Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, avec France Bleu Nord le 2 octobre 2018, sur les conséquences économiques du Brexit pour la région des Hauts de France, la réforme du prélévement à la source et ses liens avec la ville de Tourcoing.

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Média : France Bleu

Texte intégral


LE JOURNALISTE
Le Brexit approche, le 29 mars prochain, le Royaume-Uni sortira de l'Union européenne. A six mois de l'échéance, le ministre de l'Action et des comptes publics, le nordiste Gérald DARMANIN se rend à Calais aujourd'hui. Il est l'invité de France Bleu Nord. Cécile BIDAULT.
CECILE BIDAULT
Bonjour Gérald DARMANIN.
GERALD DARMANIN
Bonjour.
CECILE BIDAULT
Ce n'est pas tous les jours qu'un préfet prend la plume pour dire son inquiétude, c'est ce qu'a fait le préfet de région, Michel LALANDE, il a écrit au ministre de l'Intérieur, il craint un impact – je le cite – considérable du Brexit sur la région, surtout si, comme ça semble se dessiner, on s'achemine vers un Brexit dur. Est-ce qu'il a raison de s'inquiéter le préfet ou est-ce qu'il exagère ?
GERALD DARMANIN
Non, il a raison de s'en inquiéter, le préfet de région est très en pointe sur la question du Brexit, nous sommes touchés à plus d'un titre, évidemment, le port de Calais, le port de Dunkerque, le tunnel, et je pense que la région des Hauts-de-France, plus encore que n'importe quelle région, a des liens particuliers avec nos amis anglais, des culturels, économiques, de population, et puis, plus largement, pour l'ensemble de la façade nord de notre pays, qui va de la Bretagne jusqu'à Dunkerque. Le préfet de région, il a alerté le ministre de l'Intérieur, c'est son travail de préfet évidemment, je ne suis pas certain que cette lettre était censée se retrouver dans les journaux, mais le gouvernement n'a rien à cacher, nous préparons, depuis longtemps, avec Michel LALANDE, comme avec d'autres préfets, cette sortie de la Grande-Bretagne du marché commun.
CECILE BIDAULT
Mais cet impact considérable, vous allez y aller au port de Calais, vous allez rencontrer des chefs d'entreprise, des transporteurs routiers, qui disent, là aussi, j'en cite un, que : un mur est en train de grandir au fur et à mesure qu'on s'approche du Brexit, et bientôt, il sera infranchissable, si je traduis, c'est effectivement des craintes sur les bouchons, aux abords du port, aux abords du tunnel, avec ces contrôles qui vont se mettre en place ; comment allez-vous les rassurer ?
GERALD DARMANIN
Eh bien, d'abord, il est évident que le départ de nos amis de Grande-Bretagne du marché commun a des conséquences négatives, des conséquences négatives pour l'Europe et pour les Français, et bien sûr, pour la région, et des conséquences négatives pour les Anglais eux-mêmes, on ne peut pas faire comme si le Brexit n'existait pas, le peuple anglais a souhaité sortir de l'Union européenne, et c'est un acte grave, qu'il faut respecter, mais c'est un acte grave, et évidemment, il y a des conséquences. Et il faut rétablir des frontières, parce que sinon, nous ne pourrions pas comprendre, ou en tout cas, le marché commun ne pourrait pas comprendre qu'il y a des entreprises qui peuvent vivre dans une autre réglementation que celle de l'Union européenne et utiliser le marché commun. Donc c'est notre devoir, pour les Pays-Bas, pour la Belgique, pour la France, que de protéger le marché commun, et notamment de faire des contrôles douaniers. Maintenant, il faut aussi que nous puissions vivre avec les Anglais en voisins géographiques. Et vous savez, le port de Dunkerque par exemple, il est habitué à avoir beaucoup, beaucoup, beaucoup de marchandises qui vient de l'autre côté de l'Atlantique, notamment d'Amérique du Sud, c'est un port spécialisé notamment dans un certain nombre de produits alimentaires, notamment des fruits et légumes, on a l'habitude de faire très vite avec des pays avec lesquels on n'a pas d'union douanière, et pour autant, on ne bloque pas l'intégralité du port de Dunkerque. Ce qui est gênant, ce n'est pas tellement le Brexit, même s'il est dur et même si on a un « no deal », c'est-à-dire, si on n'avait pas de lien juridique avec les Anglais, ce qui est gênant, c'est, s'il n'y avait pas de période transitoire, à partir de mars prochain, pendant un an, un an et demi, parce que l'Etat met beaucoup de moyens, parce qu'il faut renforcer les moyens pour que ça aille plus vite, pour que ce soit moins simple qu'avant, mais que nous puissions quand même éviter ces fameux bouchons dans le port de Calais, à Dunkerque, au Havre et, bien sûr au tunnel.
CECILE BIDAULT
Mais vous les craignez ces bouchons, c'est vrai qu'on peut citer une étude qui a été faite Outre-manche…
GERALD DARMANIN
Nous les craignons…
CECILE BIDAULT
Deux minutes de contrôle en plus égale une quarantaine de kilomètres de bouchons, c'est considérable.
GÉRALD DARMANIN
Oui, nous les craignons que si nous ne faisons rien, et ce n'est pas ce que fait le gouvernement, depuis que je suis ministre des douanes, cela fait quinze mois, j'en suis à la septième réunion sur le Brexit, sur le terrain, plusieurs réunions dans les Hauts-de-France, moi-même, j'ai installé le comité de pilotage avec le préfet de région pour ce qui nous concerne voilà trois mois, avec le président Xavier BERTRAND, et je reviens pour le deuxième comité de pilotage aujourd'hui à Calais. Ce qui est extrêmement important, c'est d'anticiper. Nous anticipons, le gouvernement le fait, 700 douaniers en plus, 350 rien que cette année, nous allons, avec les ports, avec les présidences de régions, de Normandie, et des Hauts-de-France, créer des systèmes qui permettent aux entreprises, qu'elles soient du côté anglais ou du côté français, de faire en aval et en amont des contrôles, une sorte de dématérialisation des procédures pour éviter les bouchons au moment d'arriver au port de Calais par exemple, des aménagements urbains très importants. Quand vous descendez votre voiture du ferry, vous mettez votre voiture dans le port de Dunkerque, il n'y a pas de lieu aujourd'hui où vous faites du contrôle douanier, j'ai été voir sur place, et nous allons créer ce lieu. On va pouvoir faire des contrôles douaniers, à Calais, c'est pareil, nous n'avons pas aujourd'hui de terrain capable d'accueillir des contrôles douaniers de marchandises, qu'il s'agisse d'ailleurs du tunnel ou qu'il s'agisse du port, j'y vais aujourd'hui justement pour voir quel terrain, EUROTUNNEL m'en a proposé un gratuitement, si j'ose dire, le port de Calais et la maire de Calais m'en a proposé un autre, on va regarder quel est le meilleur. Et puis, on regarde aussi des équipements, nous équipons par exemple le tunnel sous la Manche d'un scanner qui permet de scannériser, si j'ose dire, les marchandises douanières, tout en laissant le tunnel fonctionner avec des trains qui pourront continuer à rouler à 30 km/h. Donc nous faisons beaucoup d'investissements humains et matériels.
CECILE BIDAULT
Donc s'appuyer sur les nouvelles technologies pour aller plus vite…
GERALD DARMANIN
Exactement.
CECILE BIDAULT
Concernant les hommes, vous l'avez dit…
GERALD DARMANIN
Mais elles n'empêcheront pas le contrôle…
CECILE BIDAULT
700 douaniers. Comment ça va se répartir, combien pour le littoral, combien pour Calais, pour Dunkerque, où en est-on des recrutements, parce que c'est demain en fait, c'est dans six mois le 29 mars…
GERALD DARMANIN
Alors, les recrutements ont déjà commencé, et il y a déjà plus de douaniers sur les ports de Calais et de Dunkerque et du Havre, et ça dépendra aussi surtout de l'union douanière qui nous liera ou ne nous liera pas à la Grande-Bretagne, mais aujourd'hui, le gouvernement, à la demande du Premier ministre, c'est de préparer le « no deal », comme s'il n'y avait pas de période de transition et comme s'il n'y avait pas d'accord avec nos amis britanniques.
CECILE BIDAULT
Donc ce scénario de Brexit dur, le pire des scénarios…
GERALD DARMANIN
Le pire des scénarios, et en fait, si vous voulez, il y a même un scénario pire au carré, qui serait à la fois qu'il n'y ait pas de lien juridique avec l'Angleterre, mais aussi pas de période transitoire, il faut absolument qu'on se prépare au pire, c'est qu'au mois de mars, il n'y ait plus aucun lien juridique avec la Grande-Bretagne, et c'est l'objet de mes très nombreux déplacements et de réunions dans la région.
LE JOURNALISTE
7h52, c'est l'invité de France Bleu Matin, nous recevons Gérald DARMANIN, le ministre des Comptes publics.
CECILE BIDAULT
Autre sujet, Gérald DARMANIN, sur lequel vous êtes en première ligne en ce moment, la mise en place du prélèvement de l'impôt à la source, à partir de janvier prochain, avec cette petite incertitude que vous avez eue il y a quelque temps, juste avant sa validation, Emmanuel MACRON n'était plus sûr qu'il fallait y aller dès cette année, avec le recul, qu'est ce qui s'est passé ? Est-ce que c'était une remise en question de votre travail ou c'était une manière pour lui de reprendre la main en tant que président sur cette communication ?
GERALD DARMANIN
Eh bien, le président de la République, il est le seul à répondre aux Français, ce n'est pas moi qui fus élu président de la République, il est normal qu'il challenge, si j'ose dire, son administration, son ministre et qu'il soit certain que les choses se passent bien au moment où on va changer notre façon de payer l'impôt, qui date depuis 1920, quelque part, ce n'est pas tous les jours, c'est même tous les siècles même, manifestement, qu'on change la façon dont on paye l'impôt. Et j'ai essayé de dire au président de la République que, non seulement, ces interrogations légitimes avaient des réponses précises, et que les agents des Finances publiques, que je remercie, savent faire de manière professionnelle ce genre de choses, ils ont fait l'impôt en ligne voilà quelques années, ils sauront faire l'impôt à la source, mais également répondre à des interrogations, et à la demande du président de la République, améliorer la copie.
CECILE BIDAULT
Est-ce que vous craignez un effet négatif, un effet psychologique, j'ai moins d'argent sur ma fiche de paye, parce que l'impôt y est directement prélevé, donc je dépense moins ?
GERALD DARMANIN
Non, je ne le crois pas du tout, d'abord, parce que les Français ne sont pas idiots et qu'ils savent bien qu'il faut payer les impôts, et puis, deuxièmement, s'il y a un choc psychologique, il sera positif, d'abord, il y a la moitié des Français qui ne paient pas d'impôt sur le revenu, mais pour la moitié qui reste, il y en a 65 % qui aujourd'hui paient leurs impôts de manière mensualisée, c'est-à-dire le 15, 16, 17 du mois, ils ont un prélèvement sur leur compte en banque, et leurs fins de mois sont difficiles parce qu'ils touchent leur argent en tant que salaire ou en tant que retraite le 29, 30, 31, et donc ils ont dix jours…
CECILE BIDAULT
Donc là, ce sera le début du mois qui sera difficile…
GERALD DARMANIN
Non, ce sera à la fin du mois, à la fin du mois, au moment où vous touchez votre salaire, mais vous allez pouvoir payer votre impôt, ce sera automatique, mais vous savez, nous, dans le Nord, on sait très bien que ça marche très bien l'impôt à la source, nos amis belges, ils le font depuis très longtemps, sur le marché de Tourcoing, voilà, pas plus tard qu'il y a quinze jours, une dame est venue me voir, elle travaillait en Belgique, elle payait ses impôts en Belgique, elle a eu un cancer, un cancer de longue durée, eh bien, en Belgique, on a pu suspendre immédiatement son paiement de l'impôt le jour où elle a su qu'elle avait un cancer et qu'elle a dû arrêter de travailler, en France, cette dame aurait dû payer ses impôts alors que peut-être cela faisait peut-être un an qu'elle ne touchait plus ses revenus, eh bien, c'est avec ce genre de choses pratiques comme ça qu'on sait que l'impôt à la source, c'est une bonne chose.
CECILE BIDAULT
Alors, Tourcoing, puisque vous en parlez, la politique locale, vous étiez invité récemment sur une antenne nationale, et néanmoins amie, vous avez dit que ce n'était pas le lieu pour annoncer vos intentions précises pour les municipales, alors France Bleu Nord, c'est peut-être davantage le lieu, est-ce que vous serez tête de liste à Tourcoing ?
GERALD DARMANIN
C‘est sans doute davantage le lieu, mais ce n'est toujours pas le temps, et avant l'heure, ce n'est pas l'heure, est après l'heure, ce n'est plus l'heure, comme disait ma grand-mère de Denain. Donc ce qui est sûr, c'est que je m'intéresse évidemment toujours beaucoup à ma ville de Tourcoing, où j'ai eu la chance, le bonheur et l'honneur d'être élu maire en 2014, je fais toujours partie de l'équipe municipale, je suis toujours le premier adjoint de ma commune, j'y vais extrêmement souvent, j'y habite toujours, et viendra le moment de la campagne des municipales, cette campagne, c'est dans un an et demi, et il serait assez, me semble-t-il, présomptueux que de penser que je suis la seule personne capable de mener une liste. Et j'étudierai avec mes amis du conseil municipal la façon dont je pourrais rendre service à la ville, peut-être en tête de liste, peut-être pas, nous verrons. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que je figurerai sur une liste municipale…
CECILE BIDAULT
Et vous en avez envie ?
GERALD DARMANIN
Eh bien oui, parce qu'on peut avoir sa tête à Paris, mais ses pieds à Tourcoing, si vous me permettez cette expression. Moi, je suis très attaché à ma commune, ça fait désormais plus de dix ans que j'y suis élu, c'est là où j'ai été élu député, c'est là où j'ai fait mes armes politiques, où j'étais étudiant, où, jeune marié, je me suis installé, où j'ai travaillé, donc je suis très attaché à ma commune, et je ne la vois pas m'abandonner parce que je suis devenu ministre quelques mois ou quelques années.
CECILE BIDAULT
Vous n'avez pas fait mystère de votre envie, de votre ambition, c'est la même, vous aviez dit : ce n'est pas Lille ou Tourcoing, la question, la question, c‘est la métropole européenne de Lille, c'est là où se prennent les décisions, on sait que vous avez dîné récemment avec Martine AUBRY, probable candidate en 2020, est-ce que ça veut dire que vous préparez déjà la suite, la prochaine bataille ?
GERALD DARMANIN
Non, mais j'ai déjeuné avec Damien CASTELAIN, je vois très régulièrement le président BERTRAND, dont chacun connaît le lien affectif qui me lie à lui, et j'ai déjeuné bien sûr avec madame la maire de Lille. Il n'y a aucun problème, j'espère qu'en démocratie et en République, on peut discuter avec les gens avec qui on travaille, je suis vice-président de la métropole en même temps que Martine AUBRY et de Damien CASTELAIN. Là encore, avant l'heure, ce n'est pas l'heure, aujourd'hui, il faut que la métropole avance, ce qui est certain, c'est que l'enjeu métropolitain, politique économique, c'est le grand Lille, et qu'il faut arrêter les batailles de clochers entre communes, et porter une métropole qui peut être à la hauteur de Lyon, de Marseille, de Bordeaux, de Nantes, de Toulouse. Et moi, j'espère apporter ma petite pierre, et puis, par ailleurs, nous verrons bien en 2020 qui gagne les élections municipales, et pour quels projets, et dans ces conditions, on se reposera sans doute la question. En attendant, le président CASTELAIN a la confiance évidemment des élus Tourquennois et moi-même.
CECILE BIDAULT
Merci Gérald DARMANIN.
GERALD DARMANIN
Merci à vous.
CECILE BIDAULT
Bonne journée à Calais.
GERALD DARMANIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 octobre 2018