Entretien de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, dans "L'Opinion" du 27 août 2018, sur l'Union européenne face au défi migratoire et sur les élections européennes de 2019.

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Média : L'Opinion

Texte intégral


Q - Bonjour Nathalie Loiseau. Vous êtes ministre en charge des affaires européennes. Emmanuel Macron fait ce matin sa rentrée diplomatique, il fait son traditionnel discours devant la conférence des ambassadeurs. Qu'attendez-vous de ce discours ?
R - On parlera évidemment beaucoup d'Europe à un an des élections européennes mais surtout à un moment où l'Europe est mise au défi par des tensions commerciales transatlantiques qui, certes, donnent le sentiment d'avoir été relativement apaisées mais l'ambiance est toujours ...
Q - C'est l'agressivité de Donald Trump sur les mesures douanières...
R - C'est en tout cas une manière de s'adresser à des vrais sujets - les sujets de surplus, de production d'acier, des sujets de nécessité de réformer l'organisation mondiale du commerce - mais avec des mauvaises solutions, cette tendance, cette tentation d'une guerre commerciale qu'il faut évidemment contrer et que l'on ne peut contrer qu'au niveau européen.
Q - Cela, c'est l'Europe face au reste du monde. À l'intérieur de l'Europe, il y a beaucoup de sujets : l'Elysée promet, je cite, "une rentrée européenne de combat". Qu'est-ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire que l'on a beaucoup de sujets à traiter et qu'aujourd'hui l'Europe connaît des tensions, sur le fait migratoire on le voit évidemment, et qu'il y a aussi des interrogations, des questions sur les valeurs européennes : aujourd'hui, des pays, qui pourtant ont rejoint l'Union européenne parce qu'ils croyaient retrouver la démocratie, la liberté, l'Etat de droit...
Q - Vous pensez à l'Europe de l'Est...
R - Pas tous, on ne peut pas dire l'Europe de l'Est, mais certains oui. On ne peut pas se contenter de voir l'Europe comme un grand marché ou comme un carnet de chèques ; c'est une communauté de valeurs, c'est un espace unique au monde que l'on doit non seulement préserver mais promouvoir.
Q - Mais parler de "rentrée de combat", combat contre qui ou contre quoi ?
R - Combat contre ces défis dont je parlais. Défis commerciaux mais aussi défis migratoires, défis du réchauffement climatique. On a des grands enjeux qu'on doit traiter, sur lesquels ont doit trouver des solutions, éviter de laisser la parole et les actes à ceux qui finalement vivent des problèmes et ne permettent pas de les résoudre.
Q - En tout cas n'ont pas les bonnes solutions. Est-ce que l'Italie est devenue un adversaire en matière de politique européenne ?
R - Non, ce n'est pas un adversaire, c'est d'abord un voisin, c'est un allié, c'est un ami. Mais nous avons des divergences profondes avec le gouvernement italien sur la manière de traiter la question migratoire. Nous avons à chaque étape essayé de travailler avec le gouvernement italien. Au mois de juin, au Conseil européen, nous avons trouvé des solutions coopératives entre Européens pour traiter de l'ensemble du sujet migratoire.
Q - Mais cela ne fonctionne pas davantage pour cela. Il y a eu une réunion vendredi qui n'a débouché sur aucune solution crédible et applicable en matière de gestion des migrants ?
R - Ce que nous regrettons, c'est que, en ce moment, s'agissant des débarquements de migrants - et c'est seulement sur ce sujet-là que les choses sont difficiles - on fait des solutions au cas par cas.
Q - C'est-à-dire que l'on bloque un bateau tant que les pays n'ont pas accepté de prendre leur quota de migrants. Et cela n'est pas satisfaisant.
R - Exactement et à chaque fois les gouvernements en discutent, en débattent. On trouve à chaque fois une solution mais c'est absurde. Et de ce point de vue-là, nous sommes prêts à mettre en place un mécanisme durable de répartition des demandeurs d'asile.
Q - Mais les Italiens ne sont pas convaincus, pour le moment, ils n'en veulent pas. Alors, que fait-on ?
R - Ce qui s'est passé avec le dernier bateau, le bateau des garde-côtes italiens, c'est qu'ils n'ont convaincu à peu près personne ; les Irlandais et, semble-t-il, les Albanais ont accepté de prendre quelques demandeurs d'asile.
Mais nous devons tous revenir à ce que nous avons décidé ensemble avec les Italiens au mois de juin : une politique qui permet à la fois d'aider beaucoup plus les pays d'origine des migrants économiques, de travailler dans les pays de transit, de renforcer le contrôle de nos frontières extérieures et, effectivement, quand les migrants et les demandeurs d'asile sont sur notre sol, de faire coexister responsabilité et solidarité.
Q - Justement, Laurent Wauquiez faisait sa rentrée politique ce week-end et il a expliqué qu'il y avait un risque pour la civilisation de voir tous ces migrants arriver en Europe. Comment vivez-vous ce risque éventuel ?
R - Je vois surtout une droitisation des Républicains qui jouent avec la peur. Aujourd'hui, on ne peut pas dire que l'Europe est une passoire.
Q - Il y a tout de même une réalité et une pression migratoire.
R - Cette pression est beaucoup plus faible cette année : nous l'avons diminué de 80% en un an.
Q - Oui mais elle n'est pas ressentie comme telle ?
R - Elle n'est pas exprimée comme telle par ceux qui jouent avec les peurs, c'est certain ; ils ne veulent pas voir les réalités. Aujourd'hui, l'Europe a trouvé des moyens de réduire la pression migratoire. Cela ne veut pas dire que le sujet n'est pas devant nous, mais c'est une raison de plus pour travailler au niveau européen car le repli national ne permettra rien.
Q - Selon vous, Laurent Wauquiez joue avec les peurs ?
R - J'ai en effet été surprise de ce discours que j'ai trouvé très proche de celui de l'extrême-droite.
Q - Angela Merkel fait également sa rentrée politique avec un discours qui est traditionnel. On dit qu'elle voudrait qu'un Allemand prenne la tête de la Commission européenne, on parle bien sûr de la préparation de ce qui se passera après les élections européennes, au printemps prochain. Ce sera un problème selon vous ?
R - La question n'est pas la nationalité de celui ou celle qui dirigera la Commission européenne, la question c'est : sur quel programme ? Sur quel projet ? Est-ce un projet progressiste qui consiste à regarder les enjeux face auxquels nous sommes ?
Q - Tout le monde dira cela. La question de la nationalité n'est pour vous pas un sujet ?
R - Non, ce n'est pas un sujet.
Q - Par exemple, la France ne soutiendrait ou ne soutiendra pas la candidature de M. Barnier ?
R - Je n'ai pas dit cela, je dis simplement qu'il faut un projet et une personne qui incarne ce projet. On n'est pas bon ou mauvais parce qu'on est Français ou Allemand.
Q - Serait-ce un problème qu'un Allemand dirige la Commission ? On sent bien un peu partout, à Bruxelles et dans les sujets européens, une très grande influence allemande et peut-être même un prima allemand. Cela pose-t-il un éventuel problème de voir un Allemand à la tête de la Commission ?
R - Aujourd'hui, on sent beaucoup moins un prima allemand ; on a pu le vivre, en particulier pendant le mandat du Président français précédent, où la priorité n'était pas à l'Europe. On a peu entendu la France, elle a perdu de l'influence. Aujourd'hui, ce sont les idées françaises qui font l'agenda des discussions européennes, il faut d'abord que la France présente des idées, ensuite que l'Allemagne les appuient, pour que le reste de nos partenaires les écoutent et y travaillent.
Q - Michel Barnier fait un bon candidat ?
R - Michel Barnier fait, pour le moment, un travail extraordinaire, notamment sur le Brexit qui est un enjeu majeur, une urgence de cette rentrée et Michel Barnier est un grand Européen.
Q - Donc chaque chose en son temps, est-ce bien cela ?
R - Bien sûr.
Q - Jean-Luc Mélenchon a appelé les Français ce week-end à faire des élections européennes de l'année prochaine, un "référendum anti Macron" et à mettre une "raclée" démocratique au président de la République. Est-ce inquiétant ?
R - Cela dit tout sur Jean-Luc Mélenchon : c'est cette difficulté qui semble toujours être la sienne à accepter les résultats des élections présidentielles de l'année dernière. Jean-Luc Mélenchon, éternellement, veut faire un troisième tour.
Q - Les élections européennes peuvent-elles être un troisième tour sur le sujet Emmanuel Macron, sur le choix démocratique des Français ?
R - Les élections européennes, ce sont 460 millions d'Européens qui vont aux urnes pour décider quelle direction prend le projet européen face aux enjeux dont je parlais.
Q - Donc vous voulez dire que ce ne doit pas être un sujet français ?
R - Cela ne peut pas être qu'un sujet français.
Q - Le budget est en discussion en ce moment, il est compliqué à boucler comme tous les ans. La croissance sera un peu plus faible l'an prochain, donc on voit bien que le gouvernement cherche de l'argent. Le Quai d'Orsay, les affaires européennes vont-ils payer pour cela ?
R - Le Quai d'Orsay prendra sa part, comme il l'a toujours fait, avec une diminution des effectifs du ministère.
Q - Ce que beaucoup de ceux qui travaillent dans ce ministère trouvent inquiétant. La représentation de la France à l'étranger est aujourd'hui plus faible qu'elle ne l'était auparavant.
R - On n'est jamais heureux d'avoir moins d'effectifs. Mais d'abord, il y a un effort national, il y a un programme du candidat Macron que nous appliquons, c'est-à-dire diminuer les dépenses, diminuer les déficits.
Q - Mais il peut y avoir des priorités et le Quai d'Orsay n'en fait pas partie...
R - On ne peut pas toujours considérer que les efforts doivent être faits par les autres. Ceci étant, et le Président fera aussi des annonces aujourd'hui à la conférence des ambassadeurs, il y a des sujets prioritaires de l'action extérieure de la France sur lesquels les moyens seront là et il y aura surtout une rationalisation de notre réseau à l'étranger. Beaucoup de ministères ont envoyé beaucoup de gens à l'étranger de manière assez désordonnée pendant des années, aujourd'hui on remet un peu d'ordre.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 septembre 2018