Texte intégral
Q - Bonsoir Jean-Baptiste Lemoyne, un instant dans l'actualité, des propos d'Emmanuel Macron qui suscitent beaucoup de commentaires. À Copenhague où il est en déplacement, le président a dit cette phrase : le vrai Danois n'existe pas, il est déjà européen ; c'est aussi vrai pour les Français. Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce la fin des nations qui est acté pour lui ?
R - Non, je crois qu'il le dit aussi parce que les Français sont profondément attachés à leur culture, à un certain nombre de traditions, à des valeurs aussi, de même que les Danois. Mais nous avons en commun, les uns et les autres, de partager l'Europe ; dont l'histoire qui a été faite de guerres et de conflits mais que justement, la construction européenne nous a aidé à surmonter. Cela fait 70 ans que nous vivons dans un espace de paix, et même les pays d'Europe centrale et orientale, lorsque le Mur de Berlin est tombé, lorsque le rideau de fer est tombé, ont voulu rejoindre cet espace qui est aujourd'hui un espace de prospérité.
Q - C'est une vision très fédéraliste, et avec ce genre de phrases, on risque d'alimenter le sentiment de perte d'identité, le sentiment de dilution dans la mondialisation. C'est ce que l'on vous reproche, ce que l'on reproche à Emmanuel Macron.
R - Regardez et écoutez précisément ce que dit le chef de l'Etat : lundi, il réunissait les ambassadeurs lors de la conférence du même nom et j'y étais. Il a dit que ceux qui croyaient à l'avènement d'un peuple mondialisé où tout le monde serait pareil, sur le même modèle, parlant une sorte d'esperanto et de globish se sont trompés. Je crois justement qu'au contraire, il reconnaît profondément la diversité, mais ce qui fait la richesse de la diversité, c'est aussi l'altérité et c'est le fait de découvrir l'autre. Nous avons un fond commun, nous avons des perspectives communes, on veut avancer ensemble parce que nous ne pèserons rien tous seuls, il faut être lucide, face aux grands défis du monde.
Q - Décidément, vous réagissez beaucoup aux phrases chocs et même provocatrices d'Emmanuel Macron qui a vanté les Danois, peuple luthérien a-t-il dit, ouvert aux transformations, contrairement aux Gaulois réfractaires au changement. Nous faire la leçon à l'étranger, ce n'est pas une première, mais était-ce vraiment le moment avec tout ce que vous subissez en ce moment ?
R - Il faut regarder la déclaration dans son ensemble, parce que quand il fait référence aux Gaulois réfractaires au changement, il fait référence à l'image et au cliché. Il suffit de regarder Astérix. Ce qu'il dit aujourd'hui justement, ce qu'il dit juste après, c'est que la France depuis un an est transformée par son peuple.
L'image que nous renvoyons à l'étranger, je peux vous le dire à totalement changée. Moi qui suis la moitié de mon temps à l'étranger, je peux vous dire que notre image est celle d'un peuple qui se prend en main, qui fait des réformes qui n'ont pas été faites depuis des décennies, c'est aujourd'hui ici que cela se passe, c'est ici qu'on nous regarde. Il y a d'ailleurs des conséquences très concrètes : plus 16% d'investissements étrangers en France et donc 30.000 emplois créés grâce à ces investissements qui sont venus grâce à une attractivité retrouvée.
Q - Parlons justement de l'image d'Emmanuel Macron qui a été désigné comme la cible numéro 1, l'adversaire en Europe par Viktor Orban le Hongrois et Matteo Salvini l'Italien ; selon eux, le président français est le chef du camp pro-migrants en Europe. Ont-ils tort, il n'est pas pro-migrants M. Macron ?
R - Nous sommes dans une ère de posture.
Q - Ont-ils tort ? Est-il pro-migrants ou non ?
R - Le sujet ne se pose pas en ces termes.
Q - Tout de même, cela définit une politique.
R - Aujourd'hui MM. Salvini et Orban veulent faire croire qu'il y a une crise migratoire. Mais vous avez vu les chiffres, les migrants arrivant en Europe ont diminué de 97% par rapport à 2015, on est donc loin de la crise de 2015 mais ils veulent en faire une crise politique, ils veulent en faire le sujet de clivage pour les élections européennes.
Q - Jean-Baptiste Lemoyne, il y a les chiffres et il y a les craintes, les peurs. Qu'elles soient légitimes ou pas, est-ce que votre discours ne passe pas à côté de l'essence même du défi migratoire et de la peur de certains peuples de perdre leur identité tout simplement ?
R - C'est pour cela que nous avons en France un certain nombre de valeurs que nous réaffirmons et nous demandons naturellement à celles et ceux qui veulent rejoindre ce creuset, de les adopter. Nous allons faire beaucoup en termes d'insertion, de formation.
Le président de la République est très clair. L'Europe, la France, nous devons défendre le droit d'asile. Après, s'agissant des migrations économiques, il faut travailler énormément avec les pays d'origine et de transit pour avoir un véritable développement sur le continent africain et une politique de lutte contre les trafics d'êtres humains. Il faut des réponses pérennes.
Q - Je vous ai parlé d'identité, vous ne m'avez pas répondu. Est-ce que vous considérez que la question migratoire est une question qui touche l'identité même de l'Europe ?
R - Dès lors que nous avons une identité que nous assumons, cette identité n'est pas fermée et doit reposer sur des valeurs. Emmanuel Macron, justement, lors de la campagne présidentielle et aujourd'hui toujours, est celui qui veut fédérer, qui veut unir. Nous ne sommes pas là pour exclure, nous sommes là pour faire se réunir autour de ce qui fait la France, de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, les gens qui le souhaitent.
Q - Mais pour une partie de l'Europe, il est l'incarnation des élites européennes déconnectées du réel, sans racines, pro-mondialisation, ne défendant ni l'identité, ni la culture européenne. Que répondez-vous à cette attaque ? Vous savez qu'elle va être relayée par l'axe Orban-Salvini.
R - Nous sommes là dans des attaques ad hominem. Très clairement, on voit qu'ils souhaitent constituer un axe... ce qui est d'ailleurs très intéressant parce que ce sont des partis, pour Orban, qui adhèrent au PPE, et pour Salvini, qui adhèrent au même groupe que le Front national. Donc, je suis curieux de savoir où va se situer M. Wauquiez puisque Marine Le Pen vient de tweeter que cette réunion était fondatrice, puisque les Républicains appartiennent au même PPE. Je pense qu'il y a aujourd'hui un moment de vérité pour l'Europe, c'est le moment du sursaut. Savoir quels sont ceux qui, autour d'Emmanuel Macron et d'autres, veulent constituer une Europe qui apporte enfin des réponses efficaces...
Q - Ce sera l'heure de vérité.
R - ...Des réponses efficaces parce que le repli national ce n'est pas avec cela que l'on règle les problèmes.
Q - Jean-Baptiste Lemoyne, vous ne le direz pas ouvertement mais vous le pensez tellement fort qu'on l'entend tous dans ce studio : le départ de Nicolas Hulot est un coup dur. Quoiqu'on en pense, il incarnait ce combat écologique. C'est un coup dur.
R - Il a fait un choix, il a fait un choix personnel. L'ambition écologique, elle est là, elle est intacte. Moi, j'ai rallié Emmanuel Macron justement sur la base de son programme, de son projet. Et son projet était très riche en la matière. Et ce projet, on va continuer à le mettre en oeuvre avec le gouvernement. Donc, cette ambition, elle est là. Maintenant, j'avoue que j'ai bien travaillé avec Nicolas Hulot, nous avons bien progressé sur les sujets de politique commerciale. Après, il fait un choix.
Q - Vous vous rappelez que vous avez rallié Emmanuel Macron, vous étiez chez les Républicains et vous mettiez en valeur votre liberté de paroles, de ton. Où est-elle passée aujourd'hui ? Vous récitez tellement bien le catéchisme macronien qu'on s'y perdrait...
R - Non, pas du tout. Je crois profondément à l'action que l'on conduit avec Edouard Philippe, avec Emmanuel Macron. Des moments où la France peut puiser dans ses ressources pour se réinventer, il n'y en a pas eu tant que cela dans l'Histoire ; la dernière fois, c'était en 1958 ; je crois qu'aujourd'hui c'est un peu cette histoire-là qu'on est en train d'écrire.
Q - Vous subissez beaucoup aujourd'hui. Comme dirait Jacques Chirac, "ça vole en escadrilles".
R - J'ai d'autres citations de Jacques Chirac. Jacques Chirac appelait l'attention sur justement sur l'urgence environnementale, il disait "la maison brûle, nous regardons ailleurs". C'est une alerte que nous n'avons pas perdu de vue. Regardez, le 26 septembre dans quelques jours, le président animera à nouveau le "One planet summit" à New York pour mobiliser les fonds pour financer les actions.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2018