Extraits d'un entretien de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, avec Sud Radio le 25 septembre 2018, sur l'Union européenne face à la question migratoire, les négociations concernant le Brexit et sur les relations franco-américaines.

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Média : Emission La Tribune Le Point Sud Radio - Sud Radio

Texte intégral


Q - Bonjour Madame Nathalie Loiseau. Nouvel épisode sur les migrants. L'Aquarius fait route vers la France et demande l'autorisation de débarquer 58 migrants à Marseille. La France doit-elle l'accueillir ?
R - Que se passe-t-il en Méditerranée depuis cet été ? Beaucoup moins de traversées de migrants que les années passées, à peu près dix fois moins. Mais la loi de la jungle comme jamais, c'est-à-dire des passeurs qui sciemment mettent des migrants et des demandeurs d'asile sur des embarcations dont ils savent qu'elles vont couler, c'est même fait pour. C'est totalement inhumain. Derrière, des ONG ou des garde-côtes ou des navires d'Etats qui leur viennent en secours quand ils sont en train de se noyer. Et puis, la fin du droit international ou de son respect, c'est-à-dire que les pays les plus proches des côtes libyennes ont fermé leurs portes, c'est le cas de l'Italie. Or, quand vous êtes en détresse, le droit international et le respect de la personne humaine veulent que vous débarquiez dans le port sûr le plus proche.
Pour répondre à la question sur l'Aquarius maintenant, avec une cinquantaine de migrants ou demandeurs d'asile à bord, nous sommes en discussion avec d'autres pays européens, comme nous l'avons été tout l'été pour trouver un port sûr de débarquement et pour répartir entre pays européens progressistes, volontaires les demandeurs d'asile qui se trouvent à bord.
On va trouver une solution, mais ce qui n'est pas normal c'est à la fois les passeurs qui font une fortune...
Q - ...Les passeurs sont complices.
R - Ils sont à l'origine...
Q - Je veux dire : les ONG sont complices.
R - Non, les ONG font leur travail d'ONG. C'est-à-dire que, lorsque des gens sont en train de noyer, ils leur viennent au secours, et vous avez des navires d'Etats qui le font. La particularité de l'Aquarius cette fois-ci c'est qu'il se retrouve sans pavillon, ce qui pose une difficulté...
Q - Le pavillon de Panama...
R - Il avait Gibraltar, puis il avait Panama. Ce sont des pavillons de complaisance, on le sait.
Q - Nathalie Loiseau, son port d'attache, c'est Marseille.
R - Ce n'est pas son port d'attache. Au départ...
Q - C'est ce que dit SOS Méditerranée.
R - Jusqu'à récemment, son port d'attache était en Italie. Mais SOS Méditerranée est une ONG déclarée en France.
On est en train de travailler à savoir dans quel port sûr le plus proche, parce qu'il y a des enfants, des femmes...
Q - Quel est le port le plus proche ?
R - On le sait tous : c'est l'Italie ou Malte.
Q - Oui, mais c'est toujours l'Italie, bien sûr, quoi.
R - C'est toujours l'Italie, sauf que ce que nous proposons, ce que nous avons proposé depuis juin à l'ensemble des pays par lesquels les migrants et les demandeurs d'asile arrivent, c'est de faire en sorte que, quand un migrant ou un demandeur d'asile débarque, il débarque en Europe. C'est-à-dire que l'Europe soit 100% solidaire au pied du bateau, que ce soient des agences d'asile européennes qui interrogent les demandeurs d'asile - c'est ce que l'on a fait à Valence avec la première traversée de l'Aquarius, c'est que l'on a fait avec le Lifeline, c'est ce que l'on a fait tout l'été - et que ceux qui sont des vrais réfugiés soient répartis dans les pays volontaires et ceux qui ne relèvent pas de l'asile soient raccompagnés dans leur pays d'origine dignement. On l'a fait tout l'été. L'Europe est dix fois plus solidaire qu'elle ne l'était précédemment. C'est la raison pour laquelle nous redisons à l'Italie : l'idée de fermer ses ports à des gens en détresse, c'est contraire au droit, c'est contraire à l'humanité. Mais nous avons bien conscience...
Q - Oui, mais c'est un peu facile. Vous dites à l'Italie : ouvrez vos ports. Mais...
R - On ne va réinventer la géographie.
Q - Oui, bien sûr, mais ils pourraient quand même aussi venir en France. Franchement, accueillir 58 migrants à Marseille, est-ce que cela va déstabiliser la France ?
R - Ce n'est pas du tout ce que je suis en train de dire. Simplement, faire faire cinq jours de mer à des gens qui pourraient n'en faire qu'un seul, est-ce que cela a du sens quand l'Europe s'engage dès le débarquement, qui est souhaitable, qui est souhaité parce qu'il y a des gens à soigner, à répartir les demandeurs d'asile ? La réponse a été dessinée par des pays européens de bonne volonté qui ont montré leur bonne volonté tout l'été. On a parlé de quelques centaines de demandeurs d'asile, on n'a pas parlé de flux migratoires comme c'était le cas en 2015 ou en 2016.
Q - Le gros problème, Nathalie Loiseau, c'est que l'on devrait intervenir, nous, l'Europe, au départ, au démarrage, à l'origine. Vous dites : c'est un crime de laisser des enfants dans un bateau qui peut couler, etc. avec tous ces risques. Eh bien, c'est là qu'il faut intervenir, au démarrage.
R - Vous avez complètement raison et c'est ce que nous faisons depuis l'année dernière au Niger, au Tchad, qui sont sur la route des migrants économiques illégaux. Nous avons des missions de l'OFPRA, l'office français de protection des réfugiés et apatrides, qui interrogent les gens qui viennent les voir à Agadès par exemple, en leur disant : " si vous êtes d'une nationalité qui relève de l'asile, autant vous réinstaller directement en Europe par avion ; vous évitez le traumatisme de la Libye, parce que l'on sait les violations des droits de l'Homme qui s'y passent, et de risquer votre vie en traversant la Méditerranée. Si, en revanche, vous êtes d'une nationalité qui ne relève pas de l'asile, autant vous raccompagner dans votre pays d'origine, c'est l'organisation internationale des migrations qui s'en charge, avec une aide à vous réinstaller, à faire en sorte que vous ayez une formation, un emploi. ".
Il n'y a aucune raison que les jeunes Africains les plus courageux, les plus dynamiques aient leur avenir uniquement en-dehors du continent africain. Donc, nous, nous le faisons, nous disons à nos partenaires européens de faire la même chose. Et il y a un engagement des Européens depuis juin à renforcer l'aide à l'Afrique autour des emplois et de l'investissement.
Q - Pour conclure sur ce dossier de l'Aquarius, à quand une réponse ? Puisque c'est assez urgent.
R - Depuis hier, les ministres de l'intérieur de l'Union européenne, notamment Gérard Collomb, y travaillent sans cesse. J'espère qu'on aura une réponse dans la journée. En tout cas, nous sommes très engagés. Tout l'été, c'est ce qui s'est passé, c'était même pour le coup le président de la République lui-même qui prenait son téléphone.
Q - Ce pourrait être Malte ?
R - Ce n'est pas à moi de le dire. Il y aura une réponse européenne coordonnée, coopérative, comme on l'a fait depuis le début. Ce que nous regrettons, c'est que quelques pays européens se soient mis en-dehors de cette solidarité européenne qui est indispensable.
Q - Marseille, c'est exclu ou pas ?
R - Le jour où un navire arriverait devant Marseille avec des gens en détresse, naturellement nous le prendrions. Ce n'est pas là où est l'Aquarius aujourd'hui. Il y a probablement des solutions européennes.
Q - Il peut s'arrêter en Corse en passant. Souvenez-vous, il y avait eu la proposition.
R - Il y avait eu une proposition qui venait d'élus qui n'avaient pas la compétence pour faire cette proposition à un moment où le navire n'était pas en face de la Corse. Je peux vous dire demain que je prends des gens sans en avoir la responsabilité ni les moyens, c'était de la politique...
Q - Venons-en, Nathalie Loiseau, au Brexit, puisque c'est vous qui conduisez les négociations pour la France sur le départ du Royaume-Uni. On rappelle que la date limite c'est le 29 mars, l'an prochain. Y a-t-il encore une possibilité d'une marche arrière ? Certains travaillistes y pensent encore en Grande-Bretagne.
R - Moi, je ne travaille pas sur les hypothèses parce que la réalité est déjà assez compliquée comme cela. Aujourd'hui, ce que nous cherchons c'est un bon accord de séparation entre le Royaume-Uni qui a pris cette décision, c'est un référendum britannique qui l'a décidé, et donc nous respections cette décision et nous souhaitons pouvoir nous séparer dans de bonnes conditions pour, ensuite, reconstruire une relation aussi étroite que possible.
Q - Mais est-ce qu'il y aurait quand même cette possibilité d'un nouveau référendum ?
R - Si les Britanniques le décident, ce ne sont pas les Européens qui diront non à un nouveau référendum. Mais ils ne l'ont pas décidé.
Q - Vous les encouragez lors des discussions ?
R - Ce n'est pas à nous de le faire. C'est une décision souveraine démocratique du peuple britannique représenté par un gouvernement qui, aujourd'hui, dit qu'il ne fera pas de nouveau référendum. C'est pour cela que c'est une hypothèse sur laquelle je ne travaille pas. Si cela devait arriver, évidemment nous respecterions un nouveau référendum britannique.
Q - Du coup, vous travaillez sur ces négociations. Et, là, vous êtes assez fermes face aux propositions de Theresa May, pas de cadeau.
R - Ce n'est pas que ce n'est pas de cadeau.
Q - Cela ressemble quand même à cela.
R - Non, c'est parfois ce que disent les Britanniques. Mais je vais vous dire une chose très simple : nous n'avons pas pris la décision de mettre dehors le Royaume-Uni, c'est un choix qui a été fait par les Britanniques. Les Britanniques ne peuvent pas demander à sortir de l'Union européenne, en avoir demain tous les avantages sans ne plus respecter les réglementations européennes, les solidarités, les obligations qui vont avec le fait d'être dans l'Union européenne. C'est cela que nous disons : on ne peut pas être plus confortable dehors que dedans. La relation la plus étroite que l'on peut avoir avec l'Union européenne, c'est quand même d'être Etat membre.
Nous, nous souhaitons un bon accord, nous souhaitons un partenariat intelligent, étroit, mais nous ne voulons pas que cela se fasse au détriment de l'Union européenne, de nos citoyens, de nos entreprises. Je défends tout simplement les intérêts des entreprises et des citoyens français.
Q - Un mot à la ministre européenne : vous encouragez un ancien Premier ministre français à être maire de Barcelone, Manuel Valls bien sûr ?
R - C'est sa décision, c'est son choix. Tout laisse à penser que c'est ce qu'il a envie de faire. C'est une belle illustration de l'Europe.
Q - Vous y êtes plutôt favorable ?
R - Il ne m'a pas demandé mon avis et il n'a pas à le prendre d'ailleurs. Mais, regardez, aux élections européennes, les ressortissants européens qui résident en France peuvent voter en France. Il y a une forme de citoyenneté européenne, qu'on le veuille ou non, qui existe.
Q - Un dernier mot sur Emmanuel Macron qui est aux Etats-Unis. Une heure d'entretien avec Donald Trump cette nuit. Les positions sur l'Iran et le commerce international sont plutôt figées. Cela va être dur avec le président américain et devant l'Assemblée générale des Nations unies aujourd'hui pour Emmanuel Macron.
R - C'est important de se parler avec le président américain, y compris quand on n'est pas d'accord. Et il est vrai qu'il y a de vrais sujets de désaccords. Les accords de Paris sur le climat, dont les Etats-Unis sont sortis, les sanctions vis-à-vis de l'Iran que les Etats-Unis veulent imposer y compris à des pays comme des pays européens qui considèrent que l'Iran respectent ses engagements en matière nucléaire ; il y a un certain nombre de sujets sur lesquels nous ne sommes pas d'accord. Le meilleur moyen de se rapprocher, c'est de se parler, c'est ce qu'a fait le président Macron hier. Il a été le premier chef d'Etat étranger qu'a vu Donald Trump au début de l'Assemblée générale des Nations unies. Tout ce que l'on peut faire ensemble, c'est notre devoir de le faire.
Et puis, travailler avec le peuple américain, je parlais des accords de Paris sur le climat, il est vrai que les Etats-Unis en sont sortis mais il est vrai qu'aujourd'hui un certain nombre de villes et d'Etats américains les respectent parce qu'ils ont compris que c'est l'avenir de notre planète et qu'on n'a pas le choix.
(...)
Le Brexit, ce n'est pas simple, c'est clair. Ceux qui avaient vendu le Brexit à des électeurs lors d'un référendum en leur disant que cela allait se faire d'un claquement de doigt et que demain, les lendemains chanteraient immédiatement, ont menti aux électeurs britanniques. On n'a pas envie de punir les Britanniques mais il est vrai que le Brexit montre tous les jours que l'Union européenne, finalement, cela vaut beaucoup plus que ce que l'on en pense. On ne s'est pas habitué à être l'espace le plus libre, le plus prospère et le plus juste socialement au monde, on devrait s'en souvenir.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 septembre 2018