Texte intégral
CAROLINE ROUX
Bonjour Nathalie LOISEAU.
NATHALIE LOISEAU
Bonjour Caroline.
CAROLINE ROUX
On commence avec un cas pratique, il s'appelle le Lifeline, 230 personnes à bord au large des côtes méditerranéennes, l'Italie a dit non, Malte a dit non, que dit la France ?
NATHALIE LOISEAU
La France rappelle le droit international, lorsque vous avez un bateau et que vous faites du sauvetage en mer, ce qui est le cas des passagers du Lifeline, vous les débarquez dans le port sûr le plus proche, le port sûr le plus proche, c'est Malte ou c'est l'Italie
NATHALIE LOISEAU
Ça arrange tout le monde.
CAROLINE ROUX
Ça n'arrange pas tout le monde, c'est le droit international, et on n'est pas là pour remplacer le droit par la loi de la jungle, en revanche, on ne peut pas dire à Malte ou à l'Italie : débrouillez-vous tout seul. Donc ce que nous avons proposé, ce qu'Emmanuel MACRON, avec Pedro SANCHEZ, le président du gouvernement espagnol, a proposé hier, c'est une présence massive de l'Europe dans les ports italiens pour venir interviewer les passagers, comme nous le faisons en ce moment à Valence, avec les passagers
CAROLINE ROUX
Mais l'Italie n'en veut pas, l'Italie a dit non, l'Italie ferme les portes
NATHALIE LOISEAU
Ça n'est pas ce qu'a dit Giuseppe CONTE hier dans la réunion qui s'est tenue à Bruxelles avec 16 membres de l'Union européenne, chacun est venu avec ses propositions, ses contraintes, ses difficultés, ce qui s'est passé dans cette réunion de Bruxelles, c'est déjà qu'on a écarté ce qui était contraire à nos valeurs, vous savez que quelques-uns avaient parlé de renvoyer les gens dans des pays tiers, dans les Balkans, contre leur gré, en rétention, c'est-à-dire contrairement à tout le droit international, ça, ça a été écarté
CAROLINE ROUX
On va y venir sur la réunion, mais précisément, on est vraiment avec un cas pratique, on a un bateau, encore une fois, avec 230 personnes, ce sont des personnes qui sont au large des côtes méditerranéennes, techniquement, pratiquement dans les heures qui viennent, que va-t-il se passer pour ce bateau ?
NATHALIE LOISEAU
Techniquement, pratiquement, c'est à l'Italie de le prendre, de même que l'Espagne reçoit en ce moment plus de migrants que l'Italie, que la Grèce reçoit en ce moment plus de migrants que l'Italie, il n'y a, en ce moment, pas une crise des migrations, il n'y a pas de pic des migrations, il n'y en a jamais aussi peu depuis 2015, il y en a dix fois moins.
CAROLINE ROUX
Il y a une crise politique
NATHALIE LOISEAU
Il y a une crise politique, parce qu'il y a des populistes qui sont ici ou là en Europe, membres de coalitions ou à la tête de gouvernements et qui tirent ce prétexte pour mettre en difficulté l'Union européenne parce qu'ils détestent le projet européen.
CAROLINE ROUX
Nathalie LOISEAU, c'est fini, en fait, on n'arrive plus à avancer à 28, Angela MERKEL l'a dit hier, Emmanuel MACRON est arrivé en disant : il faut une solution européenne, et la chancelière allemande, elle a dit, en gros : on va faire des accords bilatéraux, des accords multilatéraux, parce que sur ce sujet-là
NATHALIE LOISEAU
Oui et non, oui et non, parce que
CAROLINE ROUX
Il n'y a plus d'Europe
NATHALIE LOISEAU
C'est faux, on est d'accord, d'abord, s'il y a dix fois moins de migrants qui arrivent en Europe en 2018 qu'en 2015, c'est parce que l'Europe s'est organisée, parce que l'Europe a su y faire face, on est d'accord sur le travail à faire avec les pays d'origine, avec les pays de transit, on est d'accord sur le renforcement des frontières extérieures de l'Union ; sur tous ces sujets-là, on est d'accord, la crise d'aujourd'hui, elle est liée à ce qu'on appelle les mouvements secondaires, il y a des gens qui sont entrés dans l'Union européenne et qui ensuite profitent de la liberté de circulation dans Schengen. C'est là-dessus
CAROLINE ROUX
Mais si on fait deux pas en arrière, quand vous voyez l'Italie, l'Autriche, la Hongrie, qui ne parlent plus même langage que la France, l'Espagne ou l'Allemagne
NATHALIE LOISEAU
Mais l'Italie et l'Autriche ne parlent pas ensemble le même langage.
CAROLINE ROUX
Comment est-ce qu'on fait justement, c'était la question que je vous posais, on ne peut plus avancer à 28 sur les questions migratoires, c'est fini ?
NATHALIE LOISEAU
On a besoin de plus de solidarité, de pays volontaires, nous, nous en faisons partie, pour mieux soutenir les pays par lesquels arrivent les migrants et les demandeurs d'asile, on a aussi besoin d'avoir l'esprit clair, de garder nos nerfs et de ne pas nous laisser manipuler par des politiciens, il y a des réfugiés
CAROLINE ROUX
Vous pensez à qui quand vous dites ça, aux Italiens ?
NATHALIE LOISEAU
Je ne mets pas tout le monde dans le même sac, ni en Italie ni nulle part, mais il y a des réfugiés qui sont des réfugiés politiques qui fuient la guerre, on doit les accueillir mieux qu'avant, et puis, il y a des migrants économiques, on ne peut pas accueillir en masse, et il faut qu'on travaille ensemble dans les pays d'origine. Là-dessus, on est d'accord.
CAROLINE ROUX
Quand vous voyez l'Autriche de Sebastian KURZ, qui menace de fermer en plein été le point de passage le plus fréquenté entre le centre et le sud de l'Europe, il peut le décider ?
NATHALIE LOISEAU
Il peut évidemment le décider, la question, c'est : est-ce que l'Italie continue à assumer sa responsabilité de pays par lequel les migrants entre en premier, c'est-à-dire, est-ce que les personnes sont enregistrées, est-ce que leurs demandes d'asile, lorsqu'elles sont déposées, sont examinées, si ça n'est pas le cas, effectivement, il y aura des fermetures de frontières effectivement.
CAROLINE ROUX
Et ça, ça serait considéré comme un échec par vous, par exemple, ça serait un échec ?
NATHALIE LOISEAU
Bien sûr, mais aussi par quelqu'un comme Viktor ORBAN, parce que les Hongrois, les Polonais les autres profitent largement de la liberté de circulation en Europe, ils n'ont pas envie de la voir menacée. Il y a un Conseil européen jeudi et vendredi, on va tous se mettre autour de la table, il va falloir qu'on trouve une solution
CAROLINE ROUX
Mais vous êtes optimiste, sincèrement, pour la fin de la semaine ?
NATHALIE LOISEAU
Pour la fin de la semaine, je vais vous dire la vérité, je pense qu'il y aura encore de la gesticulation, qu'il y a des gens qui font de la politique politicienne, qui se croient encore en campagne, mais naturellement, il n'y a pas de solution nationale, personne ne sera capable de résoudre, seul dans son coin, le défi migratoire, il y aura un moment où
CAROLINE ROUX
Mais vous parlez de gesticulation, vous ne l'avez pas nommé depuis le début, mais il s'appelle Matteo SALVINI, et il tance la France, il a renvoyé la France dans les cordes, et il dit : nous il dit à la France, en gros nous les invitons, à la France, à arrêter les insultes et à démontrer sa générosité avec des faits, en ouvrant les nombreux ports français et en arrêtant de refouler des femmes et des enfants et des hommes à Vintimille ; c'est précisément ce que nous sommes en train de faire. Nous avons fermé nos ports, et nous avons fermé la frontière de Vintimille, elle n'est pas justifiée cette leçon ?
NATHALIE LOISEAU
La France n'a de leçon à recevoir de personne, la France
CAROLINE ROUX
C'est ce qu'a dit le président de la République.
NATHALIE LOISEAU
La France est le deuxième pays en accueil de demandeurs d'asile, nous recevons plus de demandeurs d'asile cette année que les Italiens, la générosité de la France, elle n'est à mettre en question par personne, et ça n'est pas monsieur SALVINI qui ferme ses ports, qui avait encouragé les passagers à monter sur l'Aquarius, qui avait encouragé à SOS Méditerranée à prendre des migrants pour, ensuite, les refuser, pour faire de la politique politicienne, à donner des leçons à la France.
CAROLINE ROUX
Mais c'est malgré tout celui qui est sorti des urnes en Italie, donc il va falloir faire avec Matteo SALVINI.
NATHALIE LOISEAU
Il faut évidemment faire avec les démocrates, le président du gouvernement espagnol, qui reçoit des migrants et qui ne se comporte pas comme ça, la France d'Emmanuel MACRON, la Grèce d'Alexis TSIPRAS, l'Europe ne se résume pas à des hommes qui parlent fort à défaut d'être des hommes forts.
CAROLINE ROUX
Nathalie LOISEAU, vous êtes inquiète pour l'Europe ?
NATHALIE LOISEAU
Toujours, parce que
CAROLINE ROUX
Non, mais, là, précisément, vous ne vous levez pas le matin en étant inquiète pour l'Europe, rassurez-nous, juste, là, à la veille d'un Conseil européen un peu stratégique ?
NATHALIE LOISEAU
Non, parce qu'on avance, on avance sur la zone euro, on avance sur l'innovation, on avance sur les universités européennes, on avance sur la régulation du numérique, on avance sur le commerce, on avance sur beaucoup de sujets, de toute façon, j'ai une conviction, c'est que sur tous ces défis-là, il n'y a pas de réponse nationale, il n'y a que des réponses européennes.
CAROLINE ROUX
Est-ce qu'on peut aller jusqu'à des sanctions financières pour les pays qui ne jouent pas le jeu sur les questions migratoires ?
NATHALIE LOISEAU
Ce que nous avons proposé, puisqu'on prépare le prochain budget de l'Union européenne, c'est que les collectivités qui accueillent des migrants reçoivent des fonds, et que ces fonds n'aillent pas à ceux qui les refusent.
CAROLINE ROUX
Un mot sur, vous parliez d'hommes forts tout à l'heure
NATHALIE LOISEAU
Non, je parle d'hommes qui parlent fort, ce n'est pas tout à fait la même chose
CAROLINE ROUX
Bon, d'hommes qui parlent fort, exactement, alors peut-être qu'il parle fort, ERDOGAN, il revendique sa victoire au premier tour, certains de ses opposants contestent la fraude, est-ce que c'est une victoire nette ou est-ce que c'est une victoire entachée d'un doute, pour vous ?
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, il y a une mission d'observateurs de l'OSCE qui s'est rendue en Turquie, qui rendra ses conclusions, je pense, aujourd'hui ou demain, je ne sais pas encore, je les lirai évidemment avec attention, mon sentiment, c'est que, qu'il gagne au premier ou au deuxième tour, je pense que Recep Tayyip ERDOGAN a gagné. Et je pense que, il restera
CAROLINE ROUX
Et c'est une bonne nouvelle ?
NATHALIE LOISEAU
Il restera le dirigeant de la Turquie. C'est aux Turcs de choisir leur dirigeant, c'est à nous de savoir quelles relations nous voulons avoir avec la Turquie, c'est un partenaire important sur les réfugiés, il y a trois millions de réfugiés en Turquie, sur le terrorisme, parce que c'est un partenaire important, mais l'évolution politique de la Turquie fait qu'il est impossible de l'imaginer dans l'Union européenne.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Nathalie LOISEAU.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 juin 2018