Dclaration de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, sur la lutte contre la fraude fiscale, à l'Assemblée nationale le 17 septembre 2018.

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Circonstance : Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d'un projet de loi adopté par le Sénat, à l'Assemblée nationale le 17 septembre 2018

Texte intégral


M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la lutte contre la fraude (nos 1142, 1212, 1188).
- Présentation -
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le président, madame la rapporteure de la commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, monsieur le président de la commission des finances, mesdames et messieurs les députés, nous voilà réunis une nouvelle fois – et, espérons-le, une dernière – pour terminer le travail très important que nous avons engagé avec les sénateurs et avec vous-mêmes, en commission, depuis le projet de loi dit du « droit à l'erreur », afin que la fraude soit plus durement sanctionnée et l'erreur de bonne foi mieux reconnue. Si l'erreur est humaine, persévérer est diabolique : les deux textes du Gouvernement se complètent efficacement. Je voudrais saluer le travail important qu'ont mené notamment Mme la rapporteure et les membres de la commission des lois, ainsi que la mission d'information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, présidée par M. Éric Diard, dont je salue la recherche de consensus.
La commission des finances a adopté quatre-vingt-sept amendements, émanant de tous les groupes de l'Assemblée nationale. En s'engageant dans ce débat, le Gouvernement est animé par un état d'esprit constructif, qui pourrait le conduire, je l'espère, à adopter la plupart des amendements présentés par les parlementaires, quelle que soit leur orientation politique. Madame la rapporteure, je crois que les doutes que vous nourrissiez en certains domaines ont été en partie levés en commission. Formons le voeu que, sur un certain nombre d'autres sujets que celui qui a fait la une de l'actualité, à savoir la disparition du « verrou de Bercy », nous puissions, dans les trois jours à venir, travailler pour amender le texte et ainsi le rendre, je l'espère, quasiment parfait avant son retour en commission mixte paritaire et, peut-être, un accord entre les deux chambres.
Ce projet de loi est porteur d'enjeux budgétaires, philosophiques et techniques. S'agissant des enjeux budgétaires, j'ai eu l'occasion, très récemment, conformément à l'engagement que j'avais pris lors de la discussion du précédent projet de loi de finances, de travailler sur l'objectivation du montant de la fraude fiscale et sociale dans notre pays. Vous avez sans doute entendu l'annonce que j'ai faite à ce sujet à Bercy. Même si les estimations varient beaucoup, nous savons que ce montant est considérable : il serait compris entre 40 et 100 milliards. En 2017, un syndicat évoquait le chiffre de 80 milliards. Cela tombait bien, c'était le montant du déficit public. Et cette année, alors que la presse évoquait un déficit de 100 milliards, le même syndicat portait son estimation au même montant... Comme si nous n'avions pas, par ailleurs, à réaliser des économies et des transformations, comme si lutter contre la fraude suffisait à notre bonheur budgétaire. C'est évidemment faux, même si la naïveté est également à exclure : nous devons tous ensemble mener des politiques publiques pour lutter contre toute forme de fraude, et particulièrement contre les grands fraudeurs.
Ce texte soulève également des enjeux philosophiques. En commission comme au Sénat, nous avons travaillé non pas sur la meilleure politique fiscale à engager pour notre pays – ce n'est pas l'objet du présent texte : c'est le projet de loi de finances qui sera le cadre de ce débat politique – mais sur la manière de lutter plus vigoureusement contre la fraude, fiscale notamment, mais également sociale. Le Gouvernement a pris à cette fin un certain nombre d'engagements, et des amendements ont été adoptés par les sénateurs et, surtout, par les députés. La question du verrou de Bercy est, pour ainsi dire, réglée. Madame la rapporteure, j'aurai l'occasion de m'exprimer, comme je l'ai fait en commission, pour évoquer les sujets liés à la circulaire que nous cosignerons avec Mme la garde des sceaux, qui constituera d'une certaine façon le pendant, en matière réglementaire et sur le plan de la politique administrative, du vote que fera peut-être votre assemblée sur la fin du verrou de Bercy.
Des questions importantes sont en jeu autour de la police fiscale. Les dispositions ont été supprimées au Sénat, et vous en proposez le rétablissement. Je suis prêt à apporter d'autres engagements pour compléter utilement le dispositif : il ne s'agit pas d'inciter à une sorte de guerre des polices, mais d'offrir une arme supplémentaire aux magistrats, qui auront la possibilité de saisir un corps nouveau. Je rappelle en effet que, si ces policiers fiscaux seront placés sous l'autorité du ministre de l'action et des comptes publics, ils ne pourront être saisis que par les magistrats, de la même façon que ces derniers peuvent actuellement saisir le service des enquêtes douanières, qui dépend du ministère de l'action et des comptes publics, ou les services de police, qui relèvent de l'autorité du ministre de l'intérieur. Il ne s'agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul, mais de compléter le panel des dispositifs juridiques dont disposent nos magistrats dans la lutte contre la fraude.
Des difficultés importantes se posent également dans le domaine des plateformes. Nous aurons l'occasion de discuter de l'amendement de Mme la rapporteure et de celui proposé par le Gouvernement. Votre assemblée demande davantage de cohérence dans les politiques publiques menées en cette matière – je pense au fameux amendement Cherki, sous la législature précédente, qui n'avait toutefois pas fait l'objet, à notre arrivée, d'un décret d'application. Les sénateurs comme les députés, sur tous les bancs, multiplient les interpellations quant au fait que le monde physique, on s'acquitte de ses obligations fiscales, mais que dans la sphère numérique on y échappe.
Notons que le partage, lui, ne doit pas être soumis à imposition. Je rappelle, après quelques entreprises de déformation, qu'il ne s'agit pas d'imposer là où cela n'a pas lieu d'être. Il ne s'agit pas de fiscaliser la vente de la poussette qu'Éric Woerth, peut-être, opère sur un site bien connu, et que Charles de Courson, par exemple, pourrait acheter. J'aurais aussi bien pu parler de bilboquets, d'ailleurs... (Sourires.) L'idée est d'introduire un peu d'égalité entre le monde physique et le monde numérique, afin de lutter contre une fraude fiscale qui ne dit pas son nom. C'est le corollaire du travail accompli par Bruno Le Maire au niveau européen en matière de fiscalité des géants du numérique, à commencer par les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon.
Frauder l'impôt est évidemment tout à fait inacceptable. C'est un coup de canif, voire un coup de poignard au pacte républicain. C'est s'attaquer aux fondements même de la démocratie représentative, dont l'avènement est intimement lié aux prélèvements obligatoires. Certes, nous aurons ici un débat sur le niveau de l'imposition – le Gouvernement considère qu'il est encore trop élevé : comme l'année dernière, il proposera, dans le projet de loi de finances, d'abaisser encore la fiscalité – mais on doit payer son juste impôt. Laisser se développer l'idée selon laquelle la contribution aux charges publiques aurait toujours pour contrepartie un bénéfice personnel n'est pas conforme à l'idée que l'on se fait de la République. Enfin, je vous rappelle que le principe d'égalité – qu'il s'agisse de l'égalité devant la loi fiscale, au sens de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ou de l'égalité devant les charges publiques, au sens de l'article 13 – s'oppose à ce que l'on contrevienne au paiement de l'impôt, qui permet de faire fonctionner les services publics et d'assurer la nécessaire solidarité que, j'en suis certain, chacun ici appelle de ses voeux.
Une autre menace pèse sur l'impôt : celle de la fraude internationale. Nous évoquerons à la fin du texte la question des paradis fiscaux, ces fameux « trous noirs », et de la liste européenne. La ligne de partage avec l'optimisation fiscale n'est pas toujours aisée à établir : c'est le débat entre la morale et la légalité. Nous espérons que nous ferons ici plus de droit que de morale, même si, bien sûr, les représentants du peuple ont toute légitimité pour exprimer leur point de vue sur cette distinction. Le Gouvernement s'est engagé au moins à écouter, et peut-être plus, les demandes visant à aller plus loin que les pays de l'OCDE et de l'Union européenne. Nous y reviendrons, notamment à propos d'amendements que nous avons acceptés de la part de députés de la République en marche et du MODEM, mais aussi du groupe socialiste et de la Gauche démocrate et républicaine.
Sur le plan national, nous devons faire en sorte que le très bon travail, pas encore totalement achevé, accompli par Jean-François Parigi, président de la mission d'information sur l'optimisation et l'évasion fiscales, et Bénédicte Peyrol, sa rapporteure, débouche, si ce n'est sur une concrétisation dans le présent projet de loi, du moins sur une affirmation de la volonté de lutter plus fortement contre la fraude fiscale. Le concept de civisme avait déjà été avancé dans la loi instituant le droit à l'erreur, et sera peut-être encore développé dans le projet de loi de finances, si Mme Peyrol dépose des amendements conformes à ce qu'elle a préconisé dans la mission d'information – je salue à nouveau son travail en la matière. Ce lien particulier doit être développé, car c'est le meilleur moyen de lutter, y compris sur le plan moral, contre la fraude fiscale. Mes services comme ceux du ministère de l'économie et des finances porteront une grande attention aux conclusions du rapport d'information de M. Parigi et de Mme Peyrol.
Le projet de loi renforce aussi les outils et les moyens affectés aux sanctions. À cet égard, la douane joue un rôle majeur dans la lutte contre les contrebandes, les contrefaçons, les trafics et les fraudes. Les réflexions, aujourd'hui abouties, sur la contrebande de tabac, mettent en évidence la nécessité de renforcer les moyens juridiques de nos douaniers. Par ailleurs, s'agissant des obligations fiscales et sociales des plateformes, et notamment des ingénieurs de la fraude – à ne pas confondre avec ceux qui ne font que conseiller les clients, sans participer à l'organisation frauduleuse – nous avons un débat avec la commission des lois. Je suis certain que le débat dans l'hémicycle contribuera à éclairer le vote des parlementaires sur la mise en place d'une sanction spécifique à leur encontre.
Enfin, le renforcement des outils de nature à dissuader la fraude fiscale a son importance. Ainsi le texte introduit-il des sanctions administratives exclusives des sanctions pénales, applicables aux personnes qui, je viens de l'évoquer, concourent par leurs prestations de services à des montages frauduleux, mais aussi le recours au plaider-coupable, une procédure parfois plus efficace et plus rapide pour la justice, avec une dimension symbolique plus forte.
Nous aurons l'occasion d'examiner les nouveaux outils proposés par ce texte pour mieux appréhender la lutte contre la fraude. En matière transactionnelle, nous avons eu un long débat en commission et nous sommes prêts à l'avoir de nouveau dans l'hémicycle. Et pour ce qui est de l'information du Parlement, nous avons accepté, à la demande de Mme la rapporteure, des amendements concernant le débat obligatoire, qui n'existait pas jusqu'à présent, sur l'action que mène le gouvernement de la République s'agissant de la liste des États et territoires non coopératifs – ETNC – et, plus généralement, de la lutte contre la fraude.
Madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des finances, mesdames et messieurs les députés, le travail en commission, précédé des efforts du Gouvernement pour approfondir le dialogue avec le Parlement depuis quinze mois ainsi que de votre mission, madame la rapporteure, monsieur le président Diard, fait qu'il n'y a qu'une seule motion déposée sur ce texte, ce qui montre que l'ensemble de l'Assemblée nationale se sent informée. Les discussions furent longues en commission et, si le texte n'a pas été voté à l'unanimité, il n'a pas été entravé par la parole de parlementaires qui considéraient que le Gouvernement n'avait été ni pragmatique, ni protecteur des libertés, ni fort dans sa volonté – même si nous avons encore, bien entendu, beaucoup de désaccords.
Cette volonté très forte s'accompagne, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, de pédagogie, afin que nous puissions lutter plus efficacement contre la fraude, de manière non pas idéologique, mais pratique. L'exemple n'est pas le meilleur moyen pour convaincre, il est le seul. J'essaierai donc de vous en apporter de nombreux pour vous convaincre. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 1er octobre 2018