Entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec France Info le 28 août 2018, sur l'Union européenne face au défi migratoire.

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Média : France Info

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Q - Ce matin, devant la traditionnelle conférence des ambassadeurs, le président de la République a pris la parole, il a parlé d'Europe évidemment, il a parlé de l'Italie, de la crise des migrants. Concernant l'Italie, il a semblé non pas exonérer l'Italie mais finalement la comprendre. On l'écoute : "ce qui arrive en Italie, nous l'avons produit politiquement par notre absence de solidarité. Est-ce que cela excuse les discours xénophobes, les facilités ? Je ne le crois pas et je crois que d'ailleurs ces mêmes xénophobes n'apportent aucune solution au mal qu'ils dénoncent." Donc, finalement, la méthode Salvini, on a l'impression que cela marche, le président de la République comprend l'Italie.
R - Je n'ai pas la même interprétation des propos du président de la République. Le chantage que vous évoquez est justement paradoxal et contre productif alors que l'Italie demande de la solidarité. La relation au sein même de la coalition italienne, en est compliquée : vous avez vu que les deux leaders di Maio et Salvini se sont parlés, l'un disant à l'autre : "Ne va pas trop loin parce que là on ne va plus pouvoir suivre". Il y a une course en avant en Italie dans un climat électoral qui se poursuit. Et, en réalité, on le voit bien, aucune solution n'a été proposée par les dirigeants italiens à ce stade. La vraie solution c'est la solidarité, le président l'a dit, mais la solidarité se mérite.
Aujourd'hui, l'Europe fait face à un certain nombre de défis. Ces défis, on ne peut pas y répondre chacun dans son coin : la seule réponse à tous ces défis, que ce soit les défis migratoires, que ce soit les défis du commerce international, la réponse vient de la mise en place d'une véritable Europe puissante et solidaire qui sait prendre en compte les problèmes ensemble.
Q - Est-ce que ce ne sont pas que des mots, en particulier la solidarité. On voit les populistes, les xénophobes pour reprendre le terme d'Emmanuel Macron, ne cessent de gagner du terrain en Europe, on le verra notamment en Suède sûrement avec les prochaines élections législatives. Emmanuel Macron paraît de plus en plus isolé. Que pouvez-vous faire contre les populistes et les xénophobes ?
R - Il faut surtout bâtir une Europe des résultats, de l'efficacité, et mais aussi tordre le cou à un certain nombre de fausses informations. Parce que ce dont il s'agit en ce moment, ce n'est pas tant une crise migratoire qu'une crise politique. Parce que la route de la Méditerranée centrale, cette fameuse route, parfois route de la mort pour un certain nombre de personnes qui font cette traversée hélas, ce flux s'est tari de plus de 80% depuis 2015. Donc, on voit bien que le sujet a été pris comme un sujet pour agiter le chiffon rouge. Mais, en réalité, un certain nombre de réponses pérennes sont en train d'être posées : les Européens ont tous décidé ensemble d'augmenter le budget de Frontex pour enfin avoir une véritable surveillance, une protection des frontières extérieures de l'Europe.
Et puis, il y a un enjeu : pour apporter des réponses pérennes, il faut réfléchir au véritable partenariat entre l'Europe et l'Afrique, on est voisins, la dynamique démographique est telle qu'il faut apporter des vraies réponses dans les pays d'origine.
Q - Quelle que soit la politique de développement ?
R - C'est la politique de développement que nous souhaitons porter.
Q - Vous n'empêcherez jamais, en tout cas à court terme, un certain nombre d'habitants de l'Afrique de souhaiter venir en Europe. Il y a un sommet européen en septembre, qu'en attendez-vous concrètement ? On a l'impression que ce que la France souhaite c'est une clef de répartition, que chacun des pays d'Europe s'engage à accueillir un certain nombre de migrants. Est-ce le cas ? Est-ce ce que vous souhaitez ?
R - La France a justement déjà montré la voie. Régulièrement, depuis ces dernières semaines et nous n'avons jamais cessé d'envoyer des missions de l'OFPRA, dès lors qu'un certain nombre de navires arrivaient, pour que l'on puisse identifier les véritables personnes qui répondent du droit d'asile.
Q - Souhaitez-vous que tous les pays d'Europe s'engagent à accepter un certain nombre de migrants ?
R - Il est clair qu'il faut une solution pérenne, il faut sortir de la gestion à la petite semaine qui suscite inutilement des psychodrames. Il faut parvenir à une réponse structurée, cela ne passe pas par l'égoïsme national, cela passe par un travail en commun.
D'ailleurs à la fin du mois de juin, les Européens avaient tracé la voie, avec trois piliers qui étaient, d'une part, le travail avec les pays d'origine, d'autre part le renforcement des moyens sur Frontex et donc avec une plus grande solidarité. Maintenant, il faut écrire tout cela durant les prochains mois, en s'appuyant sur la campagne européenne. Cela va permettre de montrer qui a des solutions et qui fait juste des constats sans apporter de réponses.
Q - Vous êtes une ancienne personnalité de droite avant d'entrer au gouvernement. Que pensez-vous de l'initiative qui comprend de plus en plus de personnalités politiques comme l'ancien Premier ministre Alain Juppé, de créer une liste centriste pour les européennes à côté de la liste présidentielle ?
R - Ce ne sont que des rumeurs. Ce que je constate et vous l'avez dit vous-mêmes, c'est qu'un clivage existe en Europe avec un certain nombre de populistes et de personnes qui "jouent avec les peurs", et face à eux, des gens qui, venant d'horizons très différents, et c'est le point commun avec la dernière élection présidentielle, peuvent décider de se donner la main pour faire progresser une Europe qui soit à la fois efficace, humaniste et progressiste. Bref, une Europe qui apporte des réponses concrètes et c'est ce à quoi nous allons travailler.
Q - Selon le Journal du dimanche, vous êtes le secrétaire d'Etat le moins connu des Français, est-ce un problème lorsqu'on est un homme politique ?
R - Ce n'est jamais un problème quand on décide de faire son travail, d'être à l'étranger et de défendre nos entreprises. Et grâce à vous ce soir, je le serai certainement un peu moins.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 septembre 2018