Interview de M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, avec Europe 1 le 20 juin 2018, sur les efforts en faveur de l'agriculture biologique, le glyphosate et sur les aides versées aux agriculteurs.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral


PATRICK COHEN
Bonjour Stéphane TRAVERT.
STEPHANE TRAVERT
Bonjour.
PATRICK COHEN
« L'homme des lobbies agrochimiques, la voie de la FNSEA et de l'agriculture productiviste, celui qui contredit et étouffe Nicolas HULOT. Ça vous agace d'entendre, de lire et d'entendre tout cela à longueur de débats, Stéphane TRAVERT ?
STEPHANE TRAVERT
Oui, c'est agaçant parce que ça ne correspond pas à la réalité, à ce que je suis et à la manière avec laquelle, dans laquelle je travaille. Moi je souhaite concerter, je reçois toutes les organisations syndicales, tous les partenaires agricoles et c'est par la concertation, la discussion, le dialogue, que l'on essaye de construire des politiques publiques qui soient efficaces. Et donc moi je réfute bien évidemment ce genre d'accusations, mais si vous voulez, moi je suis à ma tâche. Voilà.
PATRICK COHEN
Bon, alors, on va parler des dossiers. D'abord le bio que vous voulez développer…
STEPHANE TRAVERT
Oui.
PATRICK COHEN
Je rappelle que vous voulez doubler en gros les surfaces agricoles consacrées aux cultures biologiques d'ici 5 ans, 15 % de surfaces bio et 20 % de produits bio dans les cantines, or les sénateurs en commissions viennent de retirer cet objectif de la loi agriculture et alimentation au profit des produits locaux, des circuits courts. C'est du bon sens ou pas ?
STEPHANE TRAVERT
Eh bien écoutez, moi je crois que c'était important de noter que nous avions besoin d'importer plus de produits bio dans la restauration collective, et nous avions souhaité fixer, donner des chiffres précis pour voir se donner des objectifs et les respecter. Et moi je constate ce que les sénateurs ont fait, nous allons être en en débat en séance publique au Sénat la semaine prochaine et j'espère pouvoir les convaincre de revenir à un meilleur état d'esprit sur ce sujet, de revenir à notifier les pourcentages d'agriculture biologique dans la restauration collective, parce que c'est important, parce que nous devons porter un message de confiance sur l'agriculture biologique.
PATRICK COHEN
Et vous aurez à répondre à la question : quel sens ça a de faire venir du bio, qui a parcouru des centaines de kilomètres ou davantage.
STEPHANE TRAVERT
Oui, parce que, quelle est la définition exacte de circuit court ? Un circuit court, c'est un acheteur et un vendeur. Mais entre cet acheteur et ce vendeur, il peut y avoir des centaines, des milliers de kilomètres, et donc ce que nous avons besoin, c'est de structurer une offre en agriculture biologique, donc on a besoin que plus d'agriculteurs puissent se convertir à l'agriculture biologique, donner des chiffres et qui vont permettre de remplir les objectifs et faire en sorte que, parce qu'il y a une demande forte de nos de nos consommateurs, eh bien de répondre à cette demande des consommateurs, en fournissant des produits issus de l'agriculture biologique, donc des produits locaux.
PATRICK COHEN
Donc, par principe, le bio c'est toujours mieux que les productions locales ?
STEPHANE TRAVERT
Non, je ne dis pas ça, parce que je vous avez des productions locales d'excellente qualité, vous avez des AOP, des AOC, mais je crois qu'il ne faut pas opposer les deux, les deux sont complémentaires. Nous pouvons travailler dans la restauration collective, vous fournir en agriculture biologique sur un certain nombre de produits, mais vous pouvez aussi vous fournir sur des produits laitiers par exemple, avec des AOP, des AOC qui sont d'excellente qualité.
PATRICK COHEN
Le bio c'est toujours écolo, Stéphane TRAVERT ?
STEPHANE TRAVERT
Mais le bio, aujourd'hui il est partie intégrante de la société et on est dans une société aujourd'hui qui tient compte de son environnement et qui veut laisser une trace environnementale, la plus propre possible et nous sommes concentrés sur cette tâche.
PATRICK COHEN
Si je vous pose cette question c'est parce que la question s'est posée récemment à Bruxelles à propos d'un produit très utilisé dans l'agriculture biologique, le sulfate de cuivre, dans la viticulture, avec la chaux ça forme la bouillie bordelaise, or l'agence sanitaire européenne considère ce produit comme toxique pour les agriculteurs, les consommateurs, les animaux, les sols où le cuivre s'accumule. Est-ce que la France soutient le renouvellement de l'homologation du sulfate de cuivre ?
STEPHANE TRAVERT
Ecoutez, il va falloir trouver des trajectoires, en tous les cas, sur le sulfate de cuivre comme sur les autres substances.
PATRICK COHEN
Ça veut dire quoi ? Que ça pose un problème ?
STEPHANE TRAVERT
Eh bien oui, ça pose un problème aujourd'hui parce que, comment est-ce que nous allons faire en sorte que celles et ceux qui utilisent aujourd'hui ce type de produits, dans l'agriculture biologique, ne soient pas mis au pied du mur. Donc il va falloir, comme pour le reste, trouver des alternatives, des alternatives qui soient crédibles, il va falloir créer des groupes de travail, emmener avec nous la recherche, l'innovation, les instituts techniques, et aujourd'hui nous avons besoin de ce temps pour travailler, parce que je ne pense pas qu'il existe aujourd'hui de solutions alternatives. Et donc nous devons les trouver et il va falloir y travailler. Nous avons été sensibilisés sur cette question, vous savez, depuis près d'un an.
PATRICK COHEN
Il y a déjà un pays européen qui l'a interdit : le Danemark.
STEPHANE TRAVERT
Tout à fait, et aujourd'hui nous devons travailler à la manière dont nous devons accompagner aussi l'agriculture biologique dans cette réflexion autour de l'utilisation de ce type de produits, comme nous le faisons sur d'autres produits en agriculture dite conventionnelle.
PATRICK COHEN
Et donc le glyphosate, qui, paradoxe, ne présente pas de risques, selon les mêmes agents sanitaires, le glyphosate sera banni en France dont trois ans ou bien est-ce que le plus probable, n'est-il pas qu'il soit interdit ici et autorisé là avec de multiples dérogations ?
STEPHANE TRAVERT
Alors il y a deux choses. Il y a d'abord une réponse européenne qu'il faudra apporter, c'est-à-dire qu'au niveau européen, nous avons 5 ans, bien évidemment, il a été autorisé pour 5 ans…
PATRICK COHEN
Emmanuel MACRON a dit 3 ans.
STEPHANE TRAVERT
Et le président de la République, vous le dites, a souhaité que, en 3 ans, nous puissions sortir de l'utilisation du glyphosate. Eh bien c'est ce que nous allons faire et nous mobilisons les instituts techniques, nous travaillons avec les agriculteurs et pourquoi est-ce que nous n'avons pas mis dans la loi l'interdiction du glyphosate ? Tout simplement parce que nous ne voulions pas faire peser uniquement, que sur les agriculteurs, la difficulté de se retrouver quelques fois au pied du mur, donc nous devons emmener tout le monde, et donc nous allons, nous rencontrons depuis déjà de nombreuses semaines, les opérateurs, les agriculteurs, de tous les acteurs de filières pour créer les conditions, pour trouver un certain nombre de productions de remplacement. Aujourd'hui, sur le glyphosate, vous avez un des alternatives qui existent, c'est le changement des pratiques agronomiques, ça va être de la formation, ça va être de la rotation de cultures, mais il existe…
PATRICK COHEN
Le changement des pratiques, vous voulez dire le laboure, le travail de la terre ?
STEPHANE TRAVERT
Mais oui, des changements de pratiques agronomiques, mais aussi les rotations…
PATRICK COHEN
Ça présente beaucoup d'inconvénients aussi.
STEPHANE TRAVERT
Quelles têtes de rotations, oui il y a aussi des inconvénients, donc il faut tout peser, et il faut regarder aussi quelles sont les agricultures qui aujourd'hui ne bénéficient pas d'alternatives précises, c'est l'agriculture en terrasse, c'est l'agriculture de conservation, vous en parliez, et puis c'est l'agriculture qui concerne la production de fruits et légumes destinés à l'industrie. Et donc on a besoin de réfléchir là-dessus et c'est ce que nous faisons en réunissant tous les actes.
PATRICK COHEN
Et donc ma question c'était : est-ce qu'il pourrait, et si peut-être vous n'avez pas voulu le mettre dans la loi, c'est pour ne pas prononcer une interdiction générale dans 3 ans, mais une interdiction, comment dire, partielle, avec des dérogations, c'est ça le sens de ma question Stéphane TRAVERT.
STEPHANE TRAVERT
C'est ça, parce qu'il n'y avait pas d'interdiction sans solution, et nous ne souhaitons pas non plus qu'il y ait des distorsions de concurrence, parce que c'est aussi important et ni de sur-transposition. Et nous l'avions dit. Donc je crois que le mieux c'est de travailler sur la confiance des acteurs, travailler avec eux en responsabilités, et c'est ce que nous faisons, en les réunissant de façon régulière et portant avec eux et bien je dirais les voies qui permettent demain de sortir de ce dispositif.
PATRICK COHEN
Mais avec le risque aussi de mettre sur le marché et de laisser autoriser une molécule, un autre produit qui n'a pas été testé, qui n'a pas eu le même retour d'expérience que celui du glyphosate, par exemple.
STEPHANE TRAVERT
Après, il s'agit des autorisations de mise sur le marché, ça ne dépend pas du ministère, bien heureusement, et c'est l'ANCES qui les délivre, mais en tous les cas, ça ne peut pas être un produit qui soit plus dangereux que celui dont nous parlons.
PATRICK COHEN
Question d'Anne-Laure JUMET, du service économique et social d'Europe 1.
ANNE-LAURE JUMET
Oui, Stéphane TRAVERT, alors je reviens à vos ambitions sur le bio, pour doper ce secteur encore faut-il le soutenir, or des aides attendues par les agriculteurs bio ne sont toujours pas versées à l'heure où on parle, les aides de 2016, vous vous étiez engagés à rattraper tous ces retards en mars, on est en juin et selon la Confédération paysanne entre 3 et 4 000 dossiers sont toujours en cours de traitement, que dites-vous aujourd'hui aux agriculteurs concernés ?
STEPHANE TRAVERT
Moi je dis : l'année 2018 sera l'année où on reviendra au calendrier normal de versement des aides. Il y a deux choses : d'abord les aides PAC. Les aides PAC du premier pilier, celles-là, elles ont été versées, le calendrier a été rattrapé. Sur l'année 2015, les aides ont été versées, il reste quelques dossiers où il peut y avoir des soucis, on va dire techniques, qu'il nous reste à définir et à examiner, il nous en reste quelques-uns, mais 97 % des dossiers ont été traités.
ANNE-LAURE JUMET
Les aides de 2016.
STEPHANE TRAVERT
Et alors, sur l'année 2016, nous sommes en cours de traitement, les paiements ont commencé, sur l'année 2016, et je rassure ceux qui ont pu vous dire qu'ils n'avaient pas été indemnisés, ces indemnisations vont arriver d'ici le mois de juillet.
PATRICK COHEN
Donc il y aura un rattrapage.
STEPHANE TRAVERT
Il y aura un rattrapage, 2018 nous aurons rattrapé tout notre retard.
ANNE-LAURE JUMET
Mais ils en ont un peu assez d'entendre des calendriers qui sont sans cesse reportés.
STEPHANE TRAVERT
Mais bien sûr madame. Mais je la sais parfaitement, parce que je sais que c'est une décision…. Nous avons fixé un calendrier lors de mon arrivée, à mon arrivée au ministère il y a un an, le 21 juin dernier, nous l'avions dit depuis le début 2018 serait l'année où nous rattraperions l'intégralité du retard, le calendrier normal de versement des aides sera effectif sur l'année 2018. Voilà, ça c'est un engagement que j'ai pris, c'est un engagement qui sera bien évidemment tenu et je me mets à la place des producteurs qui attendent, pour certains, ceux qui ont attendu depuis 2015 des aides et qui les ont eues finalement en début de cette année, je me mets à leur place et c'est quelque chose de compliqué, mais pour 2016, je leur dis que les choses sont en cours, les paiements, les premiers versements ont commencé.
PATRICK COHEN
Merci Stéphane TRAVERT, ministre de l'agriculture…
STEPHANE TRAVERT
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 juin 2018