratégie du gouvernement, vous le savez, c'est de mettre en place une stratégie, dans le cadre du plan biodiversité, sur la déforestation, contre des produits de déforestation importés, et là aussi c'est une des réponses que nous pourrons apporter.
ELIZABETH MARTICHOUX
Les agriculteurs, ils veulent aussi, ça c'est très concret, mais c'est vrai que ça produit des distorsions de concurrence, une baisse de charges pour les travailleurs saisonniers, parce qu'ils constatent qu'en Espagne, en Allemagne, eh bien ça coûte moins cher à leurs homologues. Est-ce que vous allez, là, leur donner un petit coup de main ?
STEPHANE TRAVERT
Mais nous allons travailler ensemble, nous savons quelles sont les charges, les agriculteurs aujourd'hui ont besoin effectivement de travailleurs saisonniers, c'est de l'emploi sur nos territoires, mais nous avons déjà fait un certain nombre de choses à travers la baisse de charges sur les salaires, qui ont profité aux saisonniers, qui ont profité aussi aux agriculteurs, bien évidemment…
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous allez, encore, baisser les charges ou pas ?
STEPHANE TRAVERT
Mais nous allons discuter avec eux…
ELIZABETH MARTICHOUX
Non, vous n'avez pas les moyens pour l'instant de le faire, dites-le.
STEPHANE TRAVERT
Mais il ne s'agit pas aujourd'hui de vous dire si je vais baisser ou non les charges, nous sommes aujourd'hui entrés dans une phase de discussions, je prépare actuellement mon projet de budget et c'est une discussion que nous aurons avec l'ensemble des organisations syndicales agricoles. Moi ce qui m'intéresse, ce n'est pas que les agriculteurs aient plus de charges, ce qui m'intéresse, c'est le travail que je mène depuis un an maintenant, c'est de faire en sorte que demain, ils aient plus de revenu, et ce revenu ils peuvent l'acquérir à travers la montée en gamme, à travers la simplification, à travers la contractualisation, et c'est là-dessus, et c'est le pari que nous faisons.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous ne reviendrez pas, de toute façon, sur l'autorisation faite à TOTAL d'importer l'huile de palme, ça c'est…
STEPHANE TRAVERT
Non, le gouvernement ne reviendra pas dessus, mais aujourd'hui, ce que je souhaite, c'est que l'on puisse trouver les moyens, pour que la filière colza reste aujourd'hui cette filière d'excellence que nous soutenons, et de trouver les moyens, et de faciliter aujourd'hui la possibilité pour la filière colza, de pouvoir livrer le plus possible de colza dans les usines qui en ont besoin.
ELIZABETH MARTICHOUX
Emmanuel MACRON reçoit cette semaine monsieur POUYANNE, le patron de TOTAL, vous aussi vous allez le voir, vous serez ensemble, ou ça se passe entre Emmanuel MACRON et le patron de TOTAL en tête à tête ?
STEPHANE TRAVERT
Non, ça n'est pas prévu comme ça maintenant. Moi je reçois le patron du groupe AVRIL, je reçois les organisations syndicales agricoles. S'il était besoin que je puisse avoir une rencontre avec TOTAL, mais je crois que Nicolas HULOT, ministre d'Etat à la Transition écologique et solidaire, l'a déjà fait, il pourra peut-être le faire, s'il est reçu par le président de la République, eh bien je serai de toute façon informé de ce qu'il se sera dit.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, vous vous occupez des agriculteurs, Nicolas HULOT s'occupe, il l'a dit la semaine dernière, ce n'est pas de gaîté de coeur…
STEPHANE TRAVERT
Mais bien sûr.
ELIZABETH MARTICHOUX
... qu'il a approuvé l'autorisation faite à TOTAL.
STEPHANE TRAVERT
Mais bien sûr, parce que c'est quelque chose qui était déjà engagé depuis longtemps, et l'Etat, dans la continuité qui est la sienne, a respecté son engagement, mais aujourd'hui cet engagement, pour nous, c'est de faire en sorte que notre filière colza puisse continuer à produire, à être compétitive et puisse avoir des débouchés commerciaux, et c'est ce que je souhaite, et c'est là-dessus que moi je veux travailler.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous aurez quelque chose de concret, demain, à dire aux agriculteurs ?
STEPHANE TRAVERT
Mais bien sûr, nous allons travailler.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, vous allez travailler, mais il n'y a rien de concret encore.
STEPHANE TRAVERT
On va travailler, mais les choses concrètes, les choses avancent.
ELIZABETH MARTICHOUX
Le patron des Verts, David CORMAND, dit que le problème au gouvernement, ça n'est pas Nicolas HULOT, ce sont les autres, tous les autres. Vous vous sentez visé ?
STEPHANE TRAVERT
Non, moi je ne me sens pas concerné par les propos de David CORMAND, moi je... Le gouvernement est à sa tâche, le gouvernement travaille et le gouvernement, en matière environnementale, à travers ce que l'on a fait, prenons l'exemple de l'agriculture, sur le bio, sur la restauration collective, sur le gaspillage alimentaire, a fait certainement beaucoup plus de travail que bien d'autres qui se répandent en insultant les gens dans les médias à longueur de journées.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous parlez de qui ? Les insultes elles viennent de qui ?
STEPHANE TRAVERT
Eh bien elles viennent d'un certain nombre de représentants…
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est-à-dire ?
STEPHANE TRAVERT
Des gens comme monsieur JADOT, par exemple, monsieur CORMAND.
ELIZABETH MARTICHOUX
Qu'est-ce qu'il a dit d'insultant ?
STEPHANE TRAVERT
Mais moi je ne reviendrai pas, je ne reviendrai pas là-dessus, enfin, ça n'est pas le sujet, je n'ai pas de publicité particulière à lui faire.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il vous a insulté ?
STEPHANE TRAVERT
Mais bien sûr, mais depuis longtemps, et c'est comme ça de façon régulière, mais peu importe, moi je suis... je ne suis pas là pour commenter les actions de tel ou tel, je suis là pour mener ce travail. Aujourd'hui, ce qui m'importe, c'est que nous puissions trouver les solutions, ensemble, pour lever les barrages.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et la querelle entre Nicolas HULOT et vous, en coulisses, en permanence, ça va continuer longtemps ?
STEPHANE TRAVERT
Mais il n'y a pas de querelle, madame, on travaille, nous travaillons ensemble et aujourd'hui, pour l'intérêt des Français et du gouvernement.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci Stéphane TRAVERT, d'avoir été ce matin sur RTL.
STEPHANE TRAVERT
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 juin 2018