Interview de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, avec Radio Classique le 5 septembre 2018, sur l'Union européenne face à la question migratoire, les relations euro-américaines et sur la popularité du président de la République.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME DURAND
D'abord bienvenue !
NATHALIE LOISEAU
Merci.
GUILLAUME DURAND
Et puis, la première est assez simple, il y a eu cet échange entre Daniel COHN-BENDIT et le président donc dimanche. Donc Daniel COHN-BENDIT n'est pas ministre de l'Ecologie, ils en ont convenu tous les deux. Mais mon petit doigt me dit qu'il pourrait jouer un rôle dans les élections européennes. Est-ce que ça vous paraît une bonne idée qu'il puisse être par exemple tête de liste ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, Daniel COHN-BENDIT a été député européen, c'est un grand Européen, très convaincu, très militant, moi, je parle…
GUILLAUME DURAND
Vingt ans député européen…
NATHALIE LOISEAU
Absolument, et il a une écoute au Parlement européen, parce qu'il connaît très bien les sujets. Moi, je parle régulièrement avec lui sur les enjeux européens, comme le fait Emmanuel MACRON, comme ils l'ont fait à nouveau dimanche. Alors, je vais vous décevoir, je ne vais pas vous dire qui va être la tête de liste de la majorité aux élections européennes, parce qu'on n'en est pas là…
GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que ça vous paraît souhaitable ?
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez…
GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous pensez qu'il doit participer à cette aventure, est-ce que ça a été la teneur de leur conversation ?
NATHALIE LOISEAU
Je n'étais pas dans la conversation, ils ont aussi beaucoup parlé de la succession de Nicolas HULOT, vous le savez, puisque, ils l'ont dit de manière très transparente, mais en tout cas, qu'il apporte son expérience, ses contacts aussi pour discuter des prochaines élections européennes, c'est indispensable, même si je pense profondément que ces européennes vont montrer une recomposition du paysage politique à l'échelle de toute l'Europe. Ce qu'on a vécu en France l'année dernière, c'est-à-dire, un choc entre un candidat pro-européen exigeant, Emmanuel MACRON, et une candidate, Marine LE PEN, nationaliste, très négative vis-à-vis de la construction européenne, on le voit ailleurs en Europe, on le vivra l'année prochaine, et c'est probablement sans précédent.
GUILLAUME DURAND
D'accord, donc, si je comprends bien à travers les mots que vous prononcez, peut-être pas tête de liste, mais en tout cas, il jouera un rôle dans cette campagne européenne, vous le souhaitez ?
NATHALIE LOISEAU
En tout cas, c'est quelqu'un avec qui parle souvent, et avec beaucoup d'intérêt…
GUILLAUME DURAND
Mais vous le souhaitez ?
NATHALIE LOISEAU
Bien sûr.
GUILLAUME DURAND
Deuxième question, puisque vous venez d'évoquer justement ce choc entre ceux qui sont pro-européens et nationalistes, vous n'êtes pas sans savoir que Matteo SALVINI, en Italie – c'était encore le cas ces dernières heures – n'arrête pas de dézinguer, pardonnez-moi l'expression, le président de la République, le traitant d'arrogant, d'incapable, notamment sur la question des migrants, et il est rejoint dans ce combat par Viktor ORBAN. Est-ce que vous n'avez pas l'impression que ce courant de pensée est en train de gagner du terrain en Europe ?
NATHALIE LOISEAU
Il parle fort, ce courant de pensée, c'est une évidence, et c'est parfois pour masquer le peu de résultats auxquels il parvient. Aujourd'hui…
GUILLAUME DURAND
ORBAN a été réélu trois fois.
NATHALIE LOISEAU
ORBAN a été réélu trois fois dans son pays, mais sur les grands sujets européens, qu'il s'agisse des migrations, qu'il s'agisse de la situation économique, moi, je vois plutôt aujourd'hui un Matteo SALVINI isolé, regardez le dernier bateau, le bateau des garde-côtes italiens, qu'une fois de plus, Matteo SALVINI avait refusé d'accueillir, finalement, les personnes qui étaient sur ce bateau ont dû débarquer en Italie, il a voulu faire un coup de force, il a voulu fonctionner au chantage sans se préoccuper de la santé et de la sécurité des personnes qui étaient à bord de ce bateau. Aujourd'hui, j'ai envie de dire : quand est-ce qu'on construit quelque chose, les invectives, les algarades les effets d'estrade, c'est peut-être bon pour une campagne électorale, encore que…
GUILLAUME DURAND
Arrogant, dit-il. Il dit : MACRON est arrogant, vous savez que c'est quand même un qualificatif qu'on retrouve aussi chez certains Français, dans des sondages qui sont actuellement extrêmement défavorables au président de la République.
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, Matteo SALVINI n'est pas la personne sur qui je me cale pour savoir ce que j'ai à penser du président de la République. Ce que je constate, c'est que, quel que soit le sujet, il lui faut toujours un coupable, et de préférence, un coupable extérieur, souvenez-vous, l'effondrement du pont de Gênes, j'étais à Gênes juste après pour la cérémonie d'hommage national aux victimes, première réaction de Matteo SALVINI : c'est la faute de l'Europe, c'est toujours la faute de quelqu'un d'autre, l'ennemi de l'extérieur qui ferait que, on ne peut pas faire les choses comme on le souhaite ; c'est une vieille méthode politicienne, ce n'est pas forcément le meilleur moyen pour conduire un gouvernement.
GUILLAUME DURAND
Madame LOISEAU, vous comprenez que du point de vue de l'opinion publique en Italie, depuis des années, la transition qui vient d'Afrique, de Libye, etc., passe par l'Italie ou passe par la Grèce, donc...
NATHALIE LOISEAU
Passait par l'Italie…
GUILLAUME DURAND
Oui, passait par l'Italie et passe par la Grèce…
NATHALIE LOISEAU
Aujourd'hui, c'est fini…
GUILLAUME DURAND
C'est fini, mais enfin, on comprend que l'opinion a été portée à bout pendant un certain temps, parce que c'est finalement eux qui ont accueilli tous les migrants qui après ont été dispatchés un petit peu partout en Europe, mais ça passait par chez eux.
NATHALIE LOISEAU
L'opinion, elle a été chauffée à blanc surtout, regardez aujourd'hui par où arrivent les migrants et les demandeurs d'asile, par l'Espagne, par où ils arrivaient en 2015, par la Grèce. De quoi a-t-on parlé cet été en Italie ? De quelques centaines de personnes, de l'arrivée de quelques centaines de personnes dont des populistes ont voulu faire un étendard anti-migrants. Je regrette que, on invente une crise au moment où l'Europe avait permis de la régler, ça ne veut pas dire qu'on n'a pas un défi devant nous, ça ne veut pas dire que, il n'y ait pas besoin de davantage de solidarité, vous avez raison, il y a des pays qui n'ont pas été solidaires, vous avez cité Viktor ORBAN tout à l'heure, l'axe ORBAN/SALVINI, je ne le comprends pas dans les faits, dans les résultats, SALVINI veut que les Européens…
GUILLAUME DURAND
Cet axe est installé…
NATHALIE LOISEAU
Dans le discours mais Matteo SALVINI veut que les Européens accueillent davantage de migrants, le premier à dire : moi, je n'en ai pas pris un seul et je n'en prendrai pas davantage, c'est Viktor ORBAN, tout ça, c'est de l'affichage politicien.
GUILLAUME DURAND
Question, et elle est importante, est-ce que vous avez le sentiment que la séquence qui vient de se terminer avec justement l'approbation du prélèvement à la source et un remaniement ministériel, qui est plus un remplacement ministériel, va mettre fin à une séquence de désamour à l'égard du président de la République, qui est marqué par une chute de 10 points dans les sondages ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, vous savez, moi, je suis entrée en politique en écoutant beaucoup Jacques CHIRAC qui disait : il faut mépriser les hauts et repriser les bas, c'est-à-dire que les sondages, c'est important, mais ce n'est pas comme ça qu'on fixe son action. Nous, on est déterminés à continuer à transformer le pays, tout le monde nous reconnaît cette capacité, cette volonté à agir, à décider. Et ce qu'on a vu sur le prélèvement à la source, c'est que, au-delà de l'annonce, au-delà de la décision, nous, on vérifie la qualité de la mise en oeuvre, parce que quand il s'agit de l'argent des Français, on a quelques souvenirs, et Emmanuel MACRON parce qu'il a été à Bercy, moi-même parce que j'ai longtemps été dans un grand ministère, nous savons que les administrations, quand elles nous disent : tout va bien, la confiance n'exclut pas le contrôle. Vérifier que…
GUILLAUME DURAND
Mais d'accord, mais comprenez ma question, qu'est-ce qui s'est passé en quatre jours, c'est-à-dire, il y a les doutes de la Mayenne et l'approbation d'hier soir ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
NATHALIE LOISEAU
Eh bien, on a mis sous pression une administration à laquelle on a demandé de répondre aux bugs qu'on avait constatés dans les périodes de tests et à qui on a demandé des dernières améliorations, la réunion d'hier a permis de clarifier et d'avancer sur la question des crédits d'impôts par exemple pour les personnes qui font des dons, pendant plusieurs mois, on avait entendu que, on n'allait rien changer là-dessus, et puis, finalement la mise en oeuvre du prélèvement à la source se fera en faisant en sorte que dès janvier, les personnes qui font des dons aux associations aux associations, par exemple, puissent avoir un crédit d'impôt, c'est l'Etat qui fera une avance de trésorerie, c'est une amélioration, la réunion d'hier a permis, 1°) : d'être certain que tout était sous contrôle. 2°) : de caler des derniers détails qui font que ce prélèvement à la source, c'est un vrai progrès pour les Français.
GUILLAUME DURAND
Vous êtes ministre des Affaires européennes, je le dis depuis le début de cet entretien, le personnage qui a joué un rôle important depuis ces derniers mois, c'est évidemment, hors la situation française, Donald TRUMP. Ce livre de Bob WOODWARD est un livre qui est un réquisitoire, alors, qui explique... je ne sais pas si c'est un qualificatif qu'il faut retenir, mais enfin, qui n'a pas même le niveau de l'école élémentaire, c'est d'une extrême violence, c'est un journaliste expérimenté, l'homme du Watergate qui a écrit sur tous les présidents américains. Il se trouve que vous le connaissez, Bob WOODWARD, vous l'avez croisé.
NATHALIE LOISEAU
Je le connais bien, parce que j'ai passé cinq ans aux Etats-Unis au début des années 2000, et que j'étais porte-parole de la France aux Etats-Unis, donc je travaillais avec tous les grands journalistes, notamment Bob WOODWARD. C'est un très grand journaliste, il a en général beaucoup de sources. Je ne vais pas revenir sur ce livre, je ne l'ai pas lu. Je le lirai certainement…
GUILLAUME DURAND
De toute façon, il sort le 11 septembre…
NATHALIE LOISEAU
Je le lirai certainement. Ce qui se passe, par rapport à l'Europe, par rapport à nous, Donald TRUMP ou pas, il y a une tendance de fond de l'Amérique à davantage de repli sur soi, à davantage d'isolationnisme…
GUILLAUME DURAND
Qui a commencé avec OBAMA…
NATHALIE LOISEAU
Qui a commencé dès OBAMA, il ne faut se faire aucune illusion, et il y a avec ce président et cette administration, pas seulement Donald TRUMP, mais tous ceux qui l'entourent, une remise en cause du multilatéralisme. On l'a vu avec la sortie des accords de Paris sur le climat, on l'a vu avec des paroles sur l'alliance Atlantique, qui ont semé le trouble chez un certain nombre de nos partenaires européens. Nous étions avec Emmanuel MACRON, la semaine dernière, au Danemark, en Finlande, nous avions reçu les présidents des Pays Baltes, il y a peu de temps à Paris, ces pays s'inquiètent, cela nous entraîne à beaucoup plus d'engagements, de convictions en faveur de l'Europe de la défense. De ce point de vue-là, le besoin d'une autonomie stratégique de l'Europe, il est aujourd'hui partagé par tous…
GUILLAUME DURAND
... Toutes les opérations militaire qui ont été menées justement les derniers temps, il suffit de se souvenir de François HOLLANDE au Mali, l'Europe de la défense, il n'y en jamais eu, c'était la France qui y allait.
NATHALIE LOISEAU
Alors, c'est de moins en moins vrai ce que vous dites. Aujourd'hui, au Mali, vous avez des troupes du Nord de l'Europe, vous avez des Allemands…
GUILLAUME DURAND
C'est de moins en moins vrai, mais c'était vrai.
NATHALIE LOISEAU
Ça a été vrai il y a vingt ans, mais il faut qu'on change notre logiciel, il faut que l'on dise et qu'on reconnaisse que nos alliés sont avec nous au Mali par exemple, que nous, nous sommes en Estonie ou en Lituanie, c'est-à-dire que nous avons aussi pris conscience que ces pays sont face à un voisin russe qui les inquiète, et nous le regardions assez peu dans cette direction à l'époque, et puis, souvenons-nous au moment des attentats du Bataclan, nous avons mis en oeuvre, pour la première fois, une clause de solidarité des armées européennes entre elles, un certain nombre de pays européens, je pense notamment à la Finlande, nous ont remplacés dans la FINUL au Liban, pour nous permettre de rapatrier des troupes en France, pour l'opération Sentinelle. Il faut aller plus loin, mais ça y est, il se passe quelque chose depuis six mois, un an sur l'Europe de la défense, qui ne s'était pas passé en 60 ans.
GUILLAUME DURAND
Depuis des années, on dit que l'Europe fonctionne sur la réunion, ou en tout cas, la bonne entente qui existe, Helmut KOHL, François MITTERRAND, et tous les successeurs, bien évidemment, entre l'Allemagne et la France. Madame MERKEL est en difficulté, Emmanuel MACRON est en difficulté, donc à l'intérieur de son propre pays. Est-ce qu'on peut aller aux élections européennes avec les deux piliers qui sont des piliers fragiles, voire fragilisés ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, Emmanuel MACRON n'est pas du tout un pilier fragile, il a été…
GUILLAUME DURAND
Fragilisé dans l'opinion ! Les élections, ce sont les Français qui votent !
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, Emmanuel MACRON…
GUILLAUME DURAND
Ce n'est pas la technostructure qui vote…
NATHALIE LOISEAU
Emmanuel MACRON – je ne vous parle pas de technostructure, je vous parle de majorité politique – il a une majorité politique forte au Parlement, qui a permis à son gouvernement depuis un an de faire des réformes sur la SNCF, sur le code du travail, sur la liberté de choisir son avenir professionnel. Bientôt, sera présentée au Parlement la loi Pacte, sur les entreprises. Et vous le savez, nous avons tout à l'heure un séminaire gouvernemental, le programme de réformes pour la rentrée sur le plan hôpital, sur le plan pauvreté, sur la dépendance, sur l'assurance-chômage, ce programme, il est dense, et il est soutenu par la majorité. Emmanuel MACRON n'est pas en difficulté…
GUILLAUME DURAND
Non, mais il est soutenu par la majorité – pardonnez-moi de vous interrompre – mais il est soutenu par la majorité, mais les Français n'ont pas très bien compris, c'est-à-dire, c'est : réforme, réforme, réforme, réforme, réforme, elles s'additionnent, personne ne le conteste, sauf que les gens ne voient ni les résultats, et ils ne comprennent pas exactement où on veut aller…
NATHALIE LOISEAU
Ils le comprennent très bien, ils ont voté pour un programme, et on applique le programme pour lequel ils ont voté…
GUILLAUME DURAND
Non, mais ils ont voté à la dernière présidentielle, mais depuis…
NATHALIE LOISEAU
Ah ben, c'était il y a un an !
GUILLAUME DURAND
Oui, d'accord, non, mais enfin, non, c'est 25 % du quinquennat qui s'est écoulé maintenant, les résultats, c'est quand ?
NATHALIE LOISEAU
Et les résultats, on l'a dit tout de suite, ces résultat n'allaient pas venir dans six mois, on l'a vu, on n'a jamais prétendu…
GUILLAUME DURAND
On a dit dix-huit, vingt-quatre mois, il a dit, on en est à quatorze mois…
NATHALIE LOISEAU
On n'a jamais prétendu qu'il y avait une baguette magique. En revanche, ce qu'on voit, c'est qu'il n'y a jamais eu autant d'embauches en France. Moi, je fais le tour de France en ce moment, puisqu'on débat sur l'Europe partout, à travers les territoires, il y a déjà eu plus de 350 débats, il y en aura encore 350. Partout, je rencontre des chefs d'entreprise qui ont du mal à embaucher, c'est la raison pour laquelle d'ailleurs on met le paquet sur la formation et l'apprentissage, aujourd'hui, on crée des emplois en France, aujourd'hui, il y a des investisseurs étrangers qui arrivent en France, les choses changent. La SNCF, tout le monde nous a dit : vous n'y arriverez pas, tout le monde nous a dit : le pays sera à feu et à sang, la SNCF est réformée, et les Français nous en savent gré. Quant au couple franco-allemand, madame MERKEL vient en France vendredi, on avance, on est d'accord sur des grands sujets, l'innovation, la défense, j'en parlais, il y aura un avion de combat franco-allemand, il y aura un char franco-allemand, et on travaille sur le budget de la zone euro. Donc l'Europe avance évidemment. Le couple franco-allemand, ça ne suffit pas, mais il existe, et il y a un moteur.
GUILLAUME DURAND
Nathalie LOISEAU, donc ministre des Affaires européennes, dans le gouvernement donc d'Edouard PHILIPPE, était l'invitée politique de la matinale. Demain, ce sera la rentrée politique de Marine LE PEN sur notre antenne. Merci, bonne journée à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 septembre 2018